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qu’elle n’avait besoin de personne pour se déshabiller, et elle était montée dans son appartement, tremblant d’y trouver Hermann, désirant même de ne l’y pas trouver. Du premier coup d’œil, elle s’assura de son absence et remercia le hasard qui avait fait manquer leur rendez-vous. Elle s’assit toute pensive, sans songer à changer de toilette, et se mit à repasser dans sa mémoire toutes les circonstances d’une liaison commencée depuis si peu de temps, et qui pourtant l’avait déjà menée si loin. Trois semaines s’étaient à peine écoulées depuis que de sa fenêtre elle avait aperçu le jeune officier, et déjà elle lui avait écrit, et il avait réussi à obtenir d’elle un rendez-vous la nuit. Elle savait son nom, voilà tout. Elle en avait reçu quantité de lettres, mais jamais il ne lui avait adressé la parole ; elle ne connaissait pas le son de sa voix. Jusqu’à ce soir-là même, chose étrange, elle n’avait jamais entendu parler de lui. Ce soir-là, Tomski, croyant s’apercevoir que la jeune princesse Pauline ***, auprès de laquelle il était fort assidu, coquetait, contre son habitude, avec un autre que lui, avait voulu s’en venger en faisant parade d’indifférence. Dans ce beau dessein, il avait invité Lisabeta pour une interminable mazurka. Il lui fit force plaisanteries sur sa partialité pour les officiers de l’arme du génie, et, en feignant d’en savoir beaucoup plus qu’il n’en disait, il arriva que quelques-unes de ses plaisanteries tombèrent si juste, que plus d’une fois Lisabeta put croire que son secret était découvert.

— Mais enfin, dit-elle en souriant, de qui tenez-vous tout cela ?

— D’un ami de l’officier que vous savez. D’un homme très original.

— Et quel est cet homme si original ?

— Il s’appelle Hermann.

Elle ne répondit rien, mais elle sentit ses mains et ses pieds se glacer.

— Hermann est un héros de roman, continua Tomski. Il a le profil de Napoléon et l’âme de Méphistophélès. Je crois qu’il a au moins trois crimes sur la conscience. Comme vous êtes pâle ! — J’ai la migraine. — Eh bien ! que vous a dit ce M. Hermann ? N’est-ce pas ainsi que vous l’appelez ?

— Hermann est très mécontent de son ami, de l’officier du génie que vous connaissez. Il dit qu’à sa place il en userait autrement. Et puis, je parierais que Hermann a ses projets sur vous. Du moins il paraît écouter avec un intérêt fort étrange les confidences de son ami...

— Et où m’a-t-il vue ?

— À l’église, peut-être, à la promenade, Dieu sait, peut-être dans votre chambre pendant que vous dormiez. Il est capable de tout... En ce moment, trois dames s’avançant, selon les us de la mazurka, pour l’inviter à choisir entre oubli ou regrets [1], interrompirent une

  1. Chacun de ces mots désigne une dame. Le cavalier en répète un au hasard et doit exécuter une figure avec la dame à qui appartient le mot choisi.