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là-dedans ? Non ; l’économie, la tempérance, le travail, voilà mes trois cartes gagnantes ! C’est avec elles que je doublerai, que je décuplerai mon capital. C’est elles qui m’assureront l’indépendance et le bien-être. Rêvant de la sorte, il se trouva dans une des grandes rues de Pétersbourg, devant une maison d’assez vieille architecture. La rue était encombrée de voitures, défilant une à une devant une façade splendidement illuminée. Il voyait sortir de la portière ouverte tantôt le petit pied d’une jeune femme, tantôt la botte à l’écuyère d’un général, cette fois un bas à jour, cette autre un soulier diplomatique. Pelisses et manteaux passaient en procession devant un suisse gigantesque. Hermann s’arrêta. — À qui cette maison ? demanda-t-il à un garde de nuit (boudoutchnik) rencogné dans sa guérite.

— À la comtesse ***. C’était la grand’mère de Tomski. Hermann tressaillit. L’histoire des trois cartes se représenta à son imagination. Il se mit à tourner autour de la maison, pensant à la femme qui l’occupait, à sa richesse, à son pouvoir mystérieux. De retour enfin dans son taudis, il fut long-temps avant de s’endormir, et, lorsque le sommeil s’empara de ses sens, il vit danser devant ses yeux des cartes, un tapis vert, des tas de ducats et de billets de banque. Il se voyait faisant paroli sur paroli, gagnant toujours, empochant des piles de ducats et bourrant son portefeuille de billets. À son réveil, il soupira de ne plus trouver ses trésors fantastiques et, pour se distraire, il alla de nouveau se promener par la ville. Bientôt il fut en face de la maison de la comtesse ***. Une force invincible l’entraînait. Il s’arrêta et regarda aux fenêtres. Derrière une vitre il aperçut une jeune tête avec de beaux cheveux noirs, penchée gracieusement sur un livre, sans doute, ou sur un métier. La tête se releva ; il vit un frais visage et des yeux noirs. Cet instant-là décida de son sort.

III.

Lisabeta Ivanovna ôtait son schall et son chapeau quand la comtesse l’envoya chercher. Elle venait de faire remettre les chevaux à la voiture. Tandis qu’à la porte de la rue deux laquais hissaient la vieille dame à grand’peine sur le marchepied, Lisabeta aperçut le jeune officier tout auprès d’elle ; elle sentit qu’il lui saisissait la main ; la peur lui fit perdre la tête, et l’officier avait déjà disparu lui laissant un papier entre les doigts. Elle se hâta de le cacher dans son gant. Pendant toute la route, elle ne vit et n’entendit rien. En voiture, la comtesse avait l’habitude de faire sans cesse des questions : — Qui est cet homme qui nous a saluées ? Comment s’appelle ce pont ? Qu’est-ce qu’il y a écrit sur cette enseigne ?

Lisabeta répondait tout de travers, et se fit gronder par la comtesse.