« Dialogues des morts/Dialogue 40 » : différence entre les versions

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César Et Caton.
 
Le pouvoir despotique et tyrannique, loin d' assurer
le repos et l' autorité des princes, les rend au
contraire malheureux, et entraîne inévitablement
leur ruine.
 
César.
 
Hélas ! Mon cher Caton, te voilà en pitoyable
état ! L' horrible plaie !
Caton.
 
Je me perçai moi-même à Utique, après la
bataille de Pharsale, pour ne point survivre
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vingt-trois !
César.
 
Tu seras bien surpris quand tu sauras que
j' ai été percé d' autant de coups au milieu du
sénat par mes meilleurs amis. Quelle trahison !
Caton.
 
Non, je n' en suis point surpris. N' étois-tu
pas le tyran de tes amis aussi bien que du
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Timoléon, et ses propres enfants, comme
fit l' ancien Brutus.
 
César.
 
Un de ses descendants n' a que trop suivi
cette belle leçon. C' est Brutus, que j' aimois
tant, et qui passoit pour mon propre fils, qui
a été le chef de la conjuration pour me massacrer.
 
Caton.
 
ô heureux Brutus, qui a rendu Rome libre,
et qui a consacré ses mains dans le sang d' un
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que celui qui fut chassé par Junius !
César.
 
Tu as toujours été prévenu contre moi, et
outré dans tes maximes de vertu.
 
Caton.
 
Qui est-ce qui m' a prévenu contre toi ? Ta
vie dissolue, prodigue, artificieuse, efféminée,
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des anciennes moeurs. Tu ne m' as point trompé :
m' avoit cru...
 
César.
 
Tu m' aurois enveloppé dans la conjuration
de Catilina pour me perdre.
 
Caton.
 
Alors tu vivois en femme, et tu n' étois homme
que contre ta patrie. Que ne fis-je point
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perte, et elle ne vouloit pas connoître ses
ennemis.
 
César.
 
Ton éloquence me fit peur, je l' avoue, et
j' eus recours à l' autorité. Mais tu ne peux
désavouer que je me tirai d' affaire en habile
homme.
 
Caton.
 
Dis en habile scélérat. Tu éblouissois les
plus sages par tes discours modérés et
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je résistai en vain : dès-lors les dieux étoient
irrités contre Rome.
 
César.
 
Dis-moi la vérité : tu craignois après la bataille
de Pharsale de tomber entre mes mains ;
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que vaincre et pardonner ?
Caton.
 
C' est le pardon du tyran, c' est la vie même,
oui, la vie de Caton due à César, que je
craignois. Il valoit mieux mourir que de te
voir.
 
César.
 
Je t' aurois traité généreusement, comme je
traitai ton fils. Ne valoit-il pas mieux secourir
encore la république ?
Caton.
 
Il n' y a plus de république dès qu' il n' y a
plus de liberté.
 
César.
 
Mais quoi ! être furieux contre soi-même ?
Caton.
 
Mes propres mains m' ont mis en liberté
malgré le tyran, et j' ai méprisé la vie qu' il
m' eût offerte. Pour toi, il a fallu que tes
propres amis t' aient déchiré comme un monstre.
 
César.
 
Mais si la vie étoit si honteuse pour un
romain après ma victoire, pourquoi m' envoyer
ton fils ? Voulois-tu le faire dégénérer ?
Caton.
 
Chacun prend son parti selon son coeur pour
vivre ou pour mourir. Caton ne pouvoit que
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tyran !
César.
 
Mais pourquoi me donnes-tu le nom de tyran ? Je
n' ai jamais pris le titre de roi.
 
Caton.
 
Il est question de la chose, et non pas du
nom. De plus, combien de fois te vit-on prendre
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d' assez bonnes nouvelles ?
César.
 
Trop bonnes ! Mais tu ne me fais pas justice.
 
Mon gouvernement a été doux ; je me suis
comporté en vrai père de la patrie : on en
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mes funérailles ! Qu' as-tu à répondre ?
Caton.
 
Que le peuple est toujours peuple, crédule,
grossier, capricieux, aveugle, ennemi de son
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qui prirent Rome. Heureux qui n' a point vu
ces jours de désolation ! Mais enfin parle-moi.
 
ô tyran, pourquoi déchirer les entrailles de
Rome ta mère ? Quel fruit te reste-t-il d' avoir
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leur vertu en te massacrant. Tu ne voyois aucun vrai
romain dont le courage ne dût te faire pâlir d' effroi.
 
Est-ce donc là cette vie tranquille et heureuse que tu
as achetée par tant de peines et de crimes ? Mais que
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à Utique. Dis, si tu l' oses, que tu as été
heureux.
 
César.
 
J' avoue que je ne l' étois pas : mais c' étoient
tes semblables qui troubloient mon bonheur.
 
Caton.
 
Dis plutôt que tu le troublois toi-même. Si
tu avois aimé la patrie, la patrie t' auroit aimé.
 
Celui que la patrie aime n' a pas besoin de
gardes : la patrie entière veille autour de lui.
 
La vraie sûreté est de ne faire que du bien, et
d' intéresser le monde entier à sa conservation.
 
Tu as voulu régner et te faire craindre. Hé
bien ! Tu as régné, on t' a craint : mais les
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hommes intéressés à les prévenir et à se délivrer
de leur tyrannie.
 
César.
 
Mais cette puissance que tu appelles tyrannique
étoit devenue nécessaire. Rome ne pouvoit
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maître. Pompée commençoit à l' être : je ne pus
souffrir qu' il le fût à mon préjudice.
 
Caton.
 
Il falloit abattre le tyran sans aspirer à la
tyrannie. Après tout, si Rome étoit assez lâche
pour ne pouvoir plus se passer d' un maître,
il valoit mieux laisser faire ce crime à un autre.
 
Quand un voyageur va tomber entre les mains
des scélérats qui se préparent à le voler, faut-il
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et l' infamie de la tyrannie, que ne la quittois-tu ?
César.
 
Hé ! Quel moyen de la quitter ? Le sentier
par où on y monte est rude et escarpé : mais
il n' y a point de chemin pour en descendre ;
on n' en sort que pour tomber dans le précipice.
 
Caton.
 
Malheureux ! Pourquoi donc y aspirer ?
Pourquoi tout renverser pour y parvenir ?
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pas le tien même, qui fut encore répandu
trop tard ? Tu cherches de vaines excuses.
 
César.
 
Et toi, tu ne me réponds pas : je te demande
comment on peut avec sûreté quitter la tyrannie.
 
Caton.
 
Va le demander à Sylla, et tais-toi. Consulte
ce monstre affamé de sang : son exemple
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de Brutus ne soit indignée, si elle me voit
parler avec toi.
 
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