« Dialogues des morts/Dialogue 16 » : différence entre les versions

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Socrate et Alcibiade.
 
Les plus grandes qualités naturelles ne servent
souvent qu' à déshonorer, si elles ne sont
soutenues par un amour constant de la vertu.
 
Socrate.
 
Te voilà toujours agréable. Qui charmeras-tu
dans les enfers ?
Alcibiade.
 
Et toi, te voilà toujours censeur du genre
humain. Qui persuaderas-tu ici, toi qui veux
toujours persuader quelqu' un ?
Socrate.
 
Je suis rebuté de vouloir persuader les hommes,
depuis que j' ai éprouvé combien mes discours
ont mal réussi pour te persuader la vertu.
 
Voulois-tu que je vécusse pauvre comme
toi, sans me mêler des affaires publiques ?
Socrate.
 
Lequel valoit mieux, ou de ne s' en mêler
pas, ou de les brouiller, et de devenir
l' ennemi de sa patrie ?
Alcibiade.
 
J' aime mieux mon personnage que le tien.
 
J' ai été beau, magnifique, tout couvert de
gloire, vivant dans les délices, la terreur des
lacédémoniens et des perses. Les athéniens
n' ont pu sauver leur ville qu' en me rappelant.
 
S' ils m' eussent cru, Lysander ne seroit jamais
entré dans leur port. Pour toi, tu n' étois qu' un
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t' a joué sur le théâtre ; tu as passé pour un
impie, et on t' a fait mourir.
 
Socrate.
 
Voilà bien des choses que tu mets ensemble :
examinons-les en détail. Tu as été beau, mais
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naturel. Tu as rendu de grands services à ta
patrie ; mais tu lui as fait de grands maux.
 
Dans les biens et dans les maux que tu lui as
faits, c' est une vaine ambition qui t' a fait agir ;
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vertu ? Il vaut mieux être laid et sage comme
moi, que beau et dissolu comme tu l' étois.
 
L' unique chose qu' on peut me reprocher est
de t' avoir trop aimé, et de m' être laissé éblouir
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ont déshonoré l' éducation philosophique que
Socrate t' avoit donnée : voilà mon tort.
 
Alcibiade.
 
Mais ta mort montre que tu étois un impie.
 
Socrate.
 
Les impies sont ceux qui ont brisé les statues
d' Hermès. J' aime mieux avoir avalé du
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que de trouver la mort comme toi dans le
sein d' une courtisane.
 
Alcibiade.
 
Ta raillerie est toujours piquante.
 
Socrate.
 
Hé ! Quel moyen de souffrir un homme qui
étoit propre à faire tant de biens, et qui a fait
tant de maux ? Tu viens encore insulter à la
vertu.
 
Alcibiade.
 
Quoi ! L' ombre de Socrate et la vertu sont
donc la même chose ? Te voilà bien
présomptueux...
 
Socrate.
 
Compte pour rien Socrate, si tu veux, j' y
consens : mais, après avoir trompé mes espérances
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tes plaisirs ?
Alcibiade.
 
Ah ! Il est vrai, il ne m' en reste que la honte
et les remords. Mais où vas-tu ? Pourquoi donc
veux-tu me quitter ?
Socrate.
 
Adieu : je ne t' ai pas suivi dans tes voyages
ambitieux, ni en Sicile, ni à Sparte, ni en
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paisible et bienheureuse avec Solon, Lycurgue,
et les autres sages.
 
Alcibiade.
 
Ah ! Mon cher Socrate, faut-il que je sois
séparé de toi ! Hélas ! Où irai-je donc ?
Socrate.
 
Avec ces ames foibles et vaines dont la vie
a été un mélange perpétuel de bien et de mal,
et qui n' ont jamais aimé de suite la pure vertu.
 
Tu étois né pour la suivre : tu lui as préféré
tes passions. Maintenant elle te quitte à son
tour, et tu la regretteras éternellement.
 
Alcibiade.
 
Hélas ! Mon cher Socrate, tu m' as tant aimé :
ne veux-tu plus avoir jamais aucune pitié de
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mieux qu' un autre, que le fond de mon naturel
étoit bon.
 
Socrate.
 
C' est ce qui te rend plus inexcusable. Tu
étois bien né, et tu as mal vécu. Mon amitié
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pour te couvrir de mon corps comme d' un
bouclier. Je sauvai ta vie, ta liberté, tes armes.
 
La couronne m' étoit due par cette action : je
priai les chefs de l' armée de te la donner. Je
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jamais cru que tu eusses pu devenir la honte
de ta patrie et la source de tous ses malheurs.
 
Alcibiade.
 
Je m' imagine, mon cher Socrate, que tu
n' as pas oublié aussi cette autre occasion où,
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ennemis qui t' alloient accabler. Faisons
compensation.
 
Socrate.
 
Je le veux. Si je rappelle ce que j' ai fait pour
toi, ce n' est point pour te le reprocher, ni
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soins que j' ai pris pour te rendre bon, et
combien tu as mal répondu à toutes mes peines.
 
Alcibiade.
 
Tu n' as rien à dire contre ma première jeunesse.
 
Souvent, en écoutant tes instructions, je
m' attendrissois jusqu' à en pleurer. Si quelquefois
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osé te résister. Je n' écoutois que toi ; je ne
craignois que de te déplaire.
 
Il est vrai que je fis une gageure un jour de
donner un soufflet à Hipponicus. Je le lui
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voyant que je ne l' avois offensé que par la
légèreté de mon naturel enjoué et folâtre.
 
Socrate.
 
Alors tu n' avois commis que la faute d' un
jeune fou : mais dans la suite tu as fait les
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contenter son ambition, qui porte dans toutes
les nations étrangères des moeurs dissolues.
 
Va, tu me fais horreur et pitié. Tu étois fait
pour être bon, et tu as voulu être méchant ;
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peut plus y avoir ici-bas d' union entre nous
deux.
 
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