« Dialogues des morts/Dialogue 7 » : différence entre les versions

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Confucius et Socrate.
 
Confucius.
 
J' apprends que vos européens vont souvent
chez nos orientaux, et qu' ils me nomment le
Socrate de la Chine. Je me tiens honoré de ce
nom.
 
Socrate.
 
Laissons les compliments dans un pays où
ils ne sont plus de saison. Sur quoi fonde-t-on
cette ressemblance entre nous ?
Confucius.
 
Sur ce que nous avons vécu à peu près dans
les mêmes temps, et que nous avons été tous
deux pauvres, modérés, pleins de zèle pour
rendre les hommes vertueux.
 
Socrate.
 
Pour moi, je n' ai point formé, comme vous,
des hommes excellents pour aller dans toutes
les provinces semer la vertu, combattre le
vice, et instruire les hommes.
 
Confucius.
 
Vous avez formé une école de philosophes
qui ont beaucoup éclairé le monde.
 
Ma pensée n' a jamais été de rendre le peuple
philosophe, je n' ai pas osé l' espérer. J' ai
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hommes, et leur confier une doctrine que
je leur fisse bien comprendre de vive voix.
 
Confucius.
 
Ce plan est beau ; il marque des pensées
bien simples, bien solides, bien exemptes de
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et je me suis borné à des maximes sensées pour
la pratique des vertus dans la société.
 
Socrate.
 
Pour moi, j' ai cru qu' on ne peut établir les
vraies maximes qu' en remontant aux premiers
principes qui peuvent les prouver, et en réfutant
tous les autres préjugés des hommes.
 
Confucius.
 
Mais enfin, par vos premiers principes,
avez-vous évité les combats d' opinions entre
vos disciples ?
Socrate.
 
Nullement ; Platon et Xénophon, mes principaux
disciples, ont eu des vues toutes différentes.
 
Les académiciens, formés par Platon, se sont
divisés entre eux : cette expérience m' a
désabusé de mes espérances sur les hommes.
 
Un homme ne peut presque rien sur les autres
hommes. Les hommes ne peuvent rien sur
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république me paroît enfin impossible, tant
je suis désabusé du genre humain.
 
Confucius.
 
Pour moi, j' ai écrit, et j' ai envoyé mes
disciples pour tâcher de réduire aux bonnes
moeurs toutes les provinces de notre empire.
 
Socrate.
 
Vous avez écrit des choses courtes et simples,
si toutefois ce qu' on a publié sous votre
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coupées de cette façon ont une sécheresse qui
n' étoit pas, je m' imagine, dans vos entretiens.
 
D' ailleurs vous étiez d' une maison royale et
en grande autorité dans toute votre nation :
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impossible de faire quelque chose de bon des
hommes.
 
Confucius.
 
J' ai été plus heureux parmi les chinois ; je
les ai laissés avec des lois sages, et assez bien
policés.
 
Socrate.
 
De la manière que j' en entends parler sur
les relations de nos européens, il faut en effet
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coutume, souvent même par la crainte du
déshonneur et par l' espérance d' être récompensé.
 
Mais être philosophe, suivre le beau et le bon
en lui-même par la simple persuasion, et par
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meilleur dans ces peuples tant vantés : voilà
l' humanité regardée sous sa plus belle face.
 
Confucius.
 
Peut-être avons-nous été plus heureux que
vous, car la vertu a été grande dans la Chine.
 
Socrate.
 
On le dit ; mais, pour en être assuré par
une voie non suspecte, il faudroit que les
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comme par-tout ailleurs, et que les hommes ont été
hommes dans tous les pays et dans tous les temps.
 
Confucius.
 
Mais pourquoi n' en croirez-vous pas nos
historiens et vos relateurs ?
Socrate.
 
Vos historiens nous sont inconnus, on n' en
a que des morceaux extraits et rapportés par
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votre nation me paroît un spectacle beau et grand
de loin, mais très douteux et équivoque.
 
Confucius.
 
Voulez-vous ne rien croire parceque
Fernand Mendez Pinto a beaucoup exagéré ?
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soit admirable ?
Socrate.
 
Par où voulez-vous que je me convainque de toutes
ces choses ?
Confucius.
 
Par vos propres relateurs.
 
Socrate.
 
Il faut donc que je les croie, ces relateurs ?
Confucius.
 
Pourquoi non ?
Socrate.
 
Et que je les croie dans le mal comme dans le bien ?
Répondez, de grace.
 
Confucius.
 
Je le veux.
 
Socrate.
 
Selon ces relateurs, le peuple de la terre le
plus vain, le plus superstitieux, le plus
intéressé, le plus injuste, le plus menteur, c' est
le chinois.
 
Confucius.
 
Il y a par-tout des hommes vains et menteurs.
 
Socrate.
 
Je l' avoue ; mais à la Chine les principes de
toute la nation, auxquels on n' attache aucun
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chinois, sur le portrait que j' en ai ouï faire,
me paroissent assez semblables aux égyptiens.
 
C' est un peuple tranquille et paisible dans un
beau et riche pays, un peuple vain qui méprise
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sciences n' y étoient presque rien de solide quand
nos européens ont commencé à les connoître.
 
Confucius.
 
N' avions-nous pas l' imprimerie, la poudre à canon,
la géométrie, la peinture, l' architecture, l' art
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leur sont pas suspectes, et ils avouent qu' elles
quadrent juste avec les révolutions du ciel.
 
Socrate.
 
Voilà bien des choses que vous mettez ensemble
pour réunir tout ce que la Chine a de plus
estimable ; mais examinons-les de près l' une après
l' autre.
 
Confucius.
 
Volontiers.
 
Socrate.
 
L' imprimerie n' est qu' une commodité pour les
gens de lettres, et elle ne mérite pas une
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celui des caractères, dont ils font telle
composition qu' il leur plaît en fort peu de temps.
 
De plus, il n' est pas tant question d' avoir un art
pour faciliter les études, que de l' usage qu' on
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l' imprimerie mieux que les chinois, étoient des
hommes grossiers, ignorants, et barbares.
 
La poudre à canon est une invention pernicieuse
pour détruire le genre humain ; elle
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guerres. Voilà donc une invention qu' il n' est guère
permis d' estimer.
 
Confucius.
 
Mépriserez-vous aussi nos mathématiciens ?
Socrate.
 
Ne m' avez-vous pas donné pour règle de croire les
faits rapportés par nos relateurs ?
Confucius.
 
Il est vrai ; mais ils avouent que nos
mathématiciens sont habiles.
 
Socrate.
 
Ils disent qu' ils ont fait certains progrès, et
qu' ils savent bien faire plusieurs opérations :
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suivies ; on n' est ébloui que par la beauté des
couleurs et du vernis.
 
Confucius.
 
Ce vernis même est une merveille inimitable dans
tout l' Occident.
 
Socrate.
 
Il est vrai : mais vous avez cela de commun
avec les peuples les plus barbares, qui ont
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nations les plus industrieuses ne sauroient
exécuter chez elles.
 
Confucius.
 
Venons à l' écriture.
 
Socrate.
 
Je conviens que vous avez dans votre écriture un
grand avantage pour la mettre en commerce chez tous
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cette étude sèche qui vous exclut de tout
progrès pour les connoissances les plus solides.
 
Confucius.
 
Mais notre antiquité, de bonne foi, n' en
êtes-vous pas convaincu ?
Socrate.
 
Nullement : les raisons qui persuadent aux
astronomes occidentaux que vos observations
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pas douter qu' ils n' aient travaillé à accorder
ces deux passions.
 
Confucius.
 
Que concluriez-vous donc sur notre empire ? Il
étoit hors de tout commerce avec vos nations
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de mon temps, des lois, une police et des arts
que les autres peuples orientaux n' ont point eus.
 
L' origine de notre nation est inconnue : elle se
cache dans l' obscurité des siècles les plus reculés.
 
Vous voyez bien que je n' ai ni entêtement ni
vanité là-dessus. De bonne foi, que pensez-vous
sur l' origine d' un tel peuple ?
Socrate.
 
Il est difficile de décider juste ce qui est
arrivé parmi tant de choses qui ont pu se faire
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phéniciens et les phrygiens, ont fait de même
sur toutes les côtes de la mer Méditerranée.
 
D' autres asiatiques de ces royaumes qui étoient
sur les bords du Tigre et de l' Euphrate
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la postérité l' origine de la nation, pour la
rendre plus merveilleuse à tous les autres peuples.
 
Confucius.
 
Vos grecs n' en ont-ils pas fait autant ?
Socrate.
 
Encore pis : ils ont leurs temps fabuleux,
qui approchent beaucoup du vôtre. J' ai vécu,
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bien assurée de ce grand nombre de siècles que
ses histoires lui donnent avant votre temps.
 
Confucius.
 
Mais pourquoi auriez-vous inclination de
croire que nous sommes sortis des babyloniens ?
Socrate.
 
Le voici. Il y a beaucoup d' apparence que
vous venez de quelque peuple de la haute Asie
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lois fort révérées, des temples en abondance,
et une multitude de dieux de toutes les figures.
 
Tout ceci n' est qu' une conjecture, mais elle
pourroit être vraie.
 
Confucius.
 
Je vais en demander des nouvelles au roi Yao,
qui se promène, dit-on, avec vos anciens
rois d' Argos et d' Athènes dans ce petit bois de
myrtes.
 
Socrate.
 
Pour moi, je ne me fie ni à Cécrops, ni à
Inachus, ni à Pélops, pas même aux héros
d' Homère, sur nos antiquités.
 
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