« Dialogues des morts/Dialogue 1 » : différence entre les versions

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Mercure et Caron.
 
On voit ici comment ceux qui sont préposés pour
l' éducation des princes doivent travailler à
corriger leurs vices naissants, et à leur inspirer
les vertus de leur état.
 
Caron.
 
D' où vient que tu arrives si tard ? Les hommes
ne meurent-ils plus ? Avois-tu oublié les
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loin pour ses amours ? As-tu fait le Sosie ?
Parle donc, si tu veux.
 
Mercure.
 
J' ai été pris pour dupe ; car je croyois mener
dans ta barque aujourd' hui le prince Picrochole :
c' eût été une bonne prise.
 
Caron.
 
Quoi ! Si jeune ?
Mercure.
 
Oui, si jeune. Il se croyoit bien malade, et
crioit comme s' il eût vu la mort de bien près.
 
Caron.
 
Hé bien ! L' aurons-nous ?
Mercure.
 
Je ne me fie plus à lui ; il m' a trompé trop
souvent. à peine fut-il dans son lit, qu' il
oublia son mal, et s' endormit.
 
Caron.
 
Mais ce n' étoit donc pas un vrai mal ?
Mercure.
 
C' étoit un petit mal qu' il croyoit grand. Il
a donné bien des fois de telles alarmes. Je l' ai
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croyoit que son ame alloit sortir dans son
mouchoir.
 
Caron.
 
Comment ira-t-il à la guerre ?
Mercure.
 
Il la fait avec des échecs, sans mal et sans
douleur ; il a déja donné plus de cent batailles.
 
Caron.
 
Triste guerre ! Il ne nous en revient aucun mort.
 
Mercure.
 
J' espère pourtant que, s' il peut se défaire du
badinage et de la mollesse, il fera grand fracas
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assez mutin pour lui ressembler. On dit qu' il
aime les muses, qu' il a un Chiron, un Phoenix.
 
Caron.
 
Mais tout cela ne fait pas notre compte. Il
nous faudroit plutôt un jeune prince brutal,
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malheurs des hommes. Il rempliroit ma barque
une fois par jour.
 
Mercure.
 
Ho ! Ho ! Il t' en faut donner de ces princes,
ou plutôt de ces monstres affamés de carnage !
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remarque dans un bouton de rose naissante ce qui
promet une belle fleur.
 
Caron.
 
Mais n' est-il pas bouillant et impétueux ?
Mercure.
 
Il l' est étrangement.
 
Caron.
 
Que veux-tu donc dire avec tes muses ? Il ne saura
jamais rien : il mettra le désordre par-tout, et
nous enverra bien des ombres plaintives. Tant mieux.
 
Mercure.
 
Il est impétueux, mais il n' est point méchant ; il
est curieux, docile, plein de goût pour les belles
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promptitude et sa paresse, il sera merveilleux ; je
te le prédis.
 
Caron.
 
Quoi ! Prompt et paresseux ? Cela se contredit.
 
Tu rêves.
 
Mercure.
 
Non, je ne rêve point. Il est prompt à se
fâcher, et paresseux à remplir ses devoirs ;
mais chaque jour il se corrige, et il est réservé
pour de grandes choses.
 
Caron.
 
Nous ne l' aurons donc pas sitôt ?
Mercure.
 
Non, ses maux sont plutôt des impatiences que de
vraies douleurs. Jupiter le destine à faire
long-temps le bonheur des hommes.
 
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