« Histoire de la Révolution russe (1905-1917)/Chapitre XXVIII » : différence entre les versions

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XXVIII


Broussilov avait sans doute de bonnes raisons pour déconseiller à la Roumanie d’entrer en guerre ; mais il fut à peu près le seul. Le gouvernement russe et la presse à ses ordres étaient devenus très pressants : la Roumanie devait intervenir sur l’heure, ou renoncer à ses revendications (19 août). Il est avéré qu’on conseilla aux Roumains de porter leur effort sur la Transylvanie et la Hongrie ; la Russie répondait de la Dobroudja.

Le 27 août, la Roumanie déclara la guerre à l’Autriche. Elle attaqua en Transylvanie, ne laissant dans la Dobroudja que peu de troupes. La Russie n’envoya que des secours insuffisants ; une grande partie de la Dobroudja fut conquise par les Germano-Bulgares. L’attaque allemande à l’ouest de la Roumanie, vers Craïova, réussit et menaça Bucarest. À ce moment, toute l’Europe croyait qu’une grande armée russe, venant de Bessarabie et de Moldavie, allait paraître sur l’Arges. La situation des Allemands, dont la stratégie était d’une hardiesse folle, semblait très périlleuse. L’armée russe ne se montra point ; la Roumanie demanda en vain des canons et des munitions (30 octobre)[1] ; Bucarest tomba (6 décembre) et les Allemands, avec leurs alliés, occupèrent toute la Valachie avec la Dobroudja. L’armée russe de Moldavie couvrit la retraite de la principale armée roumaine et lui permit de se réorganiser derrière le Danube (fin décembre). Une note officieuse, répondant à des bruits très répandus, démentit que l’armée russe manquât de munitions et nia également que des dissentiments graves se fussent produits entre la Russie et la Roumanie (16 décembre).

Au cours de ces fâcheux événements, si difficilement explicables par des raisons purement militaires, l’opinion russe n’avait pas été moins émue que celle des Alliés. Lorsque Protopopov remplaça Khvostov au ministère de l’Intérieur (1er octobre), les bruits injurieux qui couraient sur cet intrigant prirent une nouvelle consistance. Une sorte de conjuration patriotique s’ourdit contre lui, sous les auspices de Trepov, auquel on savait gré d’être laborieux et d’avoir achevé, au milieu de difficultés énormes, la voie de Pétrograd à la côte mourmane en mer libre. Cette fois, ce fut la famille impériale elle-même qui intervint. La veuve d’Alexandre III ne voyait presque jamais son fils et était complètement brouillée avec sa belle-fille, à cause de Raspoutine et de sa clique. Au mois d’octobre, elle rencontra Nicolas II à Kiev et eut avec lui un long entretien. Très instruite des affaires, restée liée avec l’actif ambassadeur de la Grande-Bretagne, sir G. Buchanan, elle demanda au tsar de constituer un cabinet responsable et de chasser Raspoutine. Nicolas II refusa. L’impératrice ne se découragea point ; elle vit les grands-ducs et s’assura de leur concours. Nicolas Michaïlovitch porta au tsar un document rédigé par les membres de sa famille, réitérant, sur le ton le plus pressant, les mêmes demandes (15 novembre) ; on suppliait le tsar de remplacer Stürmer par Trepov et d’écarter de la cour les personnages acquis à l’Allemagne, notamment Protopopov. L’entretien dura deux heures ; le tsar paraissait disposé à entendre raison. Mais l’impératrice apprit qu’il se tramait quelque chose et accourut avec ses filles à Mohilev. Quand on lui donna lecture du passage concernant Raspoutine, elle prit le papier et le jeta au feu. C’est peut-être alors que Nicolas Michaïlovitch écrivit au tsar cette lettre qui a été publiée :

« Tu m’as déclaré souvent que tu n’avais confiance en personne et que tu étais constamment trompé. S’il en est ainsi, cela est surtout vrai de ta femme qui t’aime et qui t’induit en erreur, entourée qu’elle est de personnes dominées par l’esprit du mal. »

Au premier rang de ces personnes malfaisantes était la protectrice et la protégée de Raspoutine, la dame d’honneur préférée de la souveraine, Mme Wyroubov.

  1. Les armes et les munitions envoyées de France et d’Angleterre étaient en abondance ; mais les trains qui les contenaient avaient été poussés sur des voies de garage à Tiraspol, Kiev, Mohilev, etc. Ordre était venu de les arrêter (The New Europe, 1917, p. 63 ; témoignage direct d’un Roumain, dans la Gazette de Lausanne du 7 avril.)