« Page:Coubertin - L’Avenir de l’Europe.djvu/26 » : différence entre les versions

Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
En-tête (noinclude) :En-tête (noinclude) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{c|— 21 —}}
{{c|— 22 —}}
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
La persécution leur vint de l’Empereur, non de l’Empire. Ils n’ont rien à reprocher aux Allemands dans le passé, ils n’ont rien à en redouter dans l’avenir. Dans le présent, ils ont même un ennemi commun qui est le panslavisme.
de 1848 ; ils n’en tirèrent aucun profit. Ils s’étaient laissés entraîner par leurs illusions à l’endroit de l’Autriche non moins que par leurs ressentiments envers la Hongrie ; la guerre emporta les illusions et diminua plutôt les ressentiments en départageant les torts. On arriverait à s’entendre s’il n’y avait cette terrible question des langues que la politique autrichienne entre 1849 et 1867 exaspéra jusqu’à la rendre presque insoluble. La Constitution du 4 mars 1849 reconnut, en effet, l’égalité de droits non plus des peuples historiques, mais des peuplades (Völkerstämme). Bien entendu, l’administration et la langue allemande recevaient seules l’estampille officielle ; on leur confiait comme au temps de Joseph {{rom-maj|ii|2}} le soin d’assurer l’unité de l’Empire. C’était la rançon obligatoire de la triple défaite que les nationalités venaient d’éprouver en Hongrie, en Italie et en Bohême. Mais, au second plan, les autres langues étaient admises et placées toutes sur le même rang. Ainsi le ruthène était égalé au tchèque et au polonais, le slovaque au magyar, le Slovène au croate… etc. Tout groupe ethnique était admis à « cultiver sa langue et sa nationalité ». Jamais le « Diviser pour régner» n’avait reçu une plus ingénieuse application. On abaissait les nationalités dangereuses et en même temps on leur opposait les inoffensives, fières de leur être égalées. Il y eut des déceptions, par exemple lorsque le gouvernement tenta de ruthéniser l’université de Lemberg, qui avait toujours été un foyer de culture polonaise ; il fallut bientôt y renoncer : les étudiants ne comprenaient point le ruthène… l’allemand lui fut substitué. On fut plus heureux avec les Slovaques ; on les aida à se composer une langue historique, voire une histoire tout entière et à se réunir en congrès nationaux… Cette politique prit fin après Sadowa lorsque l’Autriche, enfin domptée, dut faire sa paix avec la Hongrie. Mais, appliquée pendant plus de quinze ans, elle a laissé des traces. Son influence s’est même propagée au loin. Le monde des Balkans tout entier est en proie aujourd’hui à une véritable crise philologique. Chacun s’ingénie à prouver qu’il conjugue les verbes ou décline les substantifs autrement que son voisin ; il n’en faut pas davantage pour se créer des titres à l’indépendance.


Pour les gens naïfs, le panslavisme est un grand courant d’union fondé sur l’attrait réciproque et l’origine commune de tous les Slaves, quelque chose comme une vaste association de secours mutuels placée sous la présidence désintéressée du premier des Slaves, le Tsar. Mais pour quiconque observe et réfléchit, le panslavisme est une machine de guerre, un groupement fictif, démenti par les faits et condamné dans son principe. En vain cite-t-on les déclarations échangées à Prague en 1848 lors du fameux Congrès slave — plus tard, en 1867, la visite de Palacki et de Rieger au Congrès de Moscou — plus récemment encore la célèbre boutade échappée à Mgr Strossmayer, le Lavigerie croate : « Plutôt Russes que Magyars ! », aucun de ces incidents n’a de valeur réelle. Un abîme sépare ces peuples qu’on prétend confondre. Le moins slave de tous, c’est peut-être celui dont notre ignorance occidentale a fait le peuple slave par excellence, les Russes. Leur slavisme, en tout cas, est partout imprégné d’influences finnoises et tartares ; un Serbe et un Croate n’ont ni les mêmes tendances, ni la même forme d’esprit ; un Tchèque, encore bien moins. Les intérêts s’opposent également, comme aussi les traditions. L’attitude de la Serbie et de la Bulgarie l’a prouvé. Ce n’est pas pour le simple plaisir de se montrer ingrates et frondeuses qu’elles ont, dès le lendemain de leur émancipation, tenté d’orienter leur politique ailleurs que vers Pétersbourg ; la Bohême et la Croatie feraient de même dès qu’elles seraient libres ; commercialement elles dépendent du système germano-italien et c’est de ce côté que leur prospérité s’affirmera dans l’avenir. Voilà pour les intérêts ; quant aux traditions, elles sont lointaines. {{corr|A|À}} l’heure où la Russie, échappant à l’étreinte mongole, formait à grand’peine sa laborieuse unité, la Pologne était assez puissante pour menacer Moscou, Raguse méritait déjà le nom d’Athènes des Slaves, la Bohême avait derrière elle six siècles de pensée et de progrès, et les Serbes, gardant en leur cœur le souvenir de la « Grande Serbie », rêvaient de la reconstituer un jour. Tous ces peuples ont développé des institutions nationales conformes à leur génie et ils y demeurent fortement attachés. On en parle pourtant comme s’il s’agissait de tribus moscovites égarées qui seront heureuses, le jour venu, de rentrer dans le giron familial. En réalité, ils ont demandé la protection russe contre le Turc qui les opprimait ou contre l’Allemand ou le Magyar qui voulaient les absorber, tout comme demain ils demanderont la protection germanique contre le Russe, s’il menace leur liberté reconquise.
Ces titres, l’Europe ne saurait les reconnaître et il ne faut pas être grand prophète pour prédire qu’elle ne les reconnaîtra pas. C’est la prétention des Serbes et des Roumains de Hongrie de ne point comparaître devant les officiers de l’état civil magyar, qui a mis en échec, à Budapest, la loi du mariage civil. De telles prétentions sont inadmissibles, parce qu’elles rendraient tout gouvernement impossible. Confinant à la Serbie et à la Roumanie, qui sont des {{corr|Etats|États}} indépendants, la Hongrie ne peut permettre que la langue serbe et la langue roumaine prennent pied chez elle au même titre que la langue magyare. Autant lui demander de renier son histoire et d’abdiquer son rang. Elle ne le fera pas et on ne saurait l’y contraindre, car elle a derrière elle un appui considérable, c’est l’Allemagne. L’alliance allemande est, pour elle, dans la force des choses ; l’intérêt — un intérêt vital — la conseille et aucun sentiment ne vient à la traverse. Le contact germanique a presque toujours été, pour les Magyars, salutaire et fécond.

Le panslavisme, en tant qu’unification éventuelle du monde slave, est donc une chimère sans importance : il n’est un danger qu’en tant qu’il fournit à la Russie, pour le jour où la succession d’Autriche s’ouvrira définitivement, des motifs d’intervention dans toute la péninsule des Balkans et jusqu’au centre de l’Europe, Nous avons vu quelles seront pour {{tiret|l’Alle|magne}}