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{{t2|I. — L’EMPIRE ALLEMAND}}
et à en scruter les détails et plus il semble que ce fait capital surplombe tout l’avenir. Les conflits coloniaux pourront, sinon s’éviter, du moins se circonscrire, et quelque degré d’acuité qu’atteignent jamais les rivalités commerciales, une guerre d’intérêts sera rarement populaire, par la raison que les citoyens d’un même pays auront toujours des intérêts contradictoires. Mais là, au cœur de l’Europe, il ne s’agit ni de fortune ni même de prépondérance. Ce sont des questions de vie ou de mort qui se posent ; on ne saurait ni les éluder, ni les limiter. Mais on pourrait les aborder dans un esprit de paix, de liberté et de justice. En sera-t-il ainsi ?


L’Empire allemand est la formule qui représente l’Allemagne dans le monde et en tient lieu. {{corr|A|À}} proprement parler, il n’y a point d’Allemagne comme il y a une France, une Espagne ou une Italie. Mais il y a des territoires occupés par le peuple allemand et qui lui appartiennent historiquement. L’organisation politique de ces territoires est d’autant plus importante que leurs contours géographiques sont moins assurés.
Aux Anglo-Saxons de le décider. Il s’agit de savoir s’ils trouveront en eux-mêmes la force nécessaire pour triompher des suggestions de l’esprit de lucre et de domination. Déjà, chez eux, la lutte bat son plein. D’un côté, il y a tout un passé de libre-arbitre individuel et collectif, des traditions de justice et de légalité, l’habitude de débattre les affaires publiques, de raisonner les événements, de former et d’énoncer des jugements indépendants. De l’autre, il y a une montée extraordinaire de richesse et de force, des projets séduisants, des entreprises audacieuses, la confiance en soi qu’engendre le succès, le désir de garder son avance et aussi, il faut bien le dire, de pernicieux exemples déjà donnés par d’autres peuples.
Telle est, par excellence, la question d’Europe, question politique, mais surtout morale et dont la gravité réside principalement dans son caractère inéluctable. Rien ne l’empêchera de peser sur le siècle qui vient. Qu’y pourraient des changements de gouvernements ou de dynasties ? Qu’y pourrait le socialisme lui-même ? Pour que se produisent, au point de vue international, les effets bienfaisants qu’en attendent ses partisans, ne faudrait-il pas qu’au préalable la réforme morale fût accomplie et qu’un souffle de fraternité eût déjà passé sur une Europe aux frontières indiscutées ?


La principale force de l’empire lui vient de son caractère historique, de cette longue accoutumance à l’idée impériale qui créa en quelque sorte les sujets avant qu’il y eût un souverain. Je ne parle pas ici du Saint-Empire romain germanique, avec lequel l’institution actuelle n’a presque aucun trait commun. Le nom seul les rapproche, la chose diffère totalement ; il n’y a pas plus de ressemblance entre les deux souverainetés qu’entre le Reichstag et la vieille Diète de Ratisbonne. Mais si l’œuvre est nouvelle, cela ne veut pas dire qu’elle ait été spontanée. Le plan, au contraire, en était tracé depuis longtemps. Au début du {{rom|XIX}}{{e}} siècle, les matériaux de reconstruction s’amassaient déjà au pied du vieil édifice vermoulu dont les événements extérieurs allaient précipiter la chute. Dès que l’Autriche eut abdiqué une dignité devenue vaine, des hommes d’initiative que la foule ne pouvait suivre encore ni comprendre, commencèrent de rédiger des projets et des contre-projets en vue non de restaurer l’empire, mais d’en fonder un nouveau sur des bases différentes.
Aborder un semblable sujet et vouloir le traiter en quelques chapitres dans les colonnes d’un journal, constitue une tentative d’apparence si téméraire que je dois m’excuser d’en avoir accepté la charge. Si je l’ose pourtant, c’est que je crois la chose possible et utile. On voudra bien considérer cette étude comme le résumé, la quintessence d’un long travail préalable qui ne saurait trouver place ici. Tel qu’il est, ce résumé, au milieu de beaucoup de défauts, aura du moins une qualité, celle d’une tendance nettement impartiale. Pour juger sainement et loyalement, l’écrivain doit non pas regarder sans lunettes, ce qui lui ferait voir une humanité de convention, mais changer de lunettes en passant d’un pays à l’autre, de façon à utiliser successivement toutes celles qui sont en usage dans les pays dont il prétend étudier les progrès et surprendre les destins. C’est ce que je me suis efforcé de faire.

Il semble qu’ils se soient beaucoup moins préoccupés d’opposer la Prusse à l’Autriche que de trouver la formule nouvelle qui remplacerait l’ancienne. La rivalité entre ces deux puissances était inévitable, puisqu’aucun des autres Etats allemands n’était de taille à présider l’empire ; leurs titres, d’ailleurs, s’égalaient. Si l’Autriche avait pour elle son passé plus brillant et la plus grande étendue de ses possessions, elle avait contre elle de n’être
qu’à demi germanique. Les traités de Vienne, qui l’enrichirent en hommes et en terres, ne firent qu’accroître cet inconvénient en la chassant peu à peu vers l’Orient. La Prusse, au contraire, se germanisait. Malgré cela, les Allemands n’avaient pas fixé leur choix. L’état d’esprit des « avancés » d’alors est très caractéristique. Ils feront l’empire avec la Prusse ou avec l’Autriche, ou avec toutes les deux si elles arrivent à se mettre d’accord. Cette dernière combinaison ne serait pas viable, mais ils n’y prennent pas garde. Rien ne leur importe, pourvu que l’empire se fasse. Aussi, quand se réunit le Parlement de Francfort, issu du grand mouvement populaire de 1848, c’est d’abord l’archiduc Jean qui reçoit le titre provisoire de « vicaire impérial » et, l’année suivante, c’est à Frédéric-Guillaume, roi de Prusse, qu’on offre la couronne ! Sans doute, dans l’intervalle, il y a eu des marchandages, des intrigues, des compromissions plus ou moins avouables ; mais, en dehors du