« Fini de rire » : différence entre les versions

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{{Titre|Fini de rire|[[Guy de Maupassant]]|''Gil Blas'', 23 février 1882|}}
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|'''Les Chroniques de'''
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|[[Vengeance d’artiste]]
|
|[[Les héros modestes]]
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::''De par mossenhor l'Evesque''
::''Que Dieu vous done grand mal à bescle,''
 
::''Aves une plena balasta de pardos''
Que Dieu vous done grand mal à bescle,
::''E do dés de raycha de sot lo mento.''
 
Aves une plena balasta de pardos
 
E do dés de raycha de sot lo mento.
 
 
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« De par monseigneur l'évêque, que Dieu vous donne grand mal au foie, avec une pleine panerée de pardons et deux doigts de gale sous le menton. »
 
Ces formules variaient d'ailleurs. L'Évêque distribuait aussi des panerées de mal de dents, de queues de rosse, etc. Ces sottes plaisanteries amusaient follement le peuple. Il suffit, du reste, de relire les traits d'esprit, gaudrioles, épigrammes et gauloiseries, même des meilleurs poètes des XVeXV<sup>e</sup> et XVIeXVI<sup>e</sup> siècles, pour s'assurer que nos pères avaient le rire facilement excitable. C'était de la gaieté lourde, sans dessous malins. Au XVIIIeXVIII<sup>e</sup> siècle apparaît l'ironie ; le rire devient sec, perfide, amer, féroce. Au lieu de chatouiller, l'esprit blesse, il tue même.
 
Aujourd'hui, le plaisir n'est plus gai, nous sommes vieux. On ne rit plus de rien, on sourit seulement, et pas longtemps encore. L'éclatante gaieté de nos grands-pères, la spirituelle raillerie de nos pères ont fait place à l'indifférence. Fini de rire.
 
Voici, d'après Naudé, ce qu'était la fête des Innocents qui succéda vers le XVIeXVI<sup>e</sup> siècle à la fête des Fous. Quel mépris indigné nous aurions pour ces grossières réjouissances, ces incompréhensibles enfantillages :
 
« Les frères lais occupaient, à l'église, la place des religieux tonsurés et récitaient une manière d'office entremêlé d'extravagances et de profanations... Ils faisaient semblant de lire avec des lunettes dont les verres étaient remplacés par des écorces d'oranges, et marmottaient des mots confus en poussant des cris accompagnés de contorsions. »
 
 
 
C'est seulement quelque temps avant la révolution de 1789 que le Carnaval français parvint à tout son éclat, et eut même une réputation presque aussi grande que celle du fameux Carnaval de Venise. Tous les nobles y prenaient part et se faisaient traîner dans les rues sur des chars à huit chevaux ; c'était surtout une fête de l'élégance. C'était en même temps une sorte de fête de l'égalité entre grands seigneurs et manants.
 
La ''Terreur'' arrêta ces jeux et les remplaça par d'autres. La guillotine devint le hochet du peuple. Puis tout le monde se déguisa en militaire ; ce fut alors l'époque des uniformes extravagants, des généraux aux cheveux tressés. En 1805, le bœuf gras reparut.
 
Le bœuf gras ! Il a fait dire assurément plus de solennelles niaiseries aux savants chercheurs de riens que la pierre philosophale elle-même.
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Comme est plus sensé le bon Panurge, « lequel fit quinaud un grand clerc de Angleterre qui arguoit par signes. »
 
La descente de ''la Courtille'' était, il y a une cinquantaine d'années, le plus curieux moment du Carnaval. Le peuple, qui avait passé la nuit au milieu des saladiers à )a française, rentrait le mercredi matin, dans Paris, par le faubourg du Temple. Et c'était une cohue d'hommes et femmes encore ivres, hurlants et trinqueballants. Une autre foule l'attendait, celle des masques élégants ayant passé la nuit dans les restaurants à la mode, et les deux légions de pochards se regardaient, s'engueulaient et fraternisaient.
 
Aujourd'hui, pour tous les vrais Parisiens, le Carnaval n'a de bon que l'instant où il finit ; et pendant ces jours bruyants, à cornets et à trompes de chasse, on entend dire à tout instant : « Mon Dieu, que ces fêtes sont horribles ! » - Fini de rire.
 
23 février 1882
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