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ettez-la à votre doigt maintenant, afin de la rendre à la princesse ou de me la conserver. »

Mila, rentrée dans sa demeure, eut un instant d’éblouissement, comme si elle allait s’évanouir. Un mélange de consternation et d’ivresse, de terreur et de joie enthousiaste faisait bondir sa poitrine. Elle entendit enfin la voix de son père, qui s’impatientait pour son déjeuner : « Eh bien, petite ! criait-il, nous avons faim, et soif surtout ! car il fait déjà chaud, et les couleurs nous prennent à la gorge. »

Mila courut les servir ; mais, quand elle posa son aiguière sur le banc où ils déjeunaient, elle s’aperçut qu’elle était vide. Michel voulut aller la remplir, après avoir raillé sa sœur de ses distractions. Sensible au reproche, et se faisant un point d’honneur d’être l’unique servante de son vieux père, Mila lui arracha l’amphore et se dirigea légère et bondissante vers la fontaine.

Cette fontaine était une belle source qui jaillissait du sein même de la lave, dans une sorte de précipice situé derrière la maison. Ces phénomènes de sources envahies par les matières volcaniques et retrouvées au bout de quelques années, se produisent au milieu des laves. Les habitants creusent et cherchent l’ancien lit. Parfois, il n’est que couvert ; d’autres fois, il s’est détourné à peu de distance. L’eau s’est frayé un passage sous les feux refroidis du volcan, et, dès qu’on lui ouvre une issue, elle s’élance à la surface, aussi pure, aussi saine qu’auparavant. Celle qui baignait le pied de la maison de Pier-Angelo était située au fond d’une excavation profonde que l’on avait pratiquée dans le roc, et où l’on descendait par un escalier pittoresque. Elle formait un petit bassin pour les laveuses, et une quantité de linge blanc suspendu à toutes les parois de la grotte y entretenait l’ombre et la fraîcheur. La belle Mila, descendant et remontant dix fois le jour cet escalier difficile, avec son amphore sur la tête, était le plus parfait modèle pour ces figures classiques que les peintres du siècle dernier plaçaient inévitablement dans tous leurs paysages d’Italie ; et au fait, quel accessoire plus naturel et quelle plus gracieuse couleur locale pourrait-on donner à ces tableaux, que la figure, le costume, l’attitude à la fois majestueuse et leste de ces nymphes brunes et fières ?



XXXIV.

À LA FONTAINE.


Lorsque Mila descendit l’escalier entaillé dans le roc, elle vit un homme assis au bord de la source, et ne s’en inquiéta point. Elle avait la tête toute remplie d’amour et d’espérance, et le souvenir de ses dangers ne pouvait plus l’atteindre. Lorsqu’elle fut au bord de l’eau, cet homme, qui lui tournait le dos, et qui avait la tête et le corps couverts de la longue veste à capuchon que portent les gens du peuple[5], ne l’inquiéta pas encore ; mais, lorsqu’il se retourna pour lui demander, d’une voix douce, si elle voulait bien lui permettre de boire à son aiguière, elle tressaillit ; car il lui sembla reconnaître cette voix, et elle remarqua qu’il n’y avait personne, ni en haut ni en bas de la fontaine ; que pas un enfant ne jouait comme à l’ordinaire sur l’escalier, enfin, qu’elle était seule avec cet inconnu, dont l’organe lui faisait peur.

Elle feignit de ne l’avoir pas entendu, remplit sa cruche à la hâte, et se disposa à remonter. Mais l’étranger, se couchant sur les dalles, comme pour lui barrer le passage, ou comme pour se reposer nonchalamment, lui dit, avec la même douceur caressante :

« Rebecca, refuseras tu une goutte d’eau à Jacob, l’ami et le serviteur de la famille ?

― Je ne vous connais pas, répondit Mila en tâchant de prendre un ton calme et indifférent. Ne pouvez-vous approcher vos lèvres de la cascade ? Vous y boirez beaucoup mieux que dans une aiguière. »

L’inconnu passa tranquillement son bras autour des jambes de Mila, et la força, pour ne pas tomber, de s’appuyer sur son épaule.

« Laissez-moi, dit-elle, effrayée et courroucée, ou j’appelle au secours. Je n’ai pas le temps de plaisanter avec vous, et je ne suis pas de celles qui folâtrent avec le premier venu. Laissez-moi, vous dis-je, ou je crie.

― Mila, dit l’étranger en rabattant son capuchon, je ne suis pas le premier venu pour vous, quoiqu’il n’y ait pas longtemps que nous avons fait connaissance. Nous avons ensemble des relations qu’il n’est pas en votre pouvoir de rompre et qu’il n’est pas de votre devoir de méconnaître. La vie, la fortune et l’honneur de ce que vous avez de plus cher au monde reposent sur mon zèle et sur ma loyauté. J’ai à vous parler ; présentez-moi votre aiguière, afin que, si quelqu’un nous observe, il trouve naturel que vous vous arrêtiez ici un instant avec moi.

En reconnaissant l’hôte mystérieux de la nuit, Mila fut comme subjuguée par une sorte de crainte qui n’était pas sans mélange de respect. Car il faut tout dire : Mila était femme, et la beauté, la jeunesse, le regard et l’organe suave du Piccinino n’étaient pas sans une secrète influence sur ses instincts délicats et un peu romanesques.

« Seigneur, lui dit-elle, car il lui était impossible de ne pas le prendre pour un noble personnage affublé d’un déguisement, je vous obéirai ; mais ne me retenez pas de force, et parlez plus vite, car ceci n’est pas sans danger pour vous et pour moi. » Elle lui présenta son aiguière à laquelle le bandit but sans se hâter ; car, pendant ce temps, il tenait dans sa main le bras nu de la jeune fille et en contemplait la beauté, tout en le pressant, pour la forcer à incliner le vase par degrés, à mesure qu’il étanchait sa soif feinte ou réelle.

« Maintenant, Mila, lui dit-il en couvrant sa tête qu’il lui avait laissé le loisir d’admirer, écoutez ! Le moine qui vous a effrayée hier viendra aussitôt que votre père et votre frère seront sortis : ils doivent dîner aujourd’hui chez le marquis de la Serra. Ne cherchez pas à les retenir, au contraire ; s’ils restaient, s’ils voyaient le moine, s’ils cherchaient à le chasser, ce serait le signal de quelque malheur auquel je ne pourrais m’opposer. Si vous êtes prudente, et dévouée à votre famille, vous éviterez même au moine le danger de se montrer dans votre maison. Vous viendrez ici comme pour laver ; je sais qu’avant d’entrer chez vous, il rôdera de ce côté et cherchera à vous surprendre hors de la cour, où il craint vos voisins. N’ayez pas peur de lui ; il est lâche, et jamais en plein jour, jamais au risque d’être découvert, il ne cherchera à vous faire violence. Il vous parlera encore de ses ignobles désirs. Coupez court à tout entretien ; mais faites semblant de vous être ravisée. Dites-lui de s’éloigner, parce qu’on vous surveille ; mais donnez-lui un rendez-vous pour vingt heures[6] dans un lieu que je vais vous désigner, et où il faudra vous rendre seule, une heure d’avance. J’y serai. Vous n’y courrez donc aucun danger. Je m’emparerai alors du moine, et vous n’entendrez plus jamais parler de lui. Vous serez délivrée d’un persécuteur infâme ; la princesse Agathe ne courra plus le risque d’être déshonorée par d’atroces calomnies ; votre père ne sera plus sous la menace incessante de la prison, et votre frère Michel sous celle du poignard d’un assassin.

― Mon Dieu, mon Dieu ! dit Mila haletante de peur et de surprise, cet homme nous veut tant de mal, et il le peut ! C’est donc l’abbé Ninfo ?

― Parlez plus bas, jeune fille, et que ce nom maudit ne frappe pas d’aujourd’hui les oreilles qui vous entourent. Soyez calme, paraissez ne rien savoir et ne pas agir. Si vous dites un mot de tout ceci à qui que ce soit, on vous empêchera de sauver ceux que vous aimez. On vous dira de vous méfier de moi-même, parce qu’on se méfiera de votre prudence et de votre volonté. Qui sait si on ne me prendra pas pour votre ennemi ? Je ne c