« Dimitri Roudine/6 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Phe (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Phe-bot (discussion | contributions)
m Phe: match
Ligne 7 :
[[ru:Рудин (Тургенев)/Глава 5]]
 
 
==__MATCH__:[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/75]]==
 
 
Ligne 14 ⟶ 15 :
 
 
Au premier abord, la fille de Daria Michaëlowna pouvait ne pas plaire. Maigre et brune, elle n’avait pas encore atteint son entier développement et se tenait un peu courbée. Mais ses traits, quoique trop accentués pour une jeune fille de dix-sept ans, étaient nobles et réguliers. Son front pur et uni avait une beauté toute particulière, que faisait encore ressortir la finesse de ses sourcils légèrement arqués. Elle parlait
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/76]]==
peu, écoutait bien et regardait attentivement, presque fixement, comme si elle eût voulu se rendre compte de tout. Elle demeurait souvent immobile, laissant retomber ses bras et s’abandonnant à ses réflexions ; son visage exprimait alors le travail intérieur de sa pensée. Un sourire imperceptible apparaissait sur ses lèvres et s’évanouissait aussitôt, ses grands yeux sombres se levaient doucement.
 
— Qu’avez-vous ? lui demandait mademoiselle Boncourt, qui recommençait à la gronder sous prétexte qu’il n’est pas convenable qu’une jeune fille soit pensive et se donne des airs distraits.
Ligne 21 ⟶ 24 :
 
« Par bonheur, ma Natalie est froide, disait-elle ; ce n’est pas comme moi… tant mieux ! Elle sera heureuse ». Daria Michaëlowna se trompait. Du reste, il est rare qu’une mère comprenne bien sa fille. Natalie aimait Daria Michaëlowna, mais n’avait pas une entière confiance en elle.
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/77]]==
 
— Tu n’as rien à me cacher, lui dit un jour sa mère ; mais si cela était, tu me ferais des mystères. Tu as bien ta petite tête… Natalie regarda sa mère et se dit : « Pourquoi donc n’aurais-je pas ma tête ? »
Ligne 31 ⟶ 35 :
 
— Vous allez vous promener ? lui demanda-t-il.
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/78]]==
 
— Oui, nous allons au jardin.
Ligne 56 ⟶ 61 :
Natalie regardait Roudine avec attention : elle ne le comprenait pas.
 
— J’ai causé durant une partie de la matinée avec votre mère, poursuivit-il ; ce n’est pas une femme
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/79]]==
ordinaire. Je comprends pourquoi tous les poètes ont recherché son amitié. Et vous, aimez-vous les vers ? continua-t-il après un moment de silence.
 
Il m’examine, pensa Natalie, et elle répondit :
Ligne 74 ⟶ 81 :
— Que voulez-vous dire par là ?
 
— Je veux dire, répondit-elle avec quelque embarras,
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/80]]==
que d’autres peuvent se reposer, mais que vous… vous devez travailler et essayer de vous rendre utile. Qui donc le ferait, si ce n’est vous ?…
 
— Je vous remercie d’une si flatteuse opinion, interrompit Roudine. Être utile est facile à dire !… (il passa la main sur son visage) être utile ! répéta-t-il. Quand j’aurais la conviction de pouvoir être utile, quand même j’aurais foi dans mes propres forces, où trouver des âmes sincères et sympathiques ?
Ligne 82 ⟶ 91 :
— Du reste, non, ajouta Roudine en secouant subitement sa crinière de lion ; c’est une folie et vous avez raison. Je vous remercie, Natalie Alexéiewna, je vous remercie sincèrement (Natalie ne savait pourquoi il la remerciait). Votre seule parole m’a rappelé mon devoir, m’a montré ma voie… Oui, je dois être actif. Si j’ai des talents, je n’ai plus le droit de les enfouir. Je ne dois pas dépenser mes forces en stériles bavardages, en paroles.
 
Et ses paroles coulèrent comme de source. Il parla admirablement, chaleureusement, contre la lâcheté et la paresse, et sur la nécessité d’agir. Il s’accabla de reproches, se prouva à lui-même que discuter d’avance ce qu’on voulait faire était aussi pernicieux que piquer avec une épingle un fruit sur le point de mûrir.
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/81]]==
N’était-ce pas dans les deux cas une dépense superflue de sève et de force ? Il affirma qu’une noble pensée ne manquait jamais d’éveiller la sympathie ; que ceux-là seuls restaient incompris qui ne savaient pas eux-mêmes ce qu’ils voulaient, ou qui méritaient de l’être. Il parla longtemps et termina en remerciant encore Natalie et, lui serrant brusquement la main, il ajouta :
 
— Vous êtes une charmante et noble créature ! Une pareille liberté frappa mademoiselle Boncourt.
Ligne 97 ⟶ 108 :
 
— Oui, répondit Natalie ; nous étions au moment de rentrer.
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/82]]==
 
— Ah ! dit Volinzoff, eh bien, allons. Et ils se dirigèrent tous vers la maison.
Ligne 110 ⟶ 122 :
Il y eut encore salon avant le dîner ; mais Pigassoff ne vint pas. Roudine n’était pas en train et suppliait toujours Pandalewski de jouer quelque chose de Beethoven. Volinzoff se taisait en regardant le plancher. Natalie ne bougeait d’auprès de sa mère et demeurait pensive, occupée de son ouvrage. Bassistoff ne quittait pas Roudine des yeux et s’attendait toujours à quelque chose de spirituel de sa part. Trois heures s’écoulèrent ainsi d’une façon monotone. Alexandra Pawlowna n’était pas venue dîner. Dès qu’on se fut levé de table Volinzoff fit atteler sa voiture et disparut sans prendre congé de personne.
 
Volinzoff aimait depuis longtemps Natalie, mais sans avoir jamais osé lui déclarer sa passion, et cet état anxieux le faisait cruellement souffrir. Il ne pouvait
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/83]]==
se tromper sur le caractère du sentiment qu’il inspirait lui-même ; c’était celui d’une bienveillance affectueuse sans doute, mais froide et réservée. Volinzoff n’en espérait pas d’autre. Il comptait sur l’influence du temps et de l’habitude pour rapprocher de lui Natalie. Mais qui avait pu agiter à ce point aujourd’hui Volinzoff ? Quel changement avait-il surpris pendant ces deux journées ? Natalie s’était conduite cependant vis-à-vis de lui comme par le passé.
 
Son âme avait-elle été frappée de l’idée qu’il ne connaissait peut-être pas bien le caractère de Natalie, et qu’elle était plus éloignée de lui qu’il ne l’avait cru ? La jalousie s’était-elle éveillée en lui ? Pressentait-il confusément quelque malheur ?…
Ligne 132 ⟶ 146 :
Volinzoff murmura quelques mots qu’on n’entendit pas.
 
— Mais je ne doute nullement de l’esprit ni de
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/84]]==
l’éloquence de M. Roudine, répondit Lejnieff, je dis seulement qu’il ne me plaît pas.
 
— L’as-tu vu ? demanda Volinzoff.
Ligne 145 ⟶ 161 :
 
— Lorsqu’il parle du parfait honneur… interrompit Lejnieff en citant un vers de Griboiédoff<ref>Lorsqu’il se met à parler du parfait honneur, son visage s’injecte de sang, ses yeux s’allument, ses larmes coulent, et nous – nous sanglotons (ces vers s’appliquent à un tartufe).</ref>.
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/85]]==
 
— Vous me fâcherez et je me mettrai à pleurer. Je regrette du fond de l’âme de n’être pas allée chez Daria Michaëlowna au lieu de rester avec vous. Vous n’en valez pas la peine. Cessez donc de me contrarier, continua-t-elle d’une voix plaintive. Vous feriez mieux de me raconter quelque chose de sa jeunesse.
Ligne 153 ⟶ 170 :
 
— Oui, commença-t-il, je le connais bien. Vous voulez que je vous raconte sa jeunesse ? Eh bien, soit. Ses parents étaient de pauvres propriétaires. Il est né à T… Son père mourut de bonne heure et le laissa seul avec sa mère. C’était une excellente femme, dont l’âme entière était absorbée par l’amour qu’elle avait pour son fils. Elle ne vivait que de pain afin d’employer tout son argent pour lui. L’éducation de Roudine s’est faite à Moscou. C’était d’abord un de ses oncles qui en payait les frais ; plus tard, lorsque Roudine eut grandi et qu’il se fut paré de toutes ses plumes… – Allons, excusez-moi, je ne le ferai plus. – Ce fut un certain prince fort riche, dont il devint l’ami ; puis Roudine entra à l’Université. C’est là que j’ai fait sa connaissance et que je me suis lié intimement avec lui. Je vous parlerai un jour de notre manière de vivre d’alors ; je ne puis le faire à présent. Roudine alla bientôt voyager.
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/86]]==
 
Lejnieff continuait d’arpenter la chambre. Alexandra Pawlowna le suivait des yeux.
Ligne 160 ⟶ 178 :
Lejnieff se tut, passa la main sur son front et s’affaissa dans un fauteuil comme s’il était épuisé de fatigue.
 
— Mais savez-vous bien, Michaël Michaëlowitch, dit Alexandra Pawlowna, que vous êtes un méchant
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/87]]==
homme ? Je crois vraiment que vous ne valez guère mieux que Pigassoff. Je suis convaincue que ce que vous me dites est exact, que vous n’ajoutez rien, et cependant, sous quel jour défavorable avez-vous présenté tout cela ? Sa mère, cette pauvre vieille, son dévouement, sa mort solitaire… À quoi bon tout cela ? Savez-vous qu’on peut raconter la vie du meilleur des hommes avec des couleurs telles – et sans y rien ajouter, remarquez-le – que chacun en aura peur ? C’est là aussi une espèce de calomnie.
 
Lejnieff se leva et se promena de nouveau dans la chambre.
Ligne 173 ⟶ 193 :
 
— Que voulez-vous que je dise ? je ne le connais pas. De plus, je suis indisposé aujourd’hui.
==[[Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/88]]==
 
— Il est vrai que tu es un peu pâle, observa Alexandra Pawlowna.