« La physique depuis vingt ans/Le Temps, l’espace et la causalité dans la physique contemporaine » : différence entre les versions

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{{Titre|Le Temps, l’Espace et la Causalité dans la Physique contemporaine|[[Auteur :Paul Langevin|Paul Langevin]]|1911}}
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M. LANGEVIN. — Je me propose de vous indiquer aussi clairement que possible les faits nouveaux qui ont obligé les physiciens à modifier les conceptions habituelles de l’espace et du temps, telles que les imposaient les lois de la mécanique classique et la conviction que ces lois permettaient d’expliquer les phénomènes. C’est la découverte de nouveaux faits expérimentaux, grâce à des moyens d’investigation perfectionnés, qui nous a fait pénétrer dans un domaine inconnu jusqu’ici et qui nous oblige à remanier les notions anciennes, telles que nos ancêtres, ignorants de ces faits, nous les ont transmises.
 
Le langage que parlent les physiciens s’écarte quelquefois de celui des philosophes et nous devons nous efforcer, pour notre propre compréhension mutuelle, d’éviter les difficultés tenant à l’emploi des mêmes mots, dans des sens parfois différents. C’est ainsi qu’il semble exister une divergence de ce genre en ce qui concerne la question du temps ; pour beaucoup de philosophes, cette notion se confond avec celle de la succession des états de conscience d’un même individu, des événements qui s’enchaînent dans une même portion de matière ; les physiciens ont à envisager des événements qui se passent en des points différents et en particulier à préciser la notion de simultanéité. Ils se sont demandé ce qu’on entend par simultanéité et par succession de deux événements distants dans l’espace. Nous verrons qu’une grande partie des résultats récents concerne la réponse à cette question. Au point de vue des conceptions habituelles ou de la mécanique, la simultanéité ou l’ordre de succession de deux événements distants dans l’espace a une signification absolue, indépendante des observateurs ; dans les conceptions nouvelles, au contraire, cette signification est purement relative : deux événements simultanés pour certains observateurs ne le sont pas pour d’autres en mouvement par rapport aux premiers ; deux événements qui se succèdent dans un certain ordre pour les premiers observateurs peuvent se succéder dans l’ordre opposé pour les seconds. Le temps du philosophe correspond à la succession d’une série très particulière d’événements, ceux qui s’enchaînent dans une même portion de matière ou dans une même conscience, et se confond, au point de vue de la mesure, avec ce que nous appellerons le « temps propre » de cette portion de matière ; nous aurons à nous poser la question de comparer les temps propres de diverses portions de matière en mouvement les unes par rapport aux autres.
 
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Les résultats nouveaux dont nous aurons à tenir compte pour répondre aux questions de ce genre, peuvent se résumer dans l’énoncé d’un principe, dont la signification générale n’a été reconnue que tout récemment : le Principe de Relativité.
 
''Étant donnés divers groupes d’observateurs en mouvement de translation uniforme les uns par rapport aux autres, les lois des phénomènes physiques sont exactement les mêmes pour tous ces groupes d’observateurs.''
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Il y a tout d’abord une relativité de l’espace. Chaque observateur examine l’espace d’un point de vue personnel et l’aspect des choses change avec la position qu’il occupe. Malgré ce changement, on a pu dégager, dans la notion d’espace, une réalité extérieure à chacun de nous, indépendante du système particulier auquel on la rapporte, et dont l’étude constitue l’objet de la géométrie. Le principe de relativité de l’espace consiste en ceci que les lois de la géométrie sont indépendantes du point de vue particulier d’où l’espace est observé. Voici la traduction précise de ce principe.
 
L’espace peut être rapporté à différents systèmes de coordonnées ; chaque observateur porte avec lui son système de coordonnées. Un tel système est constitué par trois axes que nous supposerons rectangulaires et un point de l’espace est défini par trois coordonnées ''x, y, z'', qui sont les distances de ce point aux trois plans formés par ces axes. Les coordonnées d’un même point changent avec le système auquel on le rapporte et deviennent, par exemple, ''x’x', y’y', z’z' ''dans un nouveau système. On appelle formules de transformation des coordonnées, les relations qui expriment les coordonnées anciennes ''x, y, z'' en fonction des nouvelles ''x’x', y’y', z’z'.'' Ces relations font intervenir les paramètres, en nombre égal à six, qui définissent la position relative des deux systèmes d’axes. Une propriété essentielle de ces transformations est qu’elles forment un groupe, c’est-à-dire que, si l’on effectue successivement deux transformations de ce genre, la première correspondant au passage du système ''x, y, z'' au système ''x’x', y’y', z’z', '' la seconde au passage du système ''x’x', y’y', z’z' ''à un troisième système ''x « ", y »", z « "'', le résultat, la relation entre les coordonnées ''x, y, z'' et ''x »", y « ", z » "'', est exprimé par des formules de même genre correspondant au passage direct du premier système d’axes au troisième. L’ensemble de toutes ces transformations de coordonnées, correspondant à toutes les valeurs possibles des six paramètres qui caractérisent une transformation, jouit donc de cette propriété que l’emploi successif d’un nombre quelconque de transformations de ce groupe est équivalent à une transformation unique du même groupe. Ce groupe peut encore être défini par la propriétés suivante : si nous considérons deux points, de coordonnées ''x{{ind|1}}, y{{ind|1}}, z{{ind|1}}, x{{ind|2}}, y{{ind|2}}, z{{ind|2}}'' dans un premier système, ''x’x'{{ind|1}}, y’y'{{ind|1}}, z’z'{{ind|1}}, x’x'{{ind|2}}, y’y'{{ind|2}}, z’z'{{ind|2}}'' dans le second système, malgré le changement de ces coordonnées, un élément, une fonction des six coordonnées, reste invariant pour toutes les transformations. Cet élément est la distance des deux points, dont le carré, ''d{{e|2}} a pour valeur
 
<math>\scriptstyle d^2 = (x_{2} - x_{1})^2 + (y_{2} - y_{1})^2 + (z_{2} - z_{1})^2 = (x’_x'_{2} - x’_x'_{1})^2 + (y’_y'_{2} - y’_y'_{1})^2 + (z’_z'_{2} - z’_z'_{1})^2.</math>
 
Les formules qui expriment les ''x, y, z'' en fonction des ''x’x', y’y', z’z' ''doivent donc satisfaire à cette condition que, si dans l’expression :
 
<math>\scriptstyle (x_{2} - x_{1})^2 + (y_{2} - y_{1})^2 + (z_{2} - z_{1})^2</math>
 
{{a|on remplace les ''x, y, z'' par leurs valeurs en fonction des ''x’x', y’y', z’z' ''le résultat doit être simplement|0|0}}
 
<math>\scriptstyle (x’_x'_{2} - x’_x'_{1})^2 + (y’_y'_{2} - y’_y'_{1})^2 + (z’_z'_{2} - z’_z'_{1})^2</math>
 
{{a|cette condition suffit à définir entièrement le groupe de transformation.|0|0}}
 
Dans la figure formée par deux points, il y a donc un élément, la distance de ces deux points, qui reste invariant malgré le changement quelconque du système d’axes. On peut dire que cet élément est intrinsèque à la figure, correspond à une réalité indépendante de tout système d’axes. Dans les figures plus compliquées, d’autres éléments invariants, d’autres fonctions des coordonnées des points de la figure s’introduisent (distances, angles, etc.) qui caractérisent la figure indépendamment du système d’axes employé. La géométrie pure fait intervenir uniquement de pareils éléments et traduit les propriétés des figures par des relations entre ces éléments. Par exemple, la propriété, de la figure formée par quatre points, d’être un carré s’exprime au moyen de cinq relations entre les distances de ces quatre points et les angles qu’elles forment. Une première relation exprimera que les quatre points sont dans un même plan, trois autres que l’un des côtés du quadrilatère est égal à chacun des trois autres côtés, et une dernière que deux angles consécutifs sont égaux.
 
Les propriétés ainsi traduites dans le langage intrinsèque de la géométrie peuvent s’exprimer, comme le fait la géométrie analytique de Descartes, par des relations entre les coordonnées des points de la figure ; dans le cas particulier, par cinq relations entre les douze coordonnées des quatre sommets du carré. La forme de ces relations doit être évidemment indépendante du système d’axes considéré et doit se conserver, quand on y substitue, au moyen des formules de transformation, les coordonnées anciennes en fonction des coordonnées rapportées à un nouveau système d’axes.
 
Par conséquent, les équations qui expriment les propriétés des figures ou les lois de la géométrie, dans le langage des coordonnées, doivent avoir la même forme dans tous les systèmes d’axes. Cette forme doit être invariante pour toutes les transformations du groupe de la géométrie. Cette invariance de la forme des relations qui traduisent les lois de la géométrie, malgré le changement des coordonnées, correspond à une réalité indépendante du système d’axes, à l’espace de la géométrie euclidienne. L’énoncé des lois sera, par conséquent, plus simple dans le langage euclidien. ''Le principe de relativité de l’espace est l’affirmation d’une telle invariance et de l’existence de la réalité extérieure de l’espace''.
 
D’une manière analogue, les lois des phénomènes physiques s’expriment par des relations entre les diverses grandeurs qui y interviennent simultanément et telles que les mesure un groupe déterminé d’observateurs. Si un autre groupe en mouvement par rapport au premier observe le même phénomène, les grandeurs mesurées changeront en général et le principe de relativité énoncé plus haut affirme que, malgré ce changement, ''la forme des relations qui traduisent les lois des phénomènes restera invariante''. C’est là l’énoncé précis où je voulais aboutir et qui laisse prévoir la possibilité de créer, comme le fait la géométrie d’Euclide, un langage intrinsèque faisant intervenir uniquement des éléments invariants, de mesure indépendante du groupe particulier d’observateurs et de son mouvement particulier de translation. Ce langage correspond à une réalité plus haute que celle de l’espace et que les physiciens commencent à dégager, d’après Minkowski, sous le nom d’Univers. J’indiquerai, tout à l’heure, ce qui, dans l’Univers, synthétise les notions relatives de l’espace et du temps.
 
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Un aspect particulier du principe général de relativité avait été reconnu par les fondateurs de la mécanique et traduit par les équations du mouvement. C’est le fait que des expériences purement mécaniques effectuées à l’intérieur d’un système en translation uniforme, ne peuvent pas déceler ce mouvement ; autrement dit qu’il n’y a pas de mouvement de translation absolu. Nous appellerons système de référence un système de coordonnées en mouvement par rapport auquel se vérifient les lois de la mécanique classique, ou tout autre système en translation uniforme par rapport au premier. La relativité, en mécanique, correspond à ceci que rien ne différencie les uns des autres ces différents systèmes de référence et que les équations de la mécanique doivent, conserver leur forme quand on y remplace les mesures faites par un groupe d’observateurs en fonction des mesures obtenues pour les mêmes éléments par un autre groupe en mouvement de translation par rapport au premier. Ces éléments sont de diverse nature : la cinématique fait intervenir, à côté de l’espace, la notion de temps ainsi que les notions dérivées de vitesse et d’accélération, la statique et la dynamique y ajoutent les notions de force, masse, travail, etc.
 
Un postulat fondamental de la mécanique classique est celui qui fait jouer au temps le rôle d’un des invariants dont j’ai parlé plus haut : c’est ce que j’appellerai l’hypothèse du temps absolu. Soient deux événements, par exemple deux positions successives d’un mobile ; chacun d’eux est défini par sa situation dans l’espace, par le point de l’espace où se trouve le mobile à l’instant considéré. Un événement est ainsi caractérisé, au point de vue de sa situation dans l’espace et dans le temps, par quatre coordonnées ''x, y, z, t, '' trois pour l’espace et une pour le temps. Ces coordonnées, pour un même événement, changent évidemment avec le système de référence employé. Si ''t{{ind|1}}'' et ''t{{ind|2}}'' représentent les positions dans le temps de nos deux événements, la mécanique et, avec elle, le sens commun, postulent que l’intervalle de temps ''t{{ind|2}}&nbsp; -&nbsp; t{{ind|1}}'' entre les événements a un sens absolu indépendant du système de référence. Sans préciser en général comment sera mesuré cet intervalle de temps entre deux événements éloignés dans l’espace, on admet que cette mesure est la même pour tous les groupes d’observateurs. La simultanéité des deux événements correspond à une valeur nulle, l’ordre de succession est déterminé par le signe de cette quantité invariante ; de là résulte encore le caractère absolu de ces deux notions de simultanéité et d’ordre de succession.
 
Si, pour la mécanique, l’intervalle dans le temps de deux événements a un sens absolu, il n’en sera pas de même de leur distance dans l’espace. Un exemple simple suffira pour montrer que celle-ci est essentiellement variable avec le groupe d’observateurs. Imaginons un wagon en mouvement par rapport au sol, et supposons que, par une ouverture dans le plancher du wagon, on laisse tomber successivement deux objets. Ces deux événements ont lieu en un même point, ont une distance nulle dans l’espace, pour des observateurs liés au wagon et se passent au contraire en des points différents pour des observateurs liés au sol, leur distance dans l’espace pour ces derniers étant égale au chemin parcouru par le wagon pendant l’intervalle de temps qui les sépare.
 
Si donc la distance dans l’espace d’événements successifs change avec le système de référence employé, et s’il en est autrement pour la simultanéité, l’intervalle dans le temps ou l’ordre de succession de deux événements, on peut dire, à ce point de vue, que le temps et l’espace jouent des rôles différents dans la conception de l’univers que donne la mécanique classique, et dans laquelle le temps joue le rôle d’invariant. Nous verrons que cette dissymétrie entre les propriétés de l’espace et du temps, telles que les exige la mécanique, disparaît dans la conception plus générale qu’impose la forme nouvelle du principe de relativité.
 
Remarquons que lorsqu’il s’agit d’événements ''simultanés'', la distance dans l’espace est indépendante du mouvement des observateurs, dans la conception ordinaire de l’Univers. Autrement dit, dans cette conception, la forme d’un corps déterminée par l’ensemble des positions simultanées des points matériels qui composent le corps, est indépendante du mouvement des observateurs ; elle a un sens absolu. À ce point de vue, les notions habituelles font intervenir un temps absolu et un espace absolu.
 
Voyons d’abord sous quelle forme se présentent les transformations de l’espace et du temps compatibles avec la mécanique classique, quand on passe d’un système de référence à un autre en mouvement uniforme par rapport au premier. Soient ''x, y, z, t, '' les coordonnées d’un événement dans le premier système de références ''x’x', y’y', y’y', t’t' ''les coordonnées de ce même événement dans un autre système, que, pour simplifier, nous supposerons se mouvoir par rapport au premier avec la vitesse ''v'' dans la direction de l’axe des ''x'', les axes ayant en outre les mêmes directions dans les deux systèmes. L’hypothèse du temps absolu conduit à la relation <math>\scriptstyle t = t’t'</math> à condition que les origines du temps soient les mêmes dans les deux systèmes. On aura pour les coordonnées d’espace, dans le cas le plus simple,
 
{{bloc centré|<poem><math>\scriptstyle x = x’—x' - vt</math>
<math>\scriptstyle y = y’y'</math>
<math>\scriptstyle z = z’z'.</math></poem>}}
 
Les quatre relations qui viennent d’être écrites définissent une transformation dépendant d’un seul paramètre ''v'' et toutes les transformations de ce genre, correspondant à toutes les valeurs possibles de ''v'', constituent un groupe, auquel on peut donner le nom de groupe de Galilée.
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{{centré|<math>\scriptstyle \frac{d^2 x}{dt^2}, \frac{d^2 y}{dt^2}, \frac{d^2 z}{dt^2}</math>}}
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{{a|et la force dont les composantes suivant les trois axes seront X, Y, Z. On admettra avec Newton que la masse est un ''invariant'', c’est-à-dire que sa mesure est la même pour tous les groupes d’observateurs et que les composantes de la force se comportent dans une transformation comme les trois projections d’une distance sur les axes, c’est-à-dire restent constantes dans le cas particulier que nous avons admis, où les axes ''x, y, z, et x’x', y’y', z’z', '' sont de même direction. Les composantes de l’accélération|0|0}}
 
{{centré|<math>\scriptstyle \frac{d^2 x}{dt^2}, \frac{d^2 y}{dt^2}, \frac{d^2 z}{dt^2}</math>}}
{{interligne}}
{{a|quand on y remplace ''x, y, z'' et ''t'' en fonction de ''x’x', y’y', z’z', t’t' ''se transforment en : |0|0}}
 
{{centré|<math>\scriptstyle \frac{d^2 x’x'}{dt^2}, \frac{d^2 y’y'}{dt^2}, \frac{d^2 z’z'}{dt^2}</math>}}
 
Il en résulte que les équations de la dynamique du point
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<math>\scriptstyle m \frac{d^2 z}{dt^2} = Z</math>,</poem>}}
{{interligne}}
{{a|quand on y remplace la masse, l’accélération et la force mesurées dans le premier système de référence par leurs mesures effectuées dans le nouveau deviennent : |0|0}}
 
{{bloc centré|<poem><math>\scriptstyle m’m' \frac{d^2 x’x'}{dt^2} = X’X'</math>
<math>\scriptstyle m’m' \frac{d^2 y’y'}{dt^2} = Y’Y'</math>
<math>\scriptstyle m’m' \frac{d^2 z’z'}{dt^2} = Z’Z'</math>,</poem>}}
{{interligne}}
{{a|c’est-à-dire conservent leur forme, et cette invariance de la forme traduit analytiquement le principe de relativité en mécanique : ''les lois du mouvement sont les mêmes, quel que soit le système de référence adopté''.|0|0}}
 
Comme la géométrie, la mécanique possède un langage intrinsèque, qui traduit cette invariance de la forme par des relations entre des éléments invariants, indépendants du système de référence. Ces éléments invariants sont les uns scalaires, c’est-à-dire non dirigés, comme le temps et la masse, les autres vectoriels comme l’accélération ou la force. Nous pouvons en effet représenter l’accélération d’un mobile par un vecteur {{lang|grc|γ}}, c’est-à-dire par une droite dirigée ayant pour projections, sur un système d’axes quelconque, les composantes, de l’accélération ; la force par un autre vecteur '''F''' de projections X, Y, Z et les lois de la dynamique du point s’exprimeraient par la seule formule intrinsèque
 
{{centré|<math>\scriptstyle \mathbf{F} = m \gamma</math>}}
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Montrons que ce résultat est en contradiction avec les conceptions habituelles de l’espace et du temps si l’on conserve la théorie des ondulations en optique.
 
''Raisonnement II.'' — Prenons une première position de la Terre pour laquelle l’expérience a montré que la lumière se propage de la même manière dans toutes les directions et examinons, au point de vue du système de référence lié à la Terre à ce moment de sa course, l’expérience faite six mois plus tard par des observateurs O’quiO' qui se meuvent par rapport aux premiers O, avec une vitesse ''v'' égale à 60 kilomètres par seconde. Supposons d’abord l’appareil orienté de manière que la direction ON soit parallèle à cette vitesse ''v''. La source S se meut, à présent, par rapport aux observateurs O ; mais dans la théorie des ondulations, la lumière qu’elle émet doit se propager de manière indépendante du mouvement de la source, c’est-à-dire, toujours pour les observateurs O, avec une même vitesse V dans toutes les directions. Quand la lumière, transmise à travers la lame O, se propage vers le miroir N, celui-ci, pour les observateurs O, fuit devant la lumière avec la vitesse ''v'' ; cette lumière, qui se propage avec la vitesse V, mettra, par suite, pour atteindre le miroir, un temps : <math>\scriptstyle \frac{\mathrm{ON}}{\mathrm{V} - v}</math>. Au retour la lame O vient au-devant de la lumière avec la vitesse v. La durée du retour sera par conséquent <math>\scriptstyle \frac{\mathrm{ON}}{\mathrm{V} + v}</math> et le temps total pour l’aller ci retour sera
 
{{centré|<math>\scriptstyle t_{1} = \frac{\mathrm{ON}}{\mathrm{V}-v} + \frac{\mathrm{ON}}{\mathrm{V}+v} = \mathrm{ON} \frac{2\mathrm{V}}{\mathrm{V}^2-v^2}</math>}}
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Si l’appareil est réglé pour donner l’aspect de franges qui correspondent à l’égalité des temps, on doit avoir t{{ind|1}} = t{{ind|2}} d’où
 
{{centré|<math>\scriptstyle \frac{\mathrm{ON}}{\mathrm{OM}} = \sqrt{1 - \frac{v^2}{\mathrm{V}^2}}</math>}}
 
Supposons maintenant qu’on fasse tourner la plate-forme de 90°. Les distances ON et OM permutent leurs directions. La durée d’aller et retour dans la direction de la vitesse v devient
 
{{centré|<math>\scriptstyle t’_1t'_1 = \mathrm{OM} \times \frac{2 \mathrm{V}}{\mathrm{V}^2-v^2}</math>}}
 
et dans la direction perpendiculaire
 
{{centré|<math>\scriptstyle t’_2t'_2 = \frac{2 \mathrm{ON}}{\sqrt{\mathrm{V}^2-v^2}}</math>}}
 
Le rapport de ces temps est
 
{{centré|<math>\scriptstyle \frac{t’_2t'_2}{t’_1t'_1} = \sqrt{1 - \frac{v^2}{\mathrm{V}^2}} \times \frac{\mathrm{ON}}{\mathrm{OM}} = 1 - \frac{v^2}{\mathrm{V}^2}</math>}}
 
Les durées de propagation doivent donc être inégales : l’écart relatif étant égal au carré du rapport de la vitesse ''v'' à la vitesse de la lumière. Pour ''v'' = {{unité|60|km}}. par seconde et V = {{unité|300000|km}}., cet écart est de {{sfrac|25 000 000}} ou 40 milliardièmes, c’est-à-dire tel que la précision des mesures est largement suffisante pour le mettre en évidence s’il existe. On devrait s’attendre à ce que l’égalité des durées de parcours, réalisée pour une première position de la plate-forme cesse d’exister quand on fait tourner celle-ci, que l’aspect des interférences vues dans la lunette change à mesure que la plate-forme tourne.
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{{Astérisme|150%}}
 
Pour expliquer le résultat négatif de celle-ci, Lorentz et Fitz-Gérald ont proposé d’admettre, ce qui est en contradiction avec les notions d’espace et de temps qu’exige la mécanique, que la plate-forme en mouvement parait, aux observateurs qui la voient passer avec la vitesse ''v'', se contracter suivant la direction du mouvement dans le rapport <math>\scriptstyle \sqrt{1 - \frac{v^2}{\mathrm{V}^2}}</math>, de sorte qu’elle leur semble changer de forme lorsqu’on la fait tourner de 90° pour passer de la première position à la seconde. Dans le raisonnement qui nous a conduits à prévoir un changement d’aspect des franges par suite de cette rotation, nous avons désigné par ON et OM les distances de la lame aux deux miroirs et ces distances ont été supposées invariables pendant la rotation. Si on suppose qu’elles puissent changer et devenir respectivement ON’etON' OM’onet OM' on a, pour la seconde position
 
{{centré|<math>\scriptstyle \frac{t’_t'_{2}}{t’_t'_{1}} = \sqrt{1 - \frac{v^2}{\mathrm{V}^2}} \times \frac{\mathrm{ON}'}{\mathrm{OM}'}</math>}}
 
{{A|et l’hypothèse de Lorentz conduit aux relations suivantes : la distance OM, primitivement perpendiculaire à la direction du mouvement, doit se contracter pendant la rotation et devenir|0|0}}
 
{{centré|<math>\scriptstyle \mathrm{OM}' = \mathrm{OM} \sqrt{1 - \frac{v^2}{\mathrm{V}^2}}</math>.}}
 
Inversement la distance ON, primitivement parallèle à la direction du mouvement doit, pendant la rotation, se dilater dans le même rapport et devenir
 
{{centré|<math>\scriptstyle \mathrm{ON}' = \frac{\mathrm{ON}}{\sqrt{1 - \frac{v^2}{\mathrm{V}^2}}}</math>}}
 
{{A|d’où par division|0|0}}
 
{{centré|<math>\scriptstyle \mathrm{\frac{ON’ON'}{OM’OM'}} = \frac{1}{1—1- \frac{v^2}{\mathrm{V}^2}} \times \mathrm{\frac{ON}{OM}}</math>}}
 
{{A|et|0|0}}
 
{{centré|<math>\scriptstyle \frac{t’_t'_{2}}{t’_t'_{1}} = \mathrm{\frac{ON}{OM}} \times \frac{1}{1 - \sqrt{\frac{v^2}{\mathrm{V}^2}}} = \frac{t_{2}}{t_{1}}</math>}}
 
{{A|de sorte que l’égalité de ''t''{{ind|1}} et ''t''{{ind|2}} entraîne l’égalité de ''t''<nowiki />'{{ind|1}} et ''t''<nowiki />'{{ind|2}}. L’aspect des franges, conformément à l’expérience, ne doit pas changer pendant la rotation. On peut montrer que cette même hypothèse de la contraction suffit à expliquer le résultat négatif des autres expériences électromagnétiques. Voyons nettement comment cette hypothèse est en contradiction avec l’univers de la mécanique.|0|0}}
 
Elle exige que tous les corps solides changent de forme pour des observateurs qui les voient passer avec la vitesse ''v'' quand leur orientation change. Au contraire, pour des observateurs liés à ces objets, la forme doit rester invariable puisque les règles dont ils pourraient se servir pour mesurer les dimensions étant liées au corps à mesurer devraient, pour les premiers observateurs, subir la même contraction. Il en résulte que la forme d’un solide devra être différente pour des observateurs qui lui sont liés et pour d’autres en mouvement par rapport à lui. Ceci est en contradiction avec la remarque faite plus haut à propos de l’espace ordinaire.
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Cet énoncé a, selon M. Einstein, l’inconvénient de faire intervenir, avec l’idée d’éther, celle d’un système de référence particulier qui serait immobile par rapport à lui, alors que l’expérience au contraire nous montre simplement que rien ne différencie les divers systèmes de référence, en mouvement les uns par rapport aux autres, qui sont liés à la Terre dans ses positions successives sur l’orbite. M. Einstein a traduit de façon immédiate et simple les faits expérimentaux en énonçant, sous sa forme générale le principe de relativité que j’ai donné au début. En se plaçant au point de vue particulier des phénomènes optiques, on peut dire : ''si divers groupes d’observateurs sont en mouvement les uns par rapport aux autres, les choses se passent de la même façon pour tous ; chacun d’eux peut se considérer comme immobile par rapport au milieu qui transmet la lumière et tout se passe pour lui comme si la lumière se propageait avec la même vitesse dans toutes les directions''. Pour qu’il puisse en être ainsi, le raisonnement qui précède nous montre qu’un corps ne doit pas avoir la même forme pour des observateurs qui lui sont liés et pour d’autres qui le voient passer, et qu’il doit paraître à ces derniers contracté, dans la direction de sa vitesse, dans le rapport de <math>\scriptstyle \sqrt{1-\frac{v^2}{\mathrm{V}^2}}</math>.
 
Soient O les observateurs liés à la Terre dans sa première position, O’ceuxO' ceux qui font six mois plus tard l’expérience négative de Michelson et Morley. Au point de vue de M. Einstein, ces derniers observateurs O’ferontO' feront sur cette expérience le raisonnement I, et les observateurs O, qui feront le raisonnement II, devront conclure à la contraction de Lorentz pour le système en mouvement par rapport à eux sur lequel l’expérience est faite.
 
Cette contraction de Lorentz, incompatible avec les conceptions habituelles de l’espace et du temps, s’accompagne d’autres divergences analogues, d’égale importance, et que nous allons envisager successivement. Ayant d’y arriver, nous pouvons montrer d’une autre manière comment les faits expérimentaux exigent un remaniement du groupe de Galilée, de l’espace et du temps qui lui correspondent. Ces faits conduisent à admettre que les lois des phénomènes physiques sont les mêmes pour divers groupes d’observateurs en mouvement les uns par rapport aux autres, et par suite que les équations qui traduisent ces lois doivent se présenter sous la même forme pour tous ces groupes. Quand un même phénomène est examiné simultanément, comme nous venons de le faire pour l’expérience de Michelson et Morley, par deux groupes d’observateurs O et O’O', les mesures des diverses grandeurs, distance dans l’espace, intervalles dans le temps, grandeurs mécaniques, électro-magnétiques, optiques, etc., faites par les observateurs O doivent s’exprimer en fonction des mesures faites par les observateurs O’etO' et des paramètres qui déterminent le mouvement relatif des deux groupes, de manière que ces expressions substituées dans les équations exprimant les lois telles qu’elles se présentent pour les observateurs O, conservent à celles-ci leur forme en fonction des mesures faites par les observateurs O’O'. Les transformations qui permettent de passer d’un système à l’autre doivent donc être telles qu’elles laissent invariante la forme des lois de la physique, comme la transformation du groupe de Galilée et les transformations connexes de la masse et de la force laissaient invariantes les équations de la mécanique. Or nous connaissons, avec un haut degré d’exactitude, les lois qui régissent les phénomènes électro-magnétiques. Ces lois sont exprimées par les équations de Maxwell et de Hertz et conduisent, quand on les applique à la théorie de la lumière, à une propagation de celle-ci conforme entièrement à la théorie des ondulations. L’équation de propagation fait intervenir un coefficient constant, la vitesse V commune à toutes les directions et si cette équation doit être vérifiée, comme l’affirme le principe de relativité, par tous les groupes d’observateurs, ceux-ci, à condition de faire un choix convenable d’unités, verront tous la lumière se propager avec une même vitesse V dans toutes les directions.
 
De plus, il est remarquable, comme l’a découvert Lorentz, que les équations de l’électromagnétisme admettent, effectivement, un groupe de transformations qui conserve leur forme et ce groupe, pour ce qui concerne les transformations de l’espace et du temps, diffère profondément du groupe de Galilée, qui n’en doit représenter qu’une première approximation étant donné que les expériences de mécanique ne sont susceptibles que d’une précision bien inférieure à celle des expériences d’électromagnétisme ou d’optique. Autrement dit, les expériences de mécanique sont trop peu précises pour nous permettre d’affirmer que les lois du mouvement de la matière admettent, en conservant leur forme, le groupe de Galilée plutôt que le nouveau groupe découvert par Lorentz. Au contraire, les expériences d’électromagnétisme et d’optique semblent être aujourd’hui suffisamment précises pour justifier entièrement la théorie de Maxwell et pour éliminer, en toute certitude, le groupe de Galilée.
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Pour étudier la partie du groupe de Lorentz qui correspond aux transformations de l’espace et du temps, il suffit d’admettre comme conséquence des faits expérimentaux et du principe de relativité qui les traduit, que la lumière se propage, pour tous les groupes d’observateurs, avec une même vitesse V, dans toutes les directions. Nous en avons déjà déduit la nécessité de la contraction de Lorentz, c’est-à-dire le changement de la forme d’un corps avec le mouvement des observateurs. Pour préciser ce changement nous pouvons donner du groupe de Lorentz une définition analogue à celle du groupe de la géométrie, qui est assujetti à conserver sa forme à l’expression de la distance de deux points. Comme l’espace et le temps interviennent ici simultanément c’est sur des événements qu’il nous faut raisonner.
 
Prenons, comme premier événement, l’émission d’un signal lumineux, notée, au point de vue de sa situation dans l’espace et dans le temps, ''x''{{ind|0}}, ''y''{{ind|0}}, ''z''{{ind|0}}, ''t''{{ind|0}} par les observateurs O et ''x''<nowiki />'{{ind|0}}, ''y''<nowiki />'{{ind|0}}, ''z''<nowiki />'{{ind|0}}, ''t''<nowiki />'{{ind|0}} par d’autres observateurs O’O', en mouvement uniforme par rapport aux premiers. Le second événement sera l’arrivée de ce signal lumineux à un appareil de réception quelconque : il sera noté respectivement ''x'', ''y'', ''z'', ''t'', et ''x''<nowiki />', ''y''<nowiki />', ''z''<nowiki />', ''t''<nowiki />’par' par les groupes d’observateurs O et O’O'. Pour les observateurs O, la distance parcourue par la lumière, a pour valeur :
 
{{centré|<math>\scriptstyle (x - x_{0})^2 + (y - y_{0})^2 + (z - z_{0})^2</math>}}
 
{{a|comme cette distance est parcourue pendant le temps ''t'' - ''t''{{ind|0}} par la lumière et que celle-ci, pour des observateurs quelconques, se déplace avec la vitesse V dans toutes les directions, on doit avoir, pour le couple considéré d’événements : |0|0}}
 
{{centré|<math>\scriptstyle (x - x_{0})^2 + (y - y_{0})^2 + (z - z_{0})^2 - \mathrm{V}^2(t - t_{0})^2 = 0</math>}}
 
La lumière se propageant aussi avec la vitesse V dans toutes les directions pour les observateurs O’O', on doit avoir en même temps :
 
{{centré|<math>\scriptstyle (x’—x' x’_- x'_{0})^2 + (y’—y' y’_- y'_{0})^2 + (z’—z' z’_- z'_{0})^2 - \mathrm{V}^2 (t’—t' - t’_t'_{0})^2 = 0</math>}}
 
Pour qu’une valeur nulle de la première expression entraîne nécessairement une valeur nulle de la seconde, il faut que les formules de transformation, qui permettent d’exprimer les composantes de la distance dans l’espace et l’intervalle dans le temps de deux événements pour les observateurs O, en fonction des mêmes éléments mesurés par les observateurs O’O', possèdent la propriété de laisser invariante l’expression :
 
{{centré|<math>\scriptstyle \mathrm{R} = (x - x_{0})^2 + (y - y_{0})^2 + (z - z_{0})^2 - \mathrm{V}^2 (t - t_{0})^2 = d^2 - \mathrm{V}^2 (t - t_{0})^2</math>{{intervalle|1em}}(1)}}
 
''x''{{ind|0}}, ''y''{{ind|0}}, ''z''{{ind|0}}, ''t''{{ind|0}}, ''x'', ''y'', ''z'', ''t'', étant deux événements, quelconques. Cette quantité R, qui a la même valeur pour tous les groupes d’observateurs, joue dans l’Univers de Minkowski un rôle analogue à celui de la distance de deux points en géométrie. Le groupe de Lorentz est déterminé par la condition d’invariance de cette quantité.
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Dans le cas particulier où les deux systèmes d’axes ont même orientation et où leur mouvement relatif a lieu dans la direction des ''x'', avec la vitesse ''v'', la transformation de l’espace et du temps est déterminée par les équations suivantes, où β représente le rapport ''v''/V, de la vitesse du mouvement relatif à la vitesse de la lumière :
 
{{centré|<poem><math>\scriptstyle x - x_{0} = \frac{1}{\sqrt{1 - \beta^2}} [((x’—x' x’_- x'_{0})^2) + v (t’—t' - t’_t'_{0})]</math>
<math>\scriptstyle y - y_{0} = y’—y' y’_- y'_{0}</math>
<math>\scriptstyle z - z_{0} = z’—z' z’_- z'_{0}</math>
<math>\scriptstyle t - t_{0} = \frac{1}{\sqrt{1 - \beta^2}} \left[t’—t' t’_- t'_{0} - \frac{\beta}{\mathrm{V}} (x’—x' - x’_x'_{0})\right]</math></poem>}}
 
Dans le cas particulier où l’on suppose que le premier événement est choisi simultanément comme origine par les deux groupes d’observateurs, ces équations deviennent simplement
 
{{centré|<poem><math>\scriptstyle x = \frac{1}{\sqrt{1 - \beta^2}} (x’x' + v t’t')</math>
<math>\scriptstyle y = y’y'</math>
<math>\scriptstyle z = z’z'</math>
<math>\scriptstyle t = \frac{1}{ \sqrt{1 - \beta^2}} \left(t’—t' - \frac{\beta}{\mathrm{V}} x’x' \right)</math>.</poem>}}
 
Remarquons d’ailleurs que ce groupe se confondrait avec le groupe de Galilée si l’on y supposait infinie la vitesse de propagation V, puisque β deviendrait nul pour une vitesse ''v'' quelconque. Comme la vitesse de la lumière V est effectivement très grande par rapport aux vitesses ''v'' observables expérimentalement (au maximum 60 kilomètres par seconde), β est toujours très petit et, par suite, le groupe de Galilée est, pour le groupe de Lorentz, une première approximation, largement suffisante d’ordinaire, sauf pour des expériences extraordinairement délicates comme celles de Michelson et Morley.
 
Sur ces équations on retrouve immédiatement la contraction de Lorentz sous une forme précise. Supposons qu’un objet soit immobile par rapport aux observateurs O, et que ''x''{{ind|0}}, ''y''{{ind|0}}, ''z''{{ind|0}}, ''x'', ''y'', ''z'' soient, pour ces observateurs, les coordonnées de deux points A et B de cet objet. Pour étudier la forme de cet objet qui sera en mouvement par rapport à eux, les observateurs O’devrontO' devront considérer des positions simultanées des divers points de l’objet, en particulier deux positions simultanées des points matériels A et B, c’est-à-dire les deux événements simultanés constitués par la présence de ces points matériels à un même instant noté par eux ''t''<nowiki />' = ''t''<nowiki />'{{ind|0}}. La distance des points A et B sera pour eux la distance dans l’espace de ces deux événements et aura pour composantes les expressions qu’on obtient, en faisant dans les équations qui précèdent,
 
{{centré|<math>\scriptstyle t’—t' t’_- t'_{0} = 0</math>}}
 
{{a|d’où|0|0}}
 
{{centré|<poem><math>\scriptstyle x’—x' x’_- x'_{0} = (x - x0) \sqrt{1 - \beta^2}</math>
<math>\scriptstyle y’—y' y’_- y'_{0} = y - y_{0}</math>
<math>\scriptstyle z’—z' z’_- z'_{0} = z - z_{0}</math>,</poem>}}
 
{{a|l’objet aura donc les mêmes dimensions pour les deux groupes d’observateurs dans les directions des ''y'' et des ''z'' perpendiculaires au mouvement ; il sera au contraire plus court dans la direction du mouvement pour les observateurs O’O', qui le voient passer, que pour les observateurs O, pour lesquels il est immobile. Cette contraction de Lorentz a lieu dans le rapport <math>\scriptstyle \sqrt{1 - \beta^2}</math>.|0|0}}
 
Il est d’ailleurs remarquable que cette contraction est réciproque, puisqu’au point de vue du principe de relativité rien ne différencie les observateurs O des observateurs O’O', un objet fixe par rapport aux observateurs O paraissant contracté aux observateurs O’O'. Si par exemple les deux groupes tiennent chacun une règle et si ces règles leur paraissent égales au passage quand elles sont tenues perpendiculairement à la direction du mouvement, au contraire, quand les règles seront tenues parallèles à la direction du mouvement relatif, chacun des groupes verra, au passage, la règle de l’autre plus courte que la sienne.
 
Pour comprendre qu’il en puisse être ainsi, il faut porter notre attention sur un second aspect paradoxal de la transformation de Lorentz, sur le fait que la simultanéité n’a plus qu’un sens relatif, contrairement à l’hypothèse fondamentale du groupe de Galilée ; deux événements simultanés pour l’un des groupes d’observateurs ne le sont pas en général pour l’autre à moins que leur coïncidence dans le temps ne s’accompagne en même temps d’une coïncidence dans l’espace. En effet, la dernière des formules de transformation nous donne pour deux événements simultanés au point de vue des observateurs O’O', c’est-à-dire pour <math>\scriptstyle t’—t' t’_0- t'_0 = 0</math> :
 
{{centré|<math>\scriptstyle t - t_{0} = \frac{1}{\sqrt{1 - \beta^2}} \times \frac{\beta}{\mathrm{V}} (x’_x'_{0} - x’x')</math>.}}
 
Les deux événements ne sont donc pas simultanés pour deux observateurs O, en même temps que pour O’O', à moins que ''x''<nowiki />’ne' ne soit égal à ''x''<nowiki />'{{ind|0}}.
 
Avant de voir sur un exemple concret la nécessité de cette conséquence, nous comprenons que, pour les observateurs O’O', la longueur de la règle que portent les observateurs O est la distance entre deux positions simultanées au sens de O’desO' des extrémités de cette règle ; tandis que la longueur de la règle O’mesuréeO' mesurée par les observateurs O est la distance entre deux positions des extrémités de cette règle simultanées au sens de O. Les deux définitions de la simultanéité ne coïncidant pas, nous comprenons que la règle tenue par les observateurs O puisse être, pour eux, plus longue que celle des autres et plus courte au contraire pour ceux-ci.
 
Pour comprendre comment le principe de relativité, lorsqu’il affirme que la lumière se propage avec la même vitesse dans toutes les directions pour tous les groupes d’observateurs en mouvement uniforme de translation, impose un remaniement de la notion de simultanéité et ne laisse à celle-ci qu’un sens relatif, prenons l’exemple suivant :
 
Imaginons qu’une étincelle éclate dans un appareil immobile par rapport aux observateurs O’etO' et prenons cet événement pour origine dans les deux systèmes O et O’O'. Pour les observateurs O, l’onde lumineuse émise par l’étincelle se trouvera, au bout d’une seconde, sur une sphère de rayon V et centrée sur le point où se trouvait l’appareil, pour ces observateurs, au moment de l’émission. Par suite de son mouvement, cet appareil est venu à l’instant 1{{e|s}} pour les observateurs O en un point O’situéO' situé à une distance OO’duOO' du centre de l’onde égale à ''v''. Si des appareils de réception sont situés en M et en N, les arrivées de l’onde à ces deux appareils seront pour les observateurs O des événements simultanés. Pour les observateurs O’O', par rapport à qui l’appareil d’émission est fixe et pour qui la lumière se propage aussi avec la même vitesse dans toutes les directions, la lumière aura dû mettre moins de temps pour arriver au récepteur N qu’au récepteur M, c’est-à-dire que ces deux arrivées simultanées pour les observateurs O ne le seront pas pour les observateurs O’O'.
 
Ce caractère relatif de la simultanéité rétablit entre l’espace et le temps la symétrie qui n’existe pas dans les conceptions habituelles. Nous avons vu qu’au point de vue du groupe de Galilée, la distance dans l’espace de deux événements n’a qu’un caractère relatif et varie avec le système de référence, tandis que leur intervalle dans le temps a un caractère absolu. Au contraire, dans la conception compatible avec le groupe de Lorentz, le changement du système de référence correspond à la fois à une modification de la distance dans l’espace et de l’intervalle dans le temps des deux mêmes événements.
 
L’ordre de succession peut être renversé pour deux événements donnés par un changement convenable du mouvement des gens qui les observent. Par exemple, dans le cas précédent, considérons un troisième groupe d’observateurs O «" en mouvement par rapport aux observateurs O, en sens opposé du mouvement de O’O'. Pour eux, l’onde lumineuse émise est centrée sur un point fixe par rapport à eux, puisque pour eux aussi la lumière se propage avec la même vitesse dans toutes les directions, et ce point se déplace à partir de l’instant d’émission, vers la gauche du point O ; de sorte que pour les observateurs O »" l’arrivée de la lumière au récepteur M est ''antérieure'' à l’arrivée au récepteur N ; tandis qu’elle est ''postérieure'' pour les observateurs O’etO' et ''simultanée'' pour les observateurs O.
 
Dans les raisonnements qui précèdent, la simultanéité pour un groupe d’observateurs entre des événements qui se passent en des points différents, est définie au moyen d’échanges de signaux lumineux. On peut se demander s’il n’y aurait pas un autre moyen de définir la simultanéité, un moyen, par exemple, donnant des indications conformes à l’hypothèse du temps absolu, tel que le fourniraient des signaux échangés par l’intermédiaire du solide parfait que conçoit la mécanique rationnelle, d’un corps qui pourrait être mis en mouvement ''simultanément'' en tous ses points. On pourrait, par là, échapper aux conclusions paradoxales qui précèdent, mais cette échappatoire serait en contradiction avec le principe de relativité, puisque, comme il est facile de s’en convaincre, la comparaison des mesures de temps fournies par les signaux optiques et par les signaux instantanés permettrait de mettre en évidence expérimentalement le mouvement d’un système par des expériences intérieures au système. En particulier, les lois des phénomènes électro-magnétiques ne seraient pas les mêmes pour différents groupes d’observateurs en mouvement les uns par rapport aux autres, si l’on pouvait avoir une mesure du temps qui ne fût pas d’accord avec celle qu’on déduit de ces mêmes phénomènes. En effet, ces lois ne conservent leur forme que pour les transformations du groupe de Lorentz. Il est donc nécessaire, au point de vue du principe de relativité, que tous les procédés mécaniques, électriques, optiques, chimiques, biologiques employés pour la mesure de la comparaison des temps conduisent à des résultats toujours concordants, ceci dans la mesure où l’on considère le principe de relativité comme devant s’étendre aux phénomènes de ces catégories.
 
Remarquons, d’ailleurs, pour calmer certaines inquiétudes, que le renversement de l’ordre de succession dans le temps n’est pas possible pour tous les couples d’événements, et ne peut se produire que pour la catégorie particulière de couples caractérisés par la condition que la distance dans l’espace des deux événements soit supérieure au chemin parcouru par la lumière pendant leur intervalle dans le temps. Cette condition est évidemment réalisée pour les arrivées de lumière en M et en N dans l’expérience précédente, puisque pour les observateurs O, la distance dans l’espace des deux événements est 2V et que leur intervalle dans le temps est nul. Il est facile de voir que si cette condition est remplie pour un groupe d’observateurs, elle l’est en même temps pour tous les autres. En effet, si ''d'' est la distance dans l’espace des deux événements et ''t'' - ''t''{{ind|0}}, leur intervalle dans le temps pour un groupe particulier d’observateurs, cette condition peut s’écrire :
 
{{centré|<math>\scriptstyle d^2 > \mathrm{V}^2 (t - t_{0})^2</math>}}
 
 
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Pour montrer que cette condition est nécessaire, remarquons que si l’ordre de succession de deux événements peut être renversé, quand on passe d’un système de référence à un autre, il y a, certainement, un système de référence par rapport auquel les deux événements sont simultanés (les observateurs O de l’expérience précédente) et, pour celui-ci, la quantité R se réduit au carré de la distance, qui est une quantité essentiellement positive. Pour un couple d’événements de ce genre, on a :
 
{{centré|<math>\scriptstyle d^2 = \mathrm{R} + \mathrm{V}^2 (t - t_{0})^2</math>, }}
 
 
comme l’invariant R est le même pour tous les groupes d’observateurs, il résulte de là que la distance dans l’espace de deux événements de ce genre est la plus petite possible pour les observateurs qui voient ces événements simultanés. C’est précisément là l’énoncé le plus profond de la contraction de Lorentz. La longueur d’une règle étant la distance dans l’espace de deux positions simultanées des extrémités de cette règle, par rapport à certains observateurs qui la voient passer, cette distance est plus courte pour ceux-ci que pour des observateurs liés à la règle pour qui les deux événements ne sont pas simultanés.
 
C’est en admettant que deux événements, dont l’ordre de succession peut être renversé, ne peuvent être liés par une causalité de nature quelconque que j’ai été amené à conclure que la causalité ne pouvait se propager avec une vitesse plus grande que la lumière. Si un mode quelconque de causalité ne satisfaisait pas à cette condition, il mettrait en défaut le principe de relativité et permettrait une comparaison des temps pour laquelle la lumière ne se propagerait plus de la même façon par rapport à tous les groupes d’observateurs. On pourrait ainsi mettre en évidence, par des expériences intérieures à un corps, le mouvement de celui-ci par rapport au milieu qui transmet la lumière. Nous pouvons affirmer que de tous les modes d’action actuellement connus, aucun ne contredit à cette condition. L’expérience nous montre qu’aucun messager ni qu’aucun signal ne se déplace par rapport à un système quelconque avec une vitesse supérieure à celle de la lumière. Il est remarquable, en particulier, que les particules β, émises par les corps radioactifs, ont des vitesses que l’expérience a permis de mesurer et qui toutes, quoique s’approchant beaucoup de celle de la lumière, jusqu’à en atteindre les 99 centièmes, lui restent nettement inférieures.
 
Remarquons aussi que le renversement de l’ordre de succession ne se produira jamais pour deux événements qui se succèdent dans la vie d’une même portion de matière, dans le cerveau d’un philosophe par exemple, cet ordre restant le même quel que soit le mouvement des observateurs. En effet, pour des observateurs liés à cette matière ou qui la rencontrent de manière à assister successivement aux deux événements si le mouvement de cette matière n’a pas été uniforme dans l’intervalle, les deux événements coïncident dans l’espace, d{{e|2}} est nulle, et par suite R négatif. Comme cette quantité est invariante, l’intervalle dans le temps ne peut s’annuler pour personne, puisque la quantité négative R devrait alors être égale au carré de la distance. ''A fortiori'', si on ne peut atteindre la simultanéité, on peut encore moins obtenir le renversement.
 
Les deux événements qui précèdent appartiennent à une nouvelle catégorie de couples, ceux pour lesquels l’invariant R est négatif, c’est-à-dire les couples tels que leur distance dans l’espace est inférieure au chemin parcouru par la lumière pendant leur intervalle dans le temps. Les événements qui constituent un tel couple peuvent effectivement agir l’un sur l’autre, puisque au moins par l’intermédiaire d’ondes lumineuses, les conditions dans lesquelles se produit le second événement peuvent être modifiées par le fait que le premier s’est produit avant lui : c’est le principe de la télégraphie. En particulier, si les deux événements se succèdent dans une même portion de matière, le second est nécessairement conditionné par le premier et il serait absurde que leur ordre de succession puisse être renversé pour des observateurs en mouvement convenablement choisi.
 
La symétrie entre les propriétés de l’espace et du temps est complétée par une propriété de ces derniers couples d’événements qui est, pour le temps, l’analogue de ce qu’est pour l’espace la contraction de Lorentz. Appelons ''temps propre'' pour une portion de matière, l’intervalle de temps pour des observateurs qui lui sont liés entre deux événements qui s’y succèdent, qui coïncident dans l’espace pour ces observateurs. Pour tout autre groupe d’observateurs du mouvement, pour tous systèmes de référence par rapport auxquels la portion de matière se meut, l’intervalle de temps entre ces événements sera plus grand que le temps propre, de même que la distance dans l’espace de deux événements, dont le couple appartient à la première catégorie, est plus grande pour des observateurs quelconques que pour ceux à qui les événements paraissent simultanés. En effet, pour un couple de la seconde catégorie, la quantité R est négative et l’on a
 
{{centré|<math>\scriptstyle \mathrm{V}^2 (t - t_{0})^2 = d^2 - \mathrm{R}</math>}}
 
 
R étant invariant, ''t'' - ''t''{{ind|0}} sera minimum pour les observateurs par rapport auxquels ''d'' sera nulle, c’est-à-dire par rapport auxquels les deux événements coïncident dans l’espace. Cette valeur minimum mesurera, pour les deux événements, l’intervalle de ''temps propre'' à la portion de matière où ils se succèdent, au système de référence pour lequel ils coïncident dans l’espace. Pour tous les autres systèmes de référence l’intervalle de temps sera plus grand et ceci montre encore qu’aucun renversement dans l’ordre de succession n’est possible.
 
Cette existence du ''temps propre'' m’a permis de conclure que si un système matériel se meut avec une vitesse suffisamment grande, suivant un cycle fermé, par rapport à des observateurs O en mouvement uniforme, le temps propre qui se sera écoulé pour lui entre le départ et le retour sera moindre que la mesure de même intervalle, faite par les observateurs O entre son départ et son retour. Cette conclusion est exacte dans la mesure où nous pouvons affirmer que les lois des phénomènes naturels sont soumises à la condition de rester invariantes pour les transformations du groupe de Lorentz. Les efforts expérimentaux les plus puissants accomplis jusqu’ici viennent témoigner dans ce sens. Peut-être des expériences nouvelles nous obligeront-elles à retoucher le groupe de Lorentz comme nous venons de retoucher le groupe de Galilée ; peut-être la recherche d’une synthèse comprenant les phénomènes de gravitation rebelles jusqu’ici à la théorie électro-magnétique nous permettra-t-elle de compléter notre connaissance de l’espace et du temps, mais il semble bien que les modifications, si elles se produisent, ne seront pas dans le sens d’un retour vers l’espace et le temps absolus.
 
De même qu’en géométrie et en mécanique on a pu constituer, pour traduire de manière intrinsèque et complète l’invariance des lois par rapport aux systèmes de référence, un langage qui affirme l’existence d’une réalité nouvelle et plus haute, le principe général de relativité nous conduit à chercher une forme d’énoncé des lois de l’univers faisant intervenir uniquement des grandeurs invariantes, des grandeurs mesurées de la même manière par tous les groupes d’observateurs.
 
Parmi les grandeurs antérieurement conçues, très peu satisfont à cette condition : seules la charge électrique, la pression, l’entropie et l’action (produit d’une énergie par un temps) peuvent constituer des éléments connus d’un langage d’Univers. Comme en mécanique se sont introduites les notions vectorielles, telles que celles de la force et du couple, les physiciens devront introduire des éléments invariants nouveaux qui permettront de donner à leurs lois la forme générale et simple que permet l’existence du principe de relativité. Un élément de ce genre, d’importance analogue à celle de la distance en géométrie, c’est la quantité R, caractéristique de chaque couple d’événements et dont le signe détermine si ces événements peuvent ou non influer l’un sur l’autre, s’ils peuvent être amenés à coïncider dans l’espace ou dans le temps par un choix convenable du système de référence.
 
 
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M. LANGEVIN. — Tout d’abord la théorie de l’émission sous sa forme ancienne compatible avec la mécanique s’est montrée impuissante à expliquer les phénomènes les plus simples de l’optique en particulier la réfraction et les interférences utilisées dans l’expérience même de Michelson et Morley. Elle a dû être abandonnée depuis l’expérience cruciale de Foucault sur la vitesse de la lumière dans les milieux réfringents. S’il est vrai que par un singulier retour le principe de relativité conduise à reconnaître à la lumière des propriétés analogues à l’inertie et même à la pesanteur, une théorie de l’émission qui représenterait ces faits devrait être singulièrement différente de la théorie ancienne et devrait, pour tenir compte de la nature commune des phénomènes optiques et électromagnétiques expliquer aussi ces derniers phénomènes ; et comme ceux-ci paraissent exactement régis par les équations des Maxwell, la nouvelle théorie devrait correspondre à l’espace et au temps dont les transformations conservent leur forme à ces équations, c’est-à-dire à l’espace et au temps du groupe de Lorentz. Il est d’ailleurs bien difficile de discuter une théorie non encore formulée.
 
 
 
M. MILHAUD. — Je me demande si les conceptions qu’on vient de nous présenter sont vraiment exigées par les faits expérimentaux, si, au contraire, elles ne reposent pas sur une base quelque peu fragile. En somme, si j’ai bien compris, il y a là une interprétation curieuse de l’insuccès de quelques expériences, toutes analogues d’ailleurs : On a cherché à mettre en évidence le mouvement de la terre par rapport à l’éther, et on a constaté que l’on n’y réussissait pas, du moins en essayant de sauver à la fois l’hypothèse électro-magnétîique et les notions courantes de la mécanique sur la vitesse, l’espace et le temps. C’est bien simple, a-t-on dit alors : osons renoncer à nos vieux préjugés et admettons que la vitesse de la lumière soit un absolu, c’est-à-dire qu’elle reste invariable pour toutes les directions et pour tous les observateurs, quelle que soit leur vitesse propre. De ce postulat ont découlé aussitôt les conséquences qu’a exposées M. Langevin sur l’espace et le temps. Mais cette tentative d’interprétation du résultat négatif de quelques expériences n’est certainement pas la seule possible ; nous nous doutons bien qu’il doit pouvoir s’en présenter une infinité d’autres, qui postuleraient tel ou tel changement sur quelqu’un des éléments dont l’ensemble a été supposé intangible dans l’hypothèse électro-magnétique. Cette hypothèse certes rend trop de services pour ne pas exprimer à sa manière une part appréciable de réalité et de vérité, mais tout de même, nous sommes tous convaincus qu’elle n’est pas adéquate à la réalité totale, et qu’il est dans sa destinée de se transformer un jour elle aussi au moins partiellement : ce jour-là, peut-être, le postulat de la vitesse absolue de la lumière et les conceptions nouvelles sur l’espace et le temps auront vécu…
 
 
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M. LANGEVIN. — Il suffit d’admettre la théorie des ondulations qui se déduit d’ailleurs de la théorie électro-magnétique. Qu’il y ait dans ces raisonnements une part d’interprétation, sans doute. Pourtant les notions qui interviennent, notion de propagation, de vitesse uniforme de propagation, n’ont rien que de très simple. Et surtout je ne vois pas que nous supposions grand chose d’électro-magnétique pour lire ces expériences. Pour aboutir aux conclusions concernant l’espace et le temps, il suffit, comme je l’ai montré, d’admettre, conformément à la théorie des ondulations, l’existence d’une vitesse de propagation indépendante du mouvement de la source.
 
 
 
M. MILHAUD. — Je ne méconnais pas l’intérêt de ces conceptions : elles forment un système plus complet, plus riche, plus symétrique que celles que traduisaient les équations de la mécanique ordinaire, ce qui, dans certaines mesures, semble justifier l’assertion que celles-ci n’étaient qu’une approximation des équations de l’électro-magnétisme. Mais n’y a-t-il pas là quelque chose de trop artificiel ? Sans parler au nom d’un système philosophique ou métaphysique quelconque, ne peut-on dire que ces notions nouvelles choquent par trop le sens commun ? Pouvons-nous vraiment renoncer au caractère absolu, par exemple, de la simultanéité ou de l’irréversibilité de deux événements dans le temps ? L’ordre dans lequel m’apparaissait un fait dont je me souviens et un fait actuel pourrait être renversé à la rigueur pour un observateur placé dans certaines conditions ?… Chose curieuse, cet absolu, qui me semble si naturellement impliqué dans notre idée du temps, M. Langevin l’en retire volontiers, mais pour le transporter à la relation de cause et d’effet. Je serais disposé plutôt à faire l’inverse. L’antériorité nécessaire de la cause ne me semble s’imposer que parce que nous projetons dans le temps la cause et l’effet ; abstraction faite du temps, l’effet peut en certains sens avoir une antériorité par rapport à la cause, comme dans le simple cas de finalité.
 
Bref, sans vouloir assurément que le sens commun suffise à faire rejeter une théorie scientifique quelle qu’elle soit, je me demande si du moins les conceptions nouvelles ne sont pas trop choquantes pour que nous nous contentions de les faire reposer sur le résultat négatif de quelques expériences. Je sais bien que M. Langevin s’est efforcé de les confirmer par un autre argument. Une fois énoncé le postulat de la vitesse absolue de la lumière, et établi par là l’ensemble des conséquences relatives au temps et à l’espace, on est revenu aux équations de l’électro-magnétisme, et on a constaté, ce dont ni Maxwell ni Lorentz n’avaient eu conscience en les établissant, qu’elles étaient justement compatibles avec le postulat nouveau. Mais y a-t-il lieu d’être surpris de cet accord, si l’on n’a eu recours au postulat nouveau que pour sauver intégralement l’hypothèse électro-magnétique ? Si l’effort pour interpréter l’insuccès de l’expérience a été guidé par le désir de conserver tous les éléments que traduisent les équations de l’électro-magnétisme ?
 
Telles sont les remarques que je voulais soumettre à M. Langevin ; je m’empresse d’ajouter d’ailleurs que, très peu au courant des travaux de Lorentz et d’Einstein, il se peut très bien que je n’aie pas tout compris dans l’exposé si intéressant qu’il nous a fait, et dont je lui suis pour ma part très reconnaissant.
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M. LANGEVIN. — Je ne suis pas sensible à l’argument de M. Milhaud en faveur de la signification absolue du temps. L’exemple qu’il a pris, l’impossibilité pour moi de concevoir qu’une chose vue hier puisse ne pas précéder mes souvenirs ou mes perceptions d’aujourd’hui se trouve dénué de force probante, précisément parce que dans la théorie nouvelle du temps l’ordre de succession de tels phénomènes (j’entends des phénomènes qui se trouvent sur une même ligne d’univers, ou encore, ce qui revient au même, qui se passent pour moi en un même point, tout proche de moi) l’ordre de succession de tels phénomènes reste en effet absolument irréversible. L’interversion n’est concevable et n’est possible que pour deux événements tellement éloignés dans l’espace que leur distance soit supérieure à l’espace parcouru par la lumière durant leur intervalle temporel. Dès lors, comment décider de la possibilité ou de l’impossibilité d’une telle interversion, en recourant à des événements courants, à des événements de notre propre existence ! Et c’est précisément parce que jusqu’à présent on s’en est tenu à des déterminations du temps, conformes à ce que nous appréhendons dans notre propre expérience, dans notre expérience restreinte, d’homme individuel, qu’on se heurte aux difficultés que j’ai dites, quand on a affaire à des phénomènes aussi différents de ceux qui nous sont habituels. Bref notre expérience personnelle humaine est impuissante à trancher la question, et une interversion dans le temps est parfaitement admissible et, je crois, nécessaire à admettre dès qu’on s’aventure au delà des données de notre vie courante.
 
Il serait tout à fait inexact de penser que les conceptions nouvelles n’ont été introduites que pour sauver les équations de l’électro-magnétisme, et qu’il est par suite tout naturel de les trouver en accord avec ces équations.
 
Le résultat immédiat de l’expérience, de Michelson et Morley est que, pour des observateurs liés à une source lumineuse en mouvement uniforme quelconque, la lumière émise par celle-ci se propage avec la même vitesse dans toutes les directions. C’est là l’énoncé d’un fait sans aucune interprétation. Il pourrait être concilié avec le groupe de la mécanique, avec les notions usuelles d’espace et de temps à condition de revenir à la théorie optique de l’émission. J’ai rappelé tout à l’heure que cela est impossible pour des raisons d’ordre expérimental à moins qu’on ne modifie profondément cette théorie. Walther Ritz l’a tenté sans succès.
 
Ne pouvant accepter que la théorie des ondulations d’après laquelle la lumière une fois émise se propage de manière indépendante du mouvement de la source, nous sommes nécessairement conduits aux conséquences que j’ai développées pour l’espace et le temps ''optiques'', c’est-à-dire mesurés au moyen de signaux lumineux.
 
Le fait remarquable que j’ai souligné est que, les équations de l’électro-magnétisme admettant le groupe de transformation de Lorentz ainsi déduit de l’optique, il en résulte que les ''procédés électro-magnétiques de mesure du temps ou de l’espace seront toujours d’accord avec les procédés optiques''. Ceci n’était rien moins qu’évident ''a priori''.
 
La même idée peut se mettre encore sous une autre forme : le fait que les expériences optiques d’une part, et les expériences purement électro-statiques destinées à mettre en évidence le mouvement de la Terre d’autre part, ont toutes donné des résultats négatifs, peut être considéré comme apportant une confirmation nouvelle à la théorie électro-magnétique de la lumière, comme établissant une nouvelle analogie entre les phénomènes optiques et électriques. Loin de mettre en danger la théorie électro-magnétique, ce fait la confirme avec une précision non encore atteinte et lui donne une solidité suffisante pour imposer à l’espace et au temps la forme qui lui convient.
 
Nous pouvons affirmer en toute rigueur, comme conséquence des faits expérimentaux, que les mesures d’espace et de temps faites par des procédés optiques ou électro-magnétiques ne peuvent nous fournir que des données conformes au groupe de Lorentz. Les autres procédés de mesure étant infiniment plus grossiers, tels ceux fournis par la mécanique, nous n’avons ''en fait'' d’autre espace ni d’autre temps à notre disposition. Le principe de relativité consiste à admettre que même si ces autres moyens (mécaniques, biologiques, etc.), pouvaient être amenés à un degré de précision comparable aux premiers, ils nous fourniraient encore les mêmes mesures. C’est évidemment là l’hypothèse la plus simple car elle revient à dire que les équations de tous les phénomènes admettent un seul et même groupe de transformation, celui de Lorentz. Si nous voulions conserver en même temps celui de Galilée pour la mécanique ou la biologie, il nous faudrait faire intervenir à la fois deux mesures du temps, ''dont une seule d’ailleurs pourrait être atteinte expérimentalement'', celle qui implique les conséquences que j’ai développées. Je ne vois pas quel intérêt nous aurions à conserver l’autre qui ne correspondrait à rien dans la réalité et aurait pour but, réellement cette fois, de sauver des conceptions périmées.
 
 
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M. LE ROY. — Je voudrais appeler l’attention sur un point qui me semble important.
 
Voici écrites, je suppose, les équations de la mécanique, relativement à un certain système d’axes. Elles admettent un groupe de transformation qui fait qu’elles reparaissent avec la même forme quand on passe de ce système de référence à un second système en translation rectiligne et uniforme par rapport au premier. Adoptons maintenant les idées qui se traduisent par l’existence du groupe électro-magnétique. Alors les équations de la mécanique ne se conservent plus rigoureusement. Mais elles se reproduisent à peu près, si bien qu’il reste la ressource de les considérer comme une première approximation valable pour les faibles vitesses. Il y a en somme une sorte de continuité dans leurs changements de propriétés.
 
Tout autre est le cas des équations électro-magnétiques. Ici l’existence d’ondes avec vitesse de propagation définie tient à la forme fonctionnelle des équations. Elle s’évanouit tout à fait, si peu que soit altérée cette forme. Impossible donc de prendre les équations en cause à titre de première approximation seulement, comme ci-dessus. C’est une circonstance analogue à celle de mesures approchées qui donnent cependant un résultat exact parce qu’on sait d’avance que ce résultat doit être un nombre entier. Bref, la disparité de situation est radicale entre la mécanique et l’électro-magnétique.
 
 
 
M. LANGEVIN. — Les remarques de Le Roy sont importantes. Nous nous trouvons ici en présence de deux interprétations différentes des phénomènes. Il y a désaccord entre ces deux conceptions. Mais la synthèse électro-magnétique réalise précisément un progrès sur l’explication mécanique. C’est ce que j’exprimais à Bologne en parlant d’adaptation progressive. Nous avons besoin d’adapter nos représentations aux nouveaux faits : c’est indispensable pour des raisons de logique et de symétrie. Nous prévoyons dès maintenant une troisième approximation qui paraît aussi compatible avec le principe de relativité.
 
 
 
M. LE ROY. — On pourrait se dire que le principe de relativité n’est peut-être pas intangible. On pourrait se demander si les résultats négatifs des expériences à son sujet ne proviennent pas de ce qu’on n’a pu opérer que sur des vitesses trop faibles. Il y a certainement quelque chose à chercher de ce côté. Toutefois il ne faut pas oublier que le principe se vérifie pour des changements de vitesse d’une soixantaine de kilomètres par seconde qui correspondent aux diverses positions de la Terre sur son orbite. Et cela n’est pas sans signification, étant donnée surtout la remarque que je faisais tout à l’heure.
 
 
 
M. BOREL. — Jusqu’à présent, on n’a pas pu réaliser expérimentalement des vitesses suffisantes pour nous apprendre si le principe de relativité s’impose en toute rigueur à la mécanique des corps solides. De ce chef, par conséquent, aucune difficulté.
 
Mais on peut faire à M. Milhaud une réponse générale. Dès que, pour un vaste ensemble de phénomènes, on est arrivé, par un procédé quelconque, à un seul et unique système d’équations satisfaisantes, ce peut être une distraction pour le mathématicien que d’en chercher un autre équivalent : l’important sera toujours qu’on ait pu en obtenir un, quel qu’il soit.
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M. LE ROY. — Je ne trouve pas qu’il y ait là une réponse véritable à M. Milhaud. L’expérience, nous dit-il, rend manifeste la nécessité de certains changements dans nos théories. Mais elle ne nous dit pas sur quel point précis doit porter le remaniement. À nous de choisir. Sans doute il y a des choix arbitraires, bien que logiquement légitimes, que nul ne fera, ne fût-ce que pour ne pas heurter des habitudes d’esprit. Cela réduit le nombre des changements entre lesquels on peut hésiter. Mais il ne s’ensuit pas qu’on n’ait qu’à opter entre des systèmes totalement hétérogènes, qui seraient comme deux systématisations mathématiques différentes des mêmes faits. La nécessité de choisir n’apparaît pas seulement au début du travail, une fois pour toutes. Chaque moment de l’expérience est un point de ramification, d’où partent de multiples embranchements théoriques.
 
 
 
M. LANGEVIN. — C’est là l’affaire des mathématiciens. La théorie qui a pu résister à l’examen des mathématiciens en acquiert une nouvelle force par cela même.
 
 
 
M. LE ROY. — Permettez-moi d’exprimer une impression dont je ne puis me défendre. J’ai lu attentivement l’article de M. Langevin dans la ''Revue'' ; je viens d’écouter non moins attentivement ses explications d’aujourd’hui. Eh bien ! Il me semble — est-ce illusion ? — qu’il parle presque toujours un langage de temps et d’espace absolus. On dirait qu’il sous-entend un ordre vrai de succession entre les phénomènes…
 
 
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M. LANGEVIN. — J’ai soin de dire pour chaque raisonnement par quels observateurs je le suppose fait. Je dis par exemple que des observateurs O voient simultanés deux événements qui sont vus successifs par d’autres observateurs O’O'.
 
 
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M. LANGEVIN. — Il ne saurait être question ici d’illusion. Chaque groupe d’observateurs a son système de mesures aussi légitime que celui des autres, mais il n’est pas interdit à un groupe de raisonner en se plaçant au point de vue d’un autre. C’est seulement par des raisonnements de ce genre qu’on peut comprendre la signification du principe de relativité.
 
 
 
M. BRUNSCHVICG. — Je remercie M. Langevin du soin qu’il a mis à répondre dans son exposé aux questions que je lui avais posées, et je crois, comme il me disait, qu’à quelques différences de langage près, nous étions d’accord. Je voudrais seulement lui demander de préciser la difficulté sur laquelle il invite les philosophes à réfléchir. Dans ma pensée cette difficulté se présente sous la forme suivante. La mécanique classique avait réussi à satisfaire à la notion commune du temps, parce qu’elle fournissait une mesure unique et objective du temps. La physique nouvelle est partie de cette unité objective, qui est impliquée dans la notion de vitesse de la lumière, et elle a été conduite par une interprétation (qui n’est peut-être pas l’interprétation nécessaire, mais qui est en tout cas une interprétation rationnelle des expériences) à briser l’unité objective du temps mesuré suivant la théorie classique. Vous obtenez alors (je ne sais si vous accepterez le mot) une multiplicité subjective de systèmes de mesure, et vous cherchez alors comment revenir à l’unité objective. Bref, la difficulté serait celle-ci : vous avez donné à divers groupes d’observateurs des horloges montées d’une façon identique, et quand ces groupes sont en mouvement les uns par rapport aux autres, il est impossible que l’accord continue.
 
 
 
M. LANGEVIN. — La notion de vitesse de la lumière n’implique l’unité des temps que pour des observateurs immobiles les uns par rapport aux autres, appartenant à un même groupe. Les nouvelles conceptions conservent cela. Mais les divergences apparaissent quand on compare les temps de deux groupes en mouvement l’un par rapport à l’autre. La lumière ne peut, conformément aux faits, se propager pour tous les groupes avec la même vitesse dans toutes les directions, sans nous obliger à admettre la relativité du temps. La divergence se manifeste en particulier quand deux horloges sont liées, l’une à un système en translation uniforme qu’on peut considérer comme immobile et l’autre à un système en mouvement varié qui s’écarte du premier puis y revient. Des deux horloges l’une a vieilli plus que l’autre, celle qui reste ; si les deux horloges ont été réglées ensemble, l’une avancera sur l’autre après le mouvement. Mais nous sommes nous-mêmes des horloges. Si la vie d’un homme représente 30000 rotations de l’horloge, il en sera toujours de même quels que soient la position et le mouvement de l’individu. Nous manquons sans doute là-dessus d’expériences biologiques ; mais nous avons par contre des expériences magnétiques, optiques, mécaniques.
 
 
 
M. BRUNSCHVICG. — Ici la question devient plus intéressante encore ; mais je crois qu’elle dépasse la portée de l’expérience initiale. Il faudrait établir qu’au mouvement de l’horloge est liée la vie de l’horloger, que les phénomènes biologiques ou psychologiques sont sous la dépendance des phénomènes physiques qui servent à la mesure du temps. Dans ce cas, vous auriez en effet remanié, non plus le système de la mesure du temps, mais la conception même que le sens commun se fait du temps.
 
 
 
M. LANGEVIN. — Il y a divers aspects de la notion commune de temps ; nous ne prétendons pas les modifier tous. Mais quand il s’agit de comparer deux systèmes il y a modification. Le sens absolu de la simultanéité ne paraît pas impliqué dans notre point de départ. Nous n’empruntons à la notion usuelle du temps qu’un aspect particulier, celui du temps propre, mais il semble bien probable que les phénomènes biologiques et psychologiques se comportent comme les phénomènes physico-chimiques auxquels ils sont liés et que les conséquences auxquelles nous aboutissons pour la mesure physique du temps doivent s’étendre à toute la conception commune du temps.
 
 
 
M. {{corr|BRUNSCHVIG|BRUNSCHVICG}}. — C’est ce qui fait bien la difficulté : vous ne substituez pas à la notion commune des temps la notion nouvelle du temps propre, vous les gardez toutes les deux. Vous n’êtes pas seulement un des horlogers liés à l’horloge, vous êtes fabricant d’horloges, c’est-à-dire que vous voudriez dominer les groupes divers d’observateurs, incapables d’accorder leurs montres, au lieu de vous confondre avec l’un d’eux. La question posée par les expériences sur la constance de la vitesse de la lumière est celle-ci : peut-on refaire, en partant des temps propres, l’unité du temps ?
 
 
 
M. LANGEVIN. — Je ne crois pas qu’il y ait lieu de chercher à refaire l’unité des temps ; il y a seulement à comprendre comment et pourquoi l’intervalle de temps entre deux mêmes événements peut être mesuré de manières différentes par diverses horloges, également bien réglées, mais en mouvement les unes par rapport aux autres. L’unité se retrouve, non plus dans la notion de temps, mais dans la notion plus haute d’Univers, indépendante de tout système particulier de référence et dont le temps n’est qu’un aspect relatif, variable avec le mouvement de l’observateur, comme la perspective d’une même figure de l’espace n’est qu’un aspect relatif de cette figure, variable avec la position de l’observateur. De même que les hommes ont pu passer, de l’ensemble variable des perspectives qui leur sont immédiatement données, à la notion d’une figure géométrique ayant une existence objective indépendante de leur position par rapport à elle, nous devons conclure aujourd’hui à l’existence d’une réalité nouvelle, l’Univers, dont l’espace et le temps particuliers à un groupe donné d’observateurs ne constituent que des perspectives, plus immédiatement données, mais relatives et variables avec le mouvement du système d’observation.
 
Remarquons d’ailleurs que le principe de relativité affirme seulement l’impossibilité de mettre en évidence par des expériences intérieures à un système le mouvement de translation uniforme, la vitesse. Il n’en est pas de même du changement de vitesse, de l’accélération, sauf peut-être de celui qui est produit directement sur toutes les portions du système par un champ uniforme de gravitation.
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M. LE ROY. — Qu’il soit possible de mettre en évidence les changements de vitesse d’un système par des expériences intérieures à ce système, on en peut donner un exemple très simple. Voici un wagon en mouvement et, dans ce wagon, un observateur portant un vase plein d’eau. Que le wagon s’arrête brusquement : toute l’eau se répandra.
 
 
 
M. BOREL. — Il y aurait sans doute intérêt à obtenir une exposition de la mécanique ou de la physique tout à fait indépendante des locutions de temps et d’espace absolus. Mais une telle exposition ne saurait être réalisée immédiatement, et on ne peut même que la pressentir comme une limite, car il est impossible à l’homme de parler sans partir du langage du sens commun. Un effort considérable est toujours nécessaire avant d’arriver à une exposition indépendante de toute hypothèse inutile.
 
 
 
M. LE ROY. — Que ce soit difficile et qu’il ne faille pas commencer ainsi avec les élèves, je l’accorde. Encore est-il qu’il est possible aujourd’hui d’exposer les principes de la mécanique en langage de temps et d’espace strictement relatifs.
 
 
 
M. DARLU. — Je ne prétends pas apporter ici une objection, mais je voudrais signaler une difficulté qui m’embarrasse et m’empêche de concevoir la portée philosophique de ces considérations scientifiques. On nous parle de deux groupes d’observateurs qui mesurent, ''chacun de son côté'', la durée d’une série de mouvements. Il y a nécessairement un tiers, un savant, si l’on veut, qui s’assure qu’il s’agit ''de la même'' suite de mouvements et qui, rapprochant les deux mesures, trouve qu’elles donnent des temps différents. Ce tiers a donc dans son esprit une notion déterminée du mouvement, une notion déterminée du temps qu’il applique également aux deux expériences. Les expériences diffèrent, mais en quoi sa notion du temps est-elle changée ? Par l’hypothèse même, elle est la même puisqu’elle lui permet de rapprocher, de comparer les deux expériences, d’en énoncer le résultat. La différence est dans les faits, dans les expériences. Il lui appartient de chercher si l’une est plus vraie ou plus illusoire que l’autre. Les vérités les plus opposées s’accordent fort bien quand elles ne sont que relatives. Il est vrai, relativement, que le soleil se lève et se couche ; il est vrai, sous un autre rapport, qu’il est immobile et que la terre tourne ; il est vrai encore que le soleil se déplace, etc., etc. Mais nos idées de l’espace, du temps, du mouvement et de sa vitesse demeurent les mêmes, étant nécessairement communes à ces vérités successives.
 
 
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M. DARLU. — Le troisième observateur, le savant qui rapproche dans sa pensée les résultats des deux observations différentes constate que le nombre des heures n’est pas le même pour les deux horloges. Mais sa notion de l’heure en est-elle changée ? Il faut bien qu’il attache le même sens au mot heure dans les deux cas, ou il ne constatera rien du tout.
 
 
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M. DARLU. — On nous disait tout à l’heure, je crois, que l’application de ces considérations à la physiologie n’a pas été tentée. Mais soit ! appelons vieillissement, si l’on veut, l’accélération de la marche des aiguilles de l’horloge. Je vois là un changement dans les faits observés, je n’en vois pas dans l’idée même du changement, dans l’idée qu’un changement dure, commence à un moment et finit à un autre. Et c’est cette idée elle-même qui permet de mesurer le changement dans un cas comme dans l’autre.
 
J’ai la même peine à concevoir que ces considérations entraînent un changement de notre idée d’espace.
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M. DARLU. — Je commence à comprendre. Il me paraît que ces conceptions scientifiques nouvelles introduisent dans la notion commune du temps un degré de relativité de plus. Nous savions déjà, surabondamment, que le temps est une idée relative, que, par exemple, ''subjectivement'' il y a au moins autant de durées différentes pour le même événement qu’il y a de consciences individuelles à le percevoir ; on nous découvre aujourd’hui que pour la mesure scientifique du temps, relativement objective, il peut y avoir des durées différentes du même événement. C’est, en effet, une nouveauté intéressante, et sans doute importante. Ce qui fait que le philosophe, disons le professeur de philosophie, a quelque peine à concevoir cette sorte de modification dans l’idée du temps, c’est qu’à la différence du savant qui s’efforce de ne considérer dans le temps que des relations, il considère d’abord et essentiellement toutes les déterminations du temps que lui fournit l’intuition : succession, simultanéité, continuité, antériorité, postériorité, etc., etc., etc., et il lui paraît que ces déterminations restent les mêmes et sont impliquées de la même manière dans l’hypothèse mécaniste comme dans l’hypothèse électro-magnétique.
 
 
 
M. LANGEVIN répond qu’il n’a pas eu la prétention de se placer au point de vue du philosophe. Il a voulu simplement exposer les faits : c’est au philosophe à dire quels sont les éléments de la notion du temps qui sont à modifier.
 
 
 
M. LE ROY. — Permettez-moi de faire un moment l’office d’interprète. Il y a souvent méprise et malentendu entre savants et philosophes sur l’acception du mot ''temps''. Pour le philosophe, il y a primordialement une intuition du temps, à partir de laquelle on procède pour obtenir d’abord une définition analytique, puis une mesure. Mais le savant au contraire définit le temps par sa mesure même. En prononçant le même mot « ''temps'' », l’un pense à une durée, l’autre à un certain nombre de coïncidences. Demandez à un philosophe : — qu’est-ce que le temps ? il commencera un discours. Posez la même question à un savant ; il tirera sa montre et vous dira : le voilà.
 
 
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M. LE ROY. — Voilà bien la confusion que je signalais. Oui, pour le philosophe, l’heure est un intervalle. Mais, pour le savant, ce n’est qu’une coïncidence, un alignement instantané.
 
Source : site internet de la Société Française de Philosophie
 
Mise en page par Paul-Eric Langevin