« Contes d’Andersen/Le Chanvre » : différence entre les versions

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| [[Le Rossignol (Andersen-Soldi)|Le Rossignol]]
| Le Chanvre
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Le chanvre était en fleur. Ses fleurs sont bleues, admirablement belles, molles comme les ailes d’un moucheron et encore plus fines.
 
<BR>
Le soleil répandait ses rayons sur le chanvre, et les nuages l’arrosaient, ce qui lui faisait autant de plaisir qu’une mère en fait à son enfant lorsqu elle le lave et lui donne un baiser. L’un et l’autre n’en deviennent que plus beaux. " J’ai bien bonne mine, à ce qu’on dit, murmura le chanvre ; je vais atteindre une hauteur étonnante, et je deviendrai une magnifique pièce de toile.
 
<BR>
Ah ! Que je suis heureux ! Il n’y a personne qui soit plus heureux que moi ! Je me porte à merveille, et j’ai un bel avenir ! La chaleur du soleil m’égaye, et la pluie me charme en me rafraîchissant ! Oui, je suis heureux, heureux on ne peut plus ! Oui, oui, oui, dirent les bâtons de la haie, vous ne connaissez pas le monde ; mais nous avons de l’expérience, nous. " Et ils craquèrent lamentablement, et chantèrent : Cric, crac ! Cric, crac ! crac ! C’est fini ! C’est fini ! C’est fini !
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Le chanvre était en fleur. Ses fleurs sont bleues,
admirablement belles, molles comme les ailes
d’un moucheron et encore plus fines. Le soleil
répandait ses rayons sur le chanvre, et les nuages
l’arrosaient, ce qui lui faisait autant de plaisir
qu’une mère en fait à son enfant lorsqu’elle le
lave et lui donne un baiser. L’un et l’autre n’en
deviennent que plus beaux.
 
« J’ai bien bonne mine, à ce qu’on dit, murmura le chanvre ; je vais atteindre une hauteur
" Pas sitôt, répondit le chanvre ; voilà une bonne matinée, le soleil brille, la pluie me fait du bien, je me sens croître et fleurir. Ah ! je suis bien heureux ! " Mais un beau jour il vint des gens qui prirent le chanvre par le toupet, l’arrachèrent avec ses racines, et lui firent bien mal. D’abord on le mit dans l’eau comme pour le noyer, puis on le mit au feu comme pour le rôtir. 0 cruauté ! "
étonnante, et je deviendrai une magnifique pièce
de toile. Ah ! que je suis heureux l Il n’y a personne qui soit plus heureux que moi ! Je me porte
à merveille, et j’ai un bel avenir ! La chaleur du
soleil m’égaye, et la pluie me charme en me rafraîchissant ! Oui, je suis heureux, heureux on ne
peut plus !
 
— Oui, oui, oui, dirent les bâtons de la haie,
On ne saurait être toujours heureux, pensa le chanvre ; il faut souffrir, et souffrir c’est apprendre. " Mais tout alla de pis en pis. Il fut brisé, peigné, cardé ; sans y comprendre un mot. Puis on le mit à la quenouille, et rrrout ! Il perdit tout à fait la tête. " J’ai été trop heureux, pensait-il au milieu des tortures ; les biens qu’on a perdus, il faut encore s’en réjouir, s’en réjouir".
vous ne connaissez pas le monde ; mais nous avons
de l’expérience, nous. »
 
Et ils craquèrent lamentablement, et chantèrent :
Et il répétait : "s’en réjouir", que déjà il était, hélas ! mis au métier, et devenait une magnifique pièce de toile. Les mille pieds de chanvre ne faisaient qu’un morceau. " Vraiment ! C’est prodigieux ; je ne l’aurais jamais cru ; quelle chance pour moi ! Que chantaient donc les bâtons de la haie avec leur Cric, crac ! Cric, crac ! Crac ! C’est fini ! C’est fini ! C’est fini ! " Mais... je commence à peine à vivre. C’est prodigieux ! Si j’ai beaucoup souffert, me voilà maintenant plus heureux que jamais ; Je suis si fort, si doux, si blanc, si long !
 
<poem>
C’est une autre condition que la condition de plante, même avec les fleurs. Personne ne vous soigne, et vous n’avez d’autre eau que celle de la pluie. Maintenant, au contraire, que d’attentions ! Tous les matins les filles me retournent, et tous les soirs on m’administre un bain avec l’arrosoir. La ménagère de M. le curé a même fait un discours sur moi, et a prouvé parfaitement que je suis le plus beau morceau de la paroisse. Je ne saurais être plus heureux !" La toile fut portée à la maison et livrée aux ciseaux.
Cric, crac ! cric, crac ! crac !
C’est fini ! c’est fini ! c’est fini !</poem>
 
On la coupait, on la coupait, on la piquait avec l’aiguille. Ce n’était pas très agréable ; mais en revanche elle fit bientôt douze morceaux de linge, douze belles chemises. " C’est à partir d’aujourd’hui seulement que je suis quelque chose. Voilà ma destinée ; je suis béni , car je suis utile dans le monde. Il faut cela pour être content soi-même. Nous sommes douze morceaux, c’est vrai, mais nous formons un seul corps, une douzaine.
 
Quelle incomparable félicité ! " Les années s’écoulèrent ; c’en était fait de la toile. " Il faut que toute chose ait sa fin, murmura chaque pièce. J’étais bien disposée à durer encore mais pourquoi demander l’impossible ?" Et elles furent réduites en lambeaux et en chiffons, et crurent cette fois que c’était leur fin finale, car elles furent encore hachées, broyées et cuites, le tout sans y rien comprendre. Et voilà qu’elles étaient devenues du superbe papier blanc. " O surprise ! ô surprise agréable ! s’écria le papier, je suis plus fin qu’autrefois, et l’on va me charger d’écritures.
 
« Pas sitôt, répondit le chanvre ; voilà une bonne
Que n’écrira-t-on pas sur moi ? Ma chance est sans égale." Et l’on y écrivit les plus belles histoires, qui furent lues devant de nombreux auditeurs et les rendirent plus sages. C’était un grand bienfait pour le papier que cette écriture. "Voilà certes plus que je n’y ai rêvé lorsque je portais mes petites fleurs bleues dans les champs. Comment deviner que je servirais un jour à faire la joie et l’instruction des hommes ? je n’y comprends vraiment rien, et c’est pourtant la vérité.
matinée, le soleil brille, la pluie me fait du bien,
je me sens croître et fleurir. Ah ! je suis bien heureux ! »
 
Mais un beau jour il vint des gens qui prirent
Dieu sait si j’ai jamais rien entrepris : je me suis contenté de vivre, et voilà que de degrés en degrés il m’a élevé à la plus grande gloire. Toutes les fois que je songe au refrain menaçant : "C’est fini ! C’est fini ! " Tout prend au contraire un aspect plus beau, plus radieux. Sans doute je vais voyager, je vais parcourir le monde entier pour que tous les hommes puissent me lire !
le chanvre par le toupet, l’arrachèrent avec ses
racines, et lui firent bien mal. D’abord on le mit
dans l’eau comme pour le noyer, puis on le mit
au feu comme pour le rôtir. O cruauté !
 
« On ne saurait être toujours heureux, pensa le
Autrefois je portais de petites fleurs bleues ; mes fleurs maintenant sont de sublimes pensées. Je suis heureux, incomparablement heureux. " Mais le papier n’alla pas en voyage, il fut remis à l’imprimeur, et tout ce qu’il portait d’écrit fut imprimé pour faire un livre, des centaines de livres qui devaient être une source de joie et de profit pour une infinité de personnes. Notre morceau de papier n’aurait pas rendu le même service, même en faisant le tour du monde. A moitié route il aurait été usé.
chanvre ; il faut souffrir, et souffrir c’est apprendre. »
 
Mais tout alla de pis en pis. Il fut brisé, peigné,
" C’est très juste, ma foi ! " dit le papier ; " Je n’ avais pas pensé. Je reste à la maison et j’y suis honoré comme un vieux grand-père ! C’est moi qui ai reçu l’écriture, les mots ont découlé directement de la plume sur moi, je reste à ma place, et les livres vont par le monde ; leur tâche est belle assurément, et moi je suis content, je suis heureux !
cardé ; sans y comprendre un mot. Puis on le mit
à la quenouille, et rrrout ! il perdit tout à fait la
tête.
 
« J’ai été trop heureux, pensait-il au milieu des
" Le papier fut mis dans un paquet et jeté sur une planche. "Il est bon de se reposer après le travail, pensa-t-il. C’est en se recueillant de la sorte que l’on apprend à se connaître. D’aujourd’hui seulement je sais ce que je contiens, et se connaître soi-même, voilà le véritable progrès. Que m’arrivera-t-il encore ? Je vais sans nul doute avancer, on avance toujours. "
tortures ; les biens qu’on a perdus, il faut encore
s’en réjouir, s’en réjouir. » Et il répétait : « s’en
réjouir, » que déjà il était, hélas ! mis au métier,
et devenait une magnifique pièce de toile.
 
Les mille pieds de chanvre ne faisaient qu’un
Quelque temps après, le papier fut mis sur la cheminée pour être brûlé, car on ne voulait pas le vendre au charcutier ou à l’épicier pour habiller des saucissons ou du sucre. Et tous les enfants de la maison se mirent à l’entourer ; ils voulaient le voir flamber, et voir aussi, après la flamme, ces milliers d’étincelles rouges qui ont l’air de se sauver et s’éteignent si vite l’une après l’autre. Tout le paquet de papier fut jeté dans le feu. Oh ! Comme il brûlait ! Ouf ! Ce n’est plus qu’une grande flamme.
morceau.
« Vraiment ! c’est prodigieux ; je ne l’aurais jamais cru ; quelle chance pour moi ! Que chantaient
donc les bâtons de la haie avec leur
 
<poem>
Elle s’élevait la flamme, tellement, tellement que jamais le chanvre n’avait porté si haut ses petites fleurs bleues ; elle brillait comme jamais la toile blanche n’avait brillé. Toutes les lettres, pendant un instant, devinrent toutes rouges. Tous les mots, toutes les pensées s’en allèrent en langues de feu. " Je vais monter directement jusqu’au soleil, " disait une voix dans la flamme, et on eût dit mille voix réunies en une seule.
Cric, crac ! cric, crac ! crac !
C’est fini ! c’est fini ! c’est fini !</poem>
 
La flamme sortit par le haut de la cheminée, et au milieu d’elle voltigeaient de petits êtres invisibles à l’oeil des hommes. Ils égalaient justement en nombre les fleurs qu’avait portées le chanvre. Plus légers que la flamme qui les avait fait naître, quand celle-ci fut dissipée, quand il ne resta plus du papier que la cendre noire, ils dansaient encore sur cette cendre, et formaient en l’effleurant des étincelles rouges.
 
Les enfants de la maison chantaient autour de la cendre inanimée : Cric, crac ! Cric, crac ! Crac ! C’est fini ! C’est fini ! C’est fini ! Mais chacun des petits êtres disait : " Non, ce n’est pas fini ; voici précisément le plus beau de l’histoire ! Je le sais, et je suis bien heureux." Les enfants ne purent ni entendre ni comprendre ces paroles ; du reste, ils n’en avaient pas besoin : les enfants ne doivent pas tout savoir.
 
« Mais.... je commence à peine à vivre. C’est
[[ru:Лён (Андерсен/Ганзен)]]
prodigieux ! Si j’ai beaucoup souffert, me voilà
maintenant plus heureux que jamais ; je suis si
fort, si doux, si blanc, si long ! C’est une autre
condition que la condition de plante, même avec
les fleurs. Personne ne vous soigne, et vous n’avez jamais d’autre eau que celle de la pluie.
Maintenant, au contraire, que d’attentions ! tous
les matins les filles me retournent, et tous les
soirs on m’administre un bain avec l’arrosoir. La
ménagère de M. le curé a même fait un discours
sur moi, et a prouvé parfaitement que je suis le
plus beau morceau de la paroisse. Je ne saurais
être plus heureux ! »
 
« La toile fut portée à la maison et livrée aux ciseaux. On la coupait, on la coupait, on la piquait
avec l’aiguille. Ce n’était pas très-agréable ; mais
en revanche elle fit bientôt douze morceaux de
linge, douze belles chemises.
 
« C’est à partir d’aujourd’hui seulement que je
suis quelque chose. Voilà ma destinée ; je suis
béni, car je suis utile dans le monde. Il faut cela pour être content soi-même. Nous sommes douze
morceaux, c’est vrai, mais nous formons un seul
corps, une douzaine. Quelle incomparable félicité ! »
 
Les années s’écoulèrent ; c’en était fait de la
toile.
 
« Il faut que toute chose ait sa fin, murmura
chaque pièce. J’étais bien disposée à durer encore,
mais pourquoi demander l’impossible ? »
 
Et elles furent réduites en lambeaux et en chiffons, et crurent cette fois que c’était leur fin
finale, car elles furent encore hachées, broyées
et cuites, le tout sans y rien comprendre. Et
voilà qu’elles étaient devenues de superbe papier
blanc.
 
« O surprise ! ô surprise agréable ! s’écria le papier, je suis bien plus fin qu’autrefois, et l’on va
me charger d’écritures. Que n’écrira-t-on pas sur
moi ? Ma chance est sans égale. »
 
Et l’on y écrivit les plus belles histoires, qui
furent lues devant de nombreux auditeurs et les
rendirent plus sages. C’était un grand bienfait
pour le papier que cette écriture.
 
« Voilà certes plus que je n’ai rêvé lorsque je
portais mes petites fleurs bleues dans les champs.
Comment deviner que je servirais un jour à faire
la joie et l’instruction des hommes ? Je n’y comprends vraiment, rien, et c’est pourtant la vérité. Dieu sait si j’ai jamais rien entrepris : je me suis
contenté de vivre, et voilà que de degrés en degrés il m’a élevé à la plus grande gloire. Toutes
les fois que je songe au refrain menaçant : « C’est
fini ! c’est fini ! » tout prend au contraire un aspect
plus beau, plus radieux. Sans doute je vais voyager, je vais parcourir le monde entier pour que
tous les hommes puissent me lire ! Autrefois je
portais de petites fleurs bleues ; mes fleurs maintenant sont de sublimes pensées. Je suis heureux/
incomparablement heureux. »
 
Mais le papier n’alla pas en voyage ; il fut remis
à l’imprimeur, et tout ce qu’il portait d’écrit fut
imprimé pour faire un livre, des centaines de livres qui devaient être une source de joie et de
profit pour une infinité de personnes. Notre morceau de papier n’aurait pas rendu le même service, même en faisant le tour du monde. A moitié route
il aurait été usé.
 
« C’est très-juste, ma foi ! dit le papier ; je n’y
avais pas pensé. Je reste à la maison et j’y suis
honoré comme un vieux grand-père ! c’est moi
qui ai reçu l’écriture, les mots ont découlé directement de la plume sur moi, je reste à ma place,
et les livres vont par le monde ; leur tâche est
belle assurément, et moi je suis content, je suis
heureux !
Le papier fut mis dans un paquet et jeté sur une planche. « Il est bon de se reposer après le
travail, pensa-t-il. C’est en se recueillant de la
sorte que l’on apprend à se connaître. D’aujourd’hui seulement je sais ce que je contiens, et se
connaître soi-même, voilà le véritable progrès.
Que m’arrivera-t-il encore ? Je vais sans nul doute
avancer, on avance toujours. »
 
Quelque temps après, le papier fut mis sur la
cheminée pour être brûlé, car on ne voulait pas
le vendre au charcutier ou à l’épicier pour habiller des saucissons ou du sucre. Et tous les enfants de la maison se mirent à l’entourer ; ils
voulaient le voir flamber, et voir aussi, après la
flamme, ces milliers d’étincelles rouges, qui ont
l’air de se sauver et s’éteignent si vite l’une après
l’autre. Tout le paquet de papier fut jeté dans le
feu. Oh ! comme il brûlait ! Ouf ! ce n’est plus
qu’une grande flamme. Elle s’élevait la flamme,
tellement, tellement que jamais le chanvre n’avait
porté si haut ses petites fleurs bleues ; elle brillait comme jamais la toile blanche n’avait brillé.
Toutes les lettres, pendant un instant, devinrent
toutes rouges. Tous les mots, toutes les pensées
s’en allèrent en langues de feu.
 
« Je vais monter directement jusqu’au soleil, »
disait une voix dans la flamme, et on eût dit mille
voix réunies en une seule. La flamme sortit par
le haut de la cheminée, et au milieu d’elle voltigeaient de petits êtres invisibles à l’œil des
hommes. Ils égalaient justement en nombre les
fleurs qu’avait portées le chanvre. Plus légers que
la flamme qui les avait fait naître, quand celle-ci fut dissipée, quand il ne resta plus du papier que
la cendre noire, ils dansaient encore sur cette
cendre, et formaient en l’effleurant des étincelles
rouges.
 
[[Image:Andersen - Chanvre.jpg|center|260px|Vignette de Bertall]]
 
Les enfants de la maison chantaient autour de
la cendre inanimée :
 
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Cric, crac ! cric, crac ! crac !
C’est fini ! c’est fini ! c’est fini !</poem>
 
 
 
Mais chacun des petits êtres disait : « Non, ce
n’est pas fini ; voici précisément le plus beau de
l’histoire ! Je le sais, et je suis bien heureux. »
 
Les enfants ne purent ni entendre ni comprendre ces paroles ; du reste, ils n’en avaient pas
besoin : les enfants ne doivent pas tout savoir.
 
 
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[[Image:Bertall_ill_Les_Habits_Neufs_du_Grand_Duc_fin.png|center|100px|Vignette de Bertall]]
 
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