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== Préface ==
De tous les phénomènes de la nature, je n’en connais aucun qui soit plus digne de fixer l’attention et la curiosité du naturaliste que les glaciers. À voir le grand nombre de gens instruits qui, chaque année, affluent de toutes les parties de l’Europe dans nos Alpes pour y visiter nos montagnes de neige, on devrait croire que toutes les phases de leur histoire ont été étudiées jusque dans le plus menu détail. Car quoi de plus naturel, lorsqu’on se trouve en face de ces immenses massifs de glace, d’où s’échappent, en bouillonnant, les premières ondes de nos grands fleuves, quoi de plus naturel, dis-je, que de s’enquérir de leur nature, des causes qui les produisent, des modifications qu’ils subissent sous l’influence des saisons, et de l’influence qu’ils exercent eux-mêmes sur les lieux qui les environnent ? Il y a là sans doute de quoi intéresser tous les esprits sérieux. Mais il paraît que de tout temps les glaciers ont eu le privilège de n’inspirer aux
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étrangers que l’étonnement et l’admiration. Les indigènes eux-mêmes n’en ont fait que de loin en loin le sujet d’investigations suivies, et encore ce mérite appartient-il plutôt aux naturalistes des deux derniers siècles qu’à ceux de notre époque. Depuis les travaux des Scheuchzer et des de Saussure, la science s’est détournée des glaciers, et les hautes et sereines régions des Alpes, qui semblaient s’être familiarisées avec la présence de ces illustres savants, sont redevenues en quelque sorte une terre inconnue aux modernes, qui, sous le faux prétexte qu’il n’y avait là plus rien à découvrir, ont perdu jusqu’à la trace des voies que la persévérance de leurs devanciers y avait frayées.
Cependant la science marchait à grands pas vers les nouvelles découvertes ; et la géologie, en particulier, en reculant les limites du passé bien au-delà de la création de l’homme, ne pouvait pas manquer de reconnaître à la surface du sol, de ce témoin fidèle de toutes les révolutions que la terre a subies, les traces d’agents aussi puissants que les glaciers. Grâce aux recherches de MM. Venetz et de Charpentier, ils nous ont en effet fourni l’explication la plus probable de l’un des grands phénomènes de l’histoire de la terre,
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du transport de ces blocs erratiques qui se trouvent perchés sur les flancs des montagnes, à une très grande distance de leur origine. Depuis ce moment les glaciers ont repris un intérêt nouveau, et les voyages récents de M. Hugi nous ont appris qu’ils sont aussi par eux-mêmes dignes, à un haut point, de l’attention du naturaliste.
 
Mes propres recherches avaient d’abord pour but principal de démontrer la liaison des phénomènes qui accompagnent les glaciers actuels avec les phénomènes analogues qui annoncent une plus grande extension des glaciers à une époque antérieure à la nôtre. Pour arriver à ce résultat, j’ai dû faire une étude approfondie de l’état actuel des glaciers et des modifications qu’ils subissent sous l’action des agents extérieurs. Cette étude m’a conduit à la découverte de plusieurs faits nouveaux qui se trouvent consignés dans cet ouvrage ; elle m’a en même temps permis d’apprécier plus exactement qu’on ne l’avait fait jusqu’ici, l’enchaînement de tous les phénomènes relatifs aux glaciers. Pour écarter toute espèce de défiance, à l’égard des nouvelles explications que je propose, j’ai eu soin de les appuyer autant que possible sur des faits
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déjà énoncés par les auteurs ; j’ai même cité textuellement leurs observations, de préférence aux miennes, toutes les fois qu’elles portaient un cachet de clarté et de précision.
 
L’ouvrage que j’offre au public scientifique contient le résumé de mes observations et de mes études pendant cinq années consécutives. J’attache quelque prix à ce que l’on sache que les résultats que j’y ai consignés ont été discutés à plusieurs reprises par mes amis, soit pendant les courses que nous faisions ensemble, soit après notre retour : ils sont pour ainsi dire le résultat collectif de toutes les observations et de toutes les remarques accidentelles qui se multiplient et s’entrechoquent toujours, lorsqu’on est plusieurs à examiner les mêmes choses. Dans des circonstances pareilles, les idées hasardées sont bien vite contestées et ramenées à leur juste valeur ; et si mes observations paraissent plus complètes que celles de mes devanciers, je le devrai en partie aux critiques empressées de mes amis.
 
Je suis loin de prétendre avoir dit le dernier mot sur les glaciers. Au contraire, je ne saurais assez engager les naturalistes et les physiciens à diriger leurs recherches
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de ce côté, persuadé que je suis qu’ils y trouveront ample matière à exercer leur zèle et leur savoir. Car les glaciers sont un champ immense qui deviendra de plus en plus fertile en résultats scientifiques, à mesure qu’on le cultivera avec plus de soin. C’est ce dont je me suis convaincu plus que jamais pendant le séjour prolongé que je viens de faire sur la mer de glace du Finsteraarhorn.
 
 
À l’Hospice de Grimsel, le 20 août 1840.
 
L. AGASSIZ.
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