« La Fanfarlo » : différence entre les versions

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— Un roman de Walter Scott.
 
— Je m’explique maintenant vos fréquentes interruptions. — Oh ! l’ennuyeux écrivain ! — Un poudreux détenteur de chroniques ! un fastidieux amas de descriptions de bric-à-brac, — un tas de vieilles choses et de défroques de tout genre : — des armures, des vaisselles, des meubles, des auberges gothiques et des châteaux de mélodrame, où se promènent quelques mannequins à ressort, vêtus de justaucorps et de pourpoints bariolés ; — types connus, dont nul plagiaire de dix-huit ans ne voudra plus dans dix ans ; des châtelaines impossibles et des amoureux parfaitement dénués d’actualité, — nulle vérité de cœur, nulle philosophie de sentiments ! Quelle différence chez nos bons romanciers français, où la passion et la morale l’emportent toujours sur la description matérielle des objets ! — Qu’importe que la châtelaine porte fraise ou paniers, ou sous-jupe Oudinot, pourvu qu’errequ’elle sanglote ou trahisse convenablement ? L’amoureux vous intéresse-t-il beaucoup plus pour porter dans son gilet un poignard au lieu d’une carte de visite, et un despote en habit noir vous cause-t-il une terreur moins poétique qu’un tyran bardé de buffle et de fer ? ” Samuel, comme on le voit, rentrait dans la classe des gens absorbants, — des hommes insupportables et passionnés, chez qui le métier gâte la conversation, et à qui toute occasion est bonne, même une connaissance improvisée au coin d’un arbre ou d’une rue, fût-ce d’un chiffonnier, — pour développer opiniâtrement leurs idées. — Il n’y a entre les commis voyageurs, les industriels errants, les allumeurs d’affaires en commandite et les poètes absorbants que la différence de la réclame à la prédication ; le vice de ces derniers est tout à fait désintéressé.
 
Or la dame lui répliqua simplement : “ Mon cher monsieur Samuel, je ne suis que public, c’est assez vous dire que mon âme est innocente. Aussi le plaisir est-il pour moi la chose du monde la plus facile à trouver.
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Elle était évidemment émue ; Samuel s’était aperçu qu’il avait mis le fer sur une ancienne plaie, et il insistait avec cruauté.
 
“ Madame, dit-il, les souffrances salutaires du souvenir ont leurs charmes, et, dans cet enivrement de la douleur, on trouve parfois un soulagement. — À ce funèbre avertissement, toutes les âmes loyales s’écrieraient : Seigneur, enlevez-moi d’ici avec mon rêve, intact et pur : je veux rendre à la nature ma passion avec toute sa virginité, et porter ailleurs ma couronne inflétrie. — D’ailleurs les résultats du désillusionnement sont terribles. — Les enfants maladifs qui sortent d’un autouramour mourant sont la triste débauche et la hideuse impuissance : la débauche de l’esprit, l’impuissance du cœur, qui font que l’un ne vit plus que par curiosité, et que l’autre se meurt chaque jour de lassitude. Nous ressemblons tous plus ou moins à un voyageur qui attraitaurait parcouru un très grand pays, et regarderait .chaque soir le soleil, qui jadis dorait superbement les agréments de la route, se coucher dans un horizon plat. Il s’assied avec résignation sur de sales collines couvertes de débris inconnus, et dit aux senteurs des bruyères qu’elles ont beau monter vers le ciel vide ; aux graines rares et malheureuses, qu’elles ont beau germer dans un sol desséché ; aux oiseaux qui croient leurs mariages bénis par quelqu’un, qu’ils ont tort de bâtir des nids dans une contrée balayée de vents froids et violents. Il reprend tristement sa route vers un désert qu’il sait semblable à celui qu’il vient de parcourir, escorté par un pâle fantôme qu’on nomme Raison, qui éclaire avec une pâle lanterne l’aridité de son chemin, et pour étancher .la soif renaissante de passion qui le prend de temps en temps, lui verse le poison de l’ennui. ” Tout d’un coup, entendant un profond soupir et un sanglot mal comprimé, il se retourna vers Mme de Cosmelly ; elle pleurait abondamment et n’avait même plus la force de cacher ses larmes.
 
Il la considéra quelque temps en silence, avec l’air le plus attendri et le plus onctueux qu’il put se donner; le brutal et hypocrite comédien était fier de ces belles larmes ; il les considérait comme son œuvre et sa propriété littéraire. Il se méprenait sur le sens intime de cette douleur, comme Mme de Cosmelly, noyée dans cette candide désolation, se méprenait sur l’intention de son regard. Il y eut là un jeu singulier de malentendus, à la suite duquel Samuel Cramer lui tendit définitivement une double poignée de main, qu’elle accepta avec une tendre confiance.
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“ Je comprends, Monsieur, tout ce qu’une âme poétique peut souffrir de cet isolement, et combien une ambition de cœur comme la vôtre doit se vite consumer dans sa solitude ; mais vos douleurs, qui n’appartiennent qu’à vous, viennent, autant que j’ai pu le démêler sous la pompe de vos paroles, de besoins bizarres toujours insatisfaits et presque impossibles à satisfaire. Vous souffrez, il est vrai ; mais il se peut que votre souffrance fasse votre grandeur et qu’elle vous soit aussi nécessaire qu’à d’autres le bonheur. Maintenant, daignerez-vous écouter et sympathiser avec des chagrins plus faciles à comprendre, — une douleur de province ? J’attends de vous, monsieur Cramer, de vous, le savant, l’homme d’esprit, les conseils et peut-être les secours d’un ami.
 
“ Vous savez qu’au temps où vous m’avez connue, j’étais une bonne petite fille, un peu rêveuse déjà comme vous, mais timide et fort obéissante ; que je me regardais moins souvent que vous dans la glace, et que j’hésitais toujours à manger ou à mettre dans mes poches les pêches et le raisin que vous alliez hardiment voler pour moi dans le verger de nos voisins. Je ne trouvais jamais un plaisir vraiment agréable et complet qu’autant qu’il fût permis, et j’aimais bien mieux embrasser un beau garçon comme vous devant ma vieille tante qu’au milieu des champs. La coquetterie et le soin que toute fille à marier doit avoir de sa personne ne me sont venus que tard. Quand j’ai su à peu près chanter une romance au piano, on m’a habillée avec plus de recherche, on m’a forcée à me tenir droite; on m’a fait faire de la gymnastique, et l’on m’a défendu de gâter mes mains à planter des fleurs ou à élever des oiseaux. Il neme fut permis de lire autre chose que Berquin, et je fus menée en grande toilette au théâtre de l’endroit voir de mauvais opéras. Quand M. de Cosmelly vint au château, je me pris tout d’abord pour lui d’une amitié vive ; comparant sa jeunesse florissante avec la vieillesse un peu grondeuse de ma tante, je lui trouvai de plus l’air noble, honnête, et il usait avec moi de la galanterie la plus respectueuse.
 
Puis on citait de lui les traits les plus beaux : un bras cassé en duel pour un ami un peu poltron qui lui avait confié l’honneur de sa sœur, des sommes énormes prêtées à d’anciens camarades sans fortune ; que sais-je, moi ? Il avait avec tout le monde un air de commandement à la fois affable et irrésistible qui me dompta moi-même. Comment avait-il vécu avant de mener auprès de nous la vie de château ; avait-il connu d’autres plaisirs que de chasser avec moi ou de chanter de vertueuses romances sur mon mauvais piano ; avait-il eu des maîtresses ? Je n’en savais rien, et je ne songeais pas à m’en informer. Je me mis à l’aimer avec toute la crédulité d’une jeune fille qui n’a pas eu le temps de comparer, et je l’épousai, — ce qui fit à ma tante le plus grand plaisir. Quand je fus sa femme devant la religion et devant la loi, je l’aimai encore plus. — Je l’aimai beaucoup trop, sans doute. Avais-je tort, avais-je raison ? qui peut le savoir ? J’ai été heureuse de cet amour, j’ai eu tort d’ignorer qu’il pût être troublé. — Le connaissais-je bien avant de l’épouser ? Non, sans doute ; mais il semble qu’on ne peut pas plus accuser une honnête fille qui veut se marier de faire un choix imprudent, qu’une femme perdue de prendre un amant ignoble. L’une et l’autre, — malheureuses que nous sommes ! — sont également ignorantes. Il manque à ces malheureuses victimes, qu’on nomme filles à marier, une honteuse éducation, je veux dire la connaissance des vices d’un homme. Je voudrais que chacune de ces pauvres petites, avant de subir le lien conjugal, pût entendre dans un lieu secret, et sans être vue, deux hommes causer entre eux des choses de la vie, et surtout des femmes. Après cette première et redoutable épreuve, elles pourraient se livrer avec moins de danger aux chances terribles du mariage, connaissant le fort et le faible de leurs futurs tyrans. ” Samuel ne savait pas au juste où cette charmante victime en voulait venir ; mais il commençait à trouver qu’elle parlait beaucoup trop de son mari pour une femme désillusionnée.
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Notre homme exprimait son admiration par des baisers muets qu’il lui appliquait avec ferveur sur les pieds et les mains. — Elle aussi l’admirait fort, non pas qu’elle ignorât le pouvoir de ses charmes, mais jamais elle n’avait vu d’homme si bizarre ni de passion si électrique.
 
Le temps était noir comme la tombe, et le vent qui berçait des monceaux de nuages faisait de leurs cahotements misselerruisseler une averse de grêle et de pluie. Une grande tempête faisait trembler les mansardes et gémir les clochers ; le ruisseau, lit funèbre où s’en vont les billets doux et les orgies de la veille, charriait en bouillonnant ses mille secrets aux égouts ; la mortalité s’abattait joyeusement sur les hôpitaux, et les Chatterton et les Savage de la rue Saint-Jacques crispaient leurs doigts gelés sur leurs écritoires, — quand l’homme le plus faux, le plus égoïste, le plus sensuel, le plus gourmand, le plus spirituel de nos amis arriva devant un beau souper et une bonne table, en compagnie d’une des plus belles femmes que la nature ait formées pour le plaisir des yeux. Samuel voulut ouvrir la fenêtre pour jeter un coup d’oeil de vainqueur sur la ville maudite ; puis abaissant son regard sur les diverses félicités qu’il avait à côté de lui, il se bâtahâta d’en jouir.
 
En compagnie de pareilles choses, il devait être éloquent : aussi, malgré son front trop haut, ses cheveux en forêt vierge et son nez de priseur, la Fanfarlo le trouva presque bien.
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Il y avait eu plusieurs relâches sur l’affiche ; elle avait négligé les répétitions ; beaucoup de gens enviaient Samuel.
 
Un soir que le hasard, l’ennui de M. de Cosmelly ou une complication de ruses de sa femme, les avait réunis au coin du feu, — après un de ces longs silences qui ont lieu dans les ménages ou l’on n’a plus rien à se dire et beaucoup à se cacher, — après lui avoir fait le meilleur thé du monde, dans une théière bien modeste et bien fêlée, peut-être encore celle du château de sa tante, — après avoir chanté au piano quelques morceaux d’une musique en vogue il y a dix ans, — elle lui dit avec la voix douce et prudente de la vertu qui veut se rendre aimable et craint d’effaroucher l’objet de ses affections, — qu’elle le plaignait beaucoup, qu’elle avait beaucoup pleuré, plus encore sur lui que sur elle-même ; qu’elle eût au moins voulu; dans sa résignation toute soumise ; et toute dévouée, qu’il pût trouver ailleurs que chez elle l’amour qu’il ne demandait plus à sa femme ; qu’elle avait plus souffert de le voir trompé que de se voir délaissée ; que d’ailleurs il y avait beaucoup de sa propre faute, qu’elle avait oublié ses devoirs de tendre épouse, en n’avertissant pas son mari du danger ; que, ditdu reste, elle était toute prête à fermer cette plaie saignante et à réparer à elle seule une imprudence commise à deux, etc., — et tout ce que peut suggérer de paroles mielleuses une ruse autorisée par la tendresse. — Elle pleurait et pleurait bien ; le feu éclairait ses larmes et son visage embelli par la douleur.
 
M. de Cosmelly ne dit pas un mot et sortit. Les hommes pris au trébuchet de leurs fautes n’aiment pas faire à la clémence une offrande de leurs remords. S’il alla chez la Fanfarlo, il y trouva sans doute des vestiges de désordre, des bouts de cigares et des feuilletons.