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l’agent de la conversion de {{Mme}} Besant ne pouvait pas être un vulgaire savant à lunettes : ce fut {{Mme}} Blavatski, thaumaturge, théosophe, charmeuse d’âmes, accusée par les uns de charlatanisme dans l’exercice de ses miracles, vénérée par d’autres comme un être surnaturel ; à tout prendre, une âme forte jusqu’à la tyrannie et douée du don mystérieux qui fascine les hommes. La Société des Recherches psychiques de Londres a publié, en décembre 1885, les résultats d’une enquête fort longue d’où il semble résulter fort clairement qu’on la doit mettre au rang des imposteurs célèbres, et que la « théosophie » est une des pires plaisanteries du siècle. Presque aucun de ses amis ne l’abandonna. Elle magnétisait. Je connais de {{Mme}} Blavalski un portrait qu’on ne regarde pas sans inquiétude, et dont on a peine à détourner la vue. Elle apparaît avec un anneau magique à la main, vieille, sans sexe, sans forme, la tête roulée dans une mantille de laine, la bouche large et mince sous un nez puissant et lourd, mais avec des yeux extraordinaires, indéfinissables, qu’on voudrait fuir, et qui vous lient. Telles ces mégères de Frans Hals, dont la ligure est hideuse, et qui vous arrêtent au passage, paralysent la volonté, vous enchantent, au sens profond du mot, parce que sous leurs paupières brûlées éclate une étincelle d’un feu non humain.
l’agent de la conversion de {{Mme}} Besant ne pouvait pas être un vulgaire savant à lunettes : ce fut {{Mme}} Blavatski, thaumaturge, théosophe, charmeuse d’âmes, accusée par les uns de charlatanisme dans l’exercice de ses miracles, vénérée par d’autres comme un être surnaturel ; à tout prendre, une âme forte jusqu’à la tyrannie et douée du don mystérieux qui fascine les hommes. La Société des Recherches psychiques de Londres a publié, en décembre 1885, les résultats d’une enquête fort longue d’où il semble résulter fort clairement qu’on la doit mettre au rang des imposteurs célèbres, et que la « théosophie » est une des pires plaisanteries du siècle. Presque aucun de ses amis ne l’abandonna. Elle magnétisait. Je connais de {{Mme}} Blavalski un portrait qu’on ne regarde pas sans inquiétude, et dont on a peine à détourner la vue. Elle apparaît avec un anneau magique à la main, vieille, sans sexe, sans forme, la tête roulée dans une mantille de laine, la bouche large et mince sous un nez puissant et lourd, mais avec des yeux extraordinaires, indéfinissables, qu’on voudrait fuir, et qui vous lient. Telles ces mégères de Frans Hals, dont la figure est hideuse, et qui vous arrêtent au passage, paralysent la volonté, vous enchantent, au sens profond du mot, parce que sous leurs paupières brûlées éclate une étincelle d’un feu non humain.


L’ancienne apôtre du matérialisme, bachelière de l’Université de Londres, fut bientôt entre les mains de {{Mme}} Blavatski comme un petit enfant. Aux enseignemens du vieux panthéisme oriental l’initiatrice faisait succéder les émerveillemens psychiques, frappait sur la tête de son élève, de loin et sans la toucher, de petites lapes dont le contre-coup descendait, dit celle-ci, jusqu’au fond de son corps. Ne croyez point que ces chiquenaudes spirituelles n’eussent aucune valeur philosophique ! Sganarelle pensait convaincre Marphurius de la réalité des apparences en lui donnant des coups de bâton ; mais qu’eût dit Sganarelle si on lui avait prouvé en retour qu’on peut donner des coups de bâton sans bâton ? Ces petites tapes firent leur trou dans le cerveau de {{Mme}} Besant, et bien des choses étonnantes y pénétrèrent avec elles. En deux ans son admirable intelligence, son imagination d’enfant passionnée de miracle furent pleinement conquises. {{Mme}} Blavatski put mourir, en 1891, rassurée sur le sort de la petite et curieuse église qu’elle avait fondée ; son élève, avec autant d’ardeur, plus d’éloquence, une réputation d’honnêteté et de conviction moins discutée, en a repris la direction. Toutes les luttes, tous les déchiremens qui avaient précédé la rupture de {{Mme}} Besant avec le christianisme, elle eut à les subir une seconde fois. Une autre se serait abîmée sous le ridicule, aurait succombé sous le poids de sa double
L’ancienne apôtre du matérialisme, bachelière de l’Université de Londres, fut bientôt entre les mains de {{Mme}} Blavatski comme un petit enfant. Aux enseignemens du vieux panthéisme oriental l’initiatrice faisait succéder les émerveillemens psychiques, frappait sur la tête de son élève, de loin et sans la toucher, de petites lapes dont le contre-coup descendait, dit celle-ci, jusqu’au fond de son corps. Ne croyez point que ces chiquenaudes spirituelles n’eussent aucune valeur philosophique ! Sganarelle pensait convaincre Marphurius de la réalité des apparences en lui donnant des coups de bâton ; mais qu’eût dit Sganarelle si on lui avait prouvé en retour qu’on peut donner des coups de bâton sans bâton ? Ces petites tapes firent leur trou dans le cerveau de {{Mme}} Besant, et bien des choses étonnantes y pénétrèrent avec elles. En deux ans son admirable intelligence, son imagination d’enfant passionnée de miracle furent pleinement conquises. {{Mme}} Blavatski put mourir, en 1891, rassurée sur le sort de la petite et curieuse église qu’elle avait fondée ; son élève, avec autant d’ardeur, plus d’éloquence, une réputation d’honnêteté et de conviction moins discutée, en a repris la direction. Toutes les luttes, tous les déchiremens qui avaient précédé la rupture de {{Mme}} Besant avec le christianisme, elle eut à les subir une seconde fois. Une autre se serait abîmée sous le ridicule, aurait succombé sous le poids de sa double