« Les Œuvres et les Hommes/Les Philosophes et les Écrivains religieux (1860)/Pascal » : différence entre les versions

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Et c’est aussi par là qu’il vivra toujours, le Pascal des ''Pensées''. Rien n’est plus immortel qu’un poëte, que la grandeur de sentiment qui fait les poëtes et les héros, car les héros sont aussi des poëtes, les poëtes de l’action ! Les Sciences vieillissent : bonnes femmes qui radotent en nous parlant de leur éternelle jeunesse. Les Philosophies se succèdent. Je ne veux pas dire que Descartes ne soit plus, mais il est bien changé ; on en a fait un universitaire. Quel aplatissement ! S’il revenait au monde, il se trouverait un peu ''verdi'' dans la ''mirette'' de M. Cousin. Après Kant, d’ailleurs, après Schelling, après Hegel, il faut convenir que, même sans M. Cousin, l’homme du ''cogito'' serait un peu terni. Mais Pascal, lui, le Pascal des ''Pensées'', n’a pas, comme on dit, pris un jour. Toute une armée de géomètres a passé pourtant sur le géomètre du dix-septième siècle et planté plus loin que la place où il était tombé l’étendard de la découverte ! Le jansénisme s’en est allé en fumée avec les autres poussières d’un siècle écroulé, et, jusqu’en ce beau livre des ''Pensées'', il s’est trouvé de vastes places qui maintenant font trou dans le reste, comme dans un tableau écaillé. La foi religieuse a pâli. La croyance au surnaturel, qui était le seul naturel pour Pascal, a diminué dans les esprits, retournés vers l’en-bas des choses. Il y a donc tout un Pascal de mort dans Pascal. Mais il y en a un autre qui ne mourra pas, c’est le poëte des ''Pensées'' ! c’est le poëte, qui est par-dessous tous ces raisonnements, tous ces doutes, toute celtecette syllogistique désespérée, toute cette algèbre de feu qui cherche l’inconnue et ne la trouve jamais, et qui, comme un phénix effrayé, aveuglé par les cendres du bûcher où il s’est consumé lui-même, se sauve tout à coup dans le ciel !
 
Du reste, on l’a traité en poëte, allez ! Le dix-huitième siècle, qui avait bien ses raisons pour ne pas aimer la poésie, l’a assez insolemment toisé du bas de sa prose, de sa raison et de sa froideur ! Un Jésuite l’avait appelé athée, ce Pascal qui tue l’intelligence sous Dieu ; des philosophes l’appelèrent visionnaire. Ils en firent un malade et ils inventèrent même une petite légende d’abîme ''qu’il'' ''voyait'' ''incessamment'' ''ouvert'' ''à'' ''ses'' ''pieds'', et cette légende, qui rapetissait Pascal, a eu crédit longtemps, et c’est un poëte, c’est M. Sainte-Beuve, qui, impatienté, l’a mise à la fin en pièces, l’autre jour !