« L’Ouvrier et la Machine » : différence entre les versions
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« Maudite machine ! » peste l’ouvrier, suant à grosse gouttes, las et découragé. "Maudite machine qui m’obliges à suivre ton rythme infernal, comme si, moi aussi, j’étais fait d’acier et entraîné par un moteur ! Je te hais, engin de malheur, car faisant le travail de dix, vingt ou trente ouvriers, tu m’ôtes le pain de la bouche — et tu me condamnes, ainsi que ma femme et mes enfants, à crever de faim."
La machine geint sous les coups du moteur, paraissant ainsi partager la fatigue de son compagnon de sang et de muscles. Toutes les pièces qui la composent sont en mouvement, ne s’arrêtant jamais. Certaines glissent, d’autres tressaillent. Celles-ci oscillent, celles-là pivotent, suintant l’huile noirâtre, couinant, trépidant, fatiguant la vue de l’esclave de chair et d’os qui doit suivre attentivement tous leurs mouvements et résister à l’abrutissement qu’ils provoquent pour ne pas se laisser prendre un doigt par un de ces rouages d’acier, ou perdre une main, un bras, voire la vie…
Les milles et une pièces de la machine sont en action. Elles tournent, glissent dans tous les sens, se rejoignent et s’écartent, suant d’infectes graisses, trépidant et couinant jusqu’à en avoir le vertige… La sombre machine n’offre pas un moment de répit. Elle respire bruyamment comme si elle était vivante. Elle semble épier la moindre seconde d’inattention de l’esclave humain pour lui mordre un doigt, lui arracher un bras, ou la vie…
À travers un soupirail pénètre une pâle lueur carcérale et sinistre. Le soleil lui-même se refuse à éclairer cet antre de misère, d’angoisse et de fatigue où se sacrifient de laborieuses existences au profit de vies stériles. Des bruits de pas viennent de l’extérieur —c’est le troupeau qui est en marche ! Des miasmes sont à l’affût dans chaque recoin de l’atelier. L’ouvrier tousse… tousse ! La machine geint… geint !
Des sons joyeux parviennent du dehors : ce sont des enfants qui passent, espiègles. Leurs rires, gracieux et innocents, effacent un instant la grisaille environnante, engendrant une sensation de fraîcheur semblable à celle que procure le chant d’un oiseau dans un moment d’abattement. L’émotion s’empare de l’ouvrier. Ses propres enfants gazouillent de même ! C’est ainsi qu’ils rient ! Et tout en regardant le mouvement des mécanismes, il se met à gamberger. Son esprit rejoint le fruit de ses amours, qui l’attend chez lui. Il frissonne à l’idée qu’un jour ses enfants devront eux aussi venir crever pour une machine dans la pénombre d’un atelier où les microbes pullulent.
La machine se met à trépider avec plus de vigueur, elle a cessé de geindre. De tous ses tendons de fer, de toutes ses vertèbres d’acier, des dures dents de ses rouages, de ses centaines de pièces infatigable, sort un son rauque plein de colère qui, traduit en langage humain, signifie : "Tais-toi, misérable ! Cesse de te plaindre, espèce de lâche ! Moi je ne suis qu’une machine, entraînée par un moteur, mais toi, tu as un cerveau et tu ne te révoltes pas, malheureux ! Arrête de te lamenter sans cesse, imbécile ! C’est ta lâcheté qui est cause de ton malheur, pas moi. Empare-toi de moi, arrache-moi des griffes de ce vampire qui te suce le sang, et travaille pour toi et les tiens, crétin ! En elles-mêmes, les machines sont un bienfait. Nous épargnons des efforts à l’homme, mais vous autres travailleurs, êtes si stupides que vous nous laissez aux mains de vos bourreaux, alors que vous nous avez fabriquées. Comment concevoir plus grande bêtise ? Tais-toi, ne dis plus un mot ! Si tu n’as pas le courage de rompre tes chaînes, alors cesse de te plaindre ! Allons, il est l’heure de sortir. Déguerpis et réfléchis ! "
Les paroles salutaires de la machine, associées à
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