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conquête à la domination française en dehors d’Europe et au-delà des mers. C’était le début de ce qu’on a appelé la politique coloniale, qui a, en effet, depuis ce moment, tenu la première place dans nos préoccupations, et qui demeurera le fait capital et caractéristique de la période de notre histoire que nous traversons.
conquête à la domination française en dehors d’Europe et au-delà des mers. C’était le début de ce qu’on a appelé la politique coloniale, qui a, en effet, depuis ce moment, tenu la première place dans nos préoccupations, et qui demeurera le fait capital et caractéristique de la période de notre histoire que nous traversons.


Je n’aborde pas ce sujet sans quelque embarras. Quand cette tendance vers une extension systématique de nos possessions coloniales s’est manifestée dans les mesures soumises aux assemblées législatives, où je siégeais encore, je suis de ceux qui en ont le plus tôt aperçu les premiers indices et qui ont cru devoir tout de suite s’y vivement opposer. Depuis lors, cette résistance plusieurs fois renouvelée ayant été vaine, les événemens ont marché ; le système s’est développé ; le drapeau français a été porté dans des régions lointaines qui n’ont pas été soumises sans de grands efforts, et d’où il y aurait aujourd’hui peu d’honneur et peu de sécurité à l’enlever brusquement. Il est pénible et peut paraître superflu de récriminer contre des faits consommés sur lesquels (tout en n’ayant pas cessé de les regretter) on n’oserait demander de revenir parce que cette retraite ne pourrait s’opérer que par l’aveu d’un mécompte humiliant et aux dépens d’intérêts respectables qui se trouveraient abandonnés après avoir été compromis. Déplus, les luttes soutenues à plusieurs reprises et sur plusieurs théâtres pour mener à fin ces entreprises coloniales ont donné lieu à des faits de guerre d’un grand éclat où le tempérament français s’est retrouvé avec son admirable mélange d’intelligence et d’ardeur. On a joui de cette consolation. Nous étions sûrs de notre armée ; elle était sûre d’elle-même ; mais on a été heureux des occasions qu’elle trouvait de manifester cette confiance et de l’inspirer au monde qui l’a regardée faire. Comment voir aussi sans émotion avec quelle passion juvénile des imaginations de vingt ans, lassées du régime de patience et de prudence auquel nous les condamnons dans le vieux monde, se lancent dans ces voies inexplorées où on leur permet, en bravant beaucoup de périls, de prétendre encore à quelque gloire ? On aurait regret à refroidir par des paroles chagrines l’élan généreux qui entraîne la génération qui nous suit à la découverte et à la conquête d’un monde inconnu ? Croisade d’un nouveau genre où ont déjà figuré, au prix de leur vie, des héritiers des plus grands noms et qui, par le fait d’un généreux atavisme, semble exercer un attrait irrésistible sur les descendans de Philippe-Auguste et de saint Louis. Le rôle de Nestor gourmandant la jeunesse, bien qu’il n’ait rien d’étonnant à mon âge, n’a rien de bien flatteur à remplir.
Je n’aborde pas ce sujet sans quelque embarras. Quand cette tendance vers une extension systématique de nos possessions coloniales s’est manifestée dans les mesures soumises aux assemblées législatives, où je siégeais encore, je suis de ceux qui en ont le plus tôt aperçu les premiers indices et qui ont cru devoir tout de suite s’y vivement opposer. Depuis lors, cette résistance plusieurs fois renouvelée ayant été vaine, les événemens ont marché ; le système s’est développé ; le drapeau français a été porté dans des régions lointaines qui n’ont pas été soumises sans de grands efforts, et d’où il y aurait aujourd’hui peu d’honneur et peu de sécurité à l’enlever brusquement. Il est pénible et peut paraître superflu de récriminer contre des faits consommés sur lesquels (tout en n’ayant pas cessé de les regretter) on n’oserait demander de revenir parce que cette retraite ne pourrait s’opérer que par l’aveu d’un mécompte humiliant et aux dépens d’intérêts respectables qui se trouveraient abandonnés après avoir été compromis. De plus, les luttes soutenues à plusieurs reprises et sur plusieurs théâtres pour mener à fin ces entreprises coloniales ont donné lieu à des faits de guerre d’un grand éclat où le tempérament français s’est retrouvé avec son admirable mélange d’intelligence et d’ardeur. On a joui de cette consolation. Nous étions sûrs de notre armée ; elle était sûre d’elle-même ; mais on a été heureux des occasions qu’elle trouvait de manifester cette confiance et de l’inspirer au monde qui l’a regardée faire. Comment voir aussi sans émotion avec quelle passion juvénile des imaginations de vingt ans, lassées du régime de patience et de prudence auquel nous les condamnons dans le vieux monde, se lancent dans ces voies inexplorées où on leur permet, en bravant beaucoup de périls, de prétendre encore à quelque gloire ? On aurait regret à refroidir par des paroles chagrines l’élan généreux qui entraîne la génération qui nous suit à la découverte et à la conquête d’un monde inconnu ? Croisade d’un nouveau genre où ont déjà figuré, au prix de leur vie, des héritiers des plus grands noms et qui, par le fait d’un généreux atavisme, semble exercer un attrait irrésistible sur les descendans de Philippe-Auguste et de saint Louis. Le rôle de Nestor gourmandant la jeunesse, bien qu’il n’ait rien d’étonnant à mon âge, n’a rien de bien flatteur à remplir.