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avait déshonoré Lucrèce, mais pour avoir brisé le lien de toutes les lois, et gouverné despotiquement l’État, en enlevant au sénat toute son autorité pour la retenir dans ses mains. Ainsi toutes les affaires que le sénat romain traitait à sa satisfaction sur la place publique, il les attira à lui seul dans son propre palais, au grand regret des sénateurs, jaloux de leurs priviléges ; de sorte qu’en peu de temps il dépouilla Rome de toutes les libertés qu’elle avait su conserver sous ses autres rois. Il ne se contenta pas de s’aliéner les patriciens, il excita encore le peuple contre lui, en le fatiguant de travaux manuels entièrement étrangers à ceux auxquels l’avaient employé ses prédécesseurs : tellement que les exemples de cruauté et d’orgueil dont il avait rempli Rome avaient déjà disposé tous les esprits à saisir la première occasion favorable de se soulever contre lui ; et si l’affront fait à Lucrèce n’avait point eu lieu, le premier événement qui serait survenu aurait enfanté des résultats semblables. Mais si Tarquin avait suivi la même conduite que les autres rois, et que Sextus eût commis le même crime, c’est à Tarquin lui-même, et non au peuple romain, que Brutus et Collatin se seraient adressés pour demander vengeance contre le coupable.
avait déshonoré Lucrèce, mais pour avoir brisé le lien de toutes les lois, et gouverné despotiquement l’État, en enlevant au sénat toute son autorité pour la retenir dans ses mains. Ainsi toutes les affaires que le sénat romain traitait à sa satisfaction sur la place publique, il les attira à lui seul dans son propre palais, au grand regret des sénateurs, jaloux de leurs priviléges ; de sorte qu’en peu de temps il dépouilla Rome de toutes les libertés qu’elle avait su conserver sous ses autres rois. Il ne se contenta pas de s’aliéner les patriciens, il excita encore le peuple contre lui, en le fatiguant de travaux manuels entièrement étrangers à ceux auxquels l’avaient employé ses prédécesseurs : tellement que les exemples de cruauté et d’orgueil dont il avait rempli Rome avaient déjà disposé tous les esprits à saisir la première occasion favorable de se soulever contre lui ; et si l’affront fait à Lucrèce n’avait point eu lieu, le premier événement qui serait survenu aurait enfanté des résultats semblables. Mais si Tarquin avait suivi la même conduite que les autres rois, et que Sextus eût commis le même crime, c’est à Tarquin lui-même, et non au peuple romain, que Brutus et Collatin se seraient adressés pour demander vengeance contre le coupable.


Que les princes soient donc convaincus que leur empire commence à leur échapper à l’instant même où ils commencent à fouler aux pieds les lois et les coutumes antiques sous lesquelles les hommes étaient depuis longtemps habitués à vivre. Si, lorsqu’ils ont perdu leur couronne, ils pouvaient devenir assez sages pour connaître combien il est facile de conduire un empire quand on n’écoute que de bonnes résolutions, les regrets de leur perte en seraient bien plus vifs, et ils se condamneraient à des peines bien plus cruelles que celles que leurs sujets leur auraient infligées ; car il est bien plus aisé d’être chéri des bons que des méchants, et d’obéir aux lois que de vouloir leur commander. S’ils désirent savoir quelle marche ils ont
Que les princes soient donc convaincus que leur empire commence à leur échapper à l’instant même où ils commencent à fouler aux pieds les lois et les coutumes antiques sous lesquelles les hommes étaient depuis longtemps habitués à vivre. Si, lorsqu’ils ont perdu leur couronne, ils pouvaient devenir assez sages pour connaître combien il est facile de conduire un empire quand on n’écoute que de bonnes résolutions, les regrets de leur perte en seraient bien plus vifs, et ils se condamneraient à des peines bien plus cruelles que celles que leurs sujets leur auraient infligées ; car il est bien plus aisé d’être chéri des bons que des méchants, et d’obéir aux lois que de vouloir leur commander. S’ils désirent savoir quelle marche ils ont