« La Rabouilleuse » : différence entre les versions

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Nouvelle page : <div class="text"> {{Titre||Honoré de Balzac|}} ''Monsieur Charles Nodier,'' ''Membre de l’Académie française, bibliothécaire à l’Arsenal.'' ''Voici, mon cher Nodier,...
 
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Un garçon du caractère de Max devait se distinguer, et il se distingua si bien qu’en trois campagnes il devint capitaine, car le peu d’instruction qu’il avait reçue le servit puissamment. En 1809,en Portugal,, il fut laissé pour mort dans une batterie anglaise où sa compagnie avait pénétré sans avoir pu s’y maintenir. Max, pris par les Anglais, fut envoyé sur les pontons espagnols de Cabrera, les plus horribles de tous. On demanda bien pour lui la croix de la Légion-d’Honneur et le grade de chef de bataillon ; mais l’Empereur était alors en Autriche, il réservait ses faveurs aux actions d’éclat qui se faisaient sous ses yeux ; il n’aimait pas ceux qui se laissaient prendre, et fut d’ailleurs assez mécontent des affaires de Portugal. Max resta sur les pontons de 1810 à 1814. Pendant ces quatre années, il s’y démoralisa complètement, car les pontons étaient le Bagne, moins le crime et l’infamie. D’abord, pour conserver son libre arbitre et se défendre de la corruption qui ravageait ces ignobles prisons indignes d’un peuple civilisé, le jeune et beau capitaine tua en duel (on s’y battait en duel dans un espace de six pieds carrés) sept bretteurs ou tyrans, dont il débarrassa son ponton, à la grande joie des victimes. Max régna sur son ponton, grâce à l’habileté prodigieuse qu’il acquit dans le maniement des armes, à sa force corporelle et son adresse. Mais il commit à son tour des actes arbitraires, il eut des complaisants qui travaillèrent pour lui, qui se firent ses courtisans. Dans cette école de douleur, où les caractères aigris ne rêvaient que vengeance, où les sophismes éclos dans ces cervelles entassées légitimaient les pensées mauvaises, Max se déprava tout à fait. Il écouta les opinions de ceux qui rêvaient la fortune à tout prix, sans reculer devant les résultats d’une action criminelle, pourvu qu’elle fût accomplie sans preuves. Enfin, à la paix, il sortit perverti quoique innocent, capable d’être un grand politique dans une haute sphère, et un misérable dans la vie privée, selon les circonstances de sa destinée. De retour à Issoudun, il apprit la déplorable fin de son père et de sa mère. Comme tous les gens qui se livrent à leurs passions et qui font, selon le proverbe, la vie courte et bonne, les Gilet étaient morts dans la plus affreuse indigence, à l’hôpital. Presque aussitôt la nouvelle du débarquement de Napoléon à Cannes se répandit par toute la France. Max n’eut alors rien de mieux à faire que d’aller demander à Paris son grade de chef de bataillon et sa croix. Le Maréchal qui eut alors le portefeuille de la guerre se souvint de la belle conduite du capitaine Gilet en Portugal ; il le plaça dans la Garde comme capitaine, ce qui lui donnait, dans la Ligne, le grade de chef de bataillon ; mais il ne put lui obtenir la croix. — L’Empereur a dit que vous sauriez bien la gagner à la première affaire, lui dit le Maréchal. En effet, l’Empereur nota le brave capitaine pour être décoré le soir du combat de Fleurus, où Gilet se fit remarquer. Après la bataille de Waterloo, Max se retira sur la Loire. Au licenciement, le Maréchal Feltre ne reconnut à Gilet ni son grade ni sa croix. Le soldat de Napoléon revint à Issoudun dans un état d’exaspération assez facile à concevoir, il ne voulait servir qu’avec la croix et le grade de chef de bataillon. Les Bureaux trouvèrent ces conditions exorbitantes chez un jeune homme de vingt-cinq ans, sans nom, et qui pouvait devenir ainsi colonel à trente ans. Max envoya donc sa démission. Le commandant, car entre eux les Bonapartistes se reconnurent les grades acquis en 1815, perdit ainsi le maigre traitement, appelé la demi-solde, qui fut alloué aux officiers de l’armée de la Loire. En voyant ce beau jeune homme, dont tout l’avoir consistait en vingt napoléons, on s’émut à Issoudun en sa faveur, et le maire lui donna une place de six cents francs d’appointements à la Mairie. Max, qui remplit cette place pendant six mois environ, la quitta de lui-même, et fut remplacé par un capitaine nommé Carpentier, resté comme lui fidèle à Napoléon. Déjà Grand-Maître de l’ordre de la Désœuvrance, Gilet avait pris un genre de vie qui lui fit perdre la considération des premières familles de la ville, sans qu’on le lui témoignât d’ailleurs ; car il était violent et redouté par tout le monde, même par les officiers de l’ancienne armée, qui refusèrent comme lui de servir, et qui revinrent planter leurs choux en Berry. Le peu d’affection des gens nés à Issoudun pour les Bourbons n’a rien de surprenant d’après le tableau qui précède. Aussi, relativement à son peu d’importance, y eut-il dans cette petite ville plus de Bonapartistes que partout ailleurs. Les Bonapartistes se firent, comme on sait, presque tous Libéraux. On comptait à Issoudun ou dans les environs une douzaine d’officiers dans la position de Maxence, et qui le prirent pour chef, tant il leur plut ; à l’exception cependant de ce Carpentier, son successeur, et d’un certain monsieur Mignonnet, ex-capitaine d’artillerie dans la Garde. Carpentier, officier de cavalerie parvenu, se maria tout d’abord, et appartint à l’une des familles les plus considérables de la ville, les Borniche-Héreau. Mignonnet, élevé à l’Ecole Polytechnique, avait servi dans un corps qui s’attribue une espèce de supériorité sur les autres. Il y eut, dans les armées impériales, deux nuances chez les militaires. Une grande partie eut pour le bourgeois, pour ''le péquin'', un mépris égal à celui des nobles pour les vilains, du conquérant pour le conquis. Ceux-là n’observaient pas toujours les lois de l’honneur dans leurs relations avec le Civil, ou ne blâmaient pas trop ceux qui sabraient le bourgeois. Les autres, et surtout l’Artillerie, par suite de son républicanisme peut-être, n’adoptèrent pas cette doctrine, qui ne tendait à rien moins qu’à faire deux Frances : une France militaire et une France civile. Si donc le commandant Potel et le capitaine Renard, deux officiers du faubourg de Rome, dont les opinions sur les péquins ne varièrent pas, furent les amis ''quand même'' de Maxence Gilet, le commandant Mignonnet et le capitaine Carpentier se rangèrent du côté de la bourgeoisie, en trouvant la conduite de Max indigne d’un homme d’honneur. Le commandant Mignonnet, petit homme sec, plein de dignité, s’occupa des problèmes que la machine à vapeur offrait à résoudre, et vécut modestement en faisant sa société de monsieur et de madame Carpentier. Ses mœurs douces et ses occupations scientifiques lui méritèrent la considération de toute la ville. Aussi disait-on que messieurs Mignonnet et Carpentier étaient de ''tout autres gens'' que le commandant Potel et les capitaines Renard, Maxence et autres habitués du café Militaire qui conservaient les mœurs soldatesques et les errements de l’Empire.
 
Au moment où madame Bridau revenait à Issoudun, Max était donc exclus du monde bourgeois. Ce garçon se rendait d’ailleurs lui-même justice en ne se présentant point à la Société, dite le Cercle, et ne se plaignant jamais de la triste réprobation dont il était l’objet, quoiqu’il fût le jeune homme le plus élégant, le mieux mis de tout Issoudun, qu’il y fît une grande dépense et qu’il eût, par exception, un cheval, chose aussi étrange à Issoudun que celui de lord Byron à Venise. On va voir comment, pauvre et sans ressources, Maxence fut mis en état d’être le fashionable d’Issoudun ; car les moyens honteux qui lui valurent le mépris des gens timorés ou religieux tiennent aux intérêts qui amenaient Agathe et Joseph à Issoudun. À l’audace de son maintien, à l’expression de sa physionomie, Max paraissait se soucier fort peu de l’opinion publique ; il comptait sans doute prendre un jour sa revanche, et régner sur ceux-là mêmes qui le méprisaient. D’ailleurs, si la bourgeoisie mésestimait Max, l’admiration que son caractère excitait parmi le peuple formait un contre-poids à cette opinion ; son courage, sa prestance, sa décision devaient plaire à la masse, à qui sa dépravation fut d’ailleurs inconnue, et que les bourgeois ne soupçonnaient même point dans tontetoute son étendue. Max jouait à Issoudun un rôle presque semblable à celui du Forgeron dans la Jolie Fille de Perth, il y était le champion du Bonapartisme et de l’Opposition. On comptait sur lui comme les bourgeois de Perth comptaient sur Smith dans les grandes occasions. Une affaire mit surtout en relief le héros et la victime des Cent-Jours.
 
En 1819, un bataillon commandé par des officiers royalistes, jeunes gens sortis de la Maison Rouge, passa par Issoudun en allant à Bourges y tenir garnison. Ne sachant que faire dans une ville aussi constitutionnelle qu’Issoudun, les officiers allèrent passer le temps au Café Militaire. Dans toutes les villes de province, il existe un Café Militaire. Celui d’Issoudun, bâti dans un coin du rempart sur la Place d’Armes et tenu par la veuve d’un ancien officier, servait naturellement de club aux Bonapartistes de la ville, aux officiers en demi-solde, ou à ceux qui partageaient les opinions de Max et à qui l’esprit de la ville permettait l’expression de leur culte pour l’Empereur. Dès 1816, il se fit à Issoudun, tous les ans, un repas pour fêter l’anniversaire du couronnement de Napoléon. Les trois premiers Royalistes qui vinrent demandèrent les journaux, et entre autres la ''Quotidienne'', le ''Drapeau Blanc''. Les opinions d’Issoudun, celles du Café Militaire surtout, ne comportaient point de journaux royalistes. Le Café n’avait que le ''Commerce'', nom que le Constitutionnel, supprimé par un Arrêt, fut forcé de prendre pendant quelques années. Mais, comme en paraissant pour la première fois sous ce titre, il commença son Premier Paris par ces mots : ''Le Commerce est essentiellement Constitutionnel'', on continuait à l’appeler le Constitutionnel. Tous les abonnés saisirent le calembour plein d’opposition et de malice par lequel on les priait de ne pas faire attention à l’enseigne, le vin devant être toujours le même. Du haut de son comptoir, la grosse dame répondit aux Royalistes qu’elle n’avait pas les journaux demandés. — Quels journaux recevez-vous donc ? fit un des officiers, un capitaine. Le garçon, un petit jeune homme en veste de drap bleu, et orné d’un tablier de grosse toile, apporta le ''Commerce''. — Ah ! c’est là votre journal, en avez-vous un autre ? — Non, dit le garçon, c’est le seul. Le capitaine déchire la feuille de l’Opposition, la jette en morceaux, et crache dessus en disant : — Des dominos ! En dix minutes, la nouvelle de l’insulte faite à l’Opposition constitutionnelle et au libéralisme dans la personne du sacro-saint journal, qui attaquait les prêtres avec le courage et l’esprit que vous savez, courut par les rues, se répandit comme la lumière dans les maisons ; on se la conta de place en place. Le même mot fut à la fois dans toutes les bouches : — Avertissons Max ! Max sut bientôt l’affaire. Les officiers n’avaient pas fini leur partie de dominos que Max, accompagné du commandant Potel et du capitaine Renard, suivi de trente jeunes gens curieux de voir la fin de cette aventure et qui presque tous restèrent groupés sur la place d’Armes, entra dans le café. Le café fut bientôt plein. — Garçon, mon journal ? dit Max d’une voix douce. On joua une petite comédie. La grosse femme, d’un air craintif et conciliateur, dit : — Capitaine, je l’ai prêté. — Allez le chercher, s’écria un des amis de Max. — Ne pouvez-vous pas vous passer du journal ? dit le garçon, nous ne l’avons plus. Les jeunes officiers riaient et jetaient des regards en coulisse sur les bourgeois. — On l’a déchiré ! s’écria un jeune homme de la ville en regardant aux pieds du jeune capitaine royaliste.
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— On me l’a dit, répondit-elle.
 
— Il est naturel que, si les circonstances m’ont contraint à vous faire du mal, je veuille vous faire le plus de bien possible. La fortune, la considération et une famille valent mieux que ce que vous avez perdu. Mon oncle mort, vous n’eussiez pas été long-temps la femme de ce garçon, car j’ai su de ses amis qu’il ne vous réservait pas un beau sort. Tenez, ma chère petite, entendons-nous ? nous vivrons tous heureux. Vous serez ma tante, et ''rien que ma tante''. Vous aurez soin que mon oncle ne m’oublie pas dans son testament ; de mon côté, vous verrez comme je vous ferai traiter dans votre contrat de mariage… Calmez-vous, pensez à cela, nous en reparlerons. Vous le voyez, les gens les plus sensés, tontetoute la ville vous conseille de faire cesser une position illégale, et personne ne vous en veut de me recevoir. On comprend que, dans la vie, les intérêts passent avant les sentiments. Vous serez, le jour de votre mariage, plus belle que vous n’avez jamais été. Votre indisposition en vous pâlissant vous a rendu de la distinction. Si mon oncle ne vous aimait pas follement, parole d’honneur, dit-il en se levant et lui baisant la main, vous seriez la femme du colonel Bridau.
 
Philippe quitta la chambre en laissant dans l’âme de Flore ce dernier mot pour y réveiller une vague idée de vengeance qui sourit à cette fille, presque heureuse d’avoir vu ce personnage effrayant à ses pieds. Philippe venait de jouer en petit la scène que joue Richard III avec la reine qu’il vient de rendre veuve. Le sens de cette scène montre que le calcul caché sous un sentiment entre bien avant dans le cœur et y dissipe le deuil le plus réel. Voilà comment dans la vie privée la Nature se permet ce qui, dans les œuvres du génie, est le comble de l’Art ; son moyen, à elle, est ''l’intérêt'', qui est le génie de l’argent.