« Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/99 » : différence entre les versions

Kirst (discussion | contributions)
(Aucune différence)

Version du 3 août 2015 à 11:20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

embrassée, très émue. Notre vieille Marguerite me fît asseoir et posa devant moi une tasse de bouillon froid, qu’elle avait si longtemps et si tendrement fait réduire que ce bouillon était une délicieuse gelée que j’avalai en une seconde. J’étais pressée de partir.

En quittant ma chaise, je me levai si brusquement que ma robe se déchira à je ne sais quel éclat de bois invisible. Maman se retourna fâchée vers un visiteur qui venait d’entrer depuis cinq minutes et qui restait dans l’admiration contemplative : « Tenez, voilà la preuve de ce que je vous disais ; toutes vos soies se déchirent au moindre mouvement. — Mais, reprit vivement l’interpellé, je vous ai dit que celle-là était par trop cuite, et vous l’ai laissée pour cela à si bon compte. »

Celui qui parlait ainsi était un jeune juif pas laid ; il était timide et Hollandais ; il était sans violence, mais tenace. Je le connaissais depuis mon enfance. Son père, ami de mon grand-père maternel, était un commerçant riche, mais père d’une nombreuse tribu. Il envoya ses fils, dotés d’un léger pécule, chercher fortune où bon leur semblerait. Jacques, celui dont je parle, était venu à Paris. Il avait d’abord vendu des pains de Pâques ; et il vint souvent, jeune garçon, m’en apporter au couvent avec les gâteries que maman m’envoyait. Puis, quelle ne fut pas ma surprise de le voir, un jour de sortie, offrant à maman des rouleaux de toile cirée qui servaient de nappe pour le premier déjeuner. Je me souviens d’une de ces toiles dont l’encadrement était fait par des médaillons représentant tous les rois de France. C’est sur cette toile cirée que j’appris le mieux mon histoire. Enfin il était depuis un mois possesseur d’une petite tapissière assez élégante, et il vendait des soies trop cuites. Il est main-