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fallait, dans son couvent, un permis spécial pour rentrer après dix heures.

Restée seule, je me balançai dans mon fauteuil de paille qui n’avait rien du rocking-chair. Je me pris à penser. Et pour la première fois, ma compréhension critique se fit jour.

Ainsi, tout ce dérangement de gens graves : le notaire appelé du Havre, mon oncle arraché au travail de son livre, le vieux garçon M. Meydieu dérangé de ses habitudes, mon parrain détourné de la Bourse, et cet élégant et sceptique de Morny terré pendant deux heures dans ce petit milieu bourgeois, tout cela aboutissait à cette décision : « On va la conduire au théâtre. »

Je ne sais quelle part mon oncle avait prise à ce burlesque projet, mais je doute qu’il fût de son goût.

Néanmoins j’étais contente d’aller au théâtre. Je me sentais plus importante. Je m’étais levée encore enfant, et en quelques heures, les événements me rendaient jeune fille.

On avait discuté à propos de moi. J’avais pu exprimer ma volonté, sans résultat, c’est vrai ; mais je l’avais quand même exprimée.

Et enfin, on sentait le besoin de me choyer, de me gâter pour gagner mon adhésion. On ne pouvait pas me forcer à vouloir ce qu’on voulait ; il fallait mon consentement. Et je me sentais si joyeuse, si orgueilleuse de cela, que j’en étais attendrie et presque décidée à le donner.

Mais, je me disais que tout de même je me ferais prier.


Après le dîner, on s’entassa dans un fiacre : maman, mon parrain, Mlle de Brabender et moi.