« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Fleuron » : différence entre les versions

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exemple, donnent souvent un ornement régulier, parfaitement propre à
terminer un sommet; ils voient que ces pistils sont habituellement accompagnés
d'un collet et d'appendices. Ils interprètent donc, sans trop cher-*chercher à imiter servilement la nature, ces formes végétales; ils en saisissent
 
[Illustration: Fig. 1.]
 
le caractère puissant, vivace, et composent des fleurons comme
celui-ci
(2), qui date des dernières années du XII<sup>e</sup> siècle et provient des gâbles
inférieurs des contre-forts de la cathédrale de Paris (côté nord).
Cette
forme simple ne leur paraît pas présenter une silhouette assez découpée,
ces artistes recourent encore à la nature, et ils ouvrent davantage les
folioles qui accompagnent le pistil (3)<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]], de manière à obtenir un épanouissement;
ou bien encore, un peu plus tard (vers 1220), ils recherchent
l'imitation des bourgeons (4)<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]]; ils les dissèquent, ils en enlèvent certaines
parties, comme l'indique cette couronne A de pétioles coupés, pour
dégager la tige principale B; puis ils commencent à mêler à cette
végétation
des formes géométriques, des profils C d'architecture sans la bague
imitée d'un fruit. Tout en étudiant avec soin les végétaux, les sculpteurs
du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle ne les copient pas servilement; ils les
soumettent aux dispositions monumentales, à l'échelle de l'architecture.
De l'imitation du pistil des fleurs, des graines, des bourgeons, ils arrivent
bientôt à l'imitation de la feuille développée, mais en soumettant
toujours
cette imitation aux données décoratives qui conviennent à la sculpture
sur pierre (5)<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. Ils savent allier la pondération des masses à la liberté du
végétal.
 
[Illustration: Fig. 2.]
 
[Illustration: Fig. 3.]
 
Les tiges des fleurons présentent, à dater du commencement du
XIII<sup>e</sup> siècle, des sections carrées ou octogones; ces tiges se divisent toujours
en quatre membres de feuillages à un seul étage, avec bouton
supérieur, ou à deux étages. Dans ce dernier cas, les feuilles du deuxième
rang alternent avec celles du premier, de manière à contrarier les lignes
de fuite produites par la perspective, à donner plus de mouvement et plus
d'effet à ces amortissements décoratifs, ainsi que l'indique la fig. 6, et à
redresser par l'appositlon des ombres et des lumières la ligne verticale.
Souvent les épanouissements des fleurons ne sont autre chose que des
<i>crochets</i>, comme ceux qui accompagnent les rampants des gâbles ou des
pinacles (7)<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]].
 
[Illustration: Fig. 4.]
 
C'est vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle que les fleurons, d'une grande
dimension, portent deux rangs de feuilles. Tous les membres de
l'architecture
tendant à s'élever, à faire dominer la ligne verticale, il fallait
donner une importance de plus en plus considérahle à ces couronnements
des parties aiguës des édifices. L'imitation des végétaux devenait plus
scrupuleuse, plus fine, mais aussi moins monumentale. Cette végétation
 
[Illustration: Fig. 5.]
 
ne tenait point à la pierre, elle était comme une superposition; ce n'était
plus la pierre elle-même qui s'épanouissait, mais bien des feuillages
entourant un noyau d'une forme géométrique (8)<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]]. Ce que l'on ne saurait
 
[Illustration: Fig. 6.]
 
[Illustration: Fig. 7.]
 
trop admirer dans ces amortissements de gâbles, de pinacles, c'est leur
juste proportion par rapport aux membres de l'architecture qu'ils
couronnent.
Il y a une aisance, une grâce, une finesse de contour, une
[Illustration: Fig. 8.]
 
fermeté dans ces terminaisons, bien difficiles à reproduire pour nous,
habitués que nous sommes à l'ornementation sèche et banale des temps
modernes. Ou, par suite d'une fausse interprétation de la sculpture
antique, nous penchons vers l'ornementation de convention, symétrique,
morte, fossile, copiée sur des copies; ou nous nous lançons dans le
domaine du caprice, de la fantaisie, parce qu'il y a un siècle des artistes
possédant plus de verve que de goût nous ont ouvert cette voie
dangereuse.
Autant la fantaisie est séduisante parfois, lorsqu'elle arrive
naturellement,
qu'elle est une boutade de l'esprit, autant elle fatigue si on la
cherche. Les ornements que nous fournit cet article (ornements d'une
importance singulière, puisqu'ils servent de terminaison aux parties
dominantes des édifices) ne sont point le résultat d'un caprice, mais bien
de l'étude attentive et fine des végétaux. Il y a une flore gothique qui a
ses lois, son harmonie, sa raison d'exister pour ainsi dire, comme la flore
naturelle; on la retrouve dans les bandeaux, dans les chapiteaux, et
surtout dans ces fleurons de couronnements, si visibles, se détachant
souvent sur le ciel, dont le galbe, le modelé, l'allure, peuvent gâter un
monument ou lui donner un aspect attrayant. La variété des fleurons du
XIII<sup>e</sup> siècle est infinie, car, bien que nos édifices de cette époque en soient
couverts, on n'en connaît pas deux qui aient été sculptés sur un même
modèle. Aussi n'en pouvons-nous présenter à nos lecteurs qu'un
très-petit
nombre, en choisissant ceux qui se distinguent par des dispositions
particulières ou par une grande perfection d'exécution.
 
Dans les édifices de l'Île-de-France et de la Champagne, ces fleurons
sont incomparablement plus beaux et variés que dans les autres provinces;
ils sont aussi mieux proportionnés, plus largement composés et exécutés.
Ceux, en grand nombre, qu'on voit encore autour de la cathédrale de
Paris, ceux du tombeau de Dagobert à Saint-Denis, ceux de l'église de
Poissy (9) qui terminent les arcs-boutants du chœur, ceux de la cathédrale
de Reims (nous parlons des anciens), sont, la plupart, d'un bon style et
exécutés de main de maître.
 
Autour des balustrades supérieures de Notre-Dame de Paris, on peut
voir des fleurons, à base carrée, terminant les pilastres, qui sont d'une
largeur de style incomparable (voy. <sc>BALUSTRADE</sc>, fig. 10).
Ceux de la balustrade
extérieure de la galerie du chœur, dont nous avons recueilli des
débris, avaient un caractère de puissance et d'énergie qu'on ne trouve
exprimé au même degré dans aucun autre monument de cette époque
(commencement du XIII<sup>e</sup> siècle) [10].
 
Vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, ces ornements deviennent plus refouillés,
imitent servilement la flore, puis ils adoptent des formes toutes particulières
empruntées aux excroissances de la feuille de chêne (noix de galle),
aux feuilles d'eau. Cette transition est sensible dans l'église de Saint-Urbain
de Troyes, élevée pendant les dernières années du XIII<sup>e</sup> siècle. Les
grands fleurons à trois rangs de feuilles qui terminent les gâbles des
fenêtres sont sculptés avec une hardiesse, une désinvolture qui atteignent
l'exagération (11).
 
Pendant le XIV<sup>e</sup> siècle, les fleurons ne sont composés,
habituellement,
que de la réunion de quatre ou huit crochets, suivant les formes
 
[Illustration: Fig. 9.]
 
données alors à cet ornement. La décoration, à cette époque, devient
 
[Illustration: Fig. 10.]
 
monotone comme les lignes de l'architecture. Cependant ces fleurons
sont sculptés avec une verve et un entrain remarquables (12). On voit
d'assez beaux fleurons à la cathédrale d'Amiens, autour de celle de Paris,
à Saint-Ouen de Rouen, à Saint-Étienne d'Auxerre, à la cathédrale de
Clermont, à Saint-Just de Narbonne et à Saint-Nazaire de Carcassonne;
mais le grand défaut de la sculpture du XIV<sup>e</sup> siècle, c'est le manque de
variété, et ce défaut est particulièrement choquant lorsqu'il s'agit de
couronnements qui se voient tous à peu près dans les mêmes conditions.
 
[Illustration: Fig. 11.]
 
Au XV<sup>e</sup> siècle, les fleurons qui terminent les pinacles ou les gâbles sont
souvent dépouillés de feuillages, ce sont de simples amortissements de
formes géométriques dans le genre de la fig. 13. Cependant si l'édifice
est très-richement sculpté, comme, par exemple, le tour du chœur de
l'église abbatiale d'Eu, ces amortissements se revêtent de feuilles d'eau ou
plutôt d'un ornement qui ressemble assez à des algues marines (14). Vers
1500, les fleurons ne sont autre chose que la réunion des crochets des
rampants de gâbles ou de pinacles, et finissent par une longue tige
prismatique (voy. CONTRE-COURBE, fig. 2; CROCHET,
FENÊTRE, fig. 42; GÂBLE,
PINACLE).
 
[Illustration: Fig. 12.]
 
On donne aussi le nom de <i>fleurons</i> à des épanouissements de feuilles
qui terminent des <i>redents</i> (voy. ce mot).
 
Que les fleurons de couronnement appartiennent au XIII<sup>e</sup> ou au XV<sup>e</sup> siècle,
 
[Illustration: Fig. 13.]
 
[Illustration: Fig. 14.]
 
ils sont toujours bien plantés, fièrement galbés, en rapports parfaits de
proportion avec les parties de l'architecture qu'ils surmontent. Les architectes
gothiques savaient couronner leurs édifices. Notre attention doit
d'autant plus se porter sur ces qualités, qu'aujourd'hui la plupart de nos
monuments modernes pèchent évidemment par le défaut contraire. L'ère
classique, qui finit, regardait les couronnements comme une superfétation
de mauvais goût. Les Grecs et les Romains ne manquaient pas cependant
de terminer les parties supérieures de leurs édifices par des ornements
en pierre, en marbre ou en métal, qui se découpaient sur le ciel; mais
les exemples n'existant plus en place, il était convenu que l'architecture
antique se passait de ces accessoires. C'était un moyen d'éluder la difficulté.
Peu à peu cependant les études archéologiques, l'inspection de
fragments épars, de médailles, ont fait reconnaître que les anciens étaient
loin de se priver de ces ressources décoratives; on chercha donc timidement
et un peu au hasard à rompre les lignes sèches et froides de nos
palais, de nos édifices publics: or, lorsqu'il s'agit de silhouettes, ce qu'il
faut, ce sont des tracés hardis, un coup d'œil sûr, l'expérience de l'effet
perspectif, l'observation du jeu des ombres. Cette expérience, il nous faut
l'acquérir, car nous l'avons absolument perdue.
 
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<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Des gâbles de contre-forts des tours de la cathédrale de Paris.
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : De la façade de l'église abbatiale de Vézelay.
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : De la cathédrale de Troyes (1225 environ).
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : De la cathédrale d'Amiens; façade (1230 environ).
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Du portail du nord de la cathédrale de Paris (1260).