« La Morale de Nietzsche » : différence entre les versions

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Publié, il y a près de trois ans dans un recueil périodique, mais composé il y en a plus de cinq, c'est-à-dire avant que Nietzsche ne fût encore lisible en français, ce travail nous avait paru perdre toute utilité à la suite de la belle et complète traduction du grand psychologue donnée par M,. Henri Albert et ses collaborateurs.
 
Nous avions voulu initier ou plutôt « amorcer » aux idées de Nietzsche quelques jeunes esprits particulièrement capables d'en tirer profit comme il venait de nous arriver à nous* -même et d'en recevoir non un joug, mais une stimulation dans leur développement.
 
Ayant eu cependant l'occasion de connaître quelques-uns des plus notables exposés de Nietzsche donnés dans nos revues depuis cette époque, nous avons dû cesser de croire toute lumière faite sur des conceptions qui demanderaient, pour être bien comprises et justement appliquées, plus de perspicacité psychologique que d'érudition philosophique.
 
Le petit nombre de personnes qui avait eu l'indulgence de s'intéresser à cette étude, lors de sa première apparition, est averti que nous l'avons amendée et complétée autant qu'il était possible sans en altérer le premier accent. Travail délicat t Car nous n'avions pas laissé passer pour parler de Nietzsche Vheurel'heure où nous subissions de sa part un tout nouvel et assez vif entraînement. Nietzsche nous a surtout aidé ainsi que maint autre de notre génération à rentrer en jouissance de certaines vérités naturelles. Mais comme ces vérités sont beaucoup plus vieilles que lui, on en arrive à oublier la fièvre qui accompagna cette récupération. Ce qu'on ne doit pas oublier c'est qu'elle peut- être communiquée avec fruit à des inteUintelligences licencesbien biennéesnées, maispromais fondementprofondément contaminées par les sophismes sur lesquels la critique de Nietzsche exerce l'action la plus corrosive.
 
Le nietzschéisme est moins une doctrine en effet qu'une crise, mais une crise salutaire. Il y a chez Nietzsche un contraste entre le fonds des idées, classique, positif, traditionnel, et le ton9ton, dont l'ardeur va souvent jusqu'au sarcasme. Un conservateur qui parle comme un révolté, un attique, un français par le goût, avec des brutalités et de rudes moqueries d'allemand : physionomie assez nouvelle dans l'histoire et dont le secret gît peut-être en ceci, que Nietzsche, parvenu à la sagesse, en a moins joui quilqu'il n'a été irrité par l'erreur. Quand une âme délicate découvre dans un idéal auquel elle s'était laissé séduire par ses penchants les plus nobles, sophistique et charlatanisme, elle s'offense et certes sa colère est justifiée. Mais il n'est pas bon que cette colère dure trop. Car elle porte moins contre le faux lui-même que contre la naïveté et aussi l'orgueil qui nous en rendirent dupe. C'est là une aventure personnelle dont il ne faudrait pas, à moins d'avoir le génie a? d'écrivain de l'auteur de Zarathoustra, occuper trop longtemps le monde. Tandis que nous errions dans d'obscures cavernes, le soleil ne s'était pas arrêté de luire. Au reste, le caractère de Nietzsche n'est nullement Fobjetl'objet de cet écrit.
 
Quoi qu'il ait pu y passer du ton nietzschéen, qu'on veuille bien y voir surtout un essai de systématisation. On n'y trouvera pas le détail des théories de Nietzsche, mais seulement ses vues génératrices, les observations initiales d'où est parti et où revient toujours l'ardent mouvement de sa critique. Nous avions projeté, pour ce travail, le titre suivant : Nietzsche contre l'anarchisme, et il pourrait le porter très justement. Toutes les conceptions de Nietzsche se subordonnent à sa critique de l'anarchie, anarchie tant dans les mœurs et les sentiments de Vhommel'homme que dans l'institution sociale. L'auteur de la plus profonde et véri-diquevéridique étude donnée en France sur notre auteur ne l'intitule-t-il pas : le sens de la hiérarchie chez Nietzsche (i), reconnaissant comme nous dans ce problème d'organisation de l'autorité et de la règle le centre de ses préoccupations ? Cette rencontre avec un esprit émi-nentéminent, sans nous empêcher de voir les défauts de notre ouvrage, est faite pour nous rassurer sur la justesse de notre interprétation.
 
Avril 1902.
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P. L.
 
(i) M. Jules de Gaultier, dans la Revue hebdomadaire, a3 mars igoi1901.
 
== La morale de Nietzsche==