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les pauvres se rassemblent pour dépenser leurs salaires[1]. »

Il se mêlait aux pauvres et s’enquérait de leurs humbles malheurs pour prendre part à leur joie. Quand il ne leur découvrait que des sujets d’inquiétude et de chagrin, il tirait de son opium — la remarque est caractéristique — « des moyens de consolation. Car l’opium (semblable à l’abeille qui tire indifféremment ses matériaux de la rose et de la suie des cheminées) possède l’art d’assujettir tous les sentiments et de les régler à son diapason ».

À d’autres instants — mais ce fut seulement plus tard, dans une phase plus avancée, — il recherchait le silence et la solitude : « Je tombais souvent dans de profondes rêveries, et il m’est arrivé bien des fois, les nuits d’été, étant assis près d’une fenêtre ouverte d’où j’apercevais la mer et une grande cité,… de laisser couler toutes les heures, depuis le coucher du soleil jusqu’à son lever, sans faire un mouvement et comme figé. » La conscience de sa personnalité était abolie ; il lui était impossible de se distinguer des formes et des objets qu’il contemplait, éléments multiples d’un immense symbole dont il faisait partie au même titre que le reste : « La ville, estompée par la brume et les molles lueurs de la nuit, représentait la terre avec ses chagrins et ses tombeaux, situés loin derrière, mais non totalement oubliés ni hors de la portée de ma vue. L’Océan, avec sa respiration éternelle, mais couvé par un vaste calme, personnifiait mon esprit et l’influence qui le gouvernait alors. Il me semblait que, pour la première fois, je me tenais à distance et en dehors du tumulte de la vie ; que le vacarme, la fièvre et la lutte étaient suspendus ; qu’un répit était accordé

  1. Traduit par Baudelaire.