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SCÈNE PREMIÈRE.
 
Apollon et les muses.
 
 
APOLLON et LES MUSES.
 
Naissez divins esprits, naissez fameux héros ;
 
Brillez par les beaux arts, brillez par la victoire ;
 
Méritez d'être admis au temple de Mémoire :
 
Nous réservons à votre gloire
 
Un prix digne de vos travaux. [5]
 
APOLLON.
 
Muses, filles du Ciel, que votre gloire est pure !
 
Que vos plaisirs sont doux !
 
Les plus beaux dons de la nature
 
Sont moins brillants que ceux qu'on tient de vous.
 
Sur ce paisible mont, loin du bruit et des armes, [10]
 
Des innocents plaisirs vous goûtez les douceurs.
 
La fière ambition, l'amour ni ses faux charmes
 
Ne troublent point vos coeurs.
 
LES MUSES.
 
Non, non, l'amour ni ses faux charmes
 
Ne troublent jamais nos coeurs. [15]
 
On entend une symphonie brillante et douce alternativement.
 
SCÈNE II.
 
Apollon, Les Muses, La Gloire, l'Amour.
 
La Gloire et l'Amour descendent du même char.
 
APOLLON.
 
Que vois-je ? Ô ciel ! Dois-je le croire !
 
L'Amour dans le char de la Gloire !
 
LA GLOIRE.
 
Quelle triste erreur vous séduit !
 
Voyez ce dieu charmant, soutien de mon empire,
 
Par lui l'amant triomphe et le guerrier soupire ; [20]
 
Il forme les héros et sa voix les conduit.
 
Il faut lui céder la victoire
 
Quand on veut briller à ma Cour :
 
Rien n'est plus chéri de la gloire
 
Qu'un grand coeur guide par l'amour. [25]
 
APOLLON.
 
Quoi ! Mes divins lauriers d'un enfant téméraire
 
Ceindraient le front audacieux ?
 
L'AMOUR.
 
Tu méprises l'Amour, éprouve sa colère.
 
Aux pieds d'une beauté sévère
 
Va former d'inutiles voeux. [30]
 
Qu'un exemple éclatant montre aux coeurs amoureux
 
Que de moi seul dépend le don de plaire ;
 
Que les talents, l'esprit, l'ardeur sincère,
 
Ne sont point les amants heureux.
 
APOLLON.
 
Ciel ! Quel objet charmant se retrace à mon âme ! [35]
 
Quelle soudaine flamme
 
Il inspire à mes sens !
 
C'est ton pouvoir, Amour, que je ressens :
 
Du moins à mes soupirs naissants
 
Daigne rendre Daphné sensible. [40]
 
L'AMOUR.
 
Je te rendrais heureux ; je prétends te punir.
 
APOLLON.
 
Quoi ! Toujours soupirer sans pouvoir la fléchir ?
 
Cruel ! Que ma peine est terrible !
 
Il s'en va.
 
L'AMOUR.
 
C'est la vengeance de l'Amour.
 
LES MUSES.
 
Fuyons un tyran perfide, [45]
 
Craignons à notre tour.
 
LA GLOIRE.
 
Pourquoi cet effroi timide ?
 
Apollon
 
Souffrez que l'Amour y préside
 
Sous des auspices plus doux. [50]
 
L'AMOUR.
 
Ah ! qu'il est doux, qu'il est charmant de plaire !
 
C'est l'art le plus nécessaire.
 
Ah ! qu'il est doux, qu'il est flatteur
 
De savoir parler au coeur.
 
Les Muses, persuadées par l'Amour, répètent ces quatre vers
 
LES MUSES
 
Ah ! qu'il est doux, qu'il est charmant de plaire ! [55]
 
C'est l'art le plus nécessaire.
 
Ah ! qu'il est doux, qu'il est flatteur
 
De savoir parler au coeur.
 
L'AMOUR.
 
Accourez jeux et ris, doux séducteurs des belles ;
 
Vous par qui tout cède à l'Amour, [60]
 
Confirmez mon triomphe, et parez ce séjour
 
De myrtes et de fleurs nouvelles ;
 
Grâces plus brillantes qu'elles,
 
Venez embellir ma Cour.
 
SCÈNE III.
 
L'Amour, La Gloire, Les Muses, Les Grâces, troupes de Jeux et de Ris.
 
LE CHOEUR.
 
Accourons, accourons dans ce nouveau séjour, [65]
 
Soupirez beautés rebelles,
 
Par nous tort cède à l'Amour.
 
On danse.
 
LA GLOIRE.
 
Les vents, les affreux orages,
 
Font par d'horribles ravages,
 
La terreur des matelots : [70]
 
Amour, quand ta voix le guide,
 
On voit l'Alcyon timide
 
Braver la fureur des flots.
 
Tes divines flammes
 
Des plus faibles âmes [75]
 
Peuvent faire des héros.
 
On danse.
 
LE CHOEUR.
 
Gloire, Amour, sur les coeurs partagez la victoire
 
Que le myrte au laurier soit uni dès ce jour !
 
Que les soins rendus à la gloire
 
Soient toujours payés par l'Amour ! [80]
 
L'AMOUR.
 
Quittez, Muses, quittez ce désert trop stérile,
 
Venez de vos appas enchanter l'univers ;
 
Après avoir orné mille climats divers,
 
Que l'empire des lys soit notre heureux asile,
 
Au milieu des beaux arts puissiez-vous y briller [85]
 
De votre plus vive lumière :
 
Un règne glorieux vous y sera trouver
 
Des amants dignes de vous plaire,
 
Et des héros à célébrer.
 
FIN DU PROLOGUE.
 
 
 
ACTE I
 
 
 
PREMIÈRE ENTRÉE. HÉSIODE.
 
Le Théâtre représente un Bocage, au travers duquel on voit des Hameaux.
 
 
 
SCÈNE PREMIÈRE.
 
Eglé, Doris.
 
DORIS.
 
L'amour va vous offrir la plus charmante fête, [90]
 
Déjà pour disputer chaque berger s'apprête :
 
Le don de votre main au vainqueur est promis.
 
Qu'Hésiode est à plaindre ! Hélas ! Il vous adore.
 
Mais les jeux d'Apollon sont des arts qu'il ignore,
 
De ses tendres soupirs il va perdre le prix. [95]
 
EGLÉ.
 
Doris, j'aime Hésita, et plus que l'on ne pense
 
Je m'occupe de son bonheur :
 
Mais c'est en éprouvant ses feux et sa constance
 
Que j'ai dû m'assurer qu'il méritait mon coeur.
 
DORIS.
 
À vos engagements pourrez-vous vous soustraire ? [100]
 
EGLÉ.
 
Je ne sais point, Doris, manquer de foi.
 
DORIS.
 
Comment avec vos feux accorder votre loi ?
 
EGLÉ.
 
Tu verras dès ce jour tout ce qu'Eglé peut faire.
 
DORIS
 
Eglé dans nos hameaux, inconnue, étrangère,
 
Jouit sur tous les coeurs d'un pouvoir mérité ; [105]
 
Rien ne lui doit être impossible,
 
Avec le secours invincible
 
De l'esprit et de la beauté.
 
EGLÉ.
 
J'aperçois Hésiode.
 
DORIS.
 
Accablé de tristesse,
 
Il plaint le malheur de ses feux. [110]
 
EGLÉ.
 
Je saurai dissiper la douleur qui le presse :
 
Mais pour quelques instants cachons-nous à ses yeux.
 
SCÈNE II.
 
HÉSIODE.
 
Eglé méprise ma tendresse,
 
Séduite par les chants de mes heureux rivaux ;
 
Son coeur en est le prix, et seul dans ces hameaux [115]
 
J'ignore les secrets de l'art qu'elle couronne ;
 
Eglé le fait et m'abandonne !
 
Je vais la perdre sans retour.
 
À de frivoles chants se peut-il qu'elle donne
 
Un prix qui n'était dû qu'au plus parfait amour ? [120]
 
On entend une symphonie douce.
 
Quelle douce harmonie ici se fait entendre...
 
Elle invite au repos... Je ne puis m'en défendre...
 
Mes yeux appesantis laissent tarir leurs pleurs...
 
Dans le sein du sommeil je cède à ses douceurs.
 
SCÈNE III.
 
Eglé, Hésiode endormi.
 
EGLÉ.
 
Commencez le bonheur de ce berger fidèle [125]
 
Songes ; en ce séjour Euterpe vous appelle
 
Accourez à ma voix, parlez à mon amant,
 
Par vos images séduisantes,
 
Par vos illusions charmantes,
 
Annoncez-lui le destin qui l'attend. [130]
 
Entrée des Songes.
 
UN SONGE.
 
Songes flatteurs
 
Quand d'un coeur misérable
 
Vos soins apaisent les douleurs,
 
Douces erreurs,
 
Du sort impitoyable [135]
 
Suspendez longtemps les rigueurs ;
 
Réveil, éloignez-vous :
 
Ah ! Que le sommeil est doux !
 
Mais quand un songe favorable
 
Présage un bonheur véritable, [140]
 
Sommeil, éloignez-vous :
 
Ah ! Que le réveil est doux !
 
Les Songes se retirent.
 
EGLÉ.
 
Toi pour qui j'ai quitté mes soeurs et le Parnasse,
 
Toi que le ciel a fait digne de mon amour,
 
Tendre berger, d'une feinte disgrâce [145]
 
Ne crains point l'effet en ce jour.
 
Reçois le don des vers. Qu'un nouveau feu t'anime.
 
Des transports d'Apollon ressens l'effet sublime,
 
Et par tes chants divins t'élevant jusqu'aux cieux
 
Ose en les célébrant te rendre égal aux Dieux. [150]
 
Une lyre suspendue à un laurier s'élève à côté d'Hésiode.
 
Amour dont les ardeurs ont embrasé mon âme
 
Daigne animer mes dons de ta divine flamme :
 
Nous pouvons du génie exciter les efforts ;
 
Mais les succès heureux sont dûs à tes transports.
 
SCÈNE IV.
 
HÉSIODE.
 
Où suis-je ? Quel réveil ? Quel nouveau feu m'inspire ? [155]
 
Quel nouveau jour me luit ? Tous mes sens sont surpris !...
 
Il aperçoit la lyre.
 
Mais quel prodige étonne mes esprits ?
 
Il la touche, elle rend des sons.
 
Dieux ! Quels sons éclatants partent de cette lyre !
 
D'un transport inconnu j'éprouve le délire !
 
Je forme sans effort des chants harmonieux ! [160]
 
Ô Lyre ! Ô cher présent des Dieux !
 
Déjà par ton secours je parle leur langage.
 
Le plus puissant de tous excite mon courage,
 
Je reconnais l'amour à des transports si beaux,
 
Et je vais triompher de mes jaloux rivaux. [165]
 
SCÈNE V.
 
Hésiode, troupe de Bergers qui s'assemblent pour la fête.
 
LE CHOEUR.
 
Que tout retentisse,
 
Que tout applaudisse
 
À nos chants divers !
 
Que l'écho s'unisse,
 
Qu'Eglé s'attendrisse [170]
 
À nos doux concerts !
 
Doux espoir de plaire,
 
Animez nos jeux,
 
Apollon va faire
 
Un amant heureux : [175]
 
Flatteuse victoire !
 
Triomphe enchanteur !
 
L'amour et la gloire
 
Suivront le vainqueur.
 
On danse, après quoi Hésiode s'approche pour disputer.
 
LE CHOEUR.
 
Ô Berger, déposez cette Lyre inutile [180]
 
Voulez-vous dans nos jeux disputer en ce jour.
 
HÉSIODE.
 
Rien n'est impossible à l'amour.
 
Je n'ai point fait de l'art une étude servile,
 
Et ma voix indocile,
 
Ne s'est jamais unie aux chalumeaux. [185]
 
Mais dans le succès que j'espère,
 
J'attends tout du feu qui m'éclaire
 
Et rien de mes faibles travaux.
 
LE CHOEUR.
 
Chantez, berger téméraire ;
 
Nous allons admirer vos prodiges nouveaux. [190]
 
Hésiode commence.
 
Beau feu qui consumez mon âme,
 
Inspirez à mes chants votre divine ardeur :
 
Portez dans mon esprit cette brillante flamme,
 
Dont vous brûlez mon coeur...
 
Le Choeur, qui interrompt Hésiode.
 
Sa lyre efface nos Musettes. [195]
 
Ah! nous sommes vaincus !
 
Fuyons dans nos retraites.
 
SCÈNE VI.
 
Hésiode, Euterpe.
 
HÉSIODE.
 
Belle Eglé... Mais, ô ciel ! quels charmes inconnus !...
 
Vous êtes immortelle, et j'ai pu m'y méprendre !
 
Vos célestes appas n'ont-ils pas dû m'apprendre, [200]
 
Qu'il n'est permis qu'aux Dieux de soupirer pour vous ?
 
Hélas ! À chaque instant sans pouvoir m'en défendre,
 
Mon trop coupable coeur accroît votre courroux.
 
EUTERPE.
 
Ta crainte offense ma gloire.
 
Tu mérites le prix qu'ont promis mes serments ; [205]
 
Je le dois à la victoire,
 
Et le donne à tes sentiments.
 
HÉSIODE.
 
Quoi vous seriez ?.... Ô ciel est-il possible ?
 
Muse, vos dons divins ont prévenu mes voeux,
 
Dois-je espérer encor que votre âme sensible [210]
 
Daigne aimer un berger et partager mes feux ?
 
EUTERPE.
 
La vertu des mortels fait leur rang chez les Dieux.
 
Une âme pure, un coeur tendre et sincère,
 
Sont les biens les plus précieux;
 
Et quand on fait aimer le mieux, [215]
 
On est le plus digne de plaire.
 
Aux Bergers.
 
Calmez votre dépit jaloux, :
 
Bergers rassemblez-vous :
 
Venez former les plus riantes fêtes,
 
Je me plais dans vos bois, je chéris vos Musettes, [220]
 
Reconnaissez Euterpe et célébrez ses feux.
 
SCÈNE VII.
 
Euterpe, Hésiode, Les Bergers.
 
LE CHOEUR.
 
Muse charmante, Muse aimable,
 
Qui daignez parmi nous fixer vos tendres voeux ;
 
Soyez-nous toujours favorable,
 
Présidez toujours à nos jeux. [225]
 
On danse.
 
DORIS.
 
Dieux qui gouvernez la terre,
 
Tout répond à votre voix.
 
Dieux qui lancez le tonnerre,
 
Tout obéit à vos lois.
 
De votre gloire éclatante, [230]
 
De votre grandeur brillante
 
Nos coeurs ne sont point jaloux.
 
D'autres biens sont faits pour nous.
 
Unis d'un amour sincère,
 
Un berger, une bergère, [235]
 
Sont-il moins heureux que vous ?
 
ACTE II
 
 
 
SECONDE ENTRÉE. OVIDE.
 
Le Théâtre représente les Jardins d'Ovide à Thôme, et, dans le fond, des Montagnes affreuses parsemées de précipices, et couvertes de neiges.
 
 
 
SCÈNE I.
 
OVIDE.
 
Cruel amour, funeste flamme !
 
Faut-il encor t'abandonner mon âme ?
 
Cruel amour, funeste flamme,
 
Le sort d'Ovide est-il d'aimer toujours ? [240]
 
Dans ces climats glacés au fond de la Scythie,
 
Contre tes feux n'est-il point de secours ?
 
J'y brille, hélas ! Pour la jeune Erithie :
 
Pour moi, sans elle, il n'est plus de beaux jours,
 
Cruel amour, funeste flamme ! [245]
 
Faut-il encor t'abandonner mon âme ?
 
Achève du moins ton ouvrage,
 
Soumets Erithie à son tour.
 
Ici tout languit sans amour,
 
Et de son coeur encor elle ignore l'usage ; [250]
 
Ces fleurs dans mes jardins l'attirent chaque jour,
 
Et je vais par des jeux... C'est elle, ô doux présage !
 
Je m'éloigne à regret : mais bientôt sur mes pas
 
Tout va lui parler le langage
 
Du Dieu charmant qu'elle ne connaît pas. [255]
 
SCÈNE II.
 
ÉRITHIE.
 
C'en est donc fait ; et dans quelques moments
 
Diane à ses autels recevra mes serments.
 
Jardins chéris, riants bocages ;
 
Hélas ! À mes jeux innocents
 
Vous n'offrirez plus vos ombrages. [260]
 
Oiseaux, vos séduisants ramages
 
Ne charmeront donc plus mes sens.
 
Vain éclat, grandeur importune !
 
Heureux qui dans l'obscurité
 
N'a point soumis à la fortune [265]
 
Son bonheur et sa liberté !
 
Mais, quels concerts se sont entendre ?
 
Quel spectacle enchanteur ici vient me surprendre ?
 
SCENE III.
 
Érithie, Ovide, le Choeur.
 
La Statue de l'Amour s'élève au fond du Théâtre, et toute la fête d'Ovide vient former des danses et des chants autour d'Érithie.
 
LE CHOEUR.
 
Dieu charmant, Dieu des tendres coeurs ;
 
Règne à jamais, lance tes flammes. [270]
 
Eh ! Quel bien flatterait nos âmes
 
S'il n'était de tendres ardeurs ?
 
Chantons, ne cessons point de célébrer ses charmes;
 
Qu'il occupe tous nos moments ;
 
Ce Dieu ne se sert de ses armes [275]
 
Que pour faire d'heureux amants.
 
Les soins, les pleurs et les soupirs,
 
Sont les tributs de son empire ;
 
Mais tous les biens qu'il en retire,
 
Il nous les rend par les plaisirs. [280]
 
On danse
 
ÉRITHIE.
 
Quels doux concerts ! Quelle fête agréable !
 
Que je trouve charmant ce langage nouveau !
 
Quel est donc ce dieu favorable ?
 
Elle considère la statue.
 
Hélas ! C'est un enfant ; mais quel enfant aimable !
 
Pourquoi cet arc et ce bandeau, [285]
 
Ce carquois, ces traits, ce flambeau ?
 
Un HOMME de la Fête.
 
Ce faible enfant est le maître du monde ;
 
La nature s'anime à sa flamme seconde,
 
Et l'univers sans lui périrait avec nous.
 
Reconnaissez, belle Érithie, [290]
 
Un Dieu fait pour régner sur vous ;
 
Il veut de votre aimable vie
 
Vous rendre les instants plus doux.
 
Étendez les droits légitimes
 
Du plus puissant des Immortels; [295]
 
Tous les coeurs seront ses victimes
 
Quand vous servirez ses autels.
 
ÉRITHIE.
 
Ces aimables leçons ont trop l'art de me plaire ;
 
Mais quel est donc ce Dieu dont on veut me parler?
 
OVIDE.
 
De ses plus doux secrets, discret dépositaire, [300]
 
À vous seule en ces lieux je dois les révéler.
 
SCÈNE IV.
 
Erithie, Ovide.
 
OVIDE.
 
C'est un aimable mystère
 
Qui de ses biens charmants assaisonne le prix :
 
Plus on les a sentis,
 
Et mieux on les fait taire. [305]
 
ÉRITHIE.
 
J'ignore encor quels sont des biens si doux,
 
Mais je brûle de m'en instruire.
 
OVIDE.
 
Vous l'ignorez ? N'en accusez que vous,
 
Déjà dans mes regards vous auriez dû le lire.
 
ÉRITHIE.
 
Vos regards !... Dans ses yeux quel poison séducteur ! [310]
 
Dieux ! Quel trouble confus s'élève dans mon coeur !
 
OVIDE.
 
Trouble charmant, que mon âme partage,
 
Vous êtes le premier hommage
 
Que l'aimable Érithie ait offert à l'Amour.
 
ÉRITHIE.
 
L'Amour est donc ce Dieu si redoutable ? [315]
 
OVIDE.
 
L'Amour est ce Dieu favorable
 
Que mon coeur enflammé vous annonce en ce jour ;
 
Profitons des bienfaits que sa main nous prépare :
 
Unis par ses liens...
 
ÉRITHIE.
 
Hélas ! On nous sépare !
 
Du temple de Diane on me commet le soin ; [320]
 
Tout le peuple d'Ithome en veut être témoin,
 
Et je dois dès ce jour...
 
OVIDE.
 
Non, charmante Érithie,
 
Les peuples même de Scythie
 
Sont soumis au vainqueur dont nous suivons les lois :
 
Il faut les attendrir, il faut unir nos voix. [325]
 
Est-il des coeurs que notre amour ne touche,
 
S'il s'explique à la fois
 
Par vos larmes et par ma bouche.
 
Mais on approche... On vient... Amour, si pour ta gloire
 
Dans un exil affreux il faut passer mes jours, [330]
 
De mon encens du moins conserve la mémoire,
 
À mes tendres accents accorde ton secours.
 
SCÈNE V.
 
Ovide, Érithie, troupe de Sarmates.
 
LE CHOEUR.
 
Célébrons la gloire éclatante
 
De la Déesse des forêts :
 
Sans soins, sans peine et sans attente [335]
 
Nous subsistons par ses bienfaits,
 
Célébrons la beauté charmante
 
Qui va la servir désormais :
 
Que sa main longtemps lui présente
 
Les offrandes de ses sujets. [340]
 
On danse.
 
LE CHEF DES SARMATES.
 
Venez belle Érithie...
 
OVIDE.
 
Ah ! Daignez m'écouter.
 
De deux tendres amants différez le supplice :
 
Ou, si vous achevez ce cruel sacrifice,
 
Voyez les pleurs que vous m'allez coûter.
 
LE CHOEUR.
 
Non, elle est promise à Diane : [345]
 
Nos engagements sont des lois ;
 
Qui pourrait être assez profane
 
Pour priver les Dieux de leurs droits ?
 
OVIDE et ÉRITHIE.
 
De plus puissant des Dieux nos coeurs sont le partage,
 
Notre amour est son ouvrage : [350]
 
Est-il des droits plus sacrés ?
 
Par une injuste violence
 
Les Dieux ne sont point honorés.
 
Ah ! Si votre indifférence
 
Méprise nos douleurs, [355]
 
À ce Dieu qui nous assemble
 
Nous jurons de mourir ensemble
 
Pour ne plus séparer nos coeurs.
 
LE CHOEUR.
 
Quel sentiment secret vient attendrir nos âmes
 
Pour ces amants infortunés ? [360]
 
Par l'amour l'un à l'autre ils étaient destinés,
 
Que l'amour couronne leurs flammes !
 
OVIDE.
 
Vous comblez mon bonheur, Peuple trop généreux.
 
Quel prix de ce bienfait sera la récompense ?
 
Puissiez-vous par mes soins, par ma reconnaissance [365]
 
Apprendre à devenir heureux,
 
L'amour vous appelle
 
Écoutez sa voix;
 
Que tout soit fidèle
 
À ses douces lois. [370]
 
Des biens dont l'usage
 
Fait le vrai bonheur,
 
Le plus doux partage
 
Est un tendre coeur.
 
 
ACTE III
 
 
TROISIÈME ENTRÉE. ANACRÉON et POLYCRATE.
 
Le théâtre représente le Perystile du Temple de Junon à Samos.
 
SCÈNE PREMIÈRE.
 
Polycrate, Anacréon.
 
ANACRÉON.
 
LeS beautés de Samos aux pieds de la Déesse [375]
 
Par votre ordre aujourd'hui vont présenter leurs voeux ;
 
Mais, Seigneur, si j'en crois le soupçon qui me presse
 
Sous ce zèle mystérieux
 
Un soin plus doux vous intéresse.
 
POLYCRATE.
 
On ne peut sur la tendresse [380]
 
Tromper les yeux d'Anacréon.
 
Oui, le plus doux penchant m'entraîne.
 
Mais j'ignore à la fois le séjour et le nom
 
De l'objet qui m'enchaîne.
 
ANACRÉON.
 
Je conçois le détour ; [385]
 
Parmi tant de beautés vous espérez connaître
 
Celle dont les attraits ont fixé votre amour ;
 
Mais cet amour enfin...
 
POLYCRATE.
 
Un instant le fit naître :
 
Ce fut dans ces superbes jeux
 
O mes heureux succès célébrés par ta lyre... [390]
 
ANACRÉON.
 
Ce jour, il m'en souvient, je devins amoureux
 
De la jeune Thémire.
 
POLYCRATE.
 
Eh ! Quoi ? Toujours de nouveaux feux ?
 
ANACRÉON.
 
À de beaux yeux aisément mon coeur cède :
 
Il change de même aisément ; [395]
 
L'amour à l'amour y succède,
 
Le goût seul du plaisir y règne constamment.
 
POLYCRATE.
 
Bientôt une douce victoire
 
T'a sans doute asservi son coeur ?
 
ANACRÉON.
 
Ce triomphe manque à ma gloire [400]
 
Et ce plaisir à mon bonheur.
 
POLYCRATE.
 
Mais on vient... Que d'appas ! Ah ! Les coeurs les plus sages
 
En voyant tant d'attraits doivent craindre des fers.
 
ANACRÉON.
 
Junon, dans ce beau jour les plus tendres hommages
 
Ne sont pas ceux qui te seront offert. [405]
 
SCÈNE II.
 
Polycrate, Anacréon, troupe de jeunes Samiennes qui viennent offrir leurs hommages à la Déesse.
 
Troupe de jeunes Samiennes.
 
Reine des Dieux, Mère de l'Univers ;
 
Toi par qui tout respire,
 
Qui combles cet empire
 
De tes biens les plus chers,
 
Junon, vois ces offrandes : [410]
 
Nos coeurs que tu demandes
 
Vont te les présenter.
 
Que mains bienfaisantes
 
De nos mains innocentes
 
Daignent les accepter. [415]
 
On danse.
 
Thémire portant une corbeille de fleurs, entre dans le temple à la tête des jeunes Samiennes.
 
POLYCRATE
 
apercevant Thémire.
 
Ô Bonheur !
 
ANACRÉON.
 
Ô plaisir extrême !
 
POLYCRATE.
 
Quels traits charmants ! Quels regards enchanteurs !
 
ANACRÉON.
 
Ah ! Qu'avec grâce elle porte ces fleurs !
 
POLYCRATE.
 
Ces fleurs ! Que dites-vous! C'est la beauté que j'aime.
 
ANACRÉON.
 
C'est Thémire elle-même. [420]
 
POLYCRATE.
 
Ami trop cher : rival trop dangereux.
 
Ah ! Que je crains tes redoutables feux !
 
De mon coeur agité fais cesser le martyre ;
 
Porte à d'autres appas tes volages désirs.
 
Laisse-moi goûter les plaisirs [425]
 
De te chérir toujours et d'adorer Thémire.
 
ANACRÉON.
 
Si ma flamme était volontaire
 
Je l'immolerais à l'instant :
 
Mais l'amour dans mon coeur n'en est pas moins sincère
 
Pour n'être pas toujours constant. [430]
 
La gloire et la grandeur au gré de votre envie,
 
Vous assurent les plus beaux jours,
 
Mais que ferais-je de la vie,
 
Sans les plaisirs, sans les amours ?
 
POLYCRATE.
 
Eh ! Que te servira ta vaine résistance ? [435]
 
Ingrat, évite ma présence !
 
ANACRÉON.
 
Vous calmerez cet injuste courroux,
 
Il est trop peu digne de vous.
 
SCÈNE III.
 
POLYCRATE.
 
Transports jaloux, tourments que je déteste.
 
A h! Faut-il me livrer à vos tristes fureurs ? [440]
 
Faut-il toujours qu'une rage funeste,
 
Inspire avec l'amour la haine et ses horreurs ?
 
Cruel amour ! Ta fatale puissance
 
Désunit plus de coeurs,
 
Qu'elle n'en met d'intelligence : [445]
 
Je vois Thémire. Ô transports enchanteurs !
 
SCÈNE IV.
 
Polycrate, Thémire.
 
POLYCRATE.
 
Thémire, en vous voyant la résistance est vaine,
 
Tout cède à vos attraits vainqueurs.
 
Heureux l'amant dont les tendres ardeurs
 
Vous feront partager la chaîne [450]
 
Que vous avez sur tous les coeurs !
 
THÉMIRE.
 
Je fuis les soupirs, les langueurs,
 
Les soins, les tourments, les alarmes :
 
Un plaisir qui coûte des pleurs
 
Pour moi n'aura jamais de charmes. [455]
 
POLYCRATE.
 
C'est un tourment de n'aimer rien.
 
C'est un tourment affreux d'aimer sans espérance
 
Mais il est un suprême bien,
 
C'est de s'aimer d'intelligence.
 
THÉMIRE.
 
Non, je crains jusqu'aux noeuds assortis par l'amour. [460]
 
POLYCRATE.
 
Ah ! Connaissez du moins les biens qu'il vous apprête
 
Vous devez à Junon le reste de ce jour.
 
Demain une illustre conquête
 
Vous est promise en ce séjour.
 
SCÈNE V.
 
THÉMIRE.
 
Il me cachait son rang, je feignais à mon tour. [465]
 
Polycrate m'offre un hommage
 
Qui comblerait l'ambition :
 
Un sort plus doux me flatte davantage,
 
Et mon coeur en secret chérit Anacréon.
 
Sur les fleurs d'une aile légère, [470]
 
On voit voltiger les zéphirs.
 
Comme eux d'une ardeur passagère
 
Je voltige sur les plaisirs.
 
D'une chaîne redoutable,
 
Je veux préserver mon coeur ; [475]
 
L'amour m'amuserait comme un enfant aimable ;
 
Je le crains comme un fier vainqueur.
 
SCÈNE VI.
 
Anacréon, Thémire.
 
ANACRÉON.
 
Belle Thémire, enfin le Roi vous rend les armes,
 
L'aveu de tous les coeurs autorise le mien :
 
Si l'amour animait vos charmes, [480]
 
Il ne leur manquerait plus rien.
 
THÉMIRE.
 
Vous m'annoncez par cette indifférence
 
Combien le choix vous paraîtrait égal.
 
Qui voit sans peine un rival
 
N'est pas loin de l'inconstance. [485]
 
ANACRÉON.
 
Vous faites à ma flamme une cruelle offense ;
 
Vous la faites surtout à ma sincérité.
 
En amour même.
 
Je dis la vérité,
 
Et quand je n'aime plus, je ne dis plus que j'aime. [490]
 
THÉMIRE.
 
Quand on sent une ardeur extrême,
 
On a moins de tranquillité.
 
ANACRÉON.
 
Thémire jugez mieux de ma fidélité.
 
Ah ! Qu'un amant a de folie
 
D'aimer, de haïr tour-à-tour : [495]
 
Ce qu'il donne à la jalousie,
 
Je le donne tout à l'amour.
 
THÉMIRE.
 
Je crains ce qu'il en coûte à devenir trop tendre ;
 
Non, l'amour dans les coeurs cause trop de tourments.
 
ANACRÉON.
 
Si l'hiver dépare nos champs [500]
 
Est-ce à Flore de les défendre
 
S'il est des maux pour les amants.
 
Est-ce à l'amour qu'il faut s'en prendre ?
 
Sans la neige et les orages,
 
Sans les vents et leurs ravages, [505]
 
Les fleurs naîtraient en tous temps.
 
Sans la froide indifférence,
 
Sans la fière résistance,
 
Tous les coeurs seraient contents.
 
THÉMIRE.
 
Vous vous piquez d'être volage, [510]
 
Si je forme des noeuds, je veux qu'ils soient constants.
 
ANACRÉON.
 
L'excès de mon ardeur est un plus digne hommage
 
Que la fidélité des vulgaires amants ;
 
Il vaut mieux aimer davantage,
 
Et ne pas aimer si longtemps. [515]
 
THÉMIRE.
 
Non, rien ne peut fixer un amant si volage.
 
ANACRÉON.
 
Non, rien ne peut payer des transports si charmants.
 
THÉMIRE.
 
Vous séduisez plutôt que de convaincre :
 
Je vois l'erreur et je me laisse vaincre.
 
Ah ! Trompez-moi longtemps par ces tendes discours ; [520]
 
L'illusion qui plaît devrait durer toujours.
 
ANACRÉON.
 
C'est en passant votre espérance
 
Que je prétends vous tromper désormais.
 
Vous attendrez mon inconstance,
 
Et ne l'éprouverez jamais. [525]
 
ENSEMBLE.
 
Unis par les mêmes désirs,
 
Unissons mon sort et le vôtre ;
 
Toujours fidèles aux plaisirs,
 
Nous devons l'être l'un à l'autre.
 
SCÈNE VII.
 
Polycrate, Thémire, Anacréon.
 
POLYCRATE.
 
Demeure Anacréon, je suspens mon courroux, [530]
 
Et veux bien un instant t'égaler à moi-même.
 
Je n'abuserai point de mon pouvoir suprême ;
 
Que Thémire décide et choisisse entre nous.
 
À Thémire.
 
Dites quels sont les noeuds que votre âme préfère,
 
N'hésitez point à les nommer : [535]
 
Je jure de confirmer
 
Le choix que vous allez faire.
 
THÉMIRE.
 
Je connais tout le prix du bonheur de vous plaire
 
Si j'osais m'y livrer ; cependant en ce jour,
 
Seigneur, vous pourriez croire [540]
 
Que je donne tout à la gloire,
 
Je veux tout donner à l'amour.
 
Pardonnez à mon coeur un penchant invincible.
 
POLYCRATE.
 
Il suffit. Je cède en ce moment ;
 
Allez, soyez unis ; je puis être sensible ; [545]
 
Mais je n'oublierai point ma gloire et mon serment.
 
THEMIRE et ANACRÉON.
 
Digne exemple des rois, dont le coeur équitable
 
Triomphe de soi-même en couronnant nos feux,
 
Puisse toujours le ciel prévenir tous vos voeux :
 
Que votre reine aimable, [550]
 
Par un bonheur constant à jamais mémorable,
 
Éternise vos jours heureux.
 
POLYCRATE à Anacréon.
 
Commence d'accomplir un si charmant présage ;
 
Rentre dans ma faveur, ne quitte point ma cour,
 
Que l'amitié du moins me dédommage [555]
 
Des disgrâces de l'amour.
 
Que tout célébre cette fête ;
 
L'heureux Anacréon voit combler ses désirs.
 
Accourez, chantez sa conquête
 
Comme il a chanté vos plaisirs. [560]
 
SCÈNE VIII.
 
Anacréon, Thémire, Peuples de Samos.
 
LE CHOEUR.
 
Que tout célébre cette fête
 
L'heureux Anacréon voit combler ses désirs ;
 
Accourons, chantons sa conquête
 
Comme il a chanté nos plaisirs.
 
On danse.
 
ANACRÉON, alternativement avec le Choeur.
 
Jeux, brillez sans cesse ; [565]
 
Sans vous la tendresse
 
Languirait toujours.
 
Au plus tendre hommage
 
Un doux badinage
 
Prête du secours. [570]
 
On danse.
 
Quand pour plaire aux belles
 
On voit autour d'elles
 
Folâtrer l'Amour,
 
Dans leur coeur le traître
 
Est bientôt le maître, [575]
 
Et rit a son tour.