« L'Emprunt national 5 % de 1915 » : différence entre les versions

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{{journal|L’emprunt national 5 % de 1915|[[Auteur : Raphaël-Georges Lévy|Raphaël-Georges Lévy]]|[[Revue des Deux Mondes]] tome 30, 1915}}
 
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Les finances sont un des côtés essentiels de la lutte mondiale qui se poursuit. On le dit depuis longtemps, on l’a peut-être trop dit. Une confiance naturelle dans notre supériorité sur ce terrain a endormi notre prévoyance dans d’autres domaines : à force de répéter que l’argent est le nerf de la guerre, certains de nos hommes d’État ont oublié qu’il n’en est pas le seul. Heureusement que nos alliés et nous sommes en voie de regagner le temps perdu et que bientôt notre outillage en armes et en munitions ne le cédera en rien à celui de nos ennemis. La qualité de nos soldats fera le reste. Les dramatiques événemens qui se déroulent depuis le 1{{er}} août 1914 ont justifié ce que nous écrivions ici même le 1{{er}} mai 1912, lorsqu’en étudiant la force financière des Etats, nous avertissions nos compatriotes de la nécessité de s’armer pour défendre leurs trésors contre les convoitises d’un adversaire aux aguets.
 
Ceci dit, nous nous garderons bien de ne pas estimer à sa juste valeur la puissance financière de la Quadruple Entente, au sein de laquelle l’Angleterre et la France tiennent, sous ce rapport, le premier rang. La façon dont nous avons jusqu’ici fait face aux dépenses de la campagne, est la preuve indiscutable des ressources pour ainsi dire illimitées de notre pays. Ce n’est qu’à la fin du seizième mois qui suit l’ouverture des hostilités que nous allons procéder à l’émission d’un emprunt consolidé. Depuis août 1914 jusqu’en décembre 1915, nous avons réussi à couvrir tous nos besoins au moyen des impôts, des avances de la Banque de France, des Bons et des Obligations
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de la Défense nationale. Ce résultat est d’autant plus remarquable qu’une partie de notre territoire est encore envahie, que quelques-uns de nos départemens les plus riches et les plus industriels sont occupés, que nous n’avons encore établi aucun impôt nouveau, alors que l’Angleterre, la Russie et l’Italie ont mis en vigueur des taxes de guerre ou bien augmenté le taux d’un certain nombre de celles qui existaient déjà. Examinons donc les méthodes employées par nos ministres des Finances M. Noulens et M. Ribot, qui l’a remplacé au Palais du Louvre depuis la fin d’août 1914, et voyons comment notre Trésorerie a fonctionné jusqu’à ce jour. Dans une seconde partie, nous exposerons les conditions de la grande opération de crédit qui se poursuit à l’heure où paraissent ces lignes et qui, d’ici à quelques jours, se terminera, nous en avons la certitude, par un éclatant succès.
 
 
<center> I</center>
 
Nous entrions en campagne au milieu de l’été 1914, avec un budget de 5 800 millions, qui venait à peine d’être voté, et une Trésorerie qui devait s’équilibrer au moyen d’un emprunt de 900 millions de francs de capital nominal 3 1/2 pour 100, émis le 7 juillet au cours de 91. Les versemens à effectuer par les souscripteurs étaient échelonnés jusqu’au mois de novembre suivant, de sorte que les sommes encaissées par le Trésor le 1{{er}} août ne représentaient qu’une fraction du capital promis à l’État. Par suite de circonstances qu’il serait trop long de rappeler ici et de certaines maladresses techniques commises lors de l’ouverture de la souscription, ce fonds 3 1/2 était en majeure partie entre les mains de la spéculation. Rappelons que ce taux était presque nouveau dans notre histoire financière : il n’avait figuré que pendant 9 ans dans notre Grand Livre, lorsque le 5 pour 100 1871-72, une première fois converti en 1883 en 4 1/2 pour 100, le fut une seconde fois, au bout de dix années, en 3 1/2 pour 100. Celui-ci, créé en 1893, devint en 1902 du 3 pour 100. Au mois de septembre 1914, M. Ribot décida très sagement que les souscripteurs du 3 1/2 1914 pourraient employer leurs titres à la libération des souscriptions de rentes et d’obligations à court terme émises par le Trésor avant le 1{{er}} janvier 1917. Grâce à cette mesure, qui
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faisait de ces obligations 3 1/2 un véritable billet de banque, le cours n’en a pour ainsi dire plus varié et s’est constamment maintenu aux environs de 91 francs. Les 425 millions de francs qui correspondaient, au moment de la déclaration de guerre, aux sommes dues par les souscripteurs pour la libération de leurs titres ont été versés au Trésor.
 
Pour se procurer les ressources extraordinaires dont il avait besoin, le gouvernement a obtenu de la Banque de France des avances, dont le total a été successivement porté à 9 milliards, sur lesquels il n’a encore prélevé que 7 milliards et demi environ. La Banque de l’Algérie a avancé 200 millions. Il a émis des Bons de la Défense nationale à 3 mois, 6 mois et 1 an, vers lesquels le public s’est porté avec empressement et qui lui ont procuré plus de 8 milliards. Il a émis également des Bons sur le marché de Londres, où le gouvernement anglais s’est engagé à en escompter pour 42 millions de livres sterling (environ 1060 millions de francs) au taux qu’il obtient lui-même pour ses Bons à six mois. Les Bons français sont renouvelables, de six mois en six mois, jusqu’à la fin de l’année qui suivra la conclusion de la paix. La troisième ressource à laquelle le ministre a eu recours fut l’émission d’obligations décennales 5 pour 100, autorisées par la loi du 10 février 1915. Les conditions de création de ces titres ont été réglées par le décret du 13 février suivant. Ils portent le titre d’obligations de la Défense nationale, sont productifs d’un intérêt de 5 pour 100 l’an, calculé sur le capital nominal et payable par fractions égales et d’avance, les 16 février et 16 août de chaque année. Le prix d’émission est de 96,50 pour 100, sous déduction des intérêts correspondant à la période du semestre en cours non écoulée lors de la souscription. Ces obligations sont remboursables le 12 février 1925. Toutefois, à partir du 16 février 1920, le Trésor aura la faculté de les rembourser à toute date et au pair, sauf décompte d’intérêts. Elles sont exemptes d’impôt pour toute leur durée. Elles sont délivrées soit au porteur, soit à ordre, avec faculté de transmission par endossement. Elles pourront être échangées contre des titres des emprunts de l’État qui seront émis avant le 1{{er}} janvier 1918, au prix d’émission soit 96, 50 pour 100, augmenté de la portion déjà acquise de la prime de remboursement et sauf déduction des intérêts déjà payés pour la portion non écoulée du semestre en cours. Le
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total des obligations de la Défense nationale souscrites s’élevait au commencement de novembre 1915 à 3 659 millions de francs.
 
La quatrième ressource à laquelle s’est alimentée notre trésorerie de guerre est l’emprunt aux États-Unis. Conjointement avec l’Angleterre, nous avons émis à New-York un emprunt de 500 millions de dollars, dont la conclusion, au mois de septembre 1915, a marqué les bonnes dispositions de l’Amérique à l’égard des Alliés et la confiance que les banquiers américains ont dans la signature de la France et de la Grande-Bretagne. Cette somme représente environ 2 600 millions de francs au change normal de 5 fr. 18 par dollar, et près de 3 milliards au change d’aujourd’hui qui donne au dollar une valeur d’à peu près 6 francs. Les obligations, qui rapportent intérêt au taux de 5 pour 100, sont remboursables dans cinq ans, ou bien convertibles, à cette échéance, si les porteurs en font la demande, en titres 4 1/2 pour 100, remboursables au plus tôt en quinze et au plus tard en vingt-cinq ans comptés à partir de 1915 : intérêt et capital sont garantis conjointement et solidairement par la France et l’Angleterre. Les titres ont été cédés à 96 à un syndicat de banques américaines, qui les ont elles-mêmes offerts en souscription publique à 98. Le taux d’intérêt, en tenant compte du remboursement dans cinq ans, est de 5,46 pour 100 pour le public, et de 5,94 pour les emprunteurs, à cause de l’écart de 2 pour 100 qui sépare les cours de cession aux banquiers et de vente par ceux-ci aux rentiers. Mais si l’on admet, ce qui n’a rien d’improbable, que les porteurs américains demanderont en 1920 la conversion de leurs titres en un fonds 4 1/2, qui aura alors une durée minimum de dix ans et maximum de vingt ans, on trouve que le taux d’intérêt effectif n’est plus que de 5,14 dans la première hypothèse et d’un peu moins de 5 pour 100 dans la seconde.
 
Etant donné que jusqu’ici les Américains étaient peu familiers avec les emprunts étrangers, que des occasions de placer leur argent à des conditions avantageuses leur sont quotidiennement offertes dans leur propre pays, qu’il était urgent d’arrêter la hausse menaçante du change sur New-York, à Paris et à Londres, on doit considérer que cette opération n’a pas été désavantageuse.
 
 
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<center> II</center>
 
Ces diverses ressources, encaissement du solde de l’emprunt 3 1/2, avances de la Banque de France et d’Algérie, émission de Bons du Trésor en France et à l’étranger, émission d’obligations décennales de la Défense nationale, emprunt franco-anglais à New-York, joints au produit des impôts, ont couvert nos dépenses ordinaires et extraordinaires jusque vers la fin de 1915. Le moment était venu de procéder à l’émission d’un emprunt consolidé dont l’objet est double : procurer au gouvernement les milliards dont il a besoin pour continuer la lutte et provoquer l’échange d’une partie des titres de la Dette flottante contre ceux d’une rente perpétuelle, qui n’impose au Trésor que la charge des intérêts annuels et le dégage de la préoccupation d’avoir éventuellement à faire face au remboursement, à brève échéance, de nombreux milliards de Bons. Ceux-ci étant admis comme monnaie de souscription au nouvel emprunt, il est probable qu’un chiffre important va en disparaître par ce moyen.
 
Quatre questions primordiales se posaient devant le ministre au moment où il allait arrêter les modalités de la vaste opération de crédit qui se déroule en ce moment. Quel type de rente choisir ? à quel taux d’intérêt s’arrêter ? à quel prix fixer l’émission ? Quel montant assigner à l’opération ? Les fonds amortissables, c’est-à-dire qui comportent, à la minute même de leur émission, l’engagement de la part de l’État d’en rembourser le capital à une date fixe ou à des échéances déterminées, ont été très en faveur depuis quelque temps. Nous-mêmes, lors de notre dernier emprunt contracté à la veille de la guerre, avions choisi un type de rente 3 1/2 amortissable par tirages au sort en vingt-cinq ans. L’Angleterre a émis ses deux grands emprunts de guerre sous la même forme : les 9 milliards de 3 1/2 pour 100, créés en novembre 1914, sont remboursables au plus tôt en 1925, au plus tard en 1928. Les 15 milliards de 4 1/2 qui ont vu le jour en juillet 1915 sont remboursables au plus tôt en 1925, au plus tard en 1945. Le seul titre nouveau que nous ayons créé depuis l’ouverture des hostilités a été celui des obligations de la Défense nationale, remboursables, elles aussi, à bref délai.
 
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En dépit de ces précédons, M. Ribot s’est arrêté à une rente perpétuelle, c’est-à-dire à celle dont le capital n’est jamais exigible par le créancier, tandis que le débiteur a toujours, sauf stipulation contraire, le droit de le rembourser. Dans l’espèce, afin de garantir aux souscripteurs la jouissance de l’intérêt attaché au titre pendant une longue période, le gouvernement français a renoncé à ce droit de remboursement jusqu’au 1{{er}} janvier 1931. Nous approuvons pleinement le choix d’un type de rente perpétuelle, car, en présence des incertitudes de l’avenir, il peut être téméraire de s’engager à restituer aux souscripteurs leur capital à une date fixe. D’autre part, si les conditions d’émission de l’emprunt eussent comporté un amortissement annuel par tirage au sort, il n’eût pas été possible de procéder à des conversions qui seront sans doute possibles après 1930 et qui procureront alors un allégement sensible de la charge annuelle du Trésor.
 
La détermination du taux d’intérêt à offrir aux souscripteurs était relativement aisée. Depuis le début de la guerre, le taux d’escompte de la Banque de France n’est pas descendu au-dessous de 5 pour 100 ; c’est celui qui a été attaché aux Bons de la Défense nationale d’une échéance de 6 mois à 1 an, aux obligations de la Défense nationale. Ce fut jadis celui des emprunts de la libération du territoire, émis en 1871 et en 1872 et souscrits alors avec un enthousiasme qui marqua, pour notre pays, la première joie du relèvement après les douleurs de l’invasion et de la défaite. « Le 5 pour 100, » dirons-nous avec le ministre des Finances, qui en a éloquemment évoqué l’histoire, « c’est le vieux fonds français qu’on trouvait partout, dans toutes les maisons, j’allais dire dans toutes les chaumières, que nos pères ont connu, qu’ils ont aimé, parce que c’était quelque chose de la France, un souvenir des jours qui ont suivi les longues guerres qu’elle avait soutenues. Le nouveau 5 pour 100 sera bientôt aussi populaire qu’a été celui de la Restauration ; nous le retrouverons dans les tiroirs les plus modestes, aussi bien que dans les coffres-forts des grosses fortunes. » L’exemple de celui de nos Alliés dont la puissance financière est la plus grande ajouterait, s’il était nécessaire, un argument de plus à tous ceux qui militaient en faveur de l’adoption du type 5 pour 100. L’Angleterre, qui a commencé par un 3 1/2 en novembre 1914, a émis un 4 1/2 au mois de
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juillet 1915 et se prépare, dit-on, à mettre en souscription un emprunt 5 pour 100.
 
La troisième question était celle du prix de l’émission. Elle, a été résolue dans le sens le plus libéral pour les souscripteurs. Il n’eût pas été impossible de fixer un prix légèrement plus élevé que celui de 88 francs auquel s’est arrêté M. Ribot. Nous croyons qu’il a été bien inspiré en le proposant au Parlement ; si le cours de 96,50 (en réalité 94, puisque le semestre d’intérêt est payé d’avance) auquel se vendaient les obligations de la Défense nationale pouvait sembler justifier la fixation d’un prix voisin pour la rente perpétuelle, il ne faut pas oublier que la prime de remboursement à brève échéance de ces obligations représente un revenu additionnel appréciable. D’autre part, l’opération actuelle est destinée à provoquer des souscriptions considérables. De nombreux milliards doivent affluer au Trésor : il convient de les attirer par la promesse d’un revenu très rémunérateur et la perspective d’une plus-value en capital ; celle-ci est particulièrement appréciée par le rentier français qui, dans l’espèce, a devant lui une marge de 12 francs entre la somme qu’il verso et le pair de son titre ; cette marge est presque de 13 francs pour le souscripteur qui libère immédiatement : il lui est en effet accordé une bonification de 75 centimes, qui réduit son débours à 87 francs 25 centimes.
 
Un quatrième point à élucider était celui de savoir s’il convenait de fixer le chiffre de l’emprunt avant l’ouverture de la souscription, d’en arrêter le total avant de connaître l’importance des demandes, ou bien au contraire, en s’inspirant de l’exemple anglais de l’été dernier, de laisser les guichets du Trésor ouverts pendant une période indéterminée, jusqu’à ce que la clôture de l’opération fût prononcée. C’est à ce dernier parti que le ministre s’est arrêté. La souscription est ouverte depuis le 25 novembre et sera close au plus tard le 15 décembre. Cette solution était d’autant plus logique qu’une partie de la souscription sera effectuée par voie de conversion des titres de la rente 3 1/2 pour 100 acceptée au prix de 91, des obligations décennales admises à 96 francs, et de la rente 3 pour 100 comptée au cours de 66. Les possesseurs de 3 pour 100 ne peuvent toutefois présenter leurs titres comme moyen de libération de leur souscription que jusqu’à concurrence du tiers de celle-ci : un porteur de 30 francs de rente 3 pour 100 par exemple devra
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souscrire au minimum 90 francs de rente nouvelle 5 pour 100 et verser 924 francs, en espèces, ses titres étant admis pour 660 francs, ce qui complétera la somme de 1 584 francs, qui représente le prix de 90 francs de rente 5 pour 100 à 88. Des facilités ont été données aux déposans de Caisses d’épargne, pour qui, à l’occasion de l’emprunt, la clause de sauvegarde, limitant les retraits à 50 francs par mois, a été supprimée : ils pourront retirer la totalité de leur dépôt, à condition de faire, en espèces ou en titres assimilés aux espèces, une souscription double de ce dépôt.
 
Il était impossible de prévoir dans quelle mesure les porteurs de 3 pour 100 useront de la facilité qui leur est accordée, quelle sera l’importance des retraits de Caisses d’épargne, dans quelle mesure les porteurs de Bons et d’obligations de la Défense nationale échangeront leurs valeurs contre la nouvelle rente. Il eût donc été imprudent de limiter à une somme fixe le montant de l’emprunt, qui sera déterminé le jour où un arrêté ministériel déclarera la souscription close : le 15 décembre marque la date extrême de cette clôture.
 
Si nous ajoutons que le versement de souscription n’est que de 10 francs par 5 francs de rente, et que les trois autres termes de 26 francs chacun sont échelonnés le 15 janvier, le 15 février et le 15 mars 1916, nous aurons indiqué les conditions essentielles de cette émission grandiose, qui est destinée à constituer la plus vaste opération de ce genre que la France ait encore jamais exécutée. « Le sort, comme l’a dit M. Ribot, en est confié au pays lui-même, maître de ses destinées, qui comprend que sa vie est en jeu, vie nationale et vie morale de la France, en présence de l’invasion qui la menace des pires retours de la barbarie. Il faut le dire à tous, aux plus humbles, aux moins instruits : c’est un devoir qu’ils ont à remplir envers la patrie ; ils n’ont pas le droit de garder, de ne pas donner à la défense nationale leurs économies. Dans une lutte sans merci, le salut d’un seul ne peut être trouvé que dans le salut de tous. Celui qui se refuserait ou se déroberait s’il a été éclairé, si on lui a dit la vérité, celui-là serait coupable envers la patrie. Il faut apporter les réserves dont on dispose, au lieu de les garder jalousement comme un avare. A cette heure, l’égoïsme n’est pas seulement une lâcheté, une sorte de trahison, mais il est la pire des imprévoyances. Que deviendraient ces réserves si la
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France ne devait pas être victorieuse ? Elles seraient la rançon de la défaite au lieu d’être le prix de la victoire. Je fais appel à tous ceux qui, dans le cercle où ils vivent, peuvent dire un mot qui éclaire leurs concitoyens. Je compte sur eux tous, sur les Chambres de commerce, sur les syndicats, sur les associations qui m’ont promis leur concours, sur les banques, sur la presse, qui nous a donné une aide si puissante pour l’émission des Bons et des Obligations de la Défense nationale. Je fais appel aux riches comme aux pauvres, aux humbles comme aux puissans. Qu’ils viennent sceller l’unité de la nation, qu’elle se lève, cette armée de l’épargne française : comme celle qui se bat, elle est l’armée de la France, ou plutôt elle est la France elle-même. Saluons-la : c’est elle qui nous aidera à combattre et à vaincre. »
 
Tout commentaire affaiblirait ces paroles. Elles ont été affichées dans toutes les communes du territoire. Tous nos concitoyens ont pu les lire et les méditer. Nous ne doutons pas qu’ils n’agissent comme le leur conseille le ministre des Finances, dont jamais l’inspiration n’a été plus élevée. Nous n’ajouterons qu’un mot : les égoïstes eux-mêmes pourront répondre à l’appel de M. Ribot sans faire violence à leur caractère, car l’acte patriotique qu’ils accompliront sera en même temps un merveilleux placement ; ils auront la signature de l’Etat français à une cote double de ce qu’elle était il y a peu d’années. Au début du XXe siècle, notre 3 pour 100 dépassait le pair ; aujourd’hui, c’est presque du 6 pour 100 qui est donné aux souscripteurs. Le crédit de la France n’est pas ébranlé ; il est au-dessus de toute discussion ; personne, ni dans le pays, ni à l’étranger, ne met un instant en doute notre puissance financière. Mais, en présence des appels énormes qui sont adressés de toutes parts à l’épargne, il est naturel que des conditions particulièrement avantageuses lui soient consenties. De pareilles occasions se rencontrent rarement. Des générations ont pu passer sans les voir s’offrir à elles. Tous les hommes avisés voudront en profiter et emploieront une partie de leur fortune à souscrire à l’emprunt national 5 pour 100 de 1915.
 
 
RAPHAËL-GEORGES LEVY