« Les Ressources des belligérants » : différence entre les versions

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{{journal|Les ressources des belligérans|[[Auteur : Raphaël-Georges Lévy|Raphaël-Georges Lévy]]|[[Revue des Deux Mondes]] tome 27, 1915}}
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/786]]==
{{c|Les ressources des belligérans|fs=140%}}
 
<pages index="Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu" from=786 to=821 />
 
 
<center> I</center>
 
Une des questions qui reviennent le plus fréquemment sur le tapis à l’époque où nous vivons est celle des ressources financières des belligérans. Que faut-il entendre par-là ? Celles dont ils disposaient au moment de la déclaration de guerre, celles dont ils se sont assuré la rentrée depuis lors, ou celles enfin qu’ils peuvent espérer dans la suite ? L’étude de ce troisième point se confond avec celle de la force économique des Etats. Elle nous amène à nous demander, pour chacun d’eux, quels impôts nouveaux il peut exiger de ses nationaux et quels emprunts son crédit lui permet de contracter ? C’est là peut-être la partie la plus délicate du problème. La solution n’en dépend pas seulement de l’analyse, des conditions présentes, mais sera influencée, dans une mesure considérable, par l’issue de la campagne. L’indemnité de guerre qui sera exigée fera passer un certain nombre de milliards d’un camp dans l’autre, et, de ce chef, causera déjà un dommage notable au débiteur.
 
Il est évident que les pays victorieux amortiront une partie de leurs dépenses au moyen du tribut qui leur sera payé, que leur propre budget se trouvera allégé dans la même proportion, qu’ils auront d’autant moins d’impôts nouveaux à établir, que par conséquent leur essor économique reprendra une allure
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d’autant plus rapide. Cette perspective explique le recours, pour couvrir les dépenses de guerre, à des opérations de crédit à court terme, puisqu’une rentrée extraordinaire peut être escomptée, grâce à laquelle, après la conclusion de la paix, s’amortiront des obligations émises au cours des hostilités.
 
En attendant, les dépenses se continuent sur une échelle qui dépasse tout ce qui s’est vu jusqu’à ce jour, au point qu’il est impossible de trouver dans l’histoire rien qui approche des sommes dont il s’agit actuellement. De même que, dans la seule bataille de Neuve-Chapelle, les Anglais ont lancé plus de projectiles que pendant trois années de lutte contre les Boers, de même une semaine de guerre coûte aujourd’hui plus qu’une campagne d’autrefois. Quel est donc le chiffre de ces dépenses, dont chaque pays semble accepter le fardeau sans se soucier du poids dont il pèsera sur l’avenir de ses destinées ? Pour les supputer exactement, il manque un élément essentiel : la connaissance de la durée du conflit. On ne peut, à ce point de vue, que raisonner par analogie, chercher à dégager par exemple le chiffre des débours mensuels et laisser aux lecteurs le soin de le multiplier par le nombre de mois qui, dans la pensée de chacun d’eux, nous séparé encore de la paix.
 
Cette méthode elle-même est insuffisante pour nous donner une vue complète du sujet. Les dépenses effectuées ou engagées par les divers gouvernemens ne constituent pas en effet la totalité du coût de la guerre. A côté d’elles doivent être considérées la destruction des propriétés mobilières et immobilières et l’anéantissement d’innombrables vies, sacrifiées chaque jour sur les champs de bataille. Ce capital humain, précieux entre tous, représente un des élémens les plus douloureux et les plus difficiles à traduire en chiffres de l’addition formidable des pertes subies par les belligérans. On peut y ajouter encore celles que cause l’arrêt partiel de la création artistique et industrielle, du commerce, en un mot d’une foule de branches de l’activité productive par laquelle les hommes, en temps ordinaire, assurent leur existence et contribuent au progrès général. Un statisticien anglais a essayé de dresser, pour six Puissances européennes, un tableau de ce qui aurait ainsi été dépensé ou détruit au bout d’un an de guerre, c’est-à-dire
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en supposant que celle-ci se termine le 31 juillet 1915. Il a cherché à évaluer les dépenses directes des États, la valeur des propriétés ruinées, des vies humaines fauchées, le montant des sommes perdues par suite de l’arrêt de la production. Il arrive à un total de 200 milliards de francs.
 
 
<center>''Évaluation (en milliards de francs) du coût total de la guerre jusqu’au 31 juillet 1915''. </center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! Dépenses directes du Gouvernement
! Destruction de propriétés
! Vies humaines anéanties
! Arrêt de la production
! Totaux
|-----
| France
| 14
| 4
| 9
| 15
| 42
|-{{ligne grise}}
| Angleterre
| 18
| »
| 7
| 1
| 26
|-----
| Russie
| 15
| 2
| 8
| 10
| 35
|-{{ligne grise}}
| Belgique
| 1
| 6
| 1
| 5
| 13
|-----
| Allemagne
| 23
| »
| 22
| 24
| 69
|-{{ligne grise}}
| Autriche-Hongrie
| 14
| 2
| 6
| 15
| 37
|-----
| Total
| 85
| 14
| 53
| 70
| 222
|}
 
Sans attacher plus d’importance qu’il ne convient à, un travail dont le caractère, en grande partie conjectural, apparaît notamment en ce qui concerne la différence d’évaluation des vies humaines, nous le reproduisons à titre de curiosité ; il sert aussi à rappeler l’ordre des grandeurs au milieu desquelles se meuvent les recherches de ce genre et la réalité de certaines destructions, qui doivent être présentes à l’esprit du statisticien, alors même qu’il ne les fait pas directement entrer dans ses calculs.
 
Nous ne mettrons, en regard des ressources financières de chaque Etat, que les dépenses effectuées depuis le début des hostilités. Nous laisserons ainsi de côté, non seulement les élémens que nous venons de rappeler, mais toutes les sommes qui, depuis de longues années, ont été consacrées à la préparation de la lutte actuelle et qui, logiquement, devraient figurer dans le total des dépenses qu’elle occasionne. Tout en restreignant ainsi le problème, il ne peut s’agir encore, à l’heure où le duel se poursuit avec une énergie inlassable, de dresser des comptes exacts, même si l’on se borne au point de vue strictement financier et si on néglige les innombrables répercussions économiques qui se traduisent, elles aussi, dans bien des cas, par un surcroit de charges imposé aux nations. Des
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crédits qui se chiffrent par milliards ont beau être ouverts sans discussion aux gouvernemens : les besoins de la Défense nationale autorisent implicitement les dépassemens, qui sont d’ailleurs aussitôt ratifiés par l’autorité compétente. C’est ainsi que chez nous, en l’absence des Chambres, les ministères obtiennent du Conseil d’Etat toutes les autorisations de dépenses qu’ils croient nécessaire de demander.
 
Il est d’autant plus difficile de présenter aujourd’hui un compte séparé des dépenses de la guerre que celle-ci a éclaté au milieu de l’été, à l’époque où une partie de l’exercice budgétaire était déjà écoulée, à raison de sept mois pour les Puissances dont l’exercice financier cadre avec celui de l’almanach, de quatre mois pour celles qui, comme l’Angleterre et l’Allemagne, en ont fixé le point de départ au 1{{er}} avril. C’est donc plutôt du côté des ressources réalisées que nous trouverons matière à une étude qui, sans pouvoir prétendre à une précision qui ne s’obtiendra que bien longtemps après la fin de la guerre, se rapprochera du moins de la vérité : elle permettra d’utiles comparaisons entre les belligérans, tant au point de vue de l’importance des sommes réunies que des modalités auxquelles les divers Trésors ont eu recours pour se procurer des fonds. Cette recherche nous amènera à nous poser le problème de savoir si c’est à l’intérieur de ses frontières que chaque belligérant a trouvé l’argent dont il avait besoin, ou bien si, et dans quelle mesure, il a dû faire appel à des concours extérieurs.
 
Parmi les moyens auxquels on avait songé pour réunir les ressources nécessaires à la Triple-Entente, figurait l’émission d’emprunts portant la signature conjointe et solidaire des trois alliés. Dans son discours du 15 février 1915, M. Lloyd George a écarté cette solution, Il a déclaré que la France, l’Angleterre, la Russie procéderaient séparément. Toutefois, il a été décidé que des crédits pourraient être consentis réciproquement par certains des alliés, afin de faciliter aux autres les achats sur les marchés étrangers. C’est ainsi qu’un premier compte de 1 150 millions de francs a été ouvert à Paris et à Londres pour permettre aux Russes de payer des fournitures de guerre. D’autre part, il a été entendu que chacune des grandes nations alliées contribuerait à tout emprunt consenti aux petits États qui sont aujourd’hui ou qui pourraient se ranger à leurs côtés,
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La garantie sera répartie entre elles. Au moment opportun, un emprunt commun sera émis, par parties égales, chez les trois alliés, pour rembourser les avances déjà faites ou à faire à ces petits pays.
 
 
<center> II. — FRANCE</center>
 
Au début, la France dépensait pour la guerre 1 200 millions par mois, près de 15 milliards par an. D’après les dernières déclarations de M. Ribot, il semble que le chiffre mensuel approche maintenant de 1 500 millions. Elle a, pour y faire face, deux ordres de ressources : les avances consenties par la Banque de France et le produit des emprunts émis directement par le Trésor.
 
Rappelons d’abord ce qu’était notre budget à la veille des événemens. Depuis plusieurs années, il avait grossi rapidement, sous l’influence de trois causes principales : la multiplication des fonctionnaires, les lois sociales, les dépenses militaires. Jusque dans les derniers temps, celles-ci n’avaient représenté que le moindre des trois facteurs. Après le vote de la loi instituant le service de trois ans, en 1913, il fallut se préoccuper de trouver des ressources. Le Parlement créa quelques taxes nouvelles, parmi lesquelles un impôt spécial sur les coupons des fonds étrangers, vota un impôt général sur le revenu, qui n’a pu encore être appliqué, et enfin, à la dernière heure, un emprunt de 800 millions effectifs, qui fut émis le 7 juillet 1914, trois semaines avant l’agression allemande. Les fonds procurés par cette opération devaient couvrir une partie des dépenses non renouvelables résultant de notre réorganisation militaire : augmentation des casernemens, des arméniens, des approvisionnemens de toute nature. Le budget de 1914 se présentait avec un total de 5 090 millions de francs : en bonne comptabilité, il eût fallu y faire entrer 617 millions de dépenses de la Défense nationale, armée et marine, et 212 millions de frais de l’occupation du Maroc, qui, depuis plusieurs années, avaient donné lieu à l’ouverture d’un compte spécial. En réalité, le total des charges approchait de 6 milliards.
 
Les crédits ouverts au ministre des Finances depuis le 1{{er}} août jusqu’au 31 décembre 1914, par décrets en Conseil d’État ratifiés ensuite par les Chambres, durant leur courte
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session de fin d’année, se sont élevés à 6 500 millions, dont 6092 pour la Guerre, 83 millions pour la Marine et 341 pour allocations aux familles des mobilisés. En décembre 1914, le Parlement a voté 8 825 millions de crédits provisoires pour le premier semestre 1915. Ils excèdent de 6 229 millions les six douzièmes des crédits primitifs du budget de 1914. De cette augmentation, 5 428 millions sont applicables au ministère de la Guerre, 60 millions à la flotte, 40 millions aux intérêts de la dette flottante et des obligations à court terme, 131 millions aux garanties d’intérêt des chemins de fer et à l’insuffisance du réseau d’Etat, 51 millions à l’entretien des personnes évacuées des places fortes ou des départemens occupés par l’ennemi, 300 millions à la réparation des dommages matériels résultant des faits de guerre, 20 millions au fonds national de chômage. Nous ne citons que les chapitres les plus importans. Les crédits ont été votés en bloc : la répartition comme l’emploi se font sous la responsabilité du gouvernement. Celui-ci a demandé encore des dotations supplémentaires, par exemple 16 millions pour les retraites ouvrières et paysannes, et des accroissemens correspondant à des mesures approuvées ou à des lois votées par le Parlement, concernant notamment les traitemens de fonctionnaires. Il a fallu tenir compte des services nouveaux ou des extensions de services, dont la nécessité est apparue depuis le début des hostilités. Les allocations accordées aux familles des mobilisés ont été prévues pour 567 millions. Le total des crédits pour le premier semestre de 1915 s’élève ainsi à 9 298 millions.
 
Il était encore d’autres besoins auxquels le Trésor devait se préoccuper de faire face : ceux des départemens et des communes qui, en temps ordinaire, déposent leurs fonds au Trésor, mais qui, pendant la guerre, peuvent au contraire avoir à recourir à son aide. Un décret du 21 septembre 1914 donne aux départemens et aux communes la faculté d’émettre des Bons spéciaux. Chaque émission doit être approuvée par un décret rendu en Conseil d’Etat. Le 7 novembre 1914, la Ville de Paris a été autorisée à émettre 120 millions de francs de Bons municipaux, au taux maximum de 6 pour 100, à un an d’échéance* Ce chiffre a été porté, le 15 décembre, à 140 millions, afin de permettre à la Ville de souscrire aux émissions de bons effectuées par le département de la Seine et les autres communes du département. Enfin des crédits ont été ouverts au
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Trésor français, destinés à certains pays alliés ou amis. Le 4 mars 1915, le ministre des Finances a déposé un projet de loi portant à 1350 millions le montant des avances faites ou à faire à ces pays. Il avait déjà prêté, en vertu du décret du 27 octobre 1914, 250 millions à la Belgique, 185 à la Serbie, 20 à la Grèce, 0,5 au Monténégro. Les 895 millions restans étaient destinés à la Belgique, la Serbie et la Russie.
 
Comment a-t-il été fait face à ces dépenses ? Jusqu’ici la France n’a pas établi d’impôts nouveaux, ni même de surtaxes à des impôts existans. Au contraire, sous l’empire de la nécessité, il a fallu reculer d’un an l’application de l’impôt général sur le revenu, voté en 1914 et qui devait entrer en vigueur le 1{{er}} janvier 1915. C’est donc exclusivement à l’emprunt que nous avons eu recours. Les versemens de celui de 800 millions émis en juillet étaient échelonnés jusqu’en automne, de sorte que, le 1{{er}} août, il n’était guère entré dans les caisses publiques qu’un tiers du montant. Par une mesure très sage, M. Ribot a ultérieurement autorisé l’emploi de ce fonds à la souscription à de nouvelles obligations du Trésor rapportant un intérêt plus élevé, en sorte que, d’ici à peu de temps, la rente 3 et demi pour 100 aura été entièrement libérée et aura ensuite disparu sans avoir causé de perte aux souscripteurs.
 
Une convention de 1911 avait réglé les conditions dans lesquelles la Banque de France devait fournir des fonds au Trésor. En dehors d’un prêt de 200 millions sans intérêt qui n’est remboursable qu’en 1920 à l’expiration du privilège, la Banque était tenue de verser à l’Etat 2 900 millions de francs (100 millions, complétant les 3 milliards, étant fournis par la Banque d’Algérie). Bientôt, ce chiffre fut augmenté : par une convention en date du 21 septembre 1914, l’avance-de la Banque a été portée à 6 milliards de francs ; par un accord du 9 mai 1915, à 9 milliards. L’intérêt, qui est actuellement de 1 pour 100, sera élevé à 3 pour 100 après l’année qui suivra la fin des hostilités. Ce surplus de 2 pour 100 ira à un fonds de réserve, destiné à commencer l’amortissement de la dette de l’Etat Sur ce total, il avait été fourni au ministre des Finances, à la date du 6 mai 1915, 5 400 millions : il en reste donc 600 à sa disposition.
 
Voici quels ont été, au cours de neuf mois de guerre, les mouvemens des principaux comptes de la Banque. Nous
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rapprochons les chiffres du dernier bilan de juillet 1914 et ceux du 15 avril 1915 :
 
 
<center> ACTIF (millions de francs).</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! 30 juillet 1914
! 15 avril 1915
|-----
| Encaisse Or
| 4 141
| 4 228
|-{{ligne grise}}
| Encaisse Argent
| 625
| 378
|-----
| Portefeuille.
| 2 444
| 230
|-{{ligne grise}}
| Effets prorogés
| »
| 2 654
|-----
| Avances sur titres
| 744
| 666
|-{{ligne grise}}
| Avances à l’État
| 200
| 5 300
|}
 
<center> PASSIF (millions de francs).</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! 30 juillet 1914
! 15 avril 1915
|-----
| Circulation
| 6 683
| 11 500
|-{{ligne grise}}
| Compte courant du Trésor
| 383
| 101
|-----
| Comptes courans particuliers.
| 947
| 2 323
|}
 
L’encaisse est restée à peu près stationnaire. L’or a augmenté d’une centaine de millions et l’argent a diminué de 250 millions. Les deux mouvemens se sont opérés dans un sens favorable, puisque le métal jaune est celui qui a sa pleine valeur, tandis que celle du métal blanc est inférieure de plus de moitié à son cours monétaire. Le portefeuille des effets escomptés a augmenté d’environ 400 millions, somme modique dans les circonstances actuelles. Il faut à ce sujet faire deux remarques. ! La première, c’est que, au cours des mois écoulés, le portefeuille avait atteint un niveau beaucoup plus élevé. Ainsi, le 1{{er}} octobre 1914, le chiffre des effets était de 4 476 millions, soit 1 600 millions de plus qu’aujourd’hui. Ceci indique que beaucoup de débiteurs de ces effets prorogés en ont acquitté le montant et que nous nous acheminons graduellement vers un état normal. En second lieu, il ne faut pas perdre de vue que le portefeuille du 30 juillet 1914 représentait, par rapport à celui de la semaine précédente, du 23 juillet, qui n’était que de 1 542 millions, un accroissement de 900 millions et était donc déjà lui-même influencé par les événemens.
 
De juillet 1914 à avril 1915, la circulation a augmenté de 4 800 millions, c’est-à-dire, à 300 millions près, de la somme dont s’est accrue la dette de l’Etat, qui a passé de 200 à 5 300 millions. Les comptes courans des particuliers ont grossi de 1 400 millions, tandis que celui du Trésor diminuait de 300 millions. Ce double mouvement s’explique aisément : l’État dépensé chaque jour davantage, tandis que les individus et les
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sociétés privées cherchent à augmenter leurs réserves et les confient au dépositaire qui leur offre le maximum de sécurité.
 
Tels sont les traits distinctifs du bilan de la Banque. Ils indiquent l’étendue du concours donné au Trésor par notre grand établissement de crédit. Parmi les mesures de guerre prises par lui, il convient de signaler la mise en circulation des coupures de 5 et de 20 francs, qui sont venues prendre leur place à côté de celles de 50, de 100, de 500 et de 1 000 francs ; elles rendent de grands services pour les transactions quotidiennes, dans lesquelles elles remplacent avantageusement les écus de 5 francs en argent.
 
Les Bons à courte échéance ont été la seconde source à laquelle le Trésor français s’est alimenté. En dehors de ceux qui sont destinés aux besoins normaux et dont le maximum est fixé par la loi de finances annuelle, il a été créé des Bons dits de la Défense nationale : le total des uns et des autres a été successivement porté à 6 milliards aux dates rappelées ci-dessous :
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
!
|-----
| La loi de finances du 15 juillet 1914 autorisait l’émission de Bons pour une somme de
| 600 millions
|-{{ligne grise}}
| Le décret du 1{{er}} septembre a élevé cette limite à
| 940 —
|-----
| Celui du 3 décembre 1914 à
| 1 400 —
|-{{ligne grise}}
| La loi du 26 décembre 1914 à
| 2 500 —
|-----
| Un décret de février 1915 à
| 3 500 —
|-{{ligne grise}}
| Celui de mars 1915 à
| 4 500 —
|-----
| La loi du 9 mai 1915 à
| 6 000 —
|}
 
Ce maximum de 6 milliards ne comprend pas les bons que le ministre des Finances est autorisé à remettre à la Banque de France pour être escomptés au profit de pays alliés ou amis.
 
Les Bons de la Défense nationale portent intérêt à 4 pour 100 l’an lorsqu’ils sont à trois mois de date, et à 5 pour 100, quand l’échéance est de six mois à un an.
 
Afin de se procurer des ressources au moyen de titres à terme moins rapproché, M. Ribot a créé les obligations 5 pour 100 de la Défense nationale, amortissables au plus tard en 1925, au plus tôt en 1920. Au prix d’émission fixé par lui, elles donnent au souscripteur un revenu d’environ 5,68 pour 100, en tenant compte du remboursement au pair en 1925.
 
Si on évalue, en chiffres ronds, à 16 milliards au 31 juillet 1915 les dépenses de guerre de la France, on peut dire qu’elles seront couvertes de la façon suivante : 9 milliards par
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/795]]==
l’avance de la Banque ; 6 milliards par les Bons du Trésor : 1 milliard par les obligations de la Défense nationale.
 
 
<center> III. — ANGLETERRE</center>
 
Le financement anglais de la guerre a différé du nôtre sous deux rapports. Le Gouvernement n’a pas demandé de fonds, en dehors de l’avance statutaire et normale, à la Banque d’Angleterre. Il a, dès les premiers mois, établi des impôts nouveaux, ce qui ne l’a pas empêché de recourir, dans une large mesure, aux emprunts, sous la forme de Bons du Trésor et d’obligations décennales.
 
Les dépenses furent d’abord couvertes au moyen de l’émission de Bons à court terme, dont l’échéance variait de six mois à un an, mis en adjudication, et qui ont procuré à l’Échiquier des fonds à des taux remarquablement modérés. Dès le mois de novembre 1914, M. Lloyd George voulut s’assurer par d’autres moyens de plus amples ressources. A cet effet, il proposa des taxes destinées à couvrir au moins l’intérêt des sommes énormes qu’il fallut et qu’il faudrait emprunter. Il fît porter les augmentations à la fois sur les contributions directes et sur les indirectes, estimant à bon droit que tous les citoyens doivent supporter leur part du fardeau. La principale augmentation fut celle de l’''income tax'', qui avait déjà subi de nombreuses aggravations depuis 1900. Au cours des deux derniers exercices 1913-14 et 1914-15, (l’année financière anglaise va du 1{{er}} avril au 31 mars), il avait été demandé à l’''income tax'' proprement dite 16 millions et demi et à la ''supertax'' 4 millions de livres sterling de plus que précédemment : une nouvelle augmentation, votée au mois de novembre 1914, a eu pour effet de doubler le taux de l’impôt par rapport à ce qu’il était il y a deux ans. Voici quelle a été la progression : elle est indiquée dans la première colonne à la manière anglaise, en shillings et pence par livre sterling, dans la seconde en pourcentages.
 
D’après ce tarif, un revenu de 1 000 livres, gagné par le travail, paie 1 shilling 6 pence à la livre, c’est-à-dire 7 et demi pour 100. Sur un revenu de 10 000 livres sterling, l’''income tax'' et la ''supertax'' réunies prélèveront cette année 1 995 livres sterling, c’est-à-dire près de 20 pour 100. Dans son exposé du 4 mai 1915, M. Lloyd George a déclaré que, dès l’année
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/796]]==
1914-15, le rendement de l’impôt a dépassé les prévisions de 8 millions de livres.
 
 
<center>REVENU DU TRAVAIL </center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! 1913-1914
! «
! 1914-1915
! «
! 1915-1916
! «
|-----
!
! par £
! pour 100
! par £
! pour 100
! par £
! pour 100
|-----
| Jusqu’à 1 000 £
| 9 d
| 3,75
| 1/-
| 5
| 1/6
| 7 1/2
|-{{ligne grise}}
| De 1 001 à 1 500 £
| 10 1/2
| 4,37
| 1/2
| 5,83
| 1/9
| 8,75
|-----
| De 1 501 à 2 000 £
| 1/-
| 5
| 1/4
| 6,67
| 2/-
| 10
|-{{ligne grise}}
| De 2 001 à 2 500 £
| 1/2
| 5,83
| 1/6 1/2
| 7,71
| 2/4
| 11,67
|-----
| A partit de 2 501 £
| 1/3
| 6,25
| 1/8
| 8,30
| 3/6
| 12 1/2
|}
 
<center> REVENU NON GAGNE</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! 1913-1914
! «
! 1914-1915
! «
! 1915-1916
! «
|-----
!
! par £
! pour 100
! par £
! pour 100
! par £
! pour 100
|-----
| Jusqu’à 300 £
| 1/-
| 5
| 1/4
| 6,67
| 2/-
| 10
|-{{ligne grise}}
| De 301 à 500 £
| 1/6
| 5,83
| 1/6 1/2
| 7,71
| 2/4
| 11,67
|-----
| A partit de 501 £
| 1/3
| 6,25
| 1/8
| 8,30
| 2/6
| 12 1/2
|}
 
<center> SUPERTAX</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! 1913-1914
! «
! 1914-1915
! «
! 1915-1916
! «
|-----
!
! par £
! pour 100
! par £
! pour 100
! par £
! pour 100
|-----
| Sur le revenu à partir de 3 001 £
|
|
| 1/3
| 6,25
| 2/6
| 12 1/2
|}
 
Les autres augmentations d’impôt ont consisté en taxes additionnelles d’un demi-penny par demi-pinte de bière, de 3 pence par livre de thé. On estime que ces diverses sources donneront 65 millions de livres en 1915-16.
 
En même temps, le Chancelier de l’Echiquier émettait, au cours de 95, un emprunt de 350 millions de livres 3 et demi pour 100, remboursable au pair au plus tôt le 1{{er}} mars 1925, au plus tard le 1{{er}} mars 1928. Le prix d’émission représente un revenu brut d’environ 4 pour 100, mais bien inférieur, si l’on tient compte de la déduction opérée par l’''income tax''. Ce fut l’opération la plus vaste qu’aucun Etat ait jamais entreprise. Elle portait sur une somme triple de celle que la France avait empruntée en 1872. Le succès fut considérable. Près de 100 000 souscripteurs se présentèrent. Les versemens avaient été échelonnés de décembre 1914 jusqu’au 26 avril 1915. La totalité en est actuellement entrée dans les caisses du Trésor.
 
L’Échiquier a encore placé à diverses reprises des Bons à court terme, à six mois ou un an d’échéance, à des taux variables selon l’état du marché monétaire. Le montant en circulation à la fin d’avril 1915 est de 85 millions de livres sterling.
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/797]]==
Depuis le 14 avril, la Trésorerie anglaise a changé son mode d’émission des Bons à court terme. Jusqu’ici, elle en mettait, à de certains intervalles, des quantités déterminées aux enchères, et le taux n’était connu que par le résultat de l’adjudication. Désormais, elle fixe les prix auxquels elle vend des Bons à trois, à six et à neuf mois. Les quantités souscrites ne seront connues que si elle les publie. Le 15 avril 1915, pour la première fois, la nouvelle méthode a été appliquée. La Banque d’Angleterre a fait connaître que le Gouvernement offrait
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
!
|-----
| des bons à 3 mois au taux de
| 2 3/4
|-{{ligne grise}}
| — 6
| — 3 5/8
|-----
| — 9
| — 3 3/4
|}
 
Ce système permettra à l’Etat de réunir provisoirement les sommes dont il a besoin, sans émettre de nouvel emprunt consolidé. Il contribuera à améliorer le change, notamment le change américain, en relevant le taux des capitaux disponibles sur la place de Londres, où il était tombé à un niveau tellement bas que l’or avait une tendance à s’exporter.
 
Parmi les mesures auxquelles l’Angleterre a eu recours pour augmenter ses ressources, il convient de mentionner la création, pour la première fois dans l’histoire financière de la Grande-Bretagne, de billets d’Etal. Cette émission a d’ailleurs été faite beaucoup plus pour venir en aide aux banques, à qui le Gouvernement a consenti des avances au mois d’août 1914, que pour créer des ressources budgétaires. La meilleure preuve en est qu’au cours des derniers mois, le chiffre de cette circulation a très peu augmenté et qu’au contraire la quantité d’or immobilisée en garantie de ce papier n’a cessé de croître. Au 5 mai 1915, il en avait été créé pour 43 millions de livres, dont 7 millions étaient en réserve. Le solde était couvert à raison de 27 millions par le métal et de 8 millions par la seule signature de l’État. La proportion de la couverture en numéraire était ainsi de 75 pour 100, c’est-à-dire notablement supérieure à celle qui se constate aujourd’hui, la Banque d’Angleterre exceptée, chez les diverses banques d’émission des belligérans.
Quant à la Banque d’Angleterre elle-même, sa circulation n’a pas cessé d’être exactement contenue dans les limites sévères de l’acte de 1844. La quantité de billets créés n’excède
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/798]]==
l’or que d’une somme de 18 millions de livres, et, comme le chiffre des billets en réserve est double de ce montant (36 millions le 10 avril), il en résulte que la circulation effective de 35 millions est inférieure d’un tiers au numéraire en caisse, qui s’élève à 53 millions de livres sterling.
 
Bien que la Banque d’Angleterre ne joue pas, dans les finances publiques britanniques, le même rôle que la Banque de France vis-à-vis des finances françaises, il n’en est pas moins intéressant de comparer la situation de cet établissement aux dates des 30 juillet 1914 et 15 avril 1915. En voici les principaux chiffres :
 
 
<center> ACTIF (millions de livres)</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! 24 juillet 1914
! 15 avril 1915
|-----
| Encaisse or
| 38
| 55
|-{{ligne grise}}
| Portefeuille et avances
| 47
| 138
|-----
| Fonds publics
| 18
| 55
|-{{ligne grise}}
| Dette du Gouvernement
| 11
| 11
|}
 
<center> PASSIF (millions de livres)</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! 24 juillet 1914
! 15 avril 1915
|-----
| Circulation
| 30
| 35
|-{{ligne grise}}
| Dépôts publics
| 13
| 104
|-----
| Dépôts particuliers
| 54
| 103
|}
 
L’évolution a été bien différente de celle de la Banque de France ou de la Banque de Russie. La circulation n’a pour ainsi dire pas varié, tandis que l’encaisse a augmenté de 50 pour 100. Le portefeuille a triplé, ainsi que les fonds publics. La dette du Gouvernement n’a pas grossi d’un centime, alors que les dépôts publics ont passé de 13 à 104 millions et que ceux des particuliers ont doublé. Le fait à retenir, au point de vue qui nous occupe, c’est que l’Etat n’a demandé aucune assistance à la Banque.
 
Essayons maintenant de nous rendre compte des sommes dépensées- Dès le mois d’août 1914, un premier crédit de 100 millions de livres avait été voté par le Parlement. Un second de 225 fut accordé au mois de novembre. Le 1{{er}} mars 1915, à la Chambre des Communes, M. Asquith a demandé des crédits supplémentaires de 37 millions de livres pour l’exercice se terminant le 31 mars 1915, et 250 millions pour la période du nouvel exercice s’étendant du 1{{er}} avril au 15 juillet 1915. Le total des crédits extraordinaires pour 1914-15
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/799]]==
se sera ainsi élevé à 362 millions. Là-dessus, 275 sont allés à l’armée et à la marine, en addition aux crédits ordinaires du temps de paix ; 38 millions ont été avancés aux colonies, plusieurs millions à la Belgique, 800 000 livres à la Serbie. D’après une déclaration faite par M. Lloyd George, le 4 mai 1915, le coût actuel de la guerre est de 2 100 000 livres par jour, soit 1 600 millions de francs par mois : il n’était guère que du tiers en août et septembre 1914. Il n’a cessé de s’élever au cours des mois suivans.
 
Les crédits sont destinés :
 
1° Aux dépenses de l’armée et de la flotte ;
 
2° Aux paiemens sans garanties données par le Trésor afin de relever le crédit, d’encourager le commerce et l’industrie et de faciliter la levée de fonds par les Dominions ou protectorats britanniques en dehors du royaume, et par les Puissances alliées ;
 
3° Aux avances par voie d’emprunts ou de contributions aux Dominions et protectorats hors du Royaume-Uni et aux Puissances alliées pour dépenses de guerre ou pour aplanir les difficultés en dehors de la guerre, et aux autorités locales et autres corps pour entreprendre des travaux publics afin de secourir la détresse ;
 
4° Aux avances, par le moyen d’emprunts temporaires, pour réunir des fonds qui auraient autrement été obtenus en raison de garanties données par le Parlement.
 
Il nous est possible de nous rendre mieux compte de la situation financière de la Grande-Bretagne que de celle des autres belligérans, à raison de la rapidité et de la clarté des communications de la Trésorerie anglaise. A peine l’année budgétaire était-elle close le 31 mars 1915 que nous en connaissions les résultats, qui se résument comme suit :
 
{{entête tableau charte alignement}}
! Sorties
! Millions de £
! Entrées
! Millions de £
|-----
| Dépenses
| 560
| Revenus réguliers et impôts
| 227
|-{{ligne grise}}
| Augmentation de l’encaisse
| 75
| Emprunts de guerre
| 296
|-----
|
|
| Obligations de l’Echiquier
| 48
|-{{ligne grise}}
|
|
| Nouveaux bons du Trésor
| 64
|-----
| Total
| 635
| Total
| 635
|}
 
Les recettes ordinaires ont dépassé de 27 millions de livres les dépenses normales (221 contre 200 millions). Comme il a
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/800]]==
été emprunté 408 et dépensé au titre extraordinaire 360 millions, il en est résulté une augmentation de l’encaisse du Trésor de 75 millions (48 plus 27). Si, aux dépenses dites de guerre, on ajoute le budget ordinaire de l’armée et de la flotte, 80 millions, on voit que le total des dépenses militaires au 31 mars 1915 a été, pour l’année, de 440 millions.
 
On peut se faire une idée de la solidité du crédit anglais en constatant qu’au mois de février 1915, des Bons du Trésor à un an d’échéance ont été placés à 2 13/16 et des Bons à, six mois à 1 5/8 pour 100. Ce sont là des taux qui, même en temps de paix, seraient considérés comme très bas. Cette facilité avec laquelle le Gouvernement britannique se procure des fonds s’explique à la fois par sa politique financière et la situation du marché. Rien n’est plus rassurant que l’examen de ce dernier. Le stock d’or de la Banque d’Angleterre a doublé depuis le début des hostilités. En dehors du métal qui lui appartient en propre, elle en détient des quantités considérables pour compte du Gouvernement anglais, qui l’a immobilisé comme couverture des billets d’Etat, du Gouvernement indien, du Gouvernement égyptien et d’autres encore. Les émissions de titres faites en 1914 à Londres ont atteint un chiffre sans précédent, 531 millions de livres, contre 248 en 1913 et 131 en 1907. Là-dessus, 375 millions ont été souscrits en fonds anglais, sans parler de 77 millions de Bons du Trésor ; 86 millions ont été fournis à l’Inde et aux colonies ; 70 millions à divers pays étrangers. A ces deux derniers chiffres, il convient d’ajouter les sommes avancées par le Trésor au Canada, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande, à l’Union sud-africaine, à la Russie, à la Belgique, à la Serbie : elles portent à 214 millions le total des fonds fournis par le Royaume-Uni à l’Inde, à ses colonies et aux pays étrangers. La Grande-Bretagne n’a donc pas seulement fait face aux dépenses de la guerre la plus coûteuse qu’elle ait jamais soutenue ; elle est encore venue en aide, de la façon la plus large, aux diverses parties de son empire et à ses alliés. Aussi le chancelier de l’Echiquier, en présentant le budget à la Chambre des Communes, le 4 mai 1915, a-t-il pu dire, non sans fierté, que l’Angleterre, exactement comme pendant la période napoléonienne, continuerait à prendre la charge des finances de ceux de ses alliés qui auraient besoin de son appui. Elle n’a pas craint pour cela d’emprunter avec la même énergie qu’elle
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/801]]==
déployait pour amortir en temps de paix. Dès le 31 mars 1915, le chiffre de sa Dette était de 1165 millions de livres, près de 30 milliards de francs.
 
 
<center> IV. — RUSSIE</center>
 
La Russie a abordé la guerre avec des réserves financières sérieuses. D’une part, la Banque d’Etat avait, au début des hostilités, une encaisse or supérieure à sa circulation. D’autre part, le Gouvernement possédait lui-même, à l’intérieur et au dehors, d’importantes disponibilités. Le budget était en équilibre. Les forces économiques de la nation se développaient. L’organisme était sain et prêt à supporter vaillamment les épreuves de la lutte.
 
Nous rappellerons ce qu’était le budget de 1914, tel qu’il avait été établi au début de l’année, quelles modifications y furent apportées, quelles prévisions ont été faites pour 1915, et au moyen de quelles ressources extraordinaires ont été couvertes les dépenses de la guerre.
 
Au point de vue monétaire, la situation se résume comme suit. De juillet 1914 à avril 1915, le stock d’or de la Banque de Russie n’a pour ainsi dire pas varié : il se tient aux environs de 1 700 millions de roubles (valant 2 fr. 67), tandis que la circulation a doublé, passant de 1 600 à 3 200 millions. La couverture métallique du billet est encore de plus de 50 pour 100. Le compte courant créditeur du Trésor est descendu de 500 à 200 millions. D’après ses statuts, la Banque de Russie ne pouvait émettre plus de 300 millions de roubles de papier non couvert par l’encaisse. Cette limite a été augmentée de 1 500 millions en août 1914, et de 1 500 millions encore en mars 1915.
 
Le budget de 1914 qui, d’après la loi du 22 juin dernier, se balançait par 3 572 millions de roubles, s’est soldé par un déficit d’environ 565 millions, dû principalement à la mesure radicale de la fermeture des débits d’alcool, dont le monopole formait une des principales ressources de l’Empire. Ce déficit a été couvert par les disponibilités du Trésor.
 
D’après les déclarations faites à la Douma en février 1915, la guerre coûte journellement à la Russie environ 15 millions de roubles, soit 40 millions de francs. Au début, le
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/802]]==
Gouvernement avait un demi-milliard à son crédit à la Banque d’Etat et un autre demi-milliard à Londres et à Paris. Les emprunts émis pendant les cinq derniers mois de 1914 ont été les suivans :
 
.
{{entête tableau charte alignement}}
!
!
! Millions de roubles
|-----
| Le 15/28 août 1914
| bons du Trésor 5 pour 100
| 400
|-{{ligne grise}}
| Le 18/1{{er}} septembre
| — 5 —
| 400
|-----
| Le 22/4 septembre
| — 4 —
| 300
|-{{ligne grise}}
| Le 3/16 octobre
| emprunt ''intérieur'' 5 pour 100 émis à 94 pour 100
| 500
|-----
| Plus 12 millions de livres de bons émis à Londres, représentant environ
|
| 100
|-{{ligne grise}}
| Au total
|
| 1 700
|}
 
Depuis le commencement de l’année, de nouvelles émissions intérieures ont été autorisées. Le 23 février 1915, il a été placé, par les soins de la Banque d’Angleterre, 40 millions de livres de bons du Trésor russe échéant le 22 février 1916, au taux de 5 pour 100 l’an.
 
En même temps qu’elle empruntait ainsi à l’intérieur et à l’extérieur, la Russie cherchait à augmenter ses ressources régulières. L’impôt sur le revenu des immeubles urbains a été porté de 6 à 8 pour 100, l’impôt par tente sur les tribus nomades de 4 à 6 roubles. L’impôt dit industriel, qui frappe les opérations commerciales, les exportateurs, les courtiers et notaires de bourse, a été majoré de 50 pour 100 ; les certificats de première guilde ont été portés de 75 à 100 roubles, et ceux de seconde guilde de 30 à 40 roubles. L’impôt sur les capitaux et les bénéfices des entreprises qui publient leur bilan est augmenté de moitié. Les entreprises non obligées à la publicité paieront dorénavant 7 pour 100 de leurs profits. Les droits sur les assurances ont été majorés de 50 pour 100 ; le prix du papier timbré et le tarif des timbres proportionnels élevé. L’accise sur les fabriques de bière a été portée de 3 à 6 roubles par poud (16 kilogrammes) de malt, et doublée sur les allumettes. Des surtaxes sur les billets de voyageurs sont attribuées à la Croix-Rouge. Une taxe de guerre a été établie sur le revenu : à cet effet, les contribuables ont été répartis en 4 catégories : ceux dont le revenu ne dépasse pas 100 roubles et qui ne doivent pas continuer à payer, après la paix, la taxe annuelle de 6 roubles
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/803]]==
qui leur est actuellement imposée ; de 2 000 à 5 000 roubles de revenu, le taux est de 25 roubles ; de 5 000 à 10 000, 50 roubles ; à partir de 10 000 roubles de revenu, 100 roubles. Il ne s’agit, on le voit, que d’un impôt extrêmement modéré.
 
En dehors de ces augmentations d’impôts existans, la Russie songe à se procurer des ressources nouvelles en constituant divers monopoles : cinq d’entre eux paraissent être plus spécialement à l’étude :
 
1° Monopole des allumettes. Le produit de l’impôt actuel, depuis que le décret d’octobre 1914 a doublé le droit d’accise, est prévu pour 43 millions de roubles au budget de 1915. On escompte une augmentation de 25 millions ;
 
2° Monopole du thé, dont la consommation est universelle en Russie. On en espère 244 millions, alors que la taxe existante n’en donne que 70 ;
 
3° Monopole du tabac, auquel il sera facile de demander un produit bien supérieur à la centaine de millions inscrite au budget de 1915 du chef des droits actuels ;
 
4° Monopole du naphte. Le droit sur les huiles minérales est porté pour 62 millions au budget de 1915. Ici aussi on escompte une augmentation importante ;
 
5° Monopole des assurances, dont le produit n’est pas encore calculé.
 
Les recettes du budget ordinaire de 1915 ont été évaluées à 3 080 millions de roubles, c’est-à-dire à 492 millions, ou 13 pour 100 de moins que les estimations de 1914. Dans ce chiffre est compris un demi-milliard de roubles provenant des impôts nouveaux. En réalité, la diminution des recettes est donc d’un milliard : elle est due à la suppression de la vente de l’alcool, au fléchissement des rentrées douanières (37 pour 100 de moins qu’en 1914) et du produit d’autres impôts indirects. Les prévisions du monopole de l’alcool ne représentent plus que 5 pour 100 des recettes ordinaires, alors qu’elles figuraient pour 26 pour 100 dans le budget de 1914. Cette modification devait d’autant plus se faire sentir dans le budget que les recettes de l’alcool y avaient, de temps immémorial, tenu une place considérable, devenue encore plus importante dans les derniers temps. Depuis 350 ans, à compter du milieu du XVIe siècle, l’impôt sur l’eau-de-vie n’a pas cessé d’être perçu sous forme de monopole, d’accise ou de ferme.
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/804]]==
Pendant la période quinquennale 1909-13, l’accroissement moyen des recettes ordinaires avait été de 222 millions, dont 46 étaient dus au monopole. C’est donc une véritable révolution que la suppression de la presque totalité de cette ressource. Mais les hommes d’Etat russes savent que le bénéfice qui en résultera pour le peuple est tel qu’il lui sera facile de payer des impôts nouveaux, dont le produit dépassera de beaucoup le montant de la recette à laquelle on a renoncé. Cette politique à la fois généreuse et prévoyante a déjà porté ses fruits. Les rapports arrivés de tous les points de l’Empire en attestent l’heureux effet sur la santé physique et morale des sujets du Tsar. Les mobilisations successives se sont faites avec un ordre merveilleux. Le rendement du travail des paysans et des ouvriers est accru dans une proportion invraisemblable. Les uns et les autres ont entre les mains de l’argent, alors qu’autrefois une grande partie de leur salaire allait au débitant. Les dépôts des caisses d’épargne, contrairement à ce qui se passe généralement en temps de guerre, vont en augmentant : au cours du seul mois de décembre 1914, ils se sont accrus de 30 millions de roubles ; en mars 1915, de 46 millions. Le total de ces dépôts est aujourd’hui de 2 milliards de roubles.
 
En dehors des préoccupations qui lui sont communes avec ses alliés, la Russie a celle du service de sa dette extérieure.
 
Alors que les fonds français et anglais sont presque entièrement détenus en France et en Angleterre, une partie notable de la Dette russe est placée à l’étranger, surtout en France. La Russie a donc à remettre tous les ans, hors de ses frontières, des centaines de millions de francs pour payer les intérêts et l’amortissement de certains de ses emprunts. Le change joue un rôle dans le budget. Jadis, avant la réforme monétaire, à l’époque où le papier-monnaie subissait de violentes fluctuations, il était un sujet de souci constant pour les ministres des Finances. Le règlement de la question, à la fin du XIXe siècle, avait écarté cette cause de trouble. La Russie avait alors établi l’étalon d’or et organisé sa circulation fiduciaire sur une base solide, un minimum de papier gagé par une encaisse métallique considérable. Elle traversa l’épreuve de la guerre japonaise en 1904-1905 sans éprouver la moindre difficulté de ce chef. En 1915, les circonstances ne sont plus les mêmes.) L’énormité des dépenses a obligé la Banque de Russie à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/805]]==
augmenter sa circulation. Toutefois cette augmentation est modérée par rapport au chiffre de l’encaisse et ne doit causer par elle-même aucune inquiétude. Ce n’est pas elle qui a amené la dépréciation du change qui s’est manifestée depuis quelques mois. Le rouble, dont la valeur au pair est de 2 fr. 67, n’est plus coté aujourd’hui qu’aux environs de 2fr. 15. Cela tient à ce que la fermeture des Dardanelles a temporairement rompu l’équilibre du commerce extérieur. Tous les ans, des quantités considérables de céréales s’exportent par la Mer-Noire et fournissent aux négocians moscovites des crédits à l’étranger, qui forment la contre-partie des sommes que l’Empire doit payer au dehors, avant tout les coupons de sa Dette. L’absence de ces remises s’est traduite par la dépréciation temporaire du rouble, qui se relèvera aussitôt que les navires franchiront les Dardanelles et transporteront leurs cargaisons à Gênes, Marseille et Liverpool. C’est en partie pour parer aux difficultés nées de cette situation qu’ont été conclus les arrangemens entre les Banques de France et de Russie, en vertu desquels la première a fait à la seconde des avances, dont elle a été couverte par l’inscription de la contre-valeur à son crédit à Pétrograd.
 
En dépit de cette complication passagère, la situation financière de la Russie se présente sous un jour rassurant. De tous les belligérans, elle est peut-être celui qui a, sur son propre territoire, les ressources les plus complètes, puisqu’elle exporte tous les ans une partie de ses récoltes. A l’exception de certains impôts qui frappent les bénéfices des sociétés industrielles et commerciales, la taxation, dans son ensemble, est modérée, et ne contrarie en rien le développement de cet immense empire, où l’agriculture d’une part, les mines et les usines de l’autre, sont appelées à progresser dans une proportion à laquelle il est difficile d’assigner des limites.
 
 
<center> V. — ALLEMAGNE</center>
 
Dans son discours du 10 mars 1915, le secrétaire du Trésor, M. Helfferich, a rappelé que deux crédils de 5 milliards de ''marks'' chacun avaient déjà été ouverts ; et il en a demandé un nouveau de 10 milliards de marks. Ce total de 20 milliards (25 milliards de francs) dépasserait les besoins de la première année, évalués au début, y compris les dépenses de la
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/806]]==
mobilisation, a 13 milliards de ''marks'', mais certainement supérieurs à ce chiffre dès aujourd’hui.
 
Renonçant à présenter le budget ordinaire dans la forme usuelle, le ministre n’a dressé aucun état des dépenses de l’armée et de la flotte, qui, depuis le 1{{er}} août 1914, vont toutes au budget extraordinaire, ni des colonies, auxquelles la plus grande latitude a été laissée pour agir selon les circonstances. Le budget de l’année financière close le 31 mars 1915 s’est soldé par 38 millions d’excédent : les recettes ont donné 533 millions de moins-values, mais il a été réalisé 571 millions d’économies. Les douanes et impôts sont en diminution de 176 millions, la poste de 129, les chemins de fer de 58, la contribution d’armement de 170 millions.
 
Depuis l’ouverture des hostilités, c’est exclusivement à l’emprunt, sous diverses formes, que l’Allemagne a eu recours pour couvrir ses dépenses. Mais elle avait établi d’avance un impôt de guerre sous forme du ''wehrbeitrag'', contribution d’armement votée par le Parlement au mois de juillet 1913 : elle en attendait 1 milliard de ''marksv dont un tiers à peu près était entré, le 1{{er}} août 1914, dans les caisses impériales.
 
L’Allemagne a emprunté au moyen de bons du Trésor à court terme, qui ont été en grande partie escomptés par la Banque impériale, mais surtout en vendant des rentes et des obligations à quelques années d’échéance. Elle a, pour cela, procédé à deux grandes émissions, la première en septembre 1914, la seconde en février 1915. La première comportait deux ordres de titres : d’abord un milliard de ''marks'' en bons du Trésor à 5 ans d’échéance rapportant 5 pour 100 d’intérêt, remboursables de 1918 a 1920, et une rente 5 pour 100 perpétuelle, non remboursable avant le 1{{er}} octobre 1924, pour un montant indéterminée Les deux catégories furent émises à 97 1/2 p. 100 : les bons rapportaient à ce cours 5,63 et la rente 5,38 pour 100. Aucun effort ne fut épargné par le Gouvernement pour provoquer les souscriptions. Ordre fut donné aux Caisses d’épargne de placer leurs fonds disponibles en obligations nouvelles. Les Caisses de prêts, organisées sur tout le territoire de l’Empire depuis le début de la guerre et pouvant émettre jusqu’à 3 milliards de ''marks'' de papier-monnaie sous forme de bons, prodiguèrent les facilités de crédit aux emprunteurs désireux de se faire avancer, sur n’importe quel gage, les sommes avec lesquelles ils souscriraient
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à l’émission impériale. En admettant l’exactitude matérielle du chiffre des souscriptions pompeusement proclamé et qui atteindrait, d’après les communiqués plus ou moins officiels, 4 milliards, il convient de remarquer qu’elles ont été obtenues à l’aide d’un échafaudage de papier qui a permis de représenter par des billets une partie de la fortune mobilière du pays.
 
Ce procédé a été employé, dans une mesure encore plus large, lors de la seconde émission au mois de février 1915. A ce moment, des appels pressans, de véritables objurgations ont été adressés aux particuliers, aux sociétés financières et industrielles, aux corporations de toute nature. On engageait les porteurs de titres du premier emprunt de guerre à les apporter aux Caisses de prêts, qui leur faisaient, sur cette garantie, des avances, au moyen desquelles ils souscrivaient aux nouveaux titres. La Banque impériale multiplia les avances sur des titres de toute espèce et accepta à l’escompte, les yeux fermés, tout le papier qu’on lui présentait.
 
L’Empire émettait simultanément, au cours de 98,50, un emprunt 5 pour 100 non remboursable avant 1924, et des bons du Trésor 5 pour 100 remboursables un quart le 2 janvier 1921, un quart le 1{{er}} juillet 1921, un quart le 2 janvier 1922, un quart le 1{{er}} juillet 1922.
 
On a annoncé que des quantités énormes de cet emprunt avaient été demandées par le public. Les journaux ont imprimé en gros caractères : « La victoire des neuf milliards. » L’avenir nous apprendra comment auront pu se liquider les fragiles opérations de crédit au moyen desquelles ces milliards ont été obtenus.
 
Le budget impérial n’est d’ailleurs pas seul en quête de ressources ; ceux des États particuliers sont tous en déficit, par suite d’une diminution générale des recettes, notamment de leurs chemins de fer. D’autre part, ils n’ont pas voulu ralentir certains ordres de dépenses, telles que celles des travaux publics. Ils ont aussi été amenés à faire des avances aux communes et aux arrondissemens, en vue des allocations aux familles des combattans. Ils ont participé à la formation du capital des Caisses de prêts, contribué à l’achat de denrées, au soutien des invalides. Mais, pour ne pas contrarier les opérations du Trésor impérial, il s’est établi un accord, en vertu
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duquel les Etats particuliers et les villes se sont abstenus d’émettre des rentes ou des obligations à long terme. Ils se sont bornés, jusqu’ici, à créer des bons à courte échéance. C’est sous cette forme que la Prusse a usé du crédit de 1 500 millions qui lui a été ouvert par la Diète ; ses bons du Trésor ont été en partie escomptés par les Caisses de prêts. Elle était financièrement bien préparée, grâce à l’emprunt de 600 millions de ''marks'', qu’elle avait émis en février 1914, et au fonds de réserve (d’égalisation, ''ausgleichsfonds'') des chemins de fer, qu’elle avait récemment constitué. Pour la Bavière, on ne connaît pas les mesures prises. Le gouvernement wurtembergeois a été autorisé à émettre, d’avril à juillet 1915, des bons pour 50 millions. Le grand-duché de liesse a le pouvoir d’en émettre pour 38 millions. En Saxe, un crédit extraordinaire de 200 millions est réalisable par voie d’emprunt. L’Alsace-Lorraine, Hambourg, Brème, ont également le pouvoir de créer une dette flottante pour couvrir leurs besoins.
 
La circulation fiduciaire de l’Allemagne comprend aujourd’hui trois élémens :
 
1° Les billets de la Banque impériale, des banques de Bavière, de Saxe, de Wurtemberg et de Bade, émis en vertu de la loi fondamentale de 1875 ;
 
2° Les bons des Caisses de prêts, qui ont inauguré leur activité au lendemain même de l’ouverture des hostilités, et qui consentent des avances sur valeurs mobilières et marchandises non périssables : elles remettent aux emprunteurs leurs propres billets, échangeables contre ceux de la Banque impériale ;
 
3° Les bons de la Caisse d’Empire, dont l’origine remonte à 1871. Il en subsistait 120 millions avant la guerre actuelle. Dès que celle-ci éclata, le chiffre en fut doublé, en vertu d’une loi de 1913. En mars 1915, il a été triplé et porté à 360 millions. La nouvelle tranche de 120 millions consiste en billets de 10 marks : elle doit être garantie par un dépôt d’or ou de billets des Caisses de prêts, tandis qu’aucun gage spécial n’a été affecté aux premiers 240 millions. En même temps, la Banque impériale a été autorisée, elle aussi, à émettre des billets de 10 ''marks''.
 
De ces trois circulations, c’est la première qui est de beaucoup la plus importante, et, parmi les billets qui la composent, ceux de la Banque impériale sont pour ainsi dire les seuls à
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considérer : ceux des banques des trois royaumes et du grand-duché, qui ont conservé à cet égard un semblant d’autonomie, sont en très petite quantité par rapport aux milliards de la ''Reichsbank''. Celle-ci est le régulateur du marché monétaire de l’Allemagne ; c’est dans ses bilans que nous pouvons suivre une partie du mouvement des comptes du Trésor impérial, bien que le groupement d’élémens très différens sous une seule rubrique ne permette pas une analyse détaillée. Voici comment se présentaient les principaux comptes de la ''Reichsbank'' à un an d’intervalle, le 23 mars 1914 et le 31 mars 1915 :
 
 
<center> ACTIF (millions de ''marks'').</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! 23 mars 1914
! 31 mars 1915
|-----
| Encaisse
| 1 653
| 2 380
|-{{ligne grise}}
| Bons de caisse de l’Empire et des caisses de prêts
| 80
| 176
|-----
| Portefeuille et bons du Trésor à 3 mois.
| 864
| 6 876
|-{{ligne grise}}
| Bons du Trésor à échéance plus longue que 3 mois
| »
| 590
|-----
| Avances sur titres
| 62
| 35
|}
 
<center> PASSIF (millions de ''marks'').</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! 23 mars 1914
! 31 mars 1915
|-----
| Circulation
| 1 785
| 5 620
|-{{ligne grise}}
| Dépôts
| 1 094
| 4 030
|}
 
L’Allemagne a fait de grands efforts pour augmenter l’encaisse de la ''Reichsbank''. Elle y a réussi en drainant l’or sur tout son territoire, par des procédés presque invraisemblables, tels que l’octroi d’un jour de congé aux enfans des écoles qui apportaient du métal jaune ; en le pillant en Belgique et dans les départemens français occupés. La circulation a plus que triplé, le portefeuille est huit fois ce qu’il était il y a un an ; nous ignorons le montant de Bons du Trésor à court terme qu’il contient, puisque le bilan ne fait ressortir que le chiffre de ceux qui sont à échéance plus longue que trois mois. Les autres sont confondus avec les effets de commerce ordinaires.
 
Nos ennemis cherchent, par tous les moyens possibles, à augmenter leur circulation de papier. Un des témoignages les plus curieux en est l’organisation qu’ils ont imposée à la Belgique. La Banque Nationale de ce pays ayant mis à l’abri
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du vol de l’envahisseur son encaisse métallique, ses billets et ses machines à graver, le gouverneur allemand de Bruxelles a enjoint à un établissement de banque qui avait eu jadis, avant la fondation de la Banque Nationale, le droit d’émission, la Société Générale, de créer des billets. Cette circulation devait, en principe, être gagée, comme l’était celle de la Banque Nationale, par une encaisse métallique du tiers ; mais on a compris dans cette dernière d’autres élémens, tels que des avances sur Bons de provinces belges et des crédits à l’étranger, qui avaient permis de porter la circulation, dès le 15 avril 1915, à 172 millions de francs, alors que l’encaisse métallique n’était que de 48 millions.
 
L’Allemagne a aussi augmenté la quantité de monnaies divisionnaires d’argent. La frappe extraordinaire de 120 millions de ''marks'', prévue par la loi de 1913, constitue une ressource pour l’Empire, jusqu’à concurrence de la différence entre le prix d’achat du métal et la valeur monétaire des pièces, c’est-à-dire environ 70 millions. Enfin elle s’efforce d’enrayer ou plutôt de dissimuler la dépréciation de son billet, qui subit une perte notable par rapport à l’or et aux monnaies des pays chez qui l’étalon d’or a été maintenu. Par une ordonnance du 23 novembre 1914, sont punis d’un an de prison et de 5 000 ''marks'' d’amende ceux qui entreprennent d’acquérir ou de vendre des pièces d’or de l’Empire à un prix supérieur à leur valeur nominale. Ceci rappelle les mesures de Lavv ou de la Convention. Le législateur teuton s’imagine pouvoir, en interdisant les transactions, empêcher le papier, émis par ses banques ou ses caisses, de baisser. Il oublie qu’il existe des marchés neutres, tels que ceux de New York, d’Amsterdam, de Genève, sur lesquels le ''mark'' perd déjà 15 pour 100 de sa valeur. Au lieu de 1 fr. 23, il ne vaut plus que 1 fr. 08. C’est là une pierre de touche infaillible, qui indique la faiblesse du système échafaudé de l’autre côté du Rhin.
 
 
<center> VI. — AUTRICHE-HONGRIE</center>
 
De l’Autriche-Hongrie nous avons peu de chose à dire. En matière économique comme dans l’ordre militaire elle suit docilement le sillage de l’Allemagne, dont elle a copié les procédés financiers. De même qu’à Berlin, on a créé à Vienne et à
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Budapest, des Caisses de prêts. Nous ignorons la quantité de Bons qu’elles ont mise en circulation. Voici, à titre d’exemple, comment fonctionnent ces établissemens. La ''Banque de Crédit de guerre de la Basse-Autriche'' s’appuie sur la faculté d’escompte que lui donne la Banque austro-hongroise : elle a pour but de satisfaire les besoins extraordinaires de crédit provoqués par la guerre : elle doit venir en aide aux entreprises qui n’ont pas de relations de banque régulières, en acceptant leurs traites, gagées le plus souvent par des créances comptables. Le capital est de 6 millions de couronnes, divisé en actions de 1000 couronnes, libérées de 40 pour 100. La Ville de Vienne et la Chambre du Commerce et de l’Industrie de la Basse-Autriche ont chacune garanti 2 millions. La banque entrera en liquidation 6 mois après la conclusion de la paix.
 
La ''Caisse de prêts de la guerre'' a été fondée le 19 septembre 1914, pour venir en aide aux commerçans et aux industriels. Son siège est à Vienne ; elle établit des succursales d’accord avec le ministre des Finances. Elle est exploitée pour compte de l’Etat. Elle est autorisée à émettre jusqu’à 500 millions de Bons de Caisse, qui sont reçus en paiement par toutes les caisses publiques. Cette circulation est sous la surveillance de la Commission de contrôle de la Dette. Elle prêté en principe la moitié, exceptionnellement les deux tiers de la valeur de marchandises non périssables, de fonds d’Etat et de valeurs garanties par l’Etat, d’autres objets agréés par les directeurs, d’accord avec le ministère des Finances. Le prêt minimum est de 100 couronnes, la durée maxima 3 mois, l’intérêt est compté à raison de 1 pour 100 de plus que le taux d’escompte de la Banque austro-hongroise. Les bénéfices sont appliqués au retrait des Bons de Caisse qui circulent.
 
L’institut d’émission de l’Empire, la Banque austro-hongroise, dont l’organisation est en partie calquée sur celle de la ''Reichsbank'', a cessé de publier sa situation, en sorte que nous ignorons les chiffres de son encaisse, de sa circulation, de son portefeuille, des comptes des gouvernemens autrichien et hongrois. Ceux-ci ont, dès l’automne 1914, eu recours à l’émission d’emprunts : la Cisleithanie a émis des Bons 5 et demi pour 100, la Transleithanie une rente 6 pour 100, non remboursable avant le 1{{er}} novembre 1920, les uns et l’autre au prix de 97 et demi pour 100. La souscription avait lieu séparément dans les
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deux moitiés de la monarchie pour les titres émanés de chacune d’elles. En Autriche comme en Hongrie, on a bruyamment proclamé le succès de l’opération ; dans son ensemble, elle aurait fourni trois milliards de couronnes, dont un tiers à peu près aux Magyars, deux tiers aux gens de Vienne. Mais, en admettant que ces chiffres soient exacts, la somme est depuis longtemps dépensée et il faut de nouvelles ressources. On a parlé d’avances faites par Berlin : 200 millions de couronnes auraient été prêtés récemment à l’Autriche, 100 millions à la Hongrie. Ce sont là de bien faibles montans en comparaison des dépenses journalières. Il est probable que la Banque austro-hongroise est, dans une large mesure, venue en aide au Trésor. Dès le mois de novembre, la Banque et les Caisses de prêts s’étaient engagées à faire des avances au taux de 5 et demi pour 100 sur les titres des nouveaux emprunts. Au mois d’avril 191.", on a annoncé que l’Autriche-Hongrie allait tenter sur le marché de Berlin l’émission d’un emprunt de 800 millions de ''marks'' sous la forme de bons du Trésor austro-hongrois. Au mois de mai 1915, l’Autriche et la Hongrie procèdent à de nouvelles émissions. L’Autriche offre à 95 1/4 pour 100 des Bons à 10 ans ; la Hongrie donne aux souscripteurs le choix entre une rente 6 pour 100 à 97 1/2 ou une rente 5 1/2 pour 100 à 90,80.
 
Nous avons une preuve indirecte de la création abusive de papier qui a dû être faite, dans le cours du billet austro-hongrois, qui perd déjà 25 pour 100 de sa valeur. La couronne ne vaut plus que 80 centimes de notre monnaie, alors que sa parité est de 1 fr. 05. C’est là le témoignage irrécusable de la méfiance qu’inspire la situation de la monarchie des Habsbourg, qui souffrait depuis plus de trois ans de la crise balkanique : dès 1912, son commerce et ses finances avaient ressenti, plus vivement que ceux d’aucune grande nation européenne, le contrecoup des événemens qui avaient mis aux prises la Bulgarie, la Serbie, la Grèce et le Monténégro avec la Turquie.
 
Le 30 décembre 1914, le Gouvernement hongrois a publié une ordonnance d’après laquelle les paiemens qui, en vertu de conventions antérieures, devaient être faits en or, pourront l’être en n’importe quelle monnaie ayant cours légal : le montant à payer sera déterminé d’après le cours du jour. C’est un manquement absolu aux engagemens pris.
 
 
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<center> VII. — EMPRUNTS CHEZ LES ALLIÉS OU CHEZ LES NEUTRES</center>
 
Parmi les ressources des belligérans, il faut compter celles qu’ils se sont procurées à l’étranger. Elles ont été de deux ordres différens : prêts entre alliés, emprunts chez les neutres.
 
L’Angleterre et la France ont accordé des crédits à la Russie. Celle-ci, à deux reprises différentes, a émis des Bons du Trésor à Londres, une première fois pour 12 millions, une seconde fois pour 10 millions de livres sterling. A Paris, la Banque de France a ouvert à la Banque de Russie un crédit d’un demi-milliard de francs, dont la contre-valeur a été portée en roubles à son compte à Pétrograd. Le but de cette opération a été de permettre à la Banque de Russie de fournir, à un certain nombre de banques privées russes, qui s’étaient fait ouvrir des crédits en France, où le loyer de l’argent était modique, les sommes dont elles avaient besoin pour rembourser leurs acceptations à leurs correspondans parisiens. D’autre part, la France a émis à Londres des Bons du Trésor stipulés en monnaie anglaise, c’est-à-dire en livres sterling, a raison de 12 millions en automne 1914 et de 42 millions en mai 1915. Ces derniers, remboursables au plus tard un an après la conclusion de la paix, ont été créés par la loi du 9 mai 1915. Létaux en sera le même que celui auquel le gouvernement britannique se sera procuré des fonds pendant la même période. La France et l’Angleterre ont fait des avances à la Belgique et à la Serbie. L’Angleterre en a fait à un certain nombre de ses colonies et à la Roumanie.
 
Dès l’automne 1914, nous avions, pour notre part, avancé 250 millions de francs à la Belgique, 90 à la Serbie, 20 à la Grèce, un demi-million à la Banque du Monténégro. Ultérieurement, le total des crédits ouverts aux alliés a été porté à 1 250 millions. La Grande-Bretagne a demandé à plusieurs de ses colonies ou dominions qui avaient besoin de fonds, d’éviter les émissions d’emprunts. L’Echiquier leur a fourni des montans qui se sont élevés à plus de 1 700 millions de francs.
 
Du côté de nos ennemis, l’Allemagne seule a pu fournir quelques subsides à ses alliés. A plusieurs reprises, des envois d’or ont été signalés, de Berlin à Constantinople, ainsi que des
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avances consenties aux Trésors autrichien et hongrois. De petites sommes ont été remises à la Bulgarie, en vertu d’un emprunt consenti par une banque allemande.
 
Les opérations financières faites par les belligérans en dehors de leur territoire ne se sont pas bornées à celui de leurs alliés. Ils en ont conclu chez les neutres, et cela dans un double dessein : épargner les forces de leurs nationaux ou de ceux qui combattent à leurs côtés, et se procurer de la monnaie étrangère pour payer les achats de munitions, d’approvisionnemens de matières premières, qu’ils opéraient dans certains pays. Le principal marché neutre, on peut dire le seul, sur lequel les belligérans aient emprunté, est celui de New-York. Il avait commencé par leur être fermé à tous. Lorsque, en automne 1914, des tentatives furent faites dans ce sens, elles furent écartées sous l’influence du président Wilson, qui estimait que l’impérieux devoir d’une neutralité absolue interdisait des opérations de ce genre. D’ailleurs, à cette époque, le change était défavorable à l’Amérique, qui avait déjà perdu beaucoup d’or et semblait menacée d’en perdre davantage : le dollar était tombé au-dessous de 5 francs. C’était pour les Américains une raison de plus pour refuser leur concours. Pendant l’hiver, la situation changea. Les exportations américaines se développèrent de plus en plus ; les États-Unis vendaient à l’Europe des quantités croissantes de marchandises, et le dollar fit jusqu’à 3 pour 100 de prime par rapport au franc et 2 pour 100 par rapport à la livre sterling. Ces cotes devaient logiquement déterminer le retour de l’or à New-York. Les belligérans entrèrent alors en négociations avec des banquiers d’outre-Atlantique pour solliciter des avances, de façon à éviter d’entamer leurs réserves métalliques. C’est ainsi que la France émit à New-York pour 50 millions de dollars (260 millions de francs) de Bons du Trésor à un an, au taux de 5 pour 100. La Russie, il y a quelque temps, a déjà obtenu de la même façon 25 millions de dollars et négocie une autre opération. L’Angleterre et l’Allemagne en font autant.
 
Le gouvernement de Washington, qui s’était d’abord opposé à ces opérations, les a ensuite implicitement autorisées, aux termes du communiqué suivant, paru le 31 mars 1915 : « Le département d’Etat (ministère des Affaires étrangères) a été informé à plusieurs reprises, directement ou indirectement,
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que des belligérans s’étaient fait ouvrir des crédits auprès de banquiers américains. Tout en désapprouvant les prêts consentis aux belligérans, le gouvernement ne se croit pas le droit de faire des objections aux opérations de crédit qui ont été portées à sa connaissance. Il ne les a ni approuvées ni désapprouvées. Il s’est borné à ne prendre aucune mesure préjudicielle et à n’exprimer aucune opinion. »
 
Il semble que le marché de New-York, qui n’était jusqu’ici entré que timidement et exceptionnellement dans la voie des prêts à l’étranger, va au contraire jouer un rôle considérable dans le financement des grands emprunts provoqués par la guerre européenne.
 
 
<center> VIII. — CONCLUSION</center>
 
Si nous essayons de condenser dans quelques chiffres le résultat de l’étude à laquelle nous nous sommes livré, nous pouvons dresser un tableau dans lequel nous avons mis, en regard des dépenses, les ressources réunies à ce jour par chacune des cinq Grandes Puissances. Les sommes ont été calculées pour une année, du 1{{er}} août 1914 au 31 juillet 1915 ; il est vraisemblable qu’elles donnent une idée assez exacte des dépenses directes occasionnées par la guerre ; mais nous avons laissé de côté tous les frais indirects, qui les dépassent de beaucoup, Quant aux ressources, nous avons distingué celles qui doivent provenir, dans la période envisagée, des impôts nouveaux, et celles qui seront réalisées au moyen d’emprunts. Nous avons divisé ceux-ci en trois catégories : avances faites au gouvernement par les Banques centrales d’émission, négociation de bons du Trésor à court terme, vente d’obligations du Trésor à quelques années d’échéance ou de rentes perpétuelles. La dernière colonne totalise les ressources de diverse nature.
 
Il a fallu, afin de dresser ce tableau, admettre un certain nombre d’hypothèses, ou nous contenter de renseignemens évidemment insuffisans. Pour la France, nous avons supposé que le placement des obligations 5 pour 100 fournirait, d’ici au 31 juillet, un montant de 3 milliards de francs. Le total des dépenses de l’Angleterre est relativement modéré, parce qu’elles n’ont commencé à s’élever au niveau actuel que depuis le cinquième mois de la guerre. Pour la Russie, les calculs, faits
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en roubles au cours de 2 fr. 67, ont pris comme base le bilan de la Banque d’Etat du 14 avril 1915. Les chiffres allemands ont été établis en transformant les ''marks'' en francs à raison de 1 fr. 25 pour 1 ''mark'', et en admettant l’exactitude des publications officielles au sujet des souscriptions aux emprunts de septembre 1914 et de février 1915.
 
En ce qui concerne l’Autriche-Hongrie, il est certain qu’elle a dû réunir plus de ressources que n’en indique le tableau, et
 
 
<center> BILAN APPROXIMATIF DE LA PREMIÈRE ANNÉE DE GUERRE DU 1er AOUT 1914 AU 31 JUILLET 1915 (en milliards de francs.) </center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
!
! Ressources réalisées au 1{{er}} mai 1915.
! «
! «
! «
! «
|-----
!
! Dépenses des 12 premiers mois.
! Impôts nouveaux
! Avances faites par la Banque d’émission au Trésor sous forme de prêt direct ou d’escompte de Bons du Trésor
! Bons du Trésor à court terme
! Obligations du Trésor à quelques années d’échéance ou rentes perpétuelles
! Total des ressources réalisées
|-----
| France
| 16
| «
| 9
| 6
| 3
| 18
|-{{ligne grise}}
| Angleterre
| 17
| 1
| «
| 2,3
| 8,7
| 12
|-----
| Russie
| 15
| 1
| 3,5
| 6,5
| 4
| 15
|-{{ligne grise}}
| Allemagne
| 17
| «
| 1
| 1
| 16
| 18
|-----
| Autriche-Hongrie
| 12
| «
| «
| 2
| 2
| 4
|}
 
qu’elle a eu recours, pour des sommes importantes, à la Banque austro-hongroise ; mais le manque de documens nous oblige à laisser ces chiffres en blanc. Il semblerait résulter d’une comparaison des totaux ci-dessus que c’est la France et l’Allemagne qui auraient, à l’heure actuelle, réalisé la proportion de ressources la plus considérable. Mais nous avons expliqué comment un échafaudage de papier avait seul permis aux souscriptions des emprunts germaniques de prendre une apparence de succès.
 
Nous ne terminerons pas notre étude sans dire quelques mots de l’ensemble des ressources qui sont à la disposition des belligérans, et dont la force financière n’est que l’expression partielle. Nous ne parlons pas de l’élément moral, qui joue pourtant un grand rôle dans la conduite d’une guerre, de la conscience profonde du droit qui est tout entier du côté de la France et de ses alliés, de la volonté de vaincre, qui est un des facteurs de la victoire et qui est aussi fermement ancrée
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dans le cœur de chaque citoyen que dans celui de nos soldats et de leurs chefs. Nous envisageons l’ensemble des élémens qui constituent la puissance économique des nations : population, territoire, richesse du sol et du sous-sol, industrie, commerce, banque. La population se répartit comme suit dans les deux groupes :
 
 
<center> MILLIONS D’HABITANS : </center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
!
!
!
|-----
| France
| 39
| Allemagne
| 65
|-{{ligne grise}}
| Russie
| 165
| Autriche
| 50
|-----
| Angleterre
| 45
| Turquie
| 20
|-{{ligne grise}}
| Belgique
| 7
|
|
|-----
| Serbie
| 5
|
|
|-{{ligne grise}}
| Total
| 261
| Total
| 135
|}
 
Elle est donc presque double de notre côté. La disproportion des territoires est encore plus grande, l’empire du Tsar couvrant une partie de l’Europe et de l’Asie.
 
<center> MILLIERS DE KILOMÈTRES CARRÉS</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
!
!
!
|-----
| France
| 536
| Allemagne
| 540
|-{{ligne grise}}
| Grande-Bretagne
| 314
| Autriche-Hongrie
| 677
|-----
| Russie
| 21 787
| Turquie
| 1 400
|-{{ligne grise}}
| Belgique
| 29
|
|
|-----
| Serbie
| 84
|
|
|-{{ligne grise}}
| Total
| 22 750
| Total
| 2 617
|}
 
Nous produisons en moyenne à peu près la quantité de céréales que nous consommons ; la Russie en exporte régulièrement, tandis que la Grande-Bretagne importe la majeure partie du blé qui lui est nécessaire : aussi n’est-ce pas sans raison qu’elle a toujours maintenu la supériorité de sa Hotte, qui est pour elle la condition même de son existence. L’Allemagne importe, selon les années, entre le sixième et le quart des grains que réclame sa population croissante. Sans qu’il soit possible de chiffrer les quantités dont elle a besoin en ce moment, nous voyons, par l’ensemble des mesures prises, qu’elle est, de ce côté, en face d’un problème redoutable. Au point de vue industriel, elle a tout le charbon qu’il lui faut et aussi le minerai de fer, grâce en partie à l’occupation par ses troupes du bassin de Briey. Mais elle manque d’un certain nombre de métaux,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/818]]==
tels que le cuivre, le manganèse ; de pétrole, de nitrates. A mesure que le blocus se resserre autour d’elle et de l’Autriche, elle éprouve plus de peine à se procurer ces substances, dont quelques-unes sont essentielles à la poursuite de la guerre. L’Angleterre et la France peuvent au contraire s’approvisionner de tout indéfiniment. La Russie le peut, pendant l’été, par la Mer-Blanche, pendant toute l’année, par les côtes du Pacifique et sa frontière asiatique : mais, aussi longtemps que les Dardanelles sont fermées, elle est gênée.
 
D’une façon générale, le commerce extérieur a diminué dans de fortes proportions chez les divers belligérans. Toutefois, cette diminution est beaucoup moins sensible en Angleterre qu’ailleurs. Ses importations du mois de mars 1915 ont dépassé celles de mars 1914 : elles se sont élevées à 218 millions de livres contre 196, soit une augmentation de 13 pour 100, tandis que les exportations sont en diminution de 32 pour 100. En France, les importations, au cours du premier trimestre de 1915, ont fléchi de 809 millions et les exportations de 971 millions. En mars, la diminution de nos importations s’est atténuée : elle n’a été que de 152 millions contre 657 millions pendant les deux premiers mois de l’année : l’amélioration est sensible.
 
Les fabriques d’armes et de munitions sont en pleine activité. Beaucoup d’usines qui, en temps ordinaire, étaient occupées à d’autres buts, ont transformé leur outillage et font des canons, des fusils, des obus et des cartouches. Mais un grand nombre d’exploitations sont arrêtées, et cela pour deux raisons : la pénurie de main-d’œuvre, surtout sensible en Allemagne et en France, où la proportion des hommes sous les drapeaux est plus forte que partout ailleurs, excepté en Serbie ; et la réduction des débouchés.
 
L’agriculture n’a pas vu ses travaux interrompus : sans pouvoir affirmer que la préparation des récoltes ait été aussi complète qu’à l’ordinaire, il est permis de croire que, dans l’ensemble, elle a été suffisante.
 
Bien qu’il ne faille pas confondre les disponibilités proprement dites d’une nation avec ses ressources financières, il est intéressant de chercher à évaluer les stocks métalliques et les sommes liquides qui sont représentées par les crédits de banque. En ce qui concerne la quantité de métaux précieux
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monnayés ou d’or en lingots, on n’a de certitude que pour l’encaisse des instituts d’émission, qui publient des bilans à date fixe ; celle des banques privées, des banquiers et des particuliers, est un facteur inconnu : on arrive à le dégager en calculant la différence entre l’encaisse des instituts d’émission et le chiffre total des espèces qui ont été introduites ou frappées dans le pays. Voici à cet égard quelques indications :
 
 
<center> MILLIONS DE FRANCS D’OR</center>
 
{{entête tableau charte alignement}}
!
! Instituts d’émission
! Circulation dans le pays
! Total
|-----
| France
| 4 200
| 2 800
| 7 000
|-{{ligne grise}}
| Angleterre
| 2 100
| 1 000
| 4 100
|-----
| Russie
| 4 600
| 2 000
| 6 600
|-{{ligne grise}}
| Allemagne
| 3 000
| 2 000
| 4 000
|-----
| Autriche-Hongrie
| 1 000
| 500
| 1 500
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La Triple Entente dispose donc de 18 milliards d’or, tandis que la Double Alliance arrive à peine au tiers de ce chiffre.
 
La statistique des dépôts de banque est plus difficile à établir que celle des métaux précieux. D’une façon générale, depuis le début des hostilités, les dépôts dans les banques particulières ont diminué, sauf en Grande-Bretagne, tandis que ceux des instituts d’émission ont augmenté. Parmi les bélligérans, l’Angleterre est celui chez qui la somme de ces dépôts est de beaucoup la plus élevée. Elle est, pour l’ensemble du Royaume-Uni, d’environ 25 milliards de francs, tandis qu’elle n’atteint probablement pas 10 milliards en France. Ceux des Caisses d’épargne ont une tendance à diminuer, sauf en Russie, où l’interdiction de la consommation de l’alcool a eu les plus heureux effets sur la constitution de l’épargne populaire, et où les statistiques accusent régulièrement, depuis le mois de septembre 1914, un excédent notable des dépôts sur les retraits. Les chiffres des dépôts aux Caisses d’épargne ne sont du reste pas comparables entre eux, au point de vue qui nous occupe, à cause de la diversité de la législation qui les régit dans le différens pays. Suivant qu’ils sont conservés en compte courant à vue au Trésor, ou employés en fonds d’État, en autres valeurs, ou immobilisés en prêts hypothécaires, ils représentent, pour une partie plus ou moins forte, des disponibilités à faire entrer en ligne de compte dans l’évaluation de celles de la nation.
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Sous ces divers rapports aussi bien qu’au point de vue spécialement financier, notre position et celle de nos alliés est favorable. La France et l’Angleterre tirent encore un autre avantage d’une situation qui leur est spéciale et qui résulte du portefeuille de valeurs étrangères qu’elles possèdent. C’est aux époques de crise comme celle que nous traversons que l’utilité de ces placemens apparaît le plus nettement. La Grande-Bretagne, avec ses 80 ou 100 milliards de francs de titres coloniaux et étrangers, nous-mêmes avec nos 40 milliards de ces valeurs, sommes créanciers de revenus considérables, qui nous sont versés tous les ans sous forme de coupons d’intérêt, de dividende ou de remboursement de titres. Tout en tenant compte du fait que la guerre a compromis passagèrement certaines de ces créances, il n’en rentre pas moins des sommes encore très élevées, qui augmentent nos ressources et celles de nos alliés anglais. Elles ont un autre effet important, c’est de maintenir les changes à un niveau favorable. Du moment où nous avons des centaines de millions à recevoir du dehors, notre monnaie fait prime par rapport à celle de nos débiteurs. C’est le phénomène qui s’est manifesté pendant les sept premiers mois de la guerre. S’il s’est récemment produit quelques changemens à cet égard, ce n’a été que vis-à-vis de la monnaie d’un pays allié et de deux pays neutres. Comme nous effectuons des achats énormes en Angleterre, aux États-Unis, en Espagne, la livre sterling, le dollar, la peseta, sont cotés avec une prime de 1, de 2 et de 3 pour 100 par rapport au franc. Mais c’est là un fait passager, et dont l’explication est assez claire pour que nous n’ayons pas à prouver qu’il n’infirme en rien la force de notre démonstration. M. Ribot dans les discours qu’il a prononcés à la Chambre le 7 mai et au Sénat le 14 mai 1915, a fort bien exposé les circonstances qui ont amené cette hausse des changes, en particulier du change britannique et américain, en même temps qu’il expliquait les mesures prises par lui pour l’enrayer. L’une d’elles consistera dans l’envoi que nous ferons à Londres d’un demi-milliard d’or, qui fortifiera le stock métallique de nos alliés. Ceux-ci en revanche mettent 42 millions de livres sterling à notre disposition. Les créances de diverse nature que des Français peuvent avoir sur la Grande-Bretagne viendront 1res heureusement agir dans le même sens. Tout ce que nous pouvons regretter, c’est que nos capitalistes n’aient
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pas dans leur portefeuille encore plus de valeurs britanniques, américaines et espagnoles, dont les coupons fourniraient, dans une mesure encore plus large, les sommes nécessaires aux paiemens que nous avons à effectuer dans ces trois pays.
 
Un ministre anglais déclarait l’autre jour à la Chambre des Communes qu’avec leurs seuls placemens étrangers, la France et l’Angleterre pouvaient défrayer le coût de la guerre, l’une pendant trois ans, l’autre pendant cinq ans. L’Allemagne, qui a systématiquement écarté ce genre de valeurs depuis nombre d’années, n’a pas à cet égard les mêmes ressources, l’Autriche encore moins. C’est un élément de supériorité qui s’ajoute aux autres que nous possédons, et qui doit augmenter encore notre confiance dans le résultat final.
 
Sachons seulement nous servir de nos richesses ; mobilisons-les ; surtout ne thésaurisons pas. Versons notre or à la Banque de France. Souscrivons aux Bons du Trésor et aux obligations de la Défense nationale. Concentrons entre les mains du gouvernement toutes nos ressources disponibles, de façon à lui donner, au point de vue économique, la pleine sécurité que la vaillance de nos enfans et l’habileté de leurs chefs lui assurent au point de vue militaire.
 
 
RAPHAËL-GEORGES LÉVY.