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Puisque M. Sainte-Beuve m’a loué de mon bon sens, j’allais dire, puisqu’il m’en a accablé, je ne serais pas mal venu à l’assurer que ce n’est pas un choix calculé, une décision après des tâtonnemens, une place vacante que j’ai enfin trouvée, un rôle à prendre parce qu’il était le seul qui ne fût pas pris, mais ce même bon sens dont il me loue qui m’a retiré des théories nouvelles où, d’ailleurs, « '' je n’avais pas donné en plein'', » comme cela m’a été dit d’autre part, assez peu élégamment. Au plus fort de ma confiance, je me souviens que je faisais une distinction fort commune, fort peu ingénieuse, mais par laquelle je devais revenir au vrai, entre les ''monumens'' des XVIIe et XVIIIe siècles, et les ''essais'' de la nouvelle école. C’était la planche de salut que, par une prévision d’instinct, je m’étais préparée en cas de naufrage. Si aujourd’hui j’ai une foi si ferme à ces principes, c’est que je sens bien que je ne les ai pas pris comme le costume, d’un rôle, mais qu’ils me sont venus naturellement, et au moment même où mon imagination (je voudrais trouver un mot plus modeste pour qualifier ce qui n’est pas proprement ma raison) forgeait des subtilités pour justifier ma complicité momentanée dans les nouvelles doctrines. Il en a été de mon changement littéraire comme de mon changement politique. De même que le doute s’était glissé sous mes phrases de rhétorique ministérielle, et qu’au moment même où j’avais acquis par l’exercice la langue spéciale, je sentais se dessécher l’espèce de sympathie passagère qui m’avait fourni un moment les idées, de même le bon sens classique m’est revenu au moment où j’avais assez corrompu mon langage par la recherche et la subtilité, pour être encouragé et même goûté par quelques écrivains allemands. Le premier de ces changemens devait amener le second, car le corollaire naturel d’une politique nationale, c’est une littérature nationale, et je ne pouvais désirer que la France fût grande au dehors, écoutée, et, moralement au moins, obéie, sans demander que la langue française conservât les qualités qui font arriver les idées françaises au plus grand nombre d’intelligences possible. Ç’a été la pensée, ou, si l’on aime mieux, le ''lieu commun'' que j’ai constamment défendu dans mes travaux de critique au ''National'', avec le suffrage et quelquefois l’appui direct de Carrel, lequel ne dédaigna pas de me venir en aide, et de confirmer à la fois, par de bonnes raisons et par d’admirables pages de prose, ma théorie de l’innovation dans la tradition.
Puisque M. Sainte-Beuve m’a loué de mon bon sens, j’allais dire, puisqu’il m’en a accablé, je ne serais pas mal venu à l’assurer que ce n’est pas un choix calculé, une décision après des tâtonnemens, une place vacante que j’ai enfin trouvée, un rôle à prendre parce qu’il était le seul qui ne fût pas pris, mais ce même bon sens dont il me loue qui m’a retiré des théories nouvelles où, d’ailleurs, « '' je n’avais pas donné en plein'', » comme cela m’a été dit d’autre part, assez peu élégamment. Au plus fort de ma confiance, je me souviens que je faisais une distinction fort commune, fort peu ingénieuse, mais par laquelle je devais revenir au vrai, entre les ''monumens'' des XVII{{e}} et XVIII{{e}} siècles, et les ''essais'' de la nouvelle école. C’était la planche de salut que, par une prévision d’instinct, je m’étais préparée en cas de naufrage. Si aujourd’hui j’ai une foi si ferme à ces principes, c’est que je sens bien que je ne les ai pas pris comme le costume, d’un rôle, mais qu’ils me sont venus naturellement, et au moment même où mon imagination (je voudrais trouver un mot plus modeste pour qualifier ce qui n’est pas proprement ma raison) forgeait des subtilités pour justifier ma complicité momentanée dans les nouvelles doctrines. Il en a été de mon changement littéraire comme de mon changement politique. De même que le doute s’était glissé sous mes phrases de rhétorique ministérielle, et qu’au moment même où j’avais acquis par l’exercice la langue spéciale, je sentais se dessécher l’espèce de sympathie passagère qui m’avait fourni un moment les idées, de même le bon sens classique m’est revenu au moment où j’avais assez corrompu mon langage par la recherche et la subtilité, pour être encouragé et même goûté par quelques écrivains allemands. Le premier de ces changemens devait amener le second, car le corollaire naturel d’une politique nationale, c’est une littérature nationale, et je ne pouvais désirer que la France fût grande au dehors, écoutée, et, moralement au moins, obéie, sans demander que la langue française conservât les qualités qui font arriver les idées françaises au plus grand nombre d’intelligences possible. Ç’a été la pensée, ou, si l’on aime mieux, le ''lieu commun'' que j’ai constamment défendu dans mes travaux de critique au ''National'', avec le suffrage et quelquefois l’appui direct de Carrel, lequel ne dédaigna pas de me venir en aide, et de confirmer à la fois, par de bonnes raisons et par d’admirables pages de prose, ma théorie de l’innovation dans la tradition.


Je ne réclame pas le droit ''d’inspiration'' que M. Sainte-Beuve me refuse, et qu’il ne conçoit que pour une forme particulière d’ouvrages, appelés par lui ouvrages d’art ; mais j’aurais pu désirer qu’il reconnût que le mouvement d’esprit plus humble, plus bourgeois, qui m’a ramené aux idées classiques, et qui m’y fait persévérer plus que jamais, pouvait avoir
Je ne réclame pas le droit ''d’inspiration'' que M. Sainte-Beuve me refuse, et qu’il ne conçoit que pour une forme particulière d’ouvrages, appelés par lui ouvrages d’art ; mais j’aurais pu désirer qu’il reconnût que le mouvement d’esprit plus humble, plus bourgeois, qui m’a ramené aux idées classiques, et qui m’y fait persévérer plus que jamais, pouvait avoir