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conception est frappante, le caractère admirablement dessiné, le langage de l’auteur énergique ; mais nous déplorons l’emploi de tant de talent consacré à reproduire un monstre fantastique et impossible. D’autres romanciers veulent nous instruire ou nous amuser ; leur but est d’élever la nature humaine dans notre esprit ; et quoique souvent ils mettent en scène des caractères exécrables, bien qu’ils racontent des actions criminelles, cependant, quand nous les avons lus, nous n’avons pas de haine pour notre espèce. Godwin semble, au contraire, prendre à tâche de nous la rendre odieuse ; comme Job, il nous fait maudire le jour de notre naissance, l’heure où notre mère nous a jetés dans ce monde ; l’honnêteté, la loyauté, disparaissent de la face de la terre. Le chirurgien dissèque pour instruire ; Godwin porte le scalpel dans le cadavre pour nous montrer ses chairs sanglantes et ses muscles à nu. Nous quittons ses livres, étonnés de sa puissance, mais attristés <ref> M. Allan Cunningham, en soumettant Godwin à sa critique, n’a pas donné la biographie de cet écrivain ; on peut ajouter ici quelques détails curieux. Godwin appartient à une famille dissidente, à l’une de ces familles qui ont donné tant d’hommes remarquables à l’Angleterre moderne, et qui ont fait faire de si grands pas à la philosophie critique des derniers temps. Esprit spéculatif, sans légèreté, sans frivolité, sans étourderie, il vit le courant rapide qui entraînait son siècle ; avant même que la révolution française eût éclaté, il prit hautement parti en faveur des opinions libérales. Adversaire de Burke, après avoir étonné ses contemporains par l’éloquence de son ''Inquiry on Political Justice'', il a publié ''Caleb''. ''Caleb'' a fait époque. C’est le tableau des injustices sociales, de la tyrannie possible et facile, sous la loi d’une jurisprudence qui se dit parfaite. Quiconque a lu cet ouvrage, n’a pas oublié l’impression qu’il produit. Cinq autres romans succédèrent à ''Caleb'', œuvres de mérite inégal, mais tous remarquables ; modèles de diction, énergiques de style, d’un intérêt puissant et soutenu. Rien ne rappelle mieux que ces chefs-d’œuvre le mot d’un ancien à propos de Tertullien et de son éloquence : ''c’est de l’ébène poli, sombre et éclatant. L’Histoire de la république d’Angleterre'' est la dernière œuvre capitale de Godwin : on a fait peu d’attention à ce gros livre. La vogue d’un ouvrage, comme le dit très bien un écrivain anglais moderne, ne dépend pas de son mérite, mais de la capacité du public, et du rapport qui se trouve entre sa puissance d’attention et la puissance intellectuelle réelle d’un écrivain. Il serait peu étonnant que l’avenir plaçât Godwin à la tête de tous les prosateurs du XIXe siècle.</ref> par l’usage qu’il en a fait.
conception est frappante, le caractère admirablement dessiné, le langage de l’auteur énergique ; mais nous déplorons l’emploi de tant de talent consacré à reproduire un monstre fantastique et impossible. D’autres romanciers veulent nous instruire ou nous amuser ; leur but est d’élever la nature humaine dans notre esprit ; et quoique souvent ils mettent en scène des caractères exécrables, bien qu’ils racontent des actions criminelles, cependant, quand nous les avons lus, nous n’avons pas de haine pour notre espèce. Godwin semble, au contraire, prendre à tâche de nous la rendre odieuse ; comme Job, il nous fait maudire le jour de notre naissance, l’heure où notre mère nous a jetés dans ce monde ; l’honnêteté, la loyauté, disparaissent de la face de la terre. Le chirurgien dissèque pour instruire ; Godwin porte le scalpel dans le cadavre pour nous montrer ses chairs sanglantes et ses muscles à nu. Nous quittons ses livres, étonnés de sa puissance, mais attristés <ref> M. Allan Cunningham, en soumettant Godwin à sa critique, n’a pas donné la biographie de cet écrivain ; on peut ajouter ici quelques détails curieux. Godwin appartient à une famille dissidente, à l’une de ces familles qui ont donné tant d’hommes remarquables à l’Angleterre moderne, et qui ont fait faire de si grands pas à la philosophie critique des derniers temps. Esprit spéculatif, sans légèreté, sans frivolité, sans étourderie, il vit le courant rapide qui entraînait son siècle ; avant même que la révolution française eût éclaté, il prit hautement parti en faveur des opinions libérales. Adversaire de Burke, après avoir étonné ses contemporains par l’éloquence de son ''Inquiry on Political Justice'', il a publié ''Caleb''. ''Caleb'' a fait époque. C’est le tableau des injustices sociales, de la tyrannie possible et facile, sous la loi d’une jurisprudence qui se dit parfaite. Quiconque a lu cet ouvrage, n’a pas oublié l’impression qu’il produit. Cinq autres romans succédèrent à ''Caleb'', œuvres de mérite inégal, mais tous remarquables ; modèles de diction, énergiques de style, d’un intérêt puissant et soutenu. Rien ne rappelle mieux que ces chefs-d’œuvre le mot d’un ancien à propos de Tertullien et de son éloquence : ''c’est de l’ébène poli, sombre et éclatant. L’Histoire de la république d’Angleterre'' est la dernière œuvre capitale de Godwin : on a fait peu d’attention à ce gros livre. La vogue d’un ouvrage, comme le dit très bien un écrivain anglais moderne, ne dépend pas de son mérite, mais de la capacité du public, et du rapport qui se trouve entre sa puissance d’attention et la puissance intellectuelle réelle d’un écrivain. Il serait peu étonnant que l’avenir plaçât Godwin à la tête de tous les prosateurs du XIX{{e}} siècle.</ref> par l’usage qu’il en a fait.