« Tom Jones ou Histoire d’un enfant trouvé/Tome 1 » : différence entre les versions

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HENRI FIELDING.
 
LIVRE PREMIER.
 
CONTENANT, SUR LA NAISSANCE DE L’ENFANT TROUVÉ, TOUS LES DÉTAILS DONT IL EST NÉCESSAIRE, OU CONVENABLE, QUE LE LECTEUR SOIT INSTRUIT, AU COMMENCEMENT DE CETTE HISTOIRE.
 
 
 
CHAPITRE PREMIER
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Finissons ce préambule ; il est temps de satisfaire l’impatience de ceux à qui notre menu est agréable, et de leur offrir le premier service de notre histoire.
 
 
CHAPITRE II.
 
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Ami lecteur, avant d’aller plus loin, nous croyons devoir te prévenir de l’intention où nous sommes de faire des digressions, dans le cours de cette histoire, aussi souvent que l’occasion s’en présentera ; et nous nous estimons meilleur juge de l’à-propos, qu’une foule de misérables critiques. Que ces prétendus aristarques s’occupent de ce qui les concerne, et ne se mêlent point d’affaires, ou d’ouvrages qui ne les regardent en rien. Tant qu’ils ne produiront pas les titres en vertu desquels ils voudraient nous citer à leur tribunal, nous déclinerons leur juridiction comme incompétente.
 
 
CHAPITRE III.
 
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M. Allworthy se livra ensuite au doux repos que goûte un homme dévoré de la soif de faire du bien, quand son cœur est pleinement satisfait. Il n’y a peut-être point au monde de sommeil si agréable, et nous nous complairions davantage à en peindre les charmes, si nous savions comment prescrire un air propre à en exciter le besoin.
 
 
CHAPITRE IV.
 
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Les choses ainsi arrêtées, M. Allworthy se retira dans son cabinet, selon sa coutume, et laissa l’enfant entre les mains de sa sœur, qui, sur sa demande, avait consenti à en prendre soin.
 
 
CHAPITRE V.
 
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Ceci étant une de ces observations profondes qui excèdent la portée du commun des lecteurs, nous avons bien voulu venir cette fois au secours de leur intelligence ; mais qu’ils ne s’accoutument point à une pareille faveur. Nous la leur accorderons rarement, et dans les seuls cas où il se présenterait des difficultés insurmontables, pour quiconque n’a pas reçu du ciel, comme nous autres écrivains supérieurs, le don divin de l’inspiration.
 
 
CHAPITRE VI.
 
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On renvoya la gouvernante au village, avec ordre d’amener la malheureuse fille devant M. Allworthy. L’écuyer avait dessein, non de la condamner, selon le désir de quelques-uns et l’attente de tous, à expier sa faute dans une maison de correction, mais de lui adresser les reproches et les conseils salutaires que liront dans le chapitre suivant, ceux qui font cas de ce genre d’instruction.
 
 
CHAPITRE VII.
 
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Il la congédia donc, avec la promesse de la mettre dans peu de temps à l’abri des traits de la médisance ; et l’exhortant de nouveau au repentir, il lui adressa ces dernières paroles : « Songez, mon enfant, que vous avez encore à vous réconcilier avec un juge, dont la faveur est pour vous d’un plus grand prix que la mienne. »
 
 
CHAPITRE VIII.
 
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Déborah applaudit aux sentiments de miss Bridget, et l’entretien finit par une violente satire de la beauté, entremêlée de grandes doléances sur le sort des filles assez simples, pour ajouter foi aux discours artificieux des hommes.
 
 
CHAPITRE IX.
 
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Maintenant en quelque endroit qu’elle aille, souhaitons-lui un heureux voyage, et prenons, pour l’instant, congé d’elle et de son enfant. Des objets d’une plus haute importance appellent ailleurs notre attention.
 
 
CHAPITRE X.
 
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À peine une semaine s’était écoulée, que le docteur eut lieu de s’applaudir de son stratagème. Le capitaine égalait dans l’art d’aimer l’ingénieux Ovide ; il avait de plus reçu de son frère des instructions qu’il sut mettre habilement à profit.
 
 
CHAPITRE XI.
 
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Pendant ce temps, c’est-à-dire pendant un mois environ, le capitaine ne s’écarta pas un instant de la circonspection qu’il s’était prescrite. Plus il faisait de progrès auprès de sa maîtresse dans le tête-à-tête, plus il paraissait devant le monde discret et réservé. Quant à la demoiselle, dès qu’elle se fut assurée du cœur de son amant, elle le traita en public avec la dernière indifférence : de sorte qu’il aurait fallu que M. Allworthy eût la pénétration, ou si l’on veut, la malignité du diable, pour concevoir le moindre soupçon de ce qui se passait sous ses yeux.
 
 
CHAPITRE XII.
 
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Ici finit le discours, ou plutôt le sermon de M. Allworthy. Le docteur y avait prêté une oreille attentive, quoiqu’il se fût fait de temps en temps quelque violence, pour prévenir une légère contraction dans les muscles de son visage. Dès que l’écuyer eut cessé de parler, il loua son éloquence, avec la chaleur d’un jeune ecclésiastique admis à la table de son évêque, le jour où monseigneur a daigné monter en chaire.
 
 
CHAPITRE XIII.
 
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LIVRE II.
 
PEINTURE DU BONHEUR CONJUGAL À DIFFÉRENTES ÉPOQUES DE LA VIE. ÉVÉNEMENTS ARRIVÉS PENDANT LES DEUX PREMIÈRES ANNÉES QUI SUIVIRENT LE MARIAGE DE MISS BRIDGET ALLWORTHY ET DU CAPITAINE BLIFIL.
 
 
 
CHAPITRE PREMIER
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Nous prétendons n’en être responsable à aucun tribunal de critique quelconque. Fondateur d’un nouvel empire littéraire, il nous est libre d’établir dans notre domaine telles lois qu’il nous plaît. C’est à vous, chers lecteurs, en qualité de nos sujets, de les recevoir avec confiance et soumission. Or, pour vous rendre l’obéissance facile et douce, nous vous prévenons que ces lois n’auront d’autre but que votre plaisir et votre avantage. Exempt du fol orgueil des tyrans de droit divin, nous ne pensons pas que vous soyez nos esclaves ; le ciel ne nous a placé au-dessus de vous que pour votre bien, si nous sommes destiné à votre usage, vous ne l’êtes pas au nôtre. En faisant ainsi de votre intérêt la grande règle de nos travaux, nous espérons que vous concourrez unanimement au maintien de notre dignité, et que vos hommages répondront à notre mérite et à nos souhaits.
 
 
CHAPITRE II
 
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L’importance de cet événement va nous obliger de remonter à son origine, et d’exposer en détail les causes qui l’ont produit. Cette recherche nous forcera de pénétrer dans l’intérieur d’une petite famille inconnue jusqu’à présent à nos lecteurs, et dont le régime domestique était si bizarre, si extraordinaire, que les gens mariés les plus crédules pourront bien le regarder comme une fable.
 
 
CHAPITRE III.
 
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Le maître d’école et sa femme passèrent le reste de cette journée d’une manière assez désagréable ; mais dans l’intervalle du soir au matin, le mari trouva moyen d’apaiser un peu le courroux de sa moitié, qui daigna enfin recevoir ses excuses. Elle y ajouta foi d’autant plus volontiers, que Partridge, au lieu de chercher à retenir Jenny, parut fort aise de son départ. Il lui reprochait d’employer la plus grande partie de son temps à la lecture, et de prendre peu de soin du ménage ; il se plaignait encore de ce qu’elle était devenue entêtée et impertinente. La vérité est que Jenny avait avec son maître de fréquentes disputes sur des questions de grammaire, qu’elle entendait beaucoup mieux que lui. Partridge n’en voulait pas convenir ; il traitait sa résistance d’opiniâtreté, et commençait à se sentir pour elle une assez forte aversion.
 
 
CHAPITRE IV.
 
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Après avoir adressé au pédagogue une multitude de reproches sur le passé, et de conseils pour l’avenir, elles se retirèrent, laissant le mari et la femme engagés dans un entretien, où Partridge apprit bientôt la cause de toutes ses souffrances.
 
 
CHAPITRE V.
 
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Là-dessus on fit venir la gouvernante, qui confirma ce que venait de dire le capitaine. L’écuyer la chargea d’aller sur-le-champ au petit Badington, s’informer de la vérité du fait. Ce fut le capitaine lui-même qui conseilla cette démarche. Ennemi de toute précipitation en matière criminelle, il déclara qu’il ne voudrait pas que son beau-frère prît une résolution préjudiciable à l’enfant, ou au père de l’enfant, avant d’être bien convaincu du crime de ce dernier. Le capitaine en avait déjà acquis en secret la certitude par un voisin de Partridge ; mais il était trop généreux pour se servir de ce témoignage auprès de M. Allworthy.
 
 
CHAPITRE VI.
 
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Partridge ayant perdu sa femme, son école, sa pension, et ne recevant plus rien de son bienfaiteur caché, résolut de quitter un pays où il courait risque de mourir de faim au milieu de la commisération publique.
 
 
CHAPITRE VII.
 
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Enfin M. Allworthy voyait certainement des imperfections dans le capitaine ; mais ce dernier les dissimulait avec tant d’adresse et une prudence si soutenue, qu’elles ne semblaient à l’écuyer que de légers défauts dans un caractère estimable. Sa bonté les excusait, et sa sagesse l’empêchait d’en parler au capitaine. Il aurait bien changé de sentiment, s’il était parvenu à découvrir l’exacte vérité ; ce qui serait sans doute arrivé, pour peu que les deux époux eussent continué à vivre ensemble de la même façon. La fortune secourable y mit bon ordre, en forçant le capitaine de prendre un parti qui lui rendit toute la tendresse de sa femme.
 
 
CHAPITRE VIII.
 
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« Tu rassembles les plus précieux matériaux pour élever un superbe édifice, quand tu n’as besoin que d’un pic et d’une bêche. Tu te bâtis une demeure de cinq cents pieds de long, sur cent de large, et tu oublies celle de six sur deux. »
 
 
CHAPITRE IX.
 
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LIVRE III.
 
PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS QUI ARRIVENT DANS LA FAMILLE DE M. ALLWORTHY, DEPUIS LA QUATORZIÈME JUSQU’À LA DIX-NEUVIÈME ANNÉE DE TOM JONES. DÉTAILS PROPRES À FAIRE NAÎTRE QUELQUES IDÉES SUR L’ÉDUCATION DES ENFANTS.
 
 
 
CHAPITRE PREMIER.
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Persuadé que la plupart de nos lecteurs possèdent éminemment cette qualité précieuse, nous leur avons laissé un espace de douze années, comme un champ propre à l’exercer. Nous allons maintenant leur présenter notre héros à l’âge d’environ quatorze ans, ne doutant point qu’ils ne soient depuis longtemps impatients de le connaître.
 
 
CHAPITRE II.
 
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Ceci se passait à table, vers la fin du dîner, en présence d’un tiers qui se mêla alors à la conversation, et qu’avant d’aller plus loin, nous ferons connaître en peu de mots au lecteur.
 
 
CHAPITRE III.
 
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« Eh ! messieurs, messieurs, repartit l’écuyer, ne vous échauffez pas tant. Vous avez tous deux mal compris ma pensée. C’est du faux honneur, et non du véritable que j’ai parlé. » M. Allworthy aurait eu de la peine à calmer la violence toujours croissante de la dispute, sans un incident qui l’interrompit pour le moment.
 
 
CHAPITRE IV.
 
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M. Allworthy hésita un moment, puis il renvoya les deux enfants, avec l’injonction d’être plus sages à l’avenir, et de vivre ensemble en meilleure intelligence.
 
 
CHAPITRE V.
 
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Les détails que nous venons de donner expliquent assez, ce nous semble, la différence d’opinion et de conduite du philosophe et du pédagogue, à l’égard des deux enfants. Elle avait encore une autre cause qui mérite, par son extrême importance, d’être exposée dans un chapitre à part.
 
 
CHAPITRE VI.
 
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Mais lorsque Tom, en grandissant, commença à donner des marques de ce caractère sensible et généreux qui plaît tant aux femmes, l’éloignement que mistress Blifil avait montré pour lui dans son enfance, diminua par degrés. Elle en vint au point de le préférer si ouvertement à son propre fils, qu’il fut impossible de se méprendre davantage sur ses sentiments. Elle le recherchait avec empressement ; elle ne se lassait pas du plaisir de le voir. À dix-huit ans, Tom était le rival de Thwackum et de Square. La médisance changea alors d’objet ; le nom de Tom remplaça dans toutes les bouches celui du philosophe, qui en conçut pour notre héros une haine implacable.
 
 
CHAPITRE VII
 
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Qu’on nous pardonne notre courte apparition sur la scène, où nous sommes venu jouer un moment le rôle que remplissait le chœur dans les pièces des anciens. En signalant à la jeunesse les écueils contre lesquels l’innocence et la bonté font trop souvent naufrage, nous avons craint qu’elle ne se méprît sur les moyens de salut que nous lui présentions ; et ne pouvant mettre nos conseils dans la bouche d’aucun de nos personnages, nous avons été forcé de prendre nous-mêmes la parole.
 
 
CHAPITRE VIII.
 
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Square embrassa avec chaleur l’avis, opposé, soit en haine de Thwackum, soit pour plaire à M. Allworthy, qui semblait approuver fort la conduite de Jones. Quant aux arguments dont il se servit pour la justifier, comme ils n’échapperont point à la sagacité de la plupart de nos lecteurs, nous nous dispenserons de les répéter ici. Il n’était sans doute pas difficile de concilier avec la règle de la justice, une action qu’il eût été impossible de rapporter à un autre principe.
 
 
CHAPITRE IX.
 
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Malgré l’obscurité de la nuit, malgré des torrents de pluie, Jones, transporté de joie, s’empressa de retourner sur ses pas, l’espace d’un mille, pour informer la femme du garde de l’heureux succès de sa démarche ; mais comme ceux qui se hâtent trop d’annoncer une bonne nouvelle, il ne recueillit d’autre fruit de sa précipitation, que le chagrin d’avoir bientôt à détruire l’espérance qu’il avait donnée. Le mauvais génie de Black Georges profita de l’absence de son ami, pour changer de nouveau la face des choses.
 
 
CHAPITRE X.
 
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LIVRE IV.
 
CONTENANT L’ESPACE D’UNE ANNÉE.
 
 
 
CHAPITRE PREMIER.
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Maintenant, sans autre préambule, nous passerons au chapitre suivant.
 
 
CHAPITRE II.
 
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Nous croyons pourtant convenable de dire, qu’une éducation soignée avait encore ajouté aux heureux dons que Sophie tenait de la nature. Elle avait été élevée sous les yeux d’une tante, femme pleine de sagesse et d’expérience, qui, dégoûtée de la cour, où elle avait passé sa jeunesse, s’était retirée depuis quelques années à la campagne. Grâce à ses leçons, Sophie ne laissait rien à désirer, sous le rapport du goût et de l’instruction. Il ne lui manquait peut-être qu’un peu de cette aisance dans les manières, qui ne s’acquiert que par l’usage du grand monde ; mais ce léger mérite, si estimé de nos voisins les Français, s’achète souvent trop cher : l’innocence y supplée de reste, et nous pensons que le bon sens, joint aux grâces naturelles, n’en a pas besoin pour plaire.
 
 
CHAPITRE III.
 
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Sophie remonta dans sa chambre, on renvoya chez eux les deux enfants, et le reste de la compagnie se remit à table, où l’aventure de l’oiseau devint le sujet de la conversation curieuse qu’on lira au chapitre suivant.
 
 
CHAPITRE IV.
 
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Telle fut l’aventure de l’oiseau, et la discussion qu’elle occasionna. Nous avons cru devoir en entretenir le lecteur, quoique l’événement ait précédé de plusieurs années l’époque où notre histoire est maintenant parvenue.
 
 
CHAPITRE V.
 
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Mais la fortune, qui ne favorise guère des étourdis tels que notre ami Tom, peut-être pour les punir du peu d’hommages qu’ils lui rendent, se plut à dénaturer toutes ses actions, et à les présenter à M. Allworthy dans un jour beaucoup moins avantageux, que celui sous lequel sa bonté les lui avait montrées jusqu’alors.
 
 
CHAPITRE VI.
 
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De là venait son apparente insensibilité aux charmes de Sophie, et à des marques de bienveillance qu’il aurait pu interpréter, sans présomption, comme une sorte d’encouragement. Trop généreux pour laisser Molly dans la misère et sans appui, il était incapable de tromper, par une feinte tendresse, une personne telle que Sophie. Et il faut convenir que l’un ou l’autre de ces crimes, aurait suffi pour lui mériter la fin tragique à laquelle chacun, comme on l’a dit au commencement de cette histoire, l’avait cru destiné dès son enfance.
 
 
CHAPITRE VII
 
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Molly était assise depuis quelque temps, sans que ses voisines l’eussent reconnue. Chacune se demandait à l’oreille : « Qui est cette demoiselle ? » Quand on sut que c’était la fille de Black Georges, il s’éleva du banc des femmes de telles risées et un tel bruit, que M. Allworthy fut obligé d’interposer son autorité, pour rétablir l’ordre et le silence.
 
 
CHAPITRE VIII.
 
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Le domestique revint bientôt avec un coussin. Molly rassembla de son mieux les débris de ses vêtements, se plaça en croupe derrière lui, et, suivie de Square et des deux jeunes gens, regagna la demeure de son père. Là, elle rendit à Jones son habit ; Jones lui donna furtivement un baiser, lui dit tout bas qu’il reviendrait la voir dans la soirée, entrejoignit ses compagnons.
 
 
CHAPITRE IX.
 
Ligne 1 454 ⟶ 1 536 :
 
L’orage une fois dissipé, on tint conseil. La proposition de Sophie fut le sujet d’un long débat. Molly ayant persisté dans son refus, on arrêta que la Seagrim irait trouver miss Western, et tâcherait d’obtenir la place pour sa fille aînée, qui ne fit nulle difficulté de l’accepter ; mais la fortune, toujours contraire aux vœux de cette petite famille, trompa encore une fois ses espérances.
 
 
CHAPITRE X.
 
Ligne 1 515 ⟶ 1 599 :
 
Cependant Sophie fut hors d’état, ce soir-là, de suivre le penchant de son cœur. Elle fit demander à son père la permission de ne point paraître à souper. L’écuyer se priva, non sans peine, de sa présence ; il voulait toujours l’avoir à ses côtés, sauf le temps qu’il passait à chasser, ou à boire. Pour tromper son ennui, et pour s’éviter lui-même, le pauvre homme envoya prier un fermier voisin de venir lui tenir compagnie.
 
 
CHAPITRE XI.
 
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La bonté de M. Allworthy avait écarté jusque-là ces idées de son esprit ; mais, présentées par un autre, elles étaient trop spécieuses pour qu’il les rejetât sans examen. Les suggestions de Square le frappèrent vivement, et lui causèrent un trouble qui, malgré son attention à le dissimuler, n’échappa point à l’œil scrutateur du philosophe. M. Allworthy lui fit une réponse courte et évasive, et se hâta de changer de conversation. Jones fut heureux d’avoir obtenu sa grâce avant cet entretien, qui donna naissance aux premières impressions défavorables que son père adoptif conçut contre lui.
 
 
CHAPITRE XII.
 
Ligne 1 585 ⟶ 1 673 :
 
Quel changement dans sa situation ! Cette passion, naguère si pleine de charmes, s’était transformée en un serpent cruel qui lui déchirait le sein. Elle combattit avec courage ce dangereux ennemi ; pour en triompher, elle employa toutes les ressources d’une raison supérieure à son âge. Ses efforts furent si heureux, qu’elle crut pouvoir se flatter que le temps et l’absence lui procureraient une entière guérison. Elle résolut donc d’éviter Tom Jones autant que possible. Dans cette vue, il lui vint à l’esprit de faire un voyage chez sa tante. Elle ne doutait pas que son père n’approuvât ce projet ; mais la fortune, qui avait d’autres desseins, y mit obstacle par un incident que nous raconterons dans le chapitre suivant.
 
 
CHAPITRE XIII.
 
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Quoi qu’il en soit, l’accident de Jones fit beaucoup d’impression sur Sophie ; et nous sommes porté à croire, d’après d’exactes recherches, que la beauté de Sophie n’en produisit pas moins sur notre héros, qui, pour dire la vérité, commençait depuis quelque temps à sentir le pouvoir irrésistible de ses charmes.
 
 
CHAPITRE XIV.
 
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LIVRE V.
 
CONTENANT UN PEU PLUS DE SIX MOIS.
 
 
 
CHAPITRE PREMIER.
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C’est sous ce jour, ou si l’on veut à travers cette obscurité, que nous prions le lecteur de considérer nos introductions. S’il trouve cette histoire assez fastidieuse en elle-même, sans ces morceaux postiches où nous nous sommes efforcé de répandre l’ennui à pleines mains, il ne tiendra qu’à lui de passer outre, et de commencer chaque livre par le second chapitre.
 
 
CHAPITRE II.
 
Ligne 1 772 ⟶ 1 868 :
 
Une fois que des pensées nouvelles pour Jones se furent emparées de son esprit, elles lui causèrent une agitation qui, dans l’état de faiblesse où il était encore, aurait pu avoir des suites graves, sans la bonté de sa constitution. Il sentait le mérite de Sophie, il admirait ses attraits, ses talents, il adorait ses vertus. Comme il n’avait jamais conçu l’idée de la posséder, ni cherché à nourrir une douce et vaine illusion, sa passion pour elle était beaucoup plus forte qu’il ne le croyait. Frappé d’une lumière subite, il découvrit en même temps qu’il aimait, et qu’il était aimé.
 
 
CHAPITRE III
 
Ligne 1 783 ⟶ 1 881 :
 
Jones, au milieu de cette fluctuation de sentiments contraires, passa la nuit dans une pénible insomnie, et le lendemain il s’arrêta à la résolution généreuse de demeurer fidèle à Molly, et d’oublier, s’il le pouvait, Sophie. Il y persévéra le jour suivant jusqu’au soir, caressant en idée l’image de la première, et repoussant celle de l’autre ; mais un incident de peu d’importance qui survint dans la soirée, renouvela ses perplexités, et changea entièrement la disposition de son âme.
 
 
CHAPITRE IV.
 
Ligne 1 840 ⟶ 1 940 :
 
Le cœur de Jones fut emporté par surprise, comme une autre Troye. Tous ces beaux sentiments d’honneur et de prudence, qu’il avait posés en sentinelle, pour en défendre les approches, désertèrent leur poste, et le dieu d’amour entra triomphant dans la place.
 
 
CHAPITRE V.
 
Ligne 1 899 ⟶ 2 001 :
 
Molly prodigua mille témoignages de tendresse à son nouvel amant, se moqua avec lui de ce qu’elle avait dit à Jones, et de Jones lui-même, jurant que si le jeune homme avait autrefois possédé sa personne, nul autre que Square n’avait jamais possédé son cœur.
 
 
CHAPITRE VI
 
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Sophie se retira dans sa chambre. Les soins d’Honora et le secours des eaux spiritueuses parvinrent à calmer le trouble de ses sens. Quant à Jones, il reçut pour tout soulagement à ses maux une nouvelle si douloureuse, que nous croyons devoir en remettre le récit au chapitre suivant, pour ne pas confondre deux scènes d’une nature trop différente.
 
 
CHAPITRE VII.
 
Ligne 2 015 ⟶ 2 121 :
 
Quand tout le monde fut sorti, M. Allworthy remit la tête sur son oreiller, et tâcha de prendre un peu de repos.
 
 
CHAPITRE VIII.
 
Ligne 2 072 ⟶ 2 180 :
 
M. Allworthy chargea Blifil du soin des funérailles. Il voulut que sa sœur fût inhumée dans la chapelle du château. Du reste, il laissa son neveu maître de régler, comme il l’entendrait, la cérémonie funèbre, se bornant à lui indiquer la personne qu’il devait employer dans cette occasion.
 
 
CHAPITRE IX.
 
Ligne 2 115 ⟶ 2 225 :
 
Malgré cette réconciliation apparente, le plaisir, que la querelle avait banni, ne revint pas. Tout sentiment de joie était éteint ; on ne traita plus que de graves questions de politique et de morale, sorte d’entretien fort instructif sans doute, mais d’un très-médiocre intérêt. Comme nous n’avons en vue que l’amusement du lecteur, nous passerons sous silence ce qui se dit, jusqu’au moment où les convives s’étant peu à peu retirés, Square et le médecin restèrent seuls. La conversation se ranima un instant par des réflexions critiques sur la dispute des deux jeunes gens. Le médecin prononça, qu’à tout prendre, ils ne valaient pas mieux l’un que l’autre : décision que le philosophe approuva d’un mouvement de tête grave et significatif.
 
 
CHAPITRE X.
 
Ligne 2 148 ⟶ 2 260 :
 
Nos chasseurs avaient pris, en poursuivant leur proie, un sentier embarrassé de ronces. Cet obstacle ralentit leur marche, et le bruit des épines qu’ils froissaient sous leurs pieds avertit Jones de leur approche. Thwackum d’ailleurs, incapable de contenir son indignation, l’exhalait en menaces si violentes, que le son de sa voix convainquit notre ami qu’il était, en termes de chasse, surpris au gîte.
 
 
CHAPITRE XI.
 
Ligne 2 187 ⟶ 2 301 :
 
L’honnête écuyer se promenait le soir avec quelques amis, quand le hasard le conduisit vers le lieu où se livrait cette sanglante bataille. À la vue de trois hommes aux prises, il jugea, sans un grand effort de génie, que la partie n’était pas égale. Il quitta aussitôt sa compagnie, et, ne prenant conseil que de son courage, il se rangea du côté le plus faible. Par ce procédé généreux, il empêcha, selon toute apparence, que M. Jones ne fût victime de la rage de Thwackum, et du pieux dévouement de Blifil pour son ancien maître ; car outre l’inégalité du nombre ; si défavorable à notre jeune héros, son bras cassé n’avait pas encore recouvré sa première force. L’arrivée imprévue de l’écuyer mit bientôt fin au combat, et Jones, grâce au secours de son allié, remporta une victoire complète.
 
 
CHAPITRE XII
 
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LIVRE VI.
 
CONTENANT ENVIRON TROIS SEMAINES.
 
 
 
CHAPITRE PREMIER.
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Nous soumettons ces observations au jugement de ceux dont le cœur peut en attester la justesse. Sonde le tien, cher lecteur. Si tu y trouves un sentiment conforme au nôtre, continue de lire cette histoire. Dans le cas contraire, tu en as déjà lu plus que tu n’en as compris. Tu feras mieux de retourner à tes affaires, ou à tes plaisirs, quels qu’ils soient, que de perdre ton temps à une lecture que tu ne saurais goûter, ni comprendre. Il y aurait, de notre part, autant d’absurdité à t’entretenir des effets de l’amour, qu’à parler des couleurs à un aveugle de naissance. Tu pourrais t’en faire une idée aussi extravagante que celle d’un infortuné de cette espèce qui se figurait, dit-on, que la couleur écarlate ressemblait beaucoup au son d’une trompette.
 
 
CHAPITRE II.
 
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Un sourire gracieux de mistress Western termina la querelle. « Mon frère, dit-elle, vous êtes un franc Croate ; mais comme ceux qui servent dans les armées de l’impératrice-reine, vous avez quelque chose de bon. Allons, je consens à faire encore avec vous un traité de paix. Ayez soin de ne point l’enfreindre. Votre habileté en politique me répond que vous l’observerez… aussi longtemps que vous n’aurez pas d’intérêt à le rompre. »
 
 
CHAPITRE III.
 
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Mais il est temps de terminer ce chapitre, pour ne pas mettre la patience du lecteur à une trop longue épreuve.
 
 
CHAPITRE IV.
 
Ligne 2 411 ⟶ 2 535 :
 
Le ministre s’étant retiré, M. Western raconta à sa sœur ce qui s’était passé, et la pria d’en faire part à Sophie. Elle se chargea volontiers de la commission. Peut-être sa prompte complaisance fut-elle en partie l’effet de l’aspect favorable des affaires du Nord. Il est du moins probable, que cette heureuse circonstance épargna à l’écuyer les justes reproches que méritait la précipitation de sa démarche.
 
 
CHAPITRE V.
 
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Sophie comprit très-bien la pensée de sa tante, mais elle ne jugea pas à propos d’y répondre. Elle se décida toutefois à recevoir M. Blifil, et à le traiter le plus poliment qu’elle pourrait, puisqu’il ne lui restait que ce moyen de cacher à son père une inclination, dont sa mauvaise fortune, plutôt que l’habileté de sa tante, avait découvert le secret.
 
 
CHAPITRE VI.
 
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Honora ne s’était pas trompée. Jones y avait passé deux heures de la matinée, plongé dans de mélancoliques rêveries, et il venait de sortir du jardin par une porte, au moment où Sophie y entrait par l’autre : ainsi le fatal retard de quelques minutes, occasionné par un changement de ruban, empêcha nos deux jeunes amants de se rencontrer ce jour-là. Ô mes belles lectrices ! faites votre profit de ce petit incident. Nous ne l’avons rapporté que pour votre instruction. C’est dire assez qu’il n’est point du ressort de messieurs les critiques. À vous seules appartient le droit de le commenter à votre guise.
 
 
CHAPITRE VII.
 
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– Va, mon enfant, va, lui dit-il, tâche de fléchir cette fille rebelle. » Et il jura de nouveau de la chasser de chez lui, si elle ne consentait pas au mariage.
 
 
CHAPITRE VIII.
 
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Cette scène déjà trop longue peut-être, au gré de quelques lecteurs, fut interrompue par une autre d’une nature si différente, que nous croyons devoir en renvoyer le récit au chapitre suivant.
 
 
CHAPITRE IX.
 
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M. Western ayant bu quelques rasades, ramena la conversation sur Jones, et annonça la résolution où il était d’aller le lendemain matin, de bonne heure porter plainte contre lui à M. Allworthy. Le ministre, par un sentiment de bonté naturelle, tenta de s’y opposer ; mais il ne réussit qu’à provoquer une nouvelle bordée de jurements et d’imprécations, dont ses pieuses oreilles furent cruellement blessées. Cependant il n’osa pas attaquer un privilège que l’écuyer réclamait, en sa qualité d’homme libre et d’Anglais. Dans le fait, M. Supple aurait eu mauvaise grâce à se fâcher, puisqu’il ne craignait point de venir satisfaire, à la table de l’écuyer, la délicatesse de son palais, au risque d’y compromettre de temps en temps celle de ses oreilles. Il se disait, pour sa justification, qu’il n’encourageait point l’habitude vicieuse de son patron, et que M. Western n’en ferait pas un jurement de moins, quand il ne mettrait jamais le pied chez lui. Mais si la politesse l’empêchait de réprimander ce gentilhomme dans sa propre maison, il se dédommageait en chaire de cette réserve. Ses censures indirectes, sans corriger l’écuyer, avaient du moins l’avantage de le rendre plus attentif à exécuter les lois contre les autres ; en sorte qu’il n’y avait, à bien dire, dans la paroisse, que le seul magistrat qui eût la liberté de jurer impunément.
 
 
CHAPITRE X.
 
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Blifil s’était en effet donné, dans le temps, quelque peine pour déterminer Thwackum à garder le silence ; et cela par plusieurs motifs. Il savait que la maladie amollit et relâche d’ordinaire les caractères les plus fermes ; il pensait d’ailleurs qu’il ne pouvait dénaturer un fait récent, sans s’exposer à être démenti par le médecin, qui ne s’éloignait guère de la maison, et à perdre ainsi le fruit de son imposture. Il résolut donc de tenir en réserve ce moyen de vengeance, jusqu’à ce que l’imprudence de Jones lui fournît de nouvelles armes. Persuadé que le poids d’un grand nombre de fautes réunies, ne manquerait pas de l’écraser, il attendait une occasion semblable à celle que la fortune venait de lui offrir. Enfin, il s’imaginait que quand sa démarche auprès de Thwackum serait connue de M. Allworthy, elle le confirmerait dans l’opinion qu’il avait toujours cherché à lui donner de son amitié pour Jones.
 
 
CHAPITRE XI.
 
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Un fait digne de remarque, c’est qu’au milieu de ce déchaînement général, personne ne dit un mot de la somme contenue dans le portefeuille remis à Jones par M. Allworthy ; et cette somme ne montait pas à moins de cinq cents livres sterling. Tout le monde s’accordait à publier, que l’infortuné avait été chassé sans un sou, quelques-uns ajoutaient tout nu » de la maison de son barbare père.
 
 
CHAPITRE XII.
 
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Jones lut et baisa cent fois cette lettre. Elle ralluma dans son cœur toute l’ardeur de sa flamme. Il se repentit de ce qu’il avait écrit à Sophie, et bien plus encore d’avoir profité de l’absence de son messager, pour mander à M. Allworthy qu’il prenait l’engagement solennel d’étouffer sa passion. Cependant, quand la réflexion eut calmé ses sens, il ne vit d’autre changement dans sa position, qu’un faible espoir fondé sur la constance de Sophie et sur les chances incertaines de l’avenir. Il revint donc à sa première résolution, dit adieu à Black Georges, et prit la route d’une ville éloignée d’environ cinq milles, où il avait prié M. Allworthy de lui envoyer ses effets, si l’arrêt prononcé contre lui était irrévocable.
 
 
CHAPITRE XIII.
 
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Grâce à l’utile secours de la peur, la conscience remporta une victoire complète, et força Georges, après lui avoir fait un petit compliment sur sa probité, de remettre la bourse à Jones.
 
 
CHAPITRE XIV.
 
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LIVRE VII.
 
CONTENANT TROIS JOURS.
 
 
 
CHAPITRE PREMIER.
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En résumé, l’homme équitable et sensé n’est jamais prompt à condamner. Il peut censurer une imperfection, un vice même, sans animosité contre la personne en qui il les remarque. C’est la même folie, le même enfantillage, les mêmes défauts d’éducation et de caractère qui excitent le cri de la censure, dans le monde et au théâtre. On entend d’ordinaire les épithètes de fripon et de coquin sortir des bouches les plus corrompues, comme on voit les critiques les plus ineptes, se montrer les plus prompts à siffler.
 
 
CHAPITRE II.
 
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Mais avant de raconter la suite de ses aventures, retournons un moment au château de M. Western, et voyons ce que devient la charmante Sophie.
 
 
CHAPITRE III.
 
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Une femme qui eût été formée, comme mistress Western, à l’école du monde et de la politique, aurait profité sur-le-champ de la disposition d’esprit où était l’écuyer, en le flattant adroitement aux dépens de son adversaire absente. Mais la pauvre Sophie était la simplicité même. Qu’on ne s’y trompe point : simplicité ne doit pas se prendre ici, comme on le fait d’ordinaire, dans le sens de bêtise. Sophie était au contraire pleine de raison et de jugement ; elle manquait seulement de cette adresse dont les femmes savent tirer, en maintes occasions, un si utile parti, et qui, provenant moins de la tête que du cœur, est souvent le partage des plus sottes d’entre elles.
 
 
CHAPITRE IV.
 
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On s’étonnera peut-être que l’écuyer n’ait pas fini par haïr sa fille, autant qu’il haïssait sa femme ; mais l’amour, même envenimé par la jalousie, n’engendre point la haine. Un amant jaloux peut, dans un transport de rage, immoler l’objet de sa tendresse ; il n’est pas en son pouvoir de le haïr. Cette assertion étant tout-à-fait neuve, et sentant un peu le paradoxe, nous laisserons au lecteur le temps de la méditer à loisir.
 
 
CHAPITRE V.
 
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Sophie remonta tristement dans sa chambre, et s’abandonna, si l’on peut s’exprimer ainsi, à toute la volupté d’une tendre douleur. Elle lut et relut plusieurs fois la lettre de Jones, elle eut aussi recours à son cher manchon, et baigna l’un et l’autre de ses larmes. L’officieuse Honora n’épargna rien pour soulager son affliction. Elle lui nomma la plupart des jeunes gentilshommes du comté, loua leur figure et leur esprit, et l’assura qu’elle était maîtresse de choisir, parmi eux, qui elle voudrait. On doit croire qu’une aussi habile praticienne qu’Honora, n’aurait point fait usage d’un tel remède, s’il n’eût déjà été employé, avec succès, en pareil cas. Nous avons même ouï dire, que la docte faculté des soubrettes le regarde comme un spécifique souverain, dans les crises d’amour des jeunes filles. La maladie de miss Western, qui en présentait tous les symptômes extérieurs, en différait-elle, au fond, par quelque endroit ? Nous l’ignorons ; ce qui est certain, c’est que la bonne Honora manqua entièrement son but. Elle fit à sa maîtresse beaucoup plus de mal que de bien, et l’irrita si vivement, que celle-ci, malgré toute sa douceur habituelle, la renvoya de sa chambre avec l’accent de la colère.
 
 
CHAPITRE VI.
 
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Il est probable que M. Allworthy, toujours prêt à faire le bonheur des autres, aurait cédé aux importunités réunies de l’écuyer et de son futur gendre, si l’aimable Sophie n’avait pris soin de rompre le traité sans retour, et de frustrer les gens d’église et les gens de loi, de la taxe qu’ils ont coutume d’imposer sur la propagation légitime de l’espèce humaine.
 
 
CHAPITRE VII.
 
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Après cet entretien, Sophie chargea Honora de mettre pour elle, dans son paquet, un peu de linge et une robe. Elle abandonna tout le reste avec aussi peu de regret qu’en éprouve un matelot qui, dans le fort de la tempête, jette à la mer les riches ballots des passagers, pour sauver sa propre vie de la fureur des eaux.
 
 
CHAPITRE VIII.
 
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Après son départ, la querelle recommença entre les deux femmes de chambre, et produisit un nouveau combat plus sérieux que le précédent. À la fin la victoire demeura à la campagnarde, mais non sans quelque perte de sang, de cheveux, de rubans, et de mousseline.
 
 
CHAPITRE IX.
 
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Mais avant de nous occuper davantage de Sophie, il faut reporter nos regards sur M. Jones.
 
 
CHAPITRE X.
 
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Quant à l’hôte, la peur l’empêcha de se livrer au repos. Il s’établit au coin du feu de la cuisine, d’où il avait l’œil sur l’unique porte qui donnait dans la chambre, ou plutôt dans le trou où Jones s’était réfugié. La fenêtre ne l’inquiétait pas ; l’ouverture en était si étroite, qu’un chat aurait eu de la peine à passer à travers.
 
 
CHAPITRE XL.
 
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Le lieutenant lui rendit de bonne grâce son compliment, loua sa résolution, lui serra la main, et l’invita à dîner avec les autres officiers.
 
 
CHAPITRE XII.
 
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Le chirurgien arriva sur ces entrefaites ; il examina la blessure, secoua la tête, blâma tout ce qu’on avait fait, et ordonna qu’on mît à l’instant le blessé au lit. Nous l’y laisserons reposer quelque temps, et nous terminerons ici ce chapitre.
 
 
CHAPITRE XIII.
 
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Le raisonnement du lieutenant, quelque concluant qu’il fût pour lui, ne l’était pas de même pour notre jeune ami. Celui-ci, après avoir longtemps ruminé le cas dans sa tête, s’arrêta enfin à la résolution qu’on va voir.
 
 
CHAPITRE XIV.
 
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Au reste, que Northerton eût été emporté dans un nuage, dans un tourbillon de flammes, ou de quelque autre manière que ce fût, un fait certain, c’est qu’il avait disparu. Le lieutenant porta, sur cette affaire, à peu près le même jugement que le sergent dont on a parlé plus haut. Il ordonna qu’on se saisît à l’instant du factionnaire, qui, par un de ces revers de fortune assez fréquents dans la profession des armes, prit la place du prisonnier qu’il gardait.
 
 
CHAPITRE XV.
 
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LIVRE VIII.
 
CONTENANT PLUS DE DEUX JOURS.
 
 
 
CHAPITRE PREMIER.
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La nécessité de se renfermer dans les bornes de la probabilité, n’oblige pas un auteur à ne mettre en scène que des personnages communs ; à ne traiter que des sujets vulgaires. Il lui est permis d’inventer des caractères, des situations. Pourvu qu’il se conforme aux règles établies ci-dessus, il a rempli sa tâche, et peut braver la critique et l’incrédulité. Elles sont alors sans fondement ; j’en puis citer un exemple remarquable. Une troupe de clercs de procureur et d’apprentis-marchands, s’avisèrent un jour de siffler, comme contraire à la nature, le rôle d’une jeune femme de qualité qui avait obtenu, avant la représentation, le suffrage d’un grand nombre de dames du plus haut rang. L’une d’entre elles, très-distinguée par son esprit, avait même déclaré, que c’était le portrait de la moitié des jeunes femmes de sa connaissance. L’auteur se moqua des sifflets du parterre, et en fut bien dédommagé par les applaudissements des loges.
 
 
CHAPITRE II.
 
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La bonne femme pensa tomber de son haut, à cette confidence. Elle répondit froidement, que chacun devait savoir ce qui convenait le mieux à sa position. « Mais écoutez, dit-elle, quelqu’un appelle, je crois… On y va ! on y va ! Je ne sais à quoi pensent les domestiques. On dirait qu’ils n’ont pas d’oreilles. Il faut que je descende. Si vous avez besoin de quelque chose de plus pour votre déjeuner, vous sonnerez la fille… On y va ! on y va ! » et sans autre cérémonie, elle sortit brusquement. Les gens du peuple sont chiches de politesse. S’ils ont volontiers des égards pour les personnes de qualité, ils les font payer cher à leurs égaux.
 
 
CHAPITRE III.
 
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À ces mots, le docteur s’élança hors de la chambre, et le malade reposant sa tête sur son oreiller, retrouva bientôt le sommeil, mais non le-songe qui l’avait charmé.
 
 
CHAPITRE IV.
 
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– Vraiment ! si je le croyais fils d’un gentilhomme, fût-il bâtard, je le traiterais d’une toute autre manière. Combien n’a-t-on pas vu de ces bâtards devenir de grands seigneurs ? Comme disait mon premier mari, il ne faut jamais offenser un chaland, quand il est gentilhomme.
 
 
CHAPITRE V.
 
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– Je n’ai jamais rien lu, dit Jones, de ce dernier auteur. Je ferai volontiers connaissance avec lui. » Benjamin l’assura qu’il en serait très-content, et que Tom Brown était un des plus beaux génies de l’Angleterre. Il courut à sa maison, qui n’était qu’à deux pas de l’auberge, et en rapporta les deux volumes. Jones lui recommanda le plus grand secret, le barbier lui promit une discrétion à toute épreuve, après quoi, ils se séparèrent ; Jones se retira dans sa chambre, et le barbier s’en retourna chez lui.
 
 
CHAPITRE VI.
 
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Jones approuva l’expédient, et Partridge s’en alla chez lui, pour faire ses préparatifs de campagne.
 
 
CHAPITRE VII.
 
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Le mémoire fait et acquitté, Jones partit avec Partridge, qui portait le havre-sac. L’hôtesse ne daigna pas même lui souhaiter un bon voyage. Il paraît que son auberge n’était fréquentée que par des gens de qualité ; et c’est une chose digne de remarque, que ceux qui gagnent leur vie à les servir, deviennent aussi insolents envers leurs égaux, que s’ils étaient eux-mêmes de grands seigneurs.
 
 
CHAPITRE VIII.
 
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Jones n’avait pas été en état de se disculper. Il ignorait complètement les propos qu’on avait tenus sur son compte, et par conséquent il eut sujet d’être blessé du traitement incivil de l’hôtesse. Il paya sa dépense, et partit, au grand regret de Partridge, qui, après d’inutiles représentations, se résigna enfin à reprendre le havresac, et à suivre son ami.
 
 
CHAPITRE IX.
 
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Nous avons déjà fait mention du bon naturel de Partridge, et de son dévouement pour Jones. On ne peut guère douter cependant, que le double espoir dont nous venons de parler, n’ait beaucoup influé sur la constance de son attachement, après qu’il eut découvert que son maître et lui, quoique voyageant familièrement ensemble, avaient embrassé des partis contraires. Car si l’amour, l’amitié, l’estime, et tous les sentiments de cette nature, ont un grand empire sur le cœur humain, l’intérêt en exerce aussi un très-puissant. C’est un ressort rarement négligé et presque toujours mis en jeu avec succès, par les gens habiles qui veulent amener les autres à leurs fins. On peut en comparer l’efficacité à celle des pilules de Ward[84], qui pénètrent et s’insinuent rapidement dans la partie du corps qu’on cherche à stimuler ; et soit qu’il s’agisse de la langue, de la main, ou de tout autre membre, ne manquent guère de produire l’effet que l’on désire.
 
 
CHAPITRE X.
 
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Après quelques compliments réciproques, le solitaire allait commencer son histoire, quand Partridge, pour dissiper un reste d’émotion que lui avait laissé la peur, le fit souvenir de son excellente eau-de-vie. Il l’alla chercher sur-le-champ ; le pédagogue en but un grand verre, et le vieillard raconta, sans préambule, ce qu’on peut lire dans le chapitre suivant.
 
 
CHAPITRE XI.
 
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Le solitaire y consentit ; mais comme il a repris haleine un moment, nous laisserons le lecteur en faire autant, et nous terminerons ici ce chapitre.
 
 
CHAPITRE XII.
 
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Jones, quoique un peu choqué de l’impertinence de Partridge, ne put s’empêcher de rire de sa simplicité. L’étranger en fit de même, et continua son histoire, comme on le verra au chapitre suivant.
 
 
CHAPITRE XIII.
 
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– Soyez tranquille, repartit le vieillard, je n’omettrai rien d’essentiel. » Et il continua de raconter ce que nous continuerons d’écrire, après avoir pris et donné au lecteur un moment de repos.
 
 
CHAPITRE XIV.
 
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Jones, par discrétion, voulut en vain l’engager à prendre un peu de repos. Le solitaire, pour répondre à son impatience et à celle de Partridge, continua son récit, comme on le verra dans le chapitre suivant.
 
 
CHAPITRE XV.
 
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LIVRE IX.
 
CONTENANT DOUZE HEURES.
 
 
 
CHAPITRE PREMIER.
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Enfin, toutes les qualités que nous venons d’exiger de notre historien ne lui seront d’aucune utilité, si le ciel ne l’a doué d’un cœur sensible. L’auteur qui veut me faire pleurer, dit Horace, doit d’abord pleurer lui-même. Dans le fait, comment réussir à peindre un malheur qu’on ne sent pas ? Nul doute que les auteurs des scènes pathétiques qu’on applaudit au théâtre, ne les aient arrosées de leurs larmes, en les écrivant. Il en est de même du comique. Nous sommes convaincu que nous ne faisons jamais rire notre lecteur de si bon cœur, que quand nous avons ri avant lui ; à moins que par hasard, au lieu de rire avec nous, il ne soit tenté de rire à nos dépens, ce qui lui est peut-être arrivé dans quelques endroits de ce chapitre ; et cette crainte nous engage à le terminer ici.
 
 
CHAPITRE II.
 
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Notre héros et la dame sauvée par sa valeur se mirent en marche, dans le même, ordre que jadis Orphée et Eurydice. Nous ne croyons pas que la belle usa de ruse pour engager son protecteur à regarder derrière lui. Cependant, elle eut si souvent besoin de son secours, lorsqu’il se présenta des fossés et des barrières à franchir ; elle fit tant de faux pas, qu’il fut obligé de se retourner plus d’une fois, pendant le trajet. Quoi qu’il en soit, plus heureux que le chantre de Thrace, il parvint à conduire saine et sauve sa compagne, ou plutôt sa suivante, dans les murs de la fameuse ville d’Upton.
 
 
CHAPITRE III.
 
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L’hôte, sorti de la mêlée sans blessure apparente, et l’hôtesse, couvrant de son mouchoir sa figure tout égratignée, coururent ensemble au-devant du carrosse. Une jeune dame en descendit avec sa suivante. L’hôtesse s’empressa de les conduire dans la meilleure chambre de son auberge, qui était celle où M. Jones avait déposé sa belle conquête. Pour s’y rendre, elles furent obligées de traverser le champ de bataille : ce qu’elles firent à la hâte, et en baissant leurs voiles dans la crainte d’être reconnues. C’était une précaution fort inutile. La nouvelle Hélène, cause infortunée de la querelle, ne songeait elle-même qu’à se dérober aux regards, et Jones s’occupait uniquement à sauver Partridge de la furie de Susanne. Il eut le bonheur d’en venir à bout. Le pédagogue remis en liberté, alla se laver le visage à la pompe, pour arrêter le sang qui coulait à gros bouillons de son nez.
 
 
CHAPITRE IV.
 
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On se rangea ensuite autour du feu de la cuisine. La gaîté devint générale. Partridge oubliant la honte de sa défaite, convertit sa faim en soif, et fit mille contes plaisants. Il faut toutefois quitter un moment ce cercle joyeux, et suivre M. Jones dans l’appartement de mistress Waters, où le dîner qu’il avait commandé était servi. Ce dîner n’avait pas exigé grande façon. Il était préparé depuis trois jours, le cuisinier n’eut que la peine de le réchauffer.
 
 
CHAPITRE V.
 
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Il plaît aux Grâces de terminer ici leur description, et à nous, de terminer le chapitre.
 
 
CHAPITRE VI.
 
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Jones, à ces mots, poussa un profond soupir. Mistress Waters s’en aperçut, et n’eut pas l’air d’y faire attention, tant que l’hôtesse resta dans la chambre ; mais après le départ de la bonne femme, elle ne put s’empêcher d’insinuer à notre héros, qu’elle craignait d’avoir dans son affection une rivale dangereuse. Le silence et l’embarras de Jones confirmèrent ses soupçons, et cependant ne changèrent rien à ses sentiments. Elle était trop peu délicate en amour, pour se désoler de cette découverte. Ses yeux étaient charmés de la beauté de Jones. Ne pouvant lire dans son cœur, elle ne s’embarrassait point de ce qui s’y passait. Elle prenait volontiers part au banquet de l’amour, sans s’inquiéter qu’une autre l’y eût précédée, ou dût l’y suivre : façon de penser peu raffinée, mais très-solide, et qui annonce un caractère moins égoïste, moins envieux, moins fantasque, que celui de ces froides et jalouses coquettes qui consentiraient à se priver de leurs amants, pourvu qu’elles fussent convaincues qu’aucune autre femme ne les possédât.
 
 
CHAPITRE VII