« Petite garnison marocaine » : différence entre les versions

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Ce déploiement de forces y subissait, d’ailleurs, les caprices des circonstances. La « colonne d’observation » stationnée à Guicer, le bataillon, la batterie et l’escadron de l’« arrière-garde tactique » s’étaient volatilisés dans les groupemens hétéroclites que le général Moinier conduisait à Fez, dans les postes qui protégeaient les communications entre la capitale et l’Océan. Mais on n’avait jamais cessé d’occuper Dar-Chafaï, que l’on croyait toujours exposé à quelque retour offensif des Tadla. C’était exagérer la valeur combative de ces guerriers, et l’on pouvait attribuerai! « mirage africain » la nature et la durée de l’impression causée chez nous par les résultats de la colonne Aubert. Dans ce pays où quelques tués, une dizaine de blessés pour un effectif de trois mille combattans font qualifier toute rencontre de « sanglant combat, » on oubliait qu’un millier d’hommes avait poussé une pointe de cent cinquante kilomètres dans le pays des Tadla, fait sauter pour l’exemple la porte de leur kasbah principale, passé sur le corps de tous les guerriers confédérés qui voulaient barrer la route du retour, pour ne se souvenir que des 20 tués et des 60 blessés dont le commandant Aubert avait payé son exploit. Ces pertes semblaient colossales aux libérateurs de Fez, aux vainqueurs de Bahlil et de Meknès. Elles paraient d’une auréole d’invincibilité les guerriers sans cohésion et mal armés que notre victoire sans lendemain transformait en triomphateurs. Les effectifs qu’on estimait nécessaires pour réduire leur ''siba'' chronique semblaient si considérables, que
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encore que les bâtimens relevés par Si-Ahmed. On se représente sans peine les beautés de la « Koubba, » ou maison voûtée de Si-Abbès; celles de la chambre où mourut Si-Chafaï, dont les murs disparaissaient littéralement sous les mosaïques et sous les sculptures coloriées ; on évoque les élégances mièvres des couloirs couverts de terrasses, éclairés par des baies aux contours gracieux; les appartemens où les femmes caquetaient dans la pénombre qui estompait les teintes vives des carrelages et des plafonds, la dentelle éclatante des murs. Les rebelles ont anéanti les chefs-d’œuvre des maîtres-maçons de Fez, des menuisiers de Marrakech, des céramistes de Salé, des peintres de Casablanca. Ils ont écrasé les sculptures, abattu les colonnettes, rompu les arceaux, descellé les mosaïques, défoncé les cours, crevé les voûtes, incendié les plafonds. Ils se sont vengés des longues années de rapines sur les manifestations du luxe créé par l’injustice et l’avidité de leurs seigneurs. Les Chafaï ont ainsi expié leur habileté traditionnelle à faire suer les burnous ou, comme on dirait en France, à plumer la poule sans la faire crier, leurs douros amassés, les amendes en nature qui leur procuraient les matériaux de construction, leur solution élégante du problème de la main-d’œuvre gratuite par les nombreux jours de prison qui punissaient les peccadilles de leurs administrés. Pour mieux montrer la justice de leurs-représailles, les rebelles ont respecté la mosquée de la kasbah, qui étalait ses piliers trapus et ses arcades lourdes au pied du minaret blanc égayé de faïences vertes, dont la terrasse à seize mètres de hauteur supporte aujourd’hui un poteau télégraphique, transformé en mât de pavillon. Ils ont laissé intacte la demeure sans faste que Si-Chafaï s’était bâtie dans les premières années de sa richesse et qui abrita plus tard, au temps de l’opulence, les serviteurs et les cliens du puissant caïd. Ils n’ont pas davantage assouvi leur fureur sur la maisonnette ancestrale des Chafaï, qui subsiste encore, tapie contre la mosquée, et qui, flanquée de deux ou trois ''noualas'', devait dresser son rez-de-chaussée en terre dans un enclos limité par un mur de pierres sèches, lorsque Si-Chafaï était simple khalifa des Beni-Meskine. Le fondateur de la kasbah aimait, dit-on, rêver dans cette cahute qui lui rappelait l’humilité de ses débuts. Il devait être fier de la montrer à ses petits-fils et à ses hôtes, écrasée dans l’enceinte formidable où évoluait un peuple de parasites et de serviteurs, comme nos
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parvenus quand ils commencent leur histoire par le cliché traditionnel sur les sabots qu’ils portaient en arrivant à Paris.
 
Humble cahute, maison vaste et confortable, palais somptueux, jalonnent les étapes de la vie publique des Chafaï. L’histoire de la famille se confond ainsi avec celle de la kasbah. C’est d’ailleurs celle de tous les clans féodaux du Maroc : ils naissent dans l’intrigue, grandissent dans la tyrannie, sombrent dans la disgrâce des souverains ou la révolte des administrés. Aujourd’hui, le petit-fils de Si-Chafaï, qui fut lui aussi caïd des Beni-Meskine après son père Si-Ahmed, est exilé à Marrakech. Les champs, les jardins de Bou-Gendouz et de Tiferdiouine lui sont disputés par d’innombrables collatéraux, et la kasbah, revendiquée par le Maghzen, abrite depuis deux ans l’ « arrière-garde tactique » des troupes débarquées au Maroc.
 
 
Ce déploiement de forces y subissait, d’ailleurs, les caprices des circonstances. La « colonne d’observation » stationnée à Guicer, le bataillon, la batterie et l’escadron de l’a arrière-garde tactique » s’étaient volatilisés dans les groupemens hétéroclites que le général Moinier conduisait à Fez, dans les postes qui protégeaient les communications entre la capitale et l’Océan. Mais on n’avait jamais cessé d’occuper Dar-Chafaï, que l’on croyait toujours exposé à quelque retour offensif des Tadla. C’était exagérer la valeur combative de ces guerriers, et l’on pouvait attribuer au « mirage africain » la nature et la durée de l’impression causée chez nous par les résultats de la colonne Aubert. Dans ce pays où quelques tués, une dizaine de blessés pour un effectif de trois mille combattans font qualifier toute rencontre de « sanglant combat, » on oubliait qu’un millier d’hommes avait poussé une pointe de cent cinquante kilomètres dans le pays des Tadla, fait sauter pour l’exemple la porte de leur kasbah principale, passé sur le corps de tous les guerriers confédérés qui voulaient barrer la route du retour, pour ne se souvenir que des 20 tués et des 60 blessés dont le commandant Aubert avait payé son exploit. Ces pertes semblaient colossales aux libérateurs de Fez, aux vainqueurs de Bahlil et de Meknès. Elles paraient d’une auréole d’invincibilité les guerriers sans cohésion et mal armés que notre victoire sans lendemain transformait en triomphateurs. Les effectifs qu’on estimait nécessaires pour réduire leur ''siba'' chronique semblaient si considérables, que