« Pensées de toutes les couleurs/S’ILS N’ÉTAIENT PAS MORTS/Offenbach » : différence entre les versions

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Version du 2 juillet 2014 à 17:37

Calmann-Lévy, éditeurs (p. 211-214).


OFFENBACH

(1819-1880)



Il aurait quatre-vingt-douze ans…

Il a l’aspect d’un petit homme des Contes d’Hoffmann. Le nez crochu rejoint le menton de galoche ; les longs favoris, d’un blanc jaunâtre, tombent tristement sur la poitrine ; les cheveux rares, de même couleur, tombent sur le cou ; le pince-nez légendaire, seul, reste solidement en place, devant les yeux vifs et clignotants. Les mains maigres s’agitent nerveusement…

Depuis longtemps, Offenbach ne travaille plus. Paresse, dit-il. En réalité, il est jaloux de la gloire de Wagner. Il ne veut pas se rendre compte, que, dans son petit genre, il fut aussi grand que le dieu de Bayreuth. Pendant ses fréquentes insomnies, il pense au Paris des dernières années de l’Empire. C’était le moment de ses grands triomphes. Il voit passer devant lui, en un quadrille fou, les personnages de ses triomphantes opérettes. La grande-duchesse de Gérolstein fait vis-à-vis au berger Paris et la belle Hélène au brigand Falsacappa. Tout cela s’agite, tourne, se trémousse, saute, bondit, retombe, chante, rit, hurle — au rythme saccadé de sa musique…

Offenbach, maintenant, habite toute l’année Étretat. Son existence est régulière. Chaque matin il va faire son petit tour sur la plage, devant la mer calme ou furieuse ; il passe près du chalet de Faure, que Faure n’habite plus ; il rentre déjeuner, fait un petit somme, sort vers quatre heures, va manger un gâteau chez le pâtissier de la Grande-Rue, près de l’hôtel Blanquet. Quand il entre dans la boutique, chacun, en le voyant, se détourne et fait rapidement, avec les deux doigts, le signe conjurateur de la jettatura. Jusqu’à la fin de sa vie, cet homme inoffensif passe pour jeter le mauvais sort…

Rentré chez lui, Offenbach dîne et se couche de bonne heure. Mais le sommeil vient difficilement… Les lauriers de Claude Terrasse poussent chaque jour, plus drus et plus fermes, et, non moins que ceux de Wagner, ils empêchent le grand petit maître de s’endormir.