« Chronique de la quinzaine - 31 mai 1843 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Page créée avec « {{TextQuality|75%}} {{c|''Retour à la liste''}} <pages index="Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu" from=835 to... »
(Aucune différence)

Version du 4 mai 2014 à 16:56

Chronique no 267
31 mai 1843
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


Séparateur



31 mai 1843.


C’est l’état de l’Espagne qui est l’affaire du moment. Chaque jour, on attend des nouvelles, non plus de Madrid, mais de la Catalogne, car c’est là probablement que se décidera l’issue de la crise actuelle ; c’est Barcelone que le régent a choisie pour théâtre de la lutte. Bien que sa conduite semble très déterminée, Espartero n’a peut-être pas encore des desseins bien fixes ; une insurrection armée peut le conduire à l’établissement d’une dictature militaire, mais il n’est pas certain qu’il en cherche l’occasion. Ce qui fait le plus grand danger de la situation, c’est qu’il est absolument au bout de la voie constitutionnelle ; il ne peut plus faire un pas sans en sortir, et quand les ressorts sont tellement tendus, il est presque inévitable qu’ils se brisent. Le régent est donc placé sur la dernière limite qui le sépare des coups d’état. La dépassera-t-il ? Nous avouons que nous en doutons encore. Le vent n’est pas aux grandes choses, ni en bien ni en mal. Pour qu’il se fasse dictateur, il manque à Espartero deux choses : la santé et la volonté. Les décrets du 26, qui ont accompagné l’ordonnance de dissolution, sont assez caractéristiques de la situation. On voit que le régent ruse avec l’esprit de la constitution, sans oser en attaquer la lettre. En même temps qu’il dissout les cortès, il donne une sorte de satisfaction à l’opinion par l’amnistie ; en acceptant la démission de M. Lopez, il lui prend la moitié de son programme, et le premier acte du nouveau cabinet est la restitution de la contribution arbitraire imposée à Barcelone. Ces décrets sont une suite d’agressions et de concessions, de pas en avant et de pas en arrière. Par la dissolution, le régent provoque la révolte, et il en écarte les occasions les plus immédiates en rendant l’impôt facultatif. Pour dernier trait, Linage, dont M. Lopez demandait la destitution, est révoqué de la moitié de ses fonctions.

Il n’y a là, jusqu’à présent, rien qui sente le Bonaparte ; mais s’il est vrai qu’Espartero n’ait pas des intentions bien arrêtées de 18 brumaire, comment se fait-il qu’il ait poussé les choses à une telle extrémité ? Évidemment, il compte sur la désunion de la majorité, et sur l’antagonisme des provinces. Dans la lutte électorale qui va s’engager, le régent aura pour lui l’avantage qu’a toujours le pouvoir exécutif, celui de l’initiative et de l’unité d’action. Pendant trois mois, il va agir seul, sans le concours des chambres. L’opposition pourra-t-elle agir avec le même ensemble ? Les élémens de la majorité, une fois dispersés, se réuniront-ils dans les mêmes conditions ? En France, cela ne ferait pas question ; mais en Espagne, l’unité, la centralisation de l’esprit public, n’existent pas encore. L’Espagne est toujours un royaume de provinces ; Cadix, ni même Sarragosse ne veulent pas tout ce que veut Barcelone. Ainsi, cette fameuse loi sur les cotons, qui livre à l’Angleterre l’industrie de la Catalogne, ne soulèvera dans tous les cas que la Catalogne. Aussi tout l’effort de la répression a-t-il été dirigé vers les provinces du nord. Espartero, qu’on nous passe le mot, en a fait son deuil ; il ne s’est occupé que de les contenir et de les dompter, et il était si sûr de leur hostilité, qu’il ne s’est pas inquiété d’y donner une cause de plus. À ce projet de loi sur les tarifs, il est aisé de reconnaître la main du nouveau ministre des finances, M. Mendizabal. La réapparition de cet homme dévoué à l’Angleterre ne peut qu’augmenter la défiance de la France à l’égard du gouvernement actuel de l’Espagne, et le souvenir de ses antécédens ne peut inspirer non plus une parfaite confiance dans l’honnêteté de ses opérations financières. On se rappelle encore comment, en 1836, un emprunt de 100 millions, créé et autorisé pour opérer la conversion de 1834, fut employé, sous le ministère de M. Mendizabal, à d’autres usages non autorisés. M. Mendizabal ne paraît pas avoir renoncé à ses anciennes habitudes, car on annonce qu’il va employer le produit de la ferme des mines d’Almaden à subvenir aux nécessités pressantes du moment. Or, M. Calatrava, l’avant-dernier ministre des finances, avait pris l’engagement de consacrer cette portion du revenu à servir les intérêts du 3 pour 100, et M. Ayllon, son successeur pendant vingt-quatre heures dans le ministère de M. Lopez, avait ratifié cet engagement. Nous verrons comment l’Angleterre, si bien disposée pour M. Mendizabal, prendra cette nouvelle.

M. Mendizabal a encore pris une autre mesure plus singulière ; il a supprimé l’impôt sur les octrois. C’est se priver bien volontairement d’un revenu de 60 millions de réaux que cet impôt rapportait au trésor, mais c’est se populariser aux dépens des municipalités ou ayuntamientos, qui constituent le parti bourgeois opposé au parti militaire, et leur ôter en même temps une source considérable de revenu, et par conséquent d’influence. Maintenant, où M. Mendizabal trouvera-t-il de l’argent ? C’est ce que personne ne sait, c’est peut-être ce qu’il ne sait pas lui-même. Il a fallu l’assurance imperturbable de ce célèbre financier pour se charger du trésor de l’Espagne en ce moment. Il ne serait pas étonnant que l’impossibilité absolue de faire face aux besoins publics eût été pour beaucoup dans la répugnance que M. Cortina, M. Olozaga et M. Lopez ont successivement montrée pour prendre le pouvoir.

Ces évènemens, et surtout la pensée des malheurs et des catastrophes sanglantes qu’ils peuvent amener, occupent exclusivement les esprits. À l’intérieur, la quinzaine a été peu féconde. La chambre des députés a terminé la discussion sur la loi des sucres, et elle s’est prononcée pour le système de l’égalisation progressive de l’impôt sur les deux sucres. Cette loi a été discutée et votée au milieu d’un ennui assez général. Le ministère a soutenu mollement son projet ; il l’avait proposé pour se débarrasser des importunités et pour satisfaire tout le monde, les colons de la betterave en leur donnant une indemnité, les colons de la canne en supprimant l’industrie rivale. La majorité de la chambre, privée de direction, cherchait une boussole, et elle a pris au passage l’amendement de M. Dumon, principalement parce qu’il a été le mieux expliqué. La majorité a voté ce qu’elle a le mieux compris ; elle n’avait d’opinion bien arrêtée que sur un point, sur celui de l’indemnité. C’est ce précédent dangereux qu’elle n’a point voulu consacrer en principe, car une fois engagé dans cette voie, où et comment s’arrêter ? Chaque industrie supplantée par une industrie nouvelle aurait réclamé l’indemnité comme un droit ; les maîtres de postes, ruinés par les chemins de fer, ou toute industrie de main-d’œuvre remplacée par des machines, auraient revendiqué l’application du principe que la chambre a sagement fait de ne pas poser.

Le parti légitimiste a jugé à propos d’exposer aux yeux du public ses affaires de ménage. Sérieusement, nous trouvons que le gouvernement de juillet doit des remerciemens à la Gazette de France, car il est impossible de faire mieux que la Gazette de France les affaires de la royauté nouvelle. Si le parti légitimiste a jamais eu quelque force, cette force lui était donnée par les idées d’ordre, de conservation et de tradition qui s’attachent à la propriété territoriale, et dont on pouvait supposer qu’il avait gardé le dépôt. Par une singulière fatalité, ce parti n’a trouvé, pour représentant de ses idées, qu’un journal qui les a prises à rebours, espèce de Marseillaise en prose chantée par un prêtre. La séparation qui existait entre les véritables opinions du parti et le langage de son principal organe a été consommée par la création d’un nouveau journal à bon marché appelé la Nation, succursale de l’église paroissiale de M. de Genoude, fondé pour dire ce que la Gazette elle-même n’osait pas toujours dire. Les hommes sérieux du parti ont refusé d’aller aussi loin ; la Gazette de France, voyant qu’ils refusaient de se soumettre à sa dictature au petit pied, a essayé du système de l’intimidation, et a engagé une guerre en règle contre ce qu’elle appelle les influences et les importances, en d’autres termes contre M. le duc de Noailles et M. Berryer. La tentative a eu peu de succès. Le parti a senti que les importances avaient bien leur mérite à la tribune, le comité légitimiste s’est hâté de publier une adresse de condoléance à M. Berryer, laissant la Gazette se consoler avec l’assentiment unanime de la Nation. Malheureusement il n’y a rien de tel que les querelles de ménage pour les indiscrétions, et, de part et d’autre, on s’est trouvé entraîné à parler plus qu’on ne l’aurait voulu peut-être. Tous ces débats ont élargi la brèche. On dit, ce n’est pas nous qui le disons, que du côté des influences, il se forme peu à peu un parti qui veut, en rétablissant la base électorale par la création d’électeurs à mille francs, en rétablissant l’hérédité de la pairie, en reconstituant enfin l’élément aristocratique, reprendre sa place dans la direction des affaires, et forcer le gouvernement nouveau à compter avec lui. M. de Sémonville et après lui M. Mounier avaient, dit-on, soigneusement caressé cette idée, dont la tactique éminemment conciliante de la Gazette ne peut que hâter la réalisation. C’est là ce qui a été appelé la conspiration des en cas.

La Gazette, tant soit peu délaissée et se plaignant amèrement des tentatives souterraines faites pour lui enlever ses écrivains, dans le style d’une personne sur le retour qui se plaint qu’on lui prend ses amans, s’est mise à demander le rétablissement de la congrégation de l’Oratoire. Cette simple proposition a l’apparence d’une innocence qu’elle n’a pas. C’est encore une façon détournée de chercher de la popularité. La compagnie de Jésus et la congrégation de l’Oratoire n’ont jamais été cousines, comme chacun sait. Or, comme depuis quelque temps la Gazette a entendu la voix du peuple, qui est la voix de Dieu, s’élever de nouveau contre les jésuites, elle a trouvé le moyen d’y faire écho sans trop manquer à la confraternité de l’habit, en demandant à la chambre des députés le rétablissement des oratoriens.

Cette controverse est, nous le croyons, moins sérieuse qu’elle n’a l’air de l’être. La forme y emporte le fond. De l’autre côté de la Manche, les questions théologiques mordent plus avant dans l’esprit public ; les passions de secte sont dans les mœurs, et le peuple proprement dit les partage. Un grand évènement, une vraie révolution dans le sens spéculatif du mot, vient de s’accomplir en Écosse. C’est un chapitre que Bossuet, si Bossuet vivait encore parmi nous ailleurs que sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin, pourrait ajouter à l’Histoire des variations du protestantisme ; c’est une subdivision de plus à ajouter à toutes les divisions qui ont déjà éparpillé, et, pour ainsi dire, émietté les églises et les sociétés issues du grand mouvement de la réformation.

Cet évènement nous a pris comme par surprise ; la nouvelle en est tombée parmi nous comme un aérolithe, Dans la France philosophique, dans la France sortie du XVIIIe siècle, on a vu avec un étonnement inimaginable cette résurrection, soudaine en apparence, des luttes religieuses que l’on croyait éteintes, ou du moins assoupies pour long-temps. En ce qui concerne la situation actuelle de l’église d’Écosse, cet étonnement était, du reste, assez naturel. Il nous était bien permis de rester étrangers et indifférens à ce qui se passait depuis quelques années dans les assemblées générales d’Édimbourg, quand, en Angleterre même, on ne s’en préoccupait que médiocrement. Nous n’avons sans doute pas besoin de rappeler que l’église d’Écosse n’a rien de commun avec l’église d’Angleterre, et que les deux pays ont chacun une église nationale et tout-à-fait distincte. Il y a même entre les deux églises une séparation plus profonde encore que celle qui existe entre l’église anglicane et l’église catholique, car celles-ci ont une organisation hiérarchique presque semblable et reconnaissent mutuellement un chef visible, tandis que l’église presbytérienne d’Écosse ne reconnaît pour chef que Jésus-Christ. Cette situation jointe au souvenir des efforts tyranniques tentés à plusieurs reprises par les souverains anglais pour introduire en Écosse le système épiscopal, a créé entre les deux pays une séparation religieuse telle qu’en général le peuple d’Angleterre s’occupe très peu des affaires de l’église d’Écosse. Les causes qui ont amené le schisme qui vient de se déclarer sont donc peu connues, et il ne sera peut-être pas inutile de les exposer en peu de mots.

À l’époque de la réformation, l’église, en Angleterre, fut changée par le roi, en opposition avec le peuple, et elle devint monarchique ; mais en Écosse, elle fut changée par le peuple, en opposition avec la couronne, et elle devint républicaine. Toute l’histoire de l’église d’Écosse, jusqu’à la révolution de 1688, est une série de triomphes sur l’autorité séculière, qu’elle finit par vaincre complètement. Quand les Écossais offrirent le trône de leur pays au roi Guillaume et à la reine Marie, la reconnaissance de l’église presbytérienne comme église nationale fut expressément stipulée, et aujourd’hui encore, le roi ou la reine de la Grande-Bretagne, en montant sur le trône, prête le serment de maintenir l’église d’Écosse dans tous ses droits, priviléges et immunités. Le seul contrepoids à cette tendance républicaine et théocratique du presbytérianisme était dans la loi du patronage qui donnait à l’état ou aux propriétaires le droit de présenter les ministres aux charges vacantes. Le roi Guillaume ne put pas même conserver ce dernier recours de l’autorité séculière, et il fut obligé de laisser la nomination du ministre entre les mains de la congrégation.

Cependant, peu à peu le pouvoir temporel reprit du terrain, et une loi de la reine Anne rendit aux propriétaires le droit de patronage. Le patronage pouvait, en effet, être considéré comme une propriété particulière, puisque les propriétaires payaient les ministres. Ce fut une première réaction du pouvoir séculier contre la domination du pouvoir spirituel. L’église conservait néanmoins de nombreuses garanties. Le ministre présenté par le patron était soumis à un examen et à une enquête de la part du clergé, et n’était admis qu’après cette épreuve. Le droit de patronage fut exercé assez paisiblement jusque dans ces dernières années, où l’église presbytérienne manifesta la résolution de ressaisir son ancienne suprématie exclusive. En 1834, l’assemblée générale, qui est une assemblée élective, passa un acte connu en Écosse sous le nom de veto act. D’après cet acte, les presbytères, ou cours inférieures ecclésiastiques devaient, avant de prononcer sur la capacité d’un ministre présenté par un patron, le soumettre à l’élection de tous les chefs de famille de la paroisse. Le veto de ce jury était absolu. C’était mettre le droit du patron ou propriétaire à la merci de l’élection populaire. Les cours civiles refusèrent de reconnaître la légalité de cet acte. La question fut portée devant le tribunal suprême, la chambre des lords, qui se prononça pour les cours civiles contre les cours ecclésiastiques. Les ministres nommés par les patrons, et confirmés par la chambre des lords, furent à leur tour suspendus de leurs fonctions par l’assemblée générale de l’église, et ce fut ainsi que s’établit la lutte.

Ces détails nous ont paru indispensables pour bien faire comprendre ce qui s’est passé ces jours derniers, et ce qu’on a pu lire à cet égard dans les journaux. Le parti qui revendiquait la suprématie de la juridiction ecclésiastique prit la dénomination de non-intrusioniste, et il déclara que, si la chambre des lords maintenait comme une loi générale la décision qu’elle venait de porter, il se séparerait de l’état, renoncerait à tous ses bénéfices, et demanderait au zèle volontaire de ses coreligionnaires les secours qu’il ne pourrait plus consciencieusement accepter des patrons. On sait comment s’est accomplie cette séparation. Le 18 mai, les non-intrusionistes se sont retirés solennellement de l’assemblée générale, ayant à leur tête les hommes les plus illustres et les plus respectés de l’Écosse, et ne laissant derrière eux que le squelette d’une église dont ils étaient le souffle et la vie. Depuis l’époque de la réformation et celle de l’union législative, aucun évènement n’avait si profondément remué l’Écosse. Dans ce pays, l’église nationale est essentiellement populaire ; elle l’est par sa constitution, elle l’est par son histoire. C’est le peuple qui l’a fondée ; il l’a vue grandir au milieu du sang, des larmes et des révolutions, et les souscriptions qui abondent de toutes parts pour l’entretien de l’église séparée attestent assez combien le schisme actuel a rencontré de sympathies. Il y a deux siècles, de pareils évènemens auraient engendré des guerres sanglantes ; aujourd’hui ils ne remuent que les esprits. Du reste, on peut déjà apercevoir qu’il y a encore quelques chances de réconciliation. Ainsi, et sur ce point le parti protestant en France semble s’être mépris, les chefs de l’assemblée libre n’ont pas entendu, en se séparant, repousser le principe de l’union de l’église et de l’état. L’homme célèbre qui a guidé le mouvement, le docteur Chalmers, a énergiquement répudié le principe du volontarisme, qui mettrait l’église nationale dans la même condition que les sectes dissidentes, et le discours qu’il a prononcé lors de son installation comme chef de la nouvelle assemblée, semble laisser une porte ouverte aux propositions que voudrait faire le gouvernement. Ce discours a été extrêmement curieux. C’est d’un bout à l’autre une sortie éloquente contre la démagogie, contre le désordre, contre la république dans l’ordre civil. Et cependant le docteur Chalmers est le principal chef d’une église républicaine ; en ce moment-là même, il était le promoteur d’un mouvement essentiellement démocratique. Malgré son influence, malgré ses efforts, malgré son éloquence, il est bien probable qu’il n’arrêtera pas ce mouvement sur sa pente. Dans de pareilles questions, l’équilibre n’est pas possible ; rien n’est absolu comme les doctrines. Or, au fond, c’est véritablement une question de suprématie qui est agitée, la question de l’infaillibilité et de l’irresponsabilité du pouvoir spirituel. Quand l’église libre d’Écosse aura secoué le frein que lui impose encore la grande renommée du docteur Chalmers, elle ira jusqu’au bout de son principe, parce que cela est dans la nature des choses, et elle consacrera la séparation absolue de l’église et de l’état. Le jour où le schisme s’est déclaré, le lord commissaire de la reine tenait un lever dans le palais de Holyrood. Un portrait du roi Guillaume, qui était suspendu dans la salle de réception, tomba et roula par terre. C’était le roi Guillaume qui avait conclu l’acte connu en Écosse sous le nom de règlement de la révolution, et qui reconnaissait l’église nationale. Ce puéril accident fut saisi comme un présage, et une voix s’écria : « Ah ! voici le règlement de la révolution qui s’en va ! »

L’état de l’Irlande empire de plus en plus, et l’agitation, régulièrement organisée par M. O’Connell, a pris un développement qui a appelé l’attention sérieuse du parlement anglais. Dans une de ses harangues passionnées, M. O’Connell disait : « On se moquait en Angleterre du cri du rappel, nous les avons bien forcés à s’occuper de nous. » On s’était, en effet, habitué à voir l’Irlande plus paisible depuis cinq ou six ans. Les whigs, et c’est une justice qu’on ne peut leur refuser, avaient presque réconcilié l’Irlande avec l’Angleterre. Leur politique libérale et impartiale avait à moitié fermé ces plaies saignantes de la conquête qui se rouvrent aujourd’hui. Ils rendaient, autant qu’il était en leur pouvoir, au parti irlandais dans son pays, l’appui qu’ils recevaient de lui dans le parlement, et de cette manière l’Irlande prenait patience, et attendait de meilleurs jours. En voyant, moins de deux ans après l’avénement d’un ministère tory, l’Irlande presque tout entière se soulever de nouveau, et le cri du rappel retentir encore dans toutes les montagnes, dans toutes les vallées et sur toutes les places publiques, on serait tenté d’accuser le parti tory d’un changement aussi subit, et de croire qu’il est retombé dans les excès qui ont rendu sa mémoire si odieuse en Irlande. Cette supposition serait injuste. Les hommes qui composent aujourd’hui le cabinet britannique ne sont point des tories de l’ancien régime ; ils sont des hommes de leur temps, aussi libéraux et plus éclairés que les whigs. Il ne faut pas oublier que le duc de Wellington et sir Robert Peel sont les auteurs de l’acte d’émancipation des catholiques, que lord Stanley et sir James Graham ont été membres du ministère de la réforme. Aussi sir Robert Peel est-il arrivé au pouvoir avec la résolution bien arrêtée de suivre, à l’égard de l’Irlande, le système de ses prédécesseurs, un système de conciliation et d’impartialité. Ses premiers actes ont témoigné de ce bon vouloir. En confiant la direction des affaires de l’Irlande à deux hommes très modérés, lord Elliot et lord de Grey, il a suffisamment caractérisé la politique qu’il se proposait de suivre, et, dans le parlement, toutes les mesures libérales qui avaient été prises par les whigs ont été continuées et renouvelées par le gouvernement conservateur.

Comment se fait-il donc, si le système du gouvernement n’a pas été changé, que l’état du pays soit subitement devenu si différent ? Cela tient à plusieurs causes. Et d’abord, le changement de personnes y a été pour beaucoup, bien qu’il n’y eût pas changement de système. Dans les whigs, les Irlandais avaient des amis ; dans les tories, ils n’ont que des neutres. Il n’y a pas eu aggravation de maux, mais il y a eu temps d’arrêt dans les améliorations ; il n’y a pas eu réaction, mais l’action a cessé. Tant que lord John Russell était au pouvoir, les Irlandais prenaient patience, parce qu’ils savaient qu’ils pouvaient compter sur lui, et, s’ils n’avaient pas le jour, ils attendaient le lendemain. Mais dès que sir Robert Peel a pris en main le gouvernement, ils ont perdu la patience avec l’espoir, parce que, pour eux, s’arrêter c’était reculer. La constitution même du gouvernement empêchait sir Robert Peel d’exécuter pleinement ses intentions libérales. Il y a, pour l’Irlande, deux branches distinctes d’administration, un secrétaire d’état résidant à Londres, et un vice-roi résidant au château de Dublin. En Angleterre, où la diffusion des lumières, l’habitude des affaires, et l’esprit de tolérance, qui est toujours inhérent à une civilisation très avancée, émoussent et adoucissent les passions de parti, le gouvernement et la législature se montraient bienveillans à l’égard de l’Irlande ; mais de l’autre côté du canal Saint-George, les animosités religieuses et politiques, les inimitiés héréditaires, reprenaient leur empire, et le gouvernement local de Dublin retombait sous l’influence des protestans et des orangistes. En Irlande, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de partis mixtes. Les orangistes sont toujours en face des catholiques ; les Saxons, comme on y nomme les Anglais, sont toujours en face des indigènes, et les souvenirs ineffaçables de la conquête et de l’oppression planent sur tous les partis. Le vice-roi, lord de Grey, a donc subi, en arrivant en Irlande, les nécessités de cette situation ; les magistrats, qui sont en communication incessante avec le peuple, ont été choisis, comme on devait s’y attendre, dans le parti vainqueur, et il s’est établi au château de Dublin une sorte de camarilla protestante qui a blessé tous les instincts et réveillé toutes les passions du pays.

Une autre cause, qui tient à la situation anormale de l’Irlande vis-à-vis de l’Angleterre, a aussi contribué au réveil de l’agitation. La première condition de la vérité du gouvernement représentatif, c’est que tous les grands intérêts, toutes les opinions considérables, aient une voix et une part d’influence dans la législature. Ce principe s’applique, du reste, à tous les gouvernemens parlementaires. L’existence d’une opposition est indispensable à la complète réalisation du système représentatif ; elle y est une nécessité salutaire. Quand des intérêts qui ont une force réelle dans le pays ne sont pas représentés dans la législature, ne fut-ce qu’à l’état de minorité, il arrive qu’ils cherchent en dehors des limites constitutionnelles la part d’action qui leur est refusée dans la sphère de la légalité. Il est moins paradoxal qu’on ne le pense de dire qu’un gouvernement perd quelquefois à être trop fort. C’est la balance des partis qui fait le libre jeu du système parlementaire ; quand les minorités perdent tout espoir d’être réformistes, elles se font révolutionnaires.

C’est ce qui est arrivé pour l’Irlande. Pendant les dernières années du règne des whigs, le parti irlandais, dans la chambre des communes, avait formé l’appoint de la majorité ministérielle. M. O’Connell, en possession d’une influence légale, en usait légalement, et il avait fait trêve à sa propagande en faveur du rappel de l’union, lorsque les élections générales le réduisirent à l’impuissance et à l’inaction. Faites contre lui autant que contre l’esprit de réforme, elles le rejetèrent en dehors du parlement. Il apparut deux ou trois fois dans la chambre des communes ; mais quand il essaya d’y jeter encore son vieux cri de « justice pour l’Irlande, » au lieu d’expressions de sympathie, il n’y rencontra que des exclamations injurieuses, et, après cette courte reconnaissance de la place, voyant qu’il n’avait rien à y faire, et que le temps de sa domination était passé, il sortit de la chambre en secouant la poussière de ses pieds, et en lui jetant pour adieu cette apostrophe menaçante : « L’extrémité de l’homme fait l’opportunité de Dieu ! »

Alors, en face du parlement légal, il organisa un parlement libre. Il alla siéger au milieu de ce peuple dont il est le roi, le maître, presque le pontife, et en moins d’une année il reconstitua sur tous les points de l’Irlande un système d’agitation semblable à celui qui avait arraché à l’Angleterre l’acte d’émancipation de 1829. À l’heure qu’il est, cette agitation est dans tout son feu. Le libérateur, comme on dit en Irlande, parcourt son royaume dans une marche triomphale, et des centaines de mille hommes se pressent sur ses pas. L’Angleterre a pris peur, non pas pour sa sûreté, car elle est et elle se sent la plus forte, mais pour la tranquillité d’une partie de son empire, et elle envoie régiment sur régiment en Irlande. Les ministres, dans le parlement, ont cru devoir réitérer solennellement, au nom de la reine, la déclaration faite par le dernier roi, de sa résolution inébranlable de maintenir l’union législative entre les deux pays, et ils se préparent à prendre des mesures énergiques de répression.

Le caractère le plus grave que présente l’agitation actuelle, c’est l’adhésion du haut clergé catholique. Si le clergé inférieur, peu éclairé, il faut le dire, mais qui rachète ce défaut de culture par beaucoup de zèle et de dévouement, était déjà rallié à la cause du rappel, les évêques avaient, en général, tenu jusqu’à présent une conduite plus politique, et, dans des déclarations collectives, ils avaient recommandé à leurs prêtres de ne point se mêler à des mouvemens qui auraient un but politique. Aujourd’hui, une partie des évêques a suivi M. O’Connell, et, dans tous les cas, pas un d’entre eux ne se déclare publiquement contre le rappel.

Maintenant, le rappel de l’union entre l’Irlande et l’Angleterre est-il praticable ? est-il réellement dans les intentions de ceux qui le demandent à si hauts cris ? Nous en doutons beaucoup. Le rappel ne pourrait s’effectuer qu’à l’aide d’une révolution ; or, l’Irlande n’a pas la force, elle n’a peut-être pas même la volonté de la faire. Il faut s’en rapporter, sur ce point, au caractère de M. O’Connell lui-même. Si quelque chose doit étonner dans cet homme célèbre, ce n’est pas tant l’énorme puissance qu’il a su se créer que la manière dont il en règle et en modère l’usage. M. O’Connell est tribun, dictateur, poète, acteur, tour à tour grandiose, trivial, pathétique et bouffon ; mais il est par-dessus tout avocat. C’était son premier métier ; il en a gardé une connaissance approfondie des lois, il sait le moment précis où il faut s’arrêter pour ne pas transgresser la limite de la légalité. Il est trop habile, et, servons-nous de ce mot sans lui donner une acception blessante, il est trop roué pour se laisser prendre en flagrant délit ; et il a aussi trop d’intelligence pour ne pas voir que, dans une lutte ouverte, il perdrait tous ses avantages. Toute sa politique, c’est de mettre le gouvernement en défaut, c’est d’être un embarras dont on ne puisse se délivrer sans devenir un ennemi qu’on ait le droit de réprimer. Sa tactique est d’acculer ses adversaires jusqu’aux frontières de la loi pour les forcer à en sortir les premiers. Rien n’est plus curieux que de le voir lancer et retenir à volonté les flots du peuple, et leur dire, comme Dieu aux flots de la mer : « Vous n’irez pas plus loin. » Quand il tient ses meetings de deux cent mille hommes et qu’il voit les soldats postés au milieu de cette foule pour y maintenir l’ordre, il les nargue et leur dit comme il le disait l’autre jour : « Je n’ai pas besoin de vous, car je n’ai qu’à lever la main pour les faire taire. »

On sait toute la latitude que les mœurs politiques de la Grande-Bretagne laissent à la liberté de la parole, à celle de la presse, et à celle des associations. M. O’Connell peut impunément, et en face de la loi, rassembler ainsi tous les élémens d’une révolte ; il n’aurait qu’à ouvrir la main pour les laisser éclater. L’ouvrira-t-il ? On peut dire à coup sûr que non. Il s’est toujours contenté, et il se contentera probablement encore de harceler le gouvernement, et de s’insurger jusqu’à la limite du riot act et des sommations exclusivement. Un homme trop connu parmi nous disait un jour : « Je vous montrerai ce que c’est qu’un prêtre ; » M. O’Connell pourrait dire à son tour : « Je vous ferai voir ce que c’est qu’un légiste. »

D’une semaine à l’autre, les affaires de la Servie, se sont successivement arrangées et dérangées. La semaine dernière, tout était réglé à l’amiable. Le prince élu par la révolution, Alexandre Kara-Georgevich, consentait à abdiquer et à se soumettre à une élection régulière, et ses deux ministres, qui avaient dirigé le mouvement, obéissaient à l’ordre du sultan qui les rappelait à Constantinople. Mais, cette semaine, on apprend un changement de scène. Il paraît que le peuple serbe, qui a fait la révolution, et qui l’a faite sérieusement, ne veut point laisser disposer de sa destinée sans son consentement. Il ne veut pas permettre que son nouveau prince abdique, et il se dispose, dit-on, à la résistance. C’est ce qui pouvait arriver de plus fâcheux. Dès qu’il a été bien arrêté que l’Autriche, la France et l’Angleterre abandonnaient cette affaire à la discrétion de la Russie, ce qu’on pouvait désirer de mieux, dans l’intérêt même du peuple serbe, c’était qu’une résistance inutile ne fournît pas de prétexte à une intervention armée. La Porte n’étant pas en état de la faire elle-même, c’est naturellement la Russie qui s’en chargera, et qui établira sa prédominance dans les principautés slaves d’une manière plus exclusive que jamais.


À voir le nombre de traductions publiées dans ces derniers temps, on ne sait en vérité s’il faut s’attrister ou s’applaudir. L’étude des littératures étrangères doit sans doute exercer sur les lettres françaises une heureuse et vivifiante influence ; mais des travaux si multipliés, si rapidement menés à bout, peuvent-ils être accomplis avec le soin, avec la sévérité nécessaires ? Si rien n’est plus utile qu’une bonne traduction, rien n’est plus nuisible souvent qu’une médiocre. Pour ne parler que de la littérature allemande, depuis qu’on essaie de la faire connaître en France, quels résultats a-t-on obtenus ? À part quelques travaux vraiment distingués, le petit nombre d’œuvres sur lesquelles s’est concentrée l’activité des traducteurs a été trop souvent défiguré dans des esquisses aussi infidèles à la lettre qu’à l’esprit du texte. Ces œuvres ne nous donnent qu’une idée incomplète de la littérature allemande, et il reste encore à pénétrer bien des mystères dans cette riche et curieuse poésie. Quelques écrivains, nous le savons, voient dans la noble mission du traducteur autre chose qu’un servile métier. Nous désirerions que ces influences sérieuses prissent enfin le dessus ; nous désirerions surtout que les sujets de traduction fussent mieux choisis. Les Allemands ont de remarquables travaux critiques, des études biographiques et littéraires dignes d’intérêt ; c’est par de tels ouvrages qu’on nous initiera plus rapidement à la vie intime de la nation dont on cherche à nous révéler le génie. Aussi avons-nous vu avec plaisir un écrivain versé dans la littérature allemande publier, sous le pseudonyme de S. Albin, une traduction des lettres échangées entre Goethe et Mme Bettina d’Arnim[1]. Quel document plus curieux en effet pour la biographie de l’auteur de Faust que cette correspondance commencée en 1807 et prolongée jusqu’en 1832, l’avant-dernière année de la vie de Goethe ! Une jeune fille de vingt ans s’éprend d’un amour exalté pour le poète qui, à soixante ans, conserve encore toute la force, tout l’éclat même du génie. Elle confie à des lettres brûlantes l’expression de ce culte presque mystique, et après la mort de Goethe elle a le courage de mettre au jour sa correspondance comme un monument consacré à cette grande mémoire. « Ce livre, dit Mme d’Arnim dans la préface, est pour les bons et non pour les méchans. » Nous ajouterons que ceux même qui jugeraient avec quelque sévérité l’ardente et capricieuse nature de Bettina ne pourront méconnaître l’élévation de cette pensée active et féconde, la grace et le charme de ce rare esprit. Il y a d’ailleurs dans ce livre un double intérêt : en regard de Bettina se dresse l’imposante figure du vieux Goethe. Il est curieux de voir le poète sexagénaire répondre aux confidences passionnées de la jeune fille par des lignes d’une froide et solennelle bienveillance. L’Allemagne ne pouvait manquer d’accueillir avec reconnaissance ces piquantes révélations, et c’est ce qu’elle a fait. Nous pensons que, sauf quelques réserves, le public français ratifiera l’arrêt du public allemand. En attendant, nous devons ranger la traduction de M. S. Albin parmi les études consciencieuses qui font exception aujourd’hui.

Il est à regretter qu’on ne puisse accorder le même éloge à un autre travail dont Goethe est aussi le sujet, à la traduction complète de Wilhelm Meister que vient de publier Mme A. de Carlowitz[2]. La première et la plus importante partie de ce roman avait déjà été transportée dans notre langue par M. Toussenel. Mme A. de Carlowitz a voulu nous faire connaître l’ensemble de cette production malheureusement inachevée de Goethe. C’était une tâche aussi belle que difficile. Il s’agissait d’interpréter une œuvre déjà connue en partie de la France ; il fallait lutter de fidélité, d’élégance, avec une première traduction où, à travers des imperfections nombreuses, on retrouvait souvent un peu du charme de l’original. Nous avons lu attentivement la nouvelle version de Wilhelm Meister, et nous y avons reconnu les traces d’une grande précipitation ou d’une négligence inconcevable. Mme A. de Carlowitz a méconnu ce qu’il y a de grace élevée dans le style de Goethe ; elle a éteint la couleur, alourdi le mouvement, effacé l’éclat de cette prose vive et charmante dont l’auteur de Wilhelm Meister sait revêtir sa pensée. Elle a été plus loin, et certains détails où se trahit légèrement la tendance sensuelle de ce génie panthéiste ont été impitoyablement supprimés. On en agit avec Goethe comme avec ces poètes grecs ou latins dont on ne publie les œuvres qu’après les avoir soigneusement châtiées pour l’usage des lecteurs timorés.

Rien dans Wilhelm Meister ne justifiait en vérité de pareils scrupules. Mme de Carlowitz, qui a déjà traduit la Messiade de Klopstock, s’est un peu trop souvenue du pieux écrivain de Hambourg en interprétant le poète de Weimar. Elle a cru devoir transformer en une narration solennelle et délayer en phrases pompeuses ce que Goethe avait dit avec une heureuse concision et une piquante simplicité. Rien ne ressemble moins pourtant à l’enthousiasme quelque peu déclamatoire de Klopstock que la verve toujours noble et contenue de Goethe. Pour peu que Mme de Carlowitz eût cherché à pénétrer l’esprit du modèle dont elle avait à donner copie, elle ne fût pas tombée dans une si grave méprise. Faute d’une préparation indispensable, elle a échoué dans une tentative dont l’intention était louable, et Wilhelm Meister, traduit deux fois, reste encore à traduire. Il y a cependant plus d’un esprit familiarisé avec Goethe qui aurait pu se charger d’une version complète et fidèle de ce beau roman. Le Wilhelm Meister fait partie d’une collection qui a publié le remarquable travail de M. Henri Blaze sur les deux Faust, ainsi que plusieurs traductions dues à la plume exercée et facile de M. Marmier. Il serait important que des entreprises qui visent à une tendance littéraire apportassent plus de choix et de sévérité dans une partie essentiellement délicate de leur tâche, celle des traductions, Tant qu’on ne confiera pas le soin de nous révéler l’Allemagne à des écrivains qui la connaissent et sachent la faire comprendre, la France restera vis-à-vis de la poésie germanique dans une attitude forcée d’indécision, de réserve, souvent de négation stérile. C’est là une situation fâcheuse pour notre littérature, qui a tendu de tout temps à s’assimiler par de savantes et fécondes études les plus précieux élémens des littératures étrangères. Ne pourrait-on rappeler à quelques traducteurs infatigables l’exemple du poète même dont on s’essaie si malheureusement à interpréter les œuvres ? Goethe a été non-seulement un grand écrivain, mais un excellent traducteur. Il a beaucoup contribué surtout à répandre en Allemagne le goût et le sentiment de notre poésie. Qu’on suive cet exemple : en s’attachant à nous rendre dans leur beauté propre les créations de l’auteur de Faust, nos écrivains ne feront pas seulement une bonne œuvre littéraire, ils acquitteront aussi une dette de reconnaissance.


  1. Goethe et Bettina, 2 vol. in-8o, quai Malaquais, 17.
  2. Deux vol. in-18, chez Charpentier, rue de Seine.