« Chansons pour elle » : différence entre les versions

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Nouvelle page : <div class="text"> {{TitrePoeme|Chansons pour elle|Paul Verlaine|Chansons pour elle}} <poem> I Tu n’es pas du tout vertueuse, Je ne suis pas du tout jaloux : C’est de se l...
 
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Durs et doux à ta manière…
Vrai Dieu ! la terrible nuit !
 
 
XI
 
Vrai, nous avons trop d’esprit,
Chérie !
Je crois que mal nous en prit,
Chérie !
D’ainsi lutter corps corps
Encore !
Sans repos et sans remords
Encore !
 
Plus, n’est-ce pas ? de ces luttes
Sans but,
Plus de ces mauvaises flûtes.
Ce luth,
Ô ce luth de bien se faire
Tel air,
Toujours vibrant, chanson chère
Dans l’air !
 
Et n’ayons plus d’esprit,
T’en prie !
Tu vois que mal nous en prit…
T’en prie.
Soyons bons tout bêtement,
Charmante,
Aimons-nous aimablement
M’amante !
 
 
XII
 
Tu bois, c’est hideux ! presque autant que moi.
Je bois, c’est honteux, presque plus que toi,
Ce n’est plus ce qu’on appelle une vie…
Ah ! la femme, fol, fol est qui s’y fie !
 
Les hommes, bravo ! c’est fier et soumis,
On peut s’y fier, voilà des amis !
Nous buvons, mais, vous mesdames, l’ivresse
Vous va moins qu’à nous, – te change en tigresse,
 
Moi tout au plus eu un simple cochon ;
Quelque idéal sot dans mon cabochon,
Quelque bêtise en sus, quelque sottise
En outre, – mais toi, la fainéantise,
 
La méchanceté, l’obstination,
Un peu le vice et beaucoup l’option,
Pour être plus folle, sur ma parole !
Que ma folie à moi déjà si folle.
 
Ces réflexions me coûtent beaucoup,
Mais ce soir je suis d’une humeur de loup.
Excuse, si mon discours va si rogue,
Mais ce soir je suis d’une humeur de dogue.
 
. . . . . . . . . . . . . . .
Bah ! buvons, pas trop (s’il nous est possible),
Ma bouche est un trou, la tienne est un crible.
Dieu saura bien reconnaître les siens.
Morale : surtout baisons-nous – et viens !
 
 
XIII
 
Es-tu brune ou blonde ?
Sont-ils noirs ou bleus,
Tes yeux ?
Je n’en sais rien, mais, j’aime leur clarté profonde,
Mais,j’adore le désordre de tes cheveux.
 
Es-tu douce ou dure ?
Est-il sensible ou moqueur,
Ton cœur ?
Je n’en sais rien, mais je rends grâce à la nature
D’avoir fait de ton cœur mon maître et mon vainqueur.
 
Fidèle, infidèle ?
Qu’est-ce que ça fait,
Au fait ?
Puisque, toujours dispose à couronner mon zèle
Ta beauté sert de gage à mon plus cher souhait.
 
 
XIV
 
Je ne t’aime pas en toilette
Et je déteste la voilette
Qui t’obscurcit tes yeux, mes cieux,
Et j’abomine la « tournure »
Parodie et caricaturé,
De tels tiens appas somptueux.
 
Je suis hostile à toute robe
Qui plus ou moins cache et dérobe
Ces charmes, au fond les meilleurs :
Ta gorge, mon plus cher délice,
Tes épaules et la malice
De tes mollets ensorceleurs.
 
Fi d’une femme trop bien mise !
Je te veux, ma belle, en chemise,
— Voile aimable, obstacle badin,
Nappe d’autel pour l’alme messe,
Drapeau mignard vaincu sans cesse
Matin et soir, soir et matin.
 
 
XV
 
Chemise de femme, armure ''ad hoc''
Pour les chers combats et le gai choc,
Avec, si frais et que blancs et gras,
Sortant tout nus, joyeux, les deux bras,
 
Vêtement suprême,
De mode toujours,
C’est toi seul que j’aime
De tous ses atours.
 
Quand Elle s’en vient devers le lit,
L’orgueil des beaux seins cambrés emplit
Et bombe le linge tout parfumé
Du seul vrai parfum, son corps pâmé.
 
Vêtement suprême,
De mode toujours,
C’est toi seul que j’aime
De tous ses atours.
 
Quand elle entre dans le lit, c’est mieux
Encor : sous ma main le précieux
Trésor de sa croupe frémit dans
Les plis de batiste redondants.
 
Vêtement suprême,
De mode toujours,
C’est toi seul que j’aime
De tous ses atours.
 
Mais lorsqu’elle a pris place à côté
De moi, l’humble serf de sa beauté,
Il est divin et mieux mon bonheur
A bousculer le linge et l’honneur !
 
Vêtement suprême,
De mode toujours,
C’est toi seul que, j’aime
De tous ses atours.
 
 
XVI
 
L'été ne fut pas adorable
Après cet hiver infernal,
Et quel printemps défavorable !
Et l’automne commence mal,
Bah ! nous nous réchauffâmes
En mêlant nos deux âmes.
 
La pauvreté, notre compagne
Dont nous nous serions bien passés,
Vainement menait la campagne
Durant tous ces longs mois glacés…
Nous incaguions l’intruse,
Son astuce et sa ruse.
 
Et riches, de baisers sans nombre,
— La seule opulence, crois-moi, —
Que nous fait que le temps soit sombre
S’il fait soleil en moi, chez toi,
Et que le plaisir rie
À notre gueuserie ?
 
 
XVII
 
Je ne suis plus de ces esprits philosophiques,
Et ce n’est pas de morale que tu te piques
Deux admirables conditions pour l’amour
Tel que nous l’entendrons, c’est-à-dire sans tour
Aucun de bête convenance ou de limites,
Mais chaud, rieur — et zut à tous us hypocrites !
 
Aimons gaiment
Et franchement.
 
J’ai reconnu que la vertu, quand s’agit d’Elles,
Est duperie et que la plupart d’elles ont
Raison de s’en passer, nous prenant pour modèles :
Si bien qu’il est très bien de faire comme font
Les bonnes bêtes de la terre et les célestes,
N’est-ce pas ? prompts moineaux, n'est-ce pas, les cerfs prestes ?
 
Aimons bien fort
Jusqu’à la mort.
 
Pratique mon bon conseil et reste amusante.
S’il se peut, sois-le plus encore et représente
Toi bien que c’est ta loi d’être pour nous charmer
Et la fleur n’est pas plus faite pour se fermer
Que vos cœurs et vos sens, ô nos belles amies…
Tête en l’air, sens au clair, vos « pudeurs » endormies,
 
Aimons drûment
Et verdement !
 
 
XVIII
 
Si tu le veux bien, divine Ignorante,
Je ferai celui qui ne sait plus rien
Que te caresser d’une main errante,
En le geste expert du pire vaurien,
 
Si tu le veux bien, divine Ignorante.
 
Soyons scandaleux sans plus nous gêner
Qu’un cerf et sa biche ès bois authentiques.
La honte, envoyons-la se promener.
Même exagérons et, sinon cyniques,
 
Soyons scandaleux sans plus nous gêner.
 
Surtout ne parlons pas littérature.
Au diable lecteurs, auteurs, éditeurs
Surtout ! Livrons-nous à notre nature
Dans l’oubli charmant de toutes pudeurs,
 
Et, ô ! ne parlons pas littérature !
 
Jouir et dormir, ce sera, veux-tu ?
Notre fonction première et dernière,
Notre seule et notre double vertu,
Conscience unique, unique lumière.
 
Jouir et dormir, m’amante, veux-tu ?
 
 
XIX
 
Ton rire éclaire mon vieux cœur
Comme une lanterne une cave
Où mûrirait tel cru vainqueur
Aï, Beaune, Sauterne, Grave.
 
Ton rire éclaire mon vieux cœur.
Ta voix claironne dans mon âme :
Tel un signal d’aller au feu…
… De tes yeux en effet tout flamme
On y va, sacré nom de Dieu !
 
Ta voix claironne dans mon âme.
 
Ta manière, ton ''meneo'',
Ton chic, ton galbe, ton que sais-je,
Me disent : « Viens ça » — ''Prodeo''.
(Ô ces souvenirs de collège !)
 
Ta manière ! ton ''meneo'' !
 
Ta gorge, tes hanches, ton geste,
Et le reste, odeur et fraîcheur
Et chaleur m’insinuent : reste !
Si j’y reste, en ton lit mangeur !
Ta gorge, tes hanches ! ton geste !
 
 
XX
 
Tu crois au marc de café,
Aux présages, aux grands jeux :
Moi je ne crois qu’en tes grands yeux.
 
Tu crois aux contes de fées,
Aux jours néfastes, aux songes,
Moi je ne crois qu’en tes mensonges.
 
Tu crois en un vague Dieu,.
En quelque saint spécial,
En tel ''Ave'' contre tel mal.
 
Je ne crois qu’aux heures bleues
Et rose que tu m’épanches
Dans la volupté des nuits blanches !
 
Et si profonde est ma foi
Envers tout ce que je croi
Que je ne vis plus que pour toi.
 
 
XXI
 
Lorsque tu cherches les puces,
C’est très rigolo.
Que de ruses, que d’astuces !
J’aime ce tableau.
C’est, alliciant en diable
Et mon cœur en bat
D’un battement préalable
À quelque autre ébat
 
Sous la chemise tendue
Au large, à deux mains
Tes yeux scrutent l’étendue
Entre tes durs seins.
Toujours tu reviens bredouille,
D’ailleurs, de ce jeu.
N’importe, il me trouble et brouille,
Ton sport, et pas peu !
 
Lasse-toi d’être défaite
Aussi sottement.
Viens payer une autre fête
À ton corps charmant
Qu’une chasse infructueuse
Par monts et par vaux.
Tu seras victorieuse…
Si je ne prévaux !
 
 
XXII
 
J'ai rêvé de toi cette nuit :
Tu te pâmais en mille poses
Et roucoulais des tas de choses…
 
Et moi, comme on savoure un fruit,
Je te baisais à bouche pleine
Un peu partout, mont, val ou plaine.
 
J’étais d’une élasticité,
D’un ressort vraiment admirable :
Tudieu, quelle haleine et quel râble !
 
Et toi, chère, de ton côté,
Quel râble, quelle haleine, quelle
Élasticité de gazelle…
 
Au réveil ce fut, dans tes bras,
Mais plus aiguë et plus parfaite,
Exactement la même fête !
 
 
XXIII
 
Je n’ai pas de chance en femmes,
Et, depuis mon âge d’homme,
Je ne suis tombé guère, en somme,
Que sur des criardes infâmes.
 
C’est vrai que je suis criard
Moi-même et d’un révoltant
Caractère tout autant,
Peut-être plus par hasard.
 
Mes femmes furent légères,
Toi-même tu l’es un peu,
Cet épouvantable aveu
Soit dit entre nous, ma chère.
 
C’est vrai que je fus coureur.
Peut-être le suis-je encore :
Cet aveu me déshonore.
Parfois je me fais horreur.
 
Baste ! restons tout de même
Amants fervents, puisqu’en somme
Toi, bonne fille et moi, brave homme,
Tu m’aimes, dis, et que je t’aime.
 
 
XXIV
 
Bien qu’elle soit ta meilleure amie,
C’est farce ce que nous la trompons
Jusques à l’excès, sans penser mie
A elle, tant nos instants sont bons,
 
Nos instants sont bons !
 
Je fais des comparaisons, de même
Toi cocufiant ton autre amant,
Et je dois dire que ton système
Pour le cocufier est charmant,
 
Ton us est charmant !
 
Mon plaisir est d’autant plus coupable
(Et plus exquis, grâce à ton concours)
Qu’elle se montre aussi très capable
Et fort experte aux choses d’amours,
 
Mais sans ton concours ?
 
Trompons-la bien, car elle nous trompe
Peut-être aussi, tant on est coquins
Et qu’il n’est de pacte qu’on ne rompe.
Trompons-les bien. Nuls remords mesquins !
 
Soyons bien coquins !
 
 
XXV
 
Je fus mystique et je ne le suis plus
(La femme m’aura repris tout entier),
Non sans garder des respects absolus
Pour l’idéal qu’il fallut renier.
 
Mais la femme m’a repris tout entier !
 
J’allais priant le Dieu de mon enfance
(Aujourd’hui c’est toi qui m’as à genoux),
J’étais plein de foi, de blanche espérance,
De charité sainte aux purs feux si doux.
 
Mais aujourd’hui tu m’as à tes genoux !
 
La femme, par toi, redevient LE maître,
Un maître tout-puissant et tyrannique,
Mais qu’insidieux ! feignant de tout permettre
Pour en arriver à tel but satanique…
 
Ô le temps béni quand j’étais ce mystique !