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{{journal|Le petit souper|[[Honoré de Balzac]]|[[Revue des Deux Mondes]] tome 4, 1830}}
 
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<center> Le Petit Souper </center>
 
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Un soir, c’était, je crois, le 2 août 1786, je fus très-surpris de rencontrer dans le salon de cette trésorière, si prude à l’endroit des preuves, deux nouveaux visages qui me
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parurent ''assez mauvaise compagnie''. Elle vint à moi dans l’embrasure d’une croisée où j’avais été me nicher avec intention.
 
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— Mais c’est un homme bien né, me dit-elle. Il arrive de je ne sais quelle province. Il est chargé de terminer une affaire qui concerne le cardinal, et c’est Son Eminence elle-même qui l’a présenté à M. de Saint-Jame. Ils ont choisi tous deux Saint-Jame pour arbitre. En cela, le provincial n’a pas fait preuve d’esprit ; mais aussi quels sont les gens assez niais pour confier un procès à cet homme-là? Il est doux comme un mouton et timide comme une fille. Son Éminence l’amadoue, car il s’agit, je crois, de 300,000 livres.
 
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— Mais c’est donc un avocat?... dis-je en faisant un léger haut-le-corps.
 
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— Vous avez trop de ''mémoire'' et pas assez de
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reconnaissance... répliqua sèchement le ministre, fâché de voir divulguer un de ses secrets devant moi.
 
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En ce moment, madame de Saint-Jame nous avait mis, je ne sais par quel hasard de la conversation, sur le chapitre des
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merveilleux soupers du comte de Cagliostro. Je n’avais pas l’esprit trop présent à ce que disait la maîtresse du logis, car depuis la réponse qu’il m’avait faite, j’observais avec une invincible curiosité la figure mignarde et blême de mon voisin. Son nez était à la fois camard et pointu, ce qui, par momens, le faisait ressembler à une fouine. Tout à coup ses joues se colorèrent en entendant madame de Saint-Jame dire à M. de Calonne d’un ton impérieux :
 
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— Je n’affirmerais pas que la personne avec laquelle j’ai soupé hier fût Catherine de Médicis elle-même, car ce prodige doit paraître justement impossible à un chrétien aussi bien qu’à un philosophe, répliqua l’avocat en appuyant légèrement l’extrémité de ses doigts sur la table et en se renversant sur sa chaise, comme s’il devait parler longtemps ; mais je puis jurer que cette femme ressemblait autant à Catherine de Médicis que si elles eussent été sœurs. Elle portait une robe de velours noir absolument pareille à celle dont cette reine est vêtue dans le portrait qu’en possède le roi, et la
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rapidité de l’évocation m’a semblé d’autant plus merveilleuse que M. le comte de Cagliostro ne pouvait pas deviner le nom du personnage avec lequel j’allais désirer de me trouver. J’ai été confondu. La magie du spectacle que présentait un souper où apparaissaient d’illustres femmes des temps passés m’ôta toute présence d’esprit. J’écoutai sans oser questionner. En échappant vers minuit aux pièges de cette sorcellerie, je doutais presque de moi-même. Mais ce qui va vous paraître extraordinaire, c’est que, pour moi, tout ce merveilleux me semble naturel en comparaison de la puissante ''hallucination'' que je devais subir encore. Je ne sais par quelles paroles je pourrais vous peindre l’état de mes sens. Seulement je déclare, dans la sincérité de mon cœur, que je ne m’étonne plus qu’il se soit rencontré jadis des âmes assez faibles ou assez fortes pour croire aux mystères de la magie et au pouvoir du démon....
 
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(A ces mots, les dames laissèrent échapper un mouvement unanime de curiosité.)
 
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— Mais, reprit l’avocat, j’ignore si je dois continuer; bien que je sois porté à croire que ce ne soit qu’un rêve, ce qu’il me reste à dire est grave…
 
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— Vous nommez cela un crime!... répondit-elle. Ce fut un grand malheur ; l’entreprise mal conduite ayant échoué, il n’en est pas résulté pour la France, pour l’Europe, pour le christianisme, tout le bien que nous en attendions. Les ordres ont été mal exécutés, nous n’avons pas rencontré autant de Montluc qu’il en fallait. La postérité ne nous tiendra pas compte du défaut de communications qui nous empêcha d’imprimer à notre œuvre cette unité de mouvement nécessaire aux grands coups d’état. Voilà le malheur. Si le 25 août, il n’était pas resté l’ombre d’un huguenot en France, je serais demeurée jusque dans la postérité la
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plus reculée comme une belle image de la Providence. Que de fois les âmes clairvoyantes de Sixte-Quint, de Richelieu, de Bossuet, m’ont secrètement accusée d’avoir échoué dans mon entreprise après avoir osé la concevoir ! Aussi de combien de regrets ma mort ne fut-elle pas accompagnée !... Trente ans après la Saint-Barthélemi, la maladie durait encore ; elle coûtait déjà dix fois plus de sang noble à la France qu’il n’en restait à verser le 26 août 1572. La révocation de l’édit de Nantes, en l’honneur de laquelle vous avez frappé des médailles, a coûté plus de larmes, de sang et d’argent, a tué plus de prospérité en France que trois Saint-Barthélemi. Letellier a su accomplir avec une plumée d’encre le décret que le trône avait secrètement promulgué depuis moi; mais le 25 août 1572, cette immense exécution était nécessaire; le 25 août 1585, elle était inutile. Sous le second fils de Henri de Valois, l’hérésie était à peine enceinte ; sous le second fils de Henri de Bourbon, elle avait, mère féconde, jeté son frai sur l’univers tout entier. Vous m’accusez d’un crime, et vous dressez des statues au fils d’Anne d’ Autriche !...
 
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— Ajoutez, reprit-elle, que toutes les plumes ont été plus injustes envers moi que ne l’ont été mes contemporains. Nul n’a pris ma défense. Je suis accusée d’ambition — moi, riche et souveraine!.... Je suis taxée de cruauté, et pour les esprits les plus impartiaux je suis peut-être un grand
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Problème… Croyez-vous donc que j’aie été dominée par des sentimens de haine? que je n’aie respiré que vengeance et fureur?...
 
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— Les peuples, dit-elle, ont besoin de repos après les luttes les plus acharnées, voilà le secret de ce règne. Mais Henri IV a commis deux fautes irréparables : il ne devait ni abjurer ni laisser la France catholique après l’être devenu lui-même. Lui seul s’est trouvé en position de changer sans
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secousse la face de la Fiance. Ou pas une étole, ou pas un prêche. Telle aurait dû être sa pensée. Laisser dans un gouvernement deux principes ennemis sans que rien les balance… voilà un crime de roi ! Il sème ainsi des révolutions. A Dieu seul il appartient de mettre dans son œuvre le bien et le mal sans cesse en présence. Mais peut-être cette sentence était-elle inscrite au fond de la politique de Henri IV, et peut-être causa-t-elle sa mort!... Il est impossible que Sully n’ait pas jeté un regard de convoitise sur ces immenses biens du clergé, dont le clergé ne possédait pas alors le tiers...
 
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Elle pencha la tête et resta silencieuse un moment. Ce n’était plus une reine que je voyais, mais bien plutôt une lie ces antiques druidesses qui sacrifiaient des hommes et
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savaient dérouler les pages de l’avenir en exhumant les enseignemens du passé.
 
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La conséquence des succès obtenus par les religionnaires dans leur lutte contre le sacerdoce, déjà plus aimé et plus redoutable que la royauté, était la ruine du pouvoir monarchique et féodal. Il ne s’agissait de rien moins que de l’anéantissement de ces trois grandes institutions, sur les débris desquelles toutes les bourgeoisies du monde auraient pactisé. Cette lutte était donc une guerre à mort entre de nouvelles combinaisons et les lois, et les croyances anciennes. Les catholiques étaient l’expression des intérêts matériels de la royauté, des seigneurs et du clergé. Ce fut un duel à outrance entre deux géans, et la Saint-Barthélemi n’en fut malheureusement qu’une blessure. Souvenez-vous que pour épargner quelques gouttes de sang dans un moment opportun, on en laisse verser plus tard par torrens. L’intelligence qui plane sur une nation ne peut éviter un malheur : celui de n’être plus jugée que par ses pairs quand elle a succombé sous le poids d’un événement. Si mon nom est en exécration à la France, il faut s’en prendre aux esprits médiocres qui y forment la majorité de toutes les générations. Dans les grandes crises que j’ai eu à subir, régner ce n’était pas donner des audiences, passer des revues et signer des ordonnances... J’ai pu commettre des fautes, je n’étais qu’une femme. Mais pourquoi ne s’est-il pas alors rencontré lui
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homme qui fût au-dessus de son siècle ! Le duc d’Albe était une âme de bronze ; Henri IV, un soldat joueur et libertin, mais qui avait un cœur excellent ; l’Amiral, un entêté systématique. Louis XI était venu trop tût, Richelieu trop tard. Vertueuse ou criminelle, que l’on m’attribue ou non la Saint-Barthélemi, j’en accepte le fardeau ; car alors je resterai entre ces deux grands rois comme l’anneau visible d’une chaîne inconnue. Quelque jour des écrivains à paradoxes se demanderont si les peuples n’ont pas quelquefois prodigué le nom de bourreaux à des victimes. Ce ne sera pas une fois seulement, que l’humanité préférera d’immoler un dieu plutôt que de s’accuser elle-même. Vous êtes portés, tous, à verser sur deux cents manans les larmes que vous refusez aux malheurs d’une génération, d’un siècle ou d’un monde, et vous oubliez que la liberté religieuse, la liberté politique, la tranquillité d’une nation, la science même sont des présens pour lesquels le destin prélève des impôts de sang !
 
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Catherine avait disparu, comme si un souffle eut éteint la lumière surnaturelle qui permettait à mon esprit de voir cette figure dont les proportions étaient devenues gigantesques. Alors je trouvai en moi une partie de moi-même qui adoptait les doctrines atroces déduites par cette Italienne. Je me réveillai en sueur, pleurant, et au moment où ma raison victorieuse me disait d’une voix douce, qu’il n’appartenait ni à un roi ni même à une nation d’appliquer ces principes dignes d’un peuple d’athées.
 
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— Et comment sauvera-t-on les monarchies qui croulent ? demanda Beaumarchais.
 
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Je regardai plus particulièrement alors le chirurgien, et j’éprouvai un sentiment instinctif d’horreur. Son teint terreux, ses traits à la fois ignobles et grands, offraient une expression exacte de ce que l’on me permettra de nommer ici ''la canaille''. Quelques grains bleuâtres et noirs étaient semés sur son visage comme des traces de boue, et ses yeux lançaient une flamme sinistre. Cette figure paraissait plus sombre qu’elle ne l’était peut-être, à cause de la neige Amassée sur sa tête par une coiffure à frimas.
 
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— Cet homme-là doit enterrer plus d’un malade !... dis-je à mon voisin.
 
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— Je fus assez surpris, dit l’orateur sans s’embarrasser des interruptions et en mettant chacune de ses mains dans les goussets de son vêtement nécessaire, de trouver à qui parler dans cette cuisse. J’avais la singulière faculté d’entrer chez mon malade. Quand, pour la première fois, je me trouvai sous sa peau, je contemplai une merveilleuse quantité de petits êtres qui s’agitaient, pensaient et raisonnaient. Les uns vivaient dans le corps de cet homme, et les autres dans sa pensée. Ses idées étaient des êtres qui naissaient, grandissaient, mouraient. Ils étaient malades, gais, bien portans, tristes, et avaient tous enfin des physionomies particulières. Ils se combattaient ou se caressaient. Quelques idées s’élançaient au dehors et allaient vivre dans le monde intellectuel, car je compris tout à coup qu’il y avait deux univers : l’univers visible et l’univers invisible; que la terre avait, comme l’homme, un corps et une âme. Alors la nature s’illumina
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pour moi, et j’en appréciai l’immensité en apercevant l’océan des êtres qui, par masses et par espèces, étaient répandus partout, faisant une seule et même matière animée, depuis les marbres jusqu’à Dieu !... Magnifique spectacle ! Bref, il y avait un univers dans mon malade. Quand je plantai le bistouri au sein de sa cuisse gangrenée, j’abattis un millier de ces bêtes-là... Vous riez, Mesdames, d’apprendre que vous êtes livrées aux bêtes
 
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— Ho ! il est lourd et froid ; mais vous voyez qu’il y a encore «n province de bonnes gens qui prennent au sérieux les
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théories politiques et notre histoire de Fiance. C’est un levain qui fermentera.