« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Voûte » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
m Contenu remplacé par « Catégorie:Wikifier les notes {{NAD|V|Voussure|Zodiaque|9}} <pages index="Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe si... »
Ligne 1 :
[[Catégorie:Wikifier les notes]]
{{NAD|V|Voussure|Zodiaque|9}}
{{TextQuality|75%}}<div class="text">
<pages index="Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 9.djvu" from=468 fromsection=s2 to=553 tosection=s1 />
{| width=100% border="0"
<references />
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>< [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Voussure|Voussure]]</center>
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index alphabétique - V|Index alphabétique - V]]</center>
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Zodiaque|Zodiaque]] ></center>
|-
|
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index Tome 9|Index par tome]]</center>
|
|}
 
=== VOÛTE ===
s. f. Nous avons, dans l’article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], expliqué d’une
manière générale comment, du système admis par les Romains pour
voûter leurs édifices, les architectes du moyen âge étaient arrivés à des
combinaisons de voûtes entièrement nouvelles et se prêtant à tous les
plans. Nous n’avons pas à revenir ici sur ce que contient cet article, sur
les moyens employés pour résister à la poussée des voûtes, mais à développer
les divers procédés admis en France du XI<sup>e</sup> au XVI<sup>e</sup> siècle pour
tracer ces voûtes et les établir sur leurs points d’appui.
 
Tout d’abord un fait doit fixer l’attention de l’observateur qui examine
les voûtes construites sous l’empire par les Romains : c’est l’économie
apportée dans la construction de ces voûtes. Si grands bâtisseurs
qu’ils fussent, les Romains apportaient dans leurs travaux des principes
d’économie que nous ne saurions trop méditer. Or, puisqu’il s’agit ici
des voûtes, personne n’ignore que les causes de dépenses les plus importantes
peut-être dans la construction des voûtes, ce sont les cintrages
de bois qui sont nécessaires pour les porter jusqu’au moment où elles
sont fermées et où elles peuvent se soutenir par la juxtaposition complète
des matériaux qui les composent. Quand on examine quelques-uns
de ces grands édifices romains voûtés, tels que les thermes d’Antonin
Caracalla, de Dioclétien, la basilique de Constantin à Rome, etc., on est
tout d’abord disposé à croire qu’il a fallu, pour former ces vastes concrétions,
un énorme cube de bois, des cintrages d’une puissance prodigieuse ;
par suite, des dépenses provisoires perdues, considérables.
Cependant une étude plus attentive de ces voûtes fait bientôt reconnaître
qu’au contraire, ces bâtisseurs, pratiques avant tout, avaient su
fermer ces énormes concrétions à l’aide de moyens économiques et
d’une grande simplicité. Si l’on prend la peine d’analyser ces larges
voûtes romaines, berceaux, voûtes d’arête, coupoles, on constate que
ces surfaces courbes, en apparence uniformes et homogènes, sont formées
d’une suite de nerfs et même de cellules de brique dont les
intervalles sont remplis par un blocage composé de pierres légères et
de mortier. Ainsi, pour fermer une très-grande voûte, suffisait-il de
poser un certain nombre de cintres de charpente, relativement restreints
et d’une force médiocre, de les réunir par une forme de planches sur
lesquelles la voûte était construite, ainsi que nous allons le voir.
 
Il arrivait même que, pour ne pas faire subir aux cintres légers de
charpente une pression à laquelle ils n’eussent pu résister, les constructeurs
formaient les nerfs principaux de rangs de briques superposés, le
premier servant de cintre à demeure pour les suivants et déchargeant
ainsi le cintre provisoire de charpente. Souvent même le constructeur
bandait sur des cintres très-espacés, réunis seulement par des planches,
une voûte en grandes briques posées à plat, voûte qui n’avait qu’un
poids insignifiant, et sur cette voûte, sur cette coque légère, mais déjà
très-résistante, il formait les nerfs principaux, les cellules de brique,
et remplissait de blocage les intervalles.
</div>
[[Image:Construction.voute.romaine.png|center]]
<div class="text">
Notre figure 1 expliquera cette méthode de construire les voûtes.
Soit un berceau à voûter. Des cintres légers de charpente A, relevés, ont
été posés à intervalles égaux, leurs courbes commençant au niveau de la
portion de voûte qui a déjà pu être élevée sans le secours d’un cintrage,
mais à l’aide d’une simple tige de bois ou de cerces. Ces cintres ont été
réunis par des planches ou couchis B, qu’il n’a pas été nécessaire de poser
jointifs, planches assez épaisses pour ne pas plier sous la charge d’un
homme. Sur ces planches, les maçons ont fait le carrelage C avec de
grandes briques plates, comme on construit encore de nos jours des voûtes
en tuiles ou carreaux de terre cuite, ciment ou plâtre<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]]. Dès lors les
ouvriers opéraient sur une croûte solide, homogène et pouvant résister
à une charge. Les nerfs D ont été posés à l'aplomb de chaque cintre et
formés de grandes briques carrées. Ces nerfs ont été disposés ainsi que
l'indique le détail X, avec des doubles briques ''ab'', de distance en distance,
de manière à pouvoir couler dans la rainure laissée entre elles des
planches P normales à la courbe. Le long de ces planches considérées
comme dossiers, ont été posées les entretoises E en grandes briques se
chevauchant. Après la prise du mortier maintenant les briques de ces
entretoises, les planches P ont été enlevées, puis les cellules restant vides
ont été remplies d'un blocage de tuf ou de pierre ponce et de mortier.
Il est évident que si, à partir du niveau N, les maçons avaient dû bander
une voûte de 0<sup>m</sup>,40 à 0<sup>m</sup>,50 d'épaisseur en briques ou moellons par le
procédé ordinaire, c'est-à-dire en montant peu à peu les rangs de claveaux
à partir de ce niveau N jusqu'à la clef, il aurait fallu des cintres
de charpente et des couchis très-résistants; car, ayant atteint le niveau
M de la voûte, la pression de la bâtisse sur le cintrage eût été
très-considérable et aussi forte sur les couchis que sur les cintres eux-mêmes.
D'ailleurs les cintres de charpente se dessèchent, jouent toujours
quelque peu dans leurs assemblages, et conservent difficilement
leur courbure pendant plusieurs semaines, s'ils sont coupés sur
un grand diamètre. Le carrelage C devant être fait très-rapidement
et formant à lui seul un cintrage, les cintres de charpente pouvaient,
sous ce carrelage, se dessécher et se déformer sans inconvénients.
Ils n'étaient plus maintenus en place avec leurs couchis, que comme
un surcroît de précautions. On voit encore les traces de ce carrelage,
simple ou doublé, dans beaucoup de voûtes romaines<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]]. Il recevait
les enduits intérieurs qui adhéraient à sa surface au moyen
des bavures du plâtre ou du mortier qui réunissait les briques posées
à plat. Si la voûte était d'arête, le système employé était le même,
et des arcs diagonaux de brique marquaient la pénétration des demi-cylindres.
Ces arcs diagonaux (fig. 2) ne pouvaient être posés à la fois
dans les deux plans courbes, qui ne donnent un angle droit qu'à la
naissance de l'arête. En effet, lorsque deux demi-cylindres se coupent à
angle droit, on sait que l'angle de rencontre des courbes devient de plus
en plus obtus à mesure qu'on s'approche du sommet ou de la clef de
la voûte. Un arc de brique ne pouvait mouler cette forme, puisqu'il eût
fallu autant d'angles différents qu'il y avait de briques dans une branche
d'arc. Les constructeurs romains posèrent donc les cintres de charpente
diagonaux suivant la ligne vraie de pénétration, puis ils placèrent sur
la courbe des cintres des ''veaux'' de bois ''b'' (voyez (en A), laissant entre eux,
de distance en distance, des intervalles ''c'' de moins en moins profonds
à mesure qu'on approchait du sommet de l'arc. Sur ces veaux le maçon
posait alors l'arc diagonal perpendiculaire au plan diagonal (voy. en B).
La section de cet arc est figurée par le carré ''efgh'', les veaux comblant
la différence ''ij'', et le cintre étant en ''k''. Dans les intervalles ''c'', des briques
doubles écornées étaient posées, ainsi que l'indiquent les trapèzes ''opqr'',
leur bord suivant la direction horizontale des deux cylindres. On obtenait
ainsi la structure indiquée en E. Deux rangs de ces briques parallèles
aux plans des voûtes permettaient de poser en ''l'' les planches qui
(comme il a été montré dans l'exemple précédent) permettaient de
bander les entretoises ''m'' formant le cloisonnage dans lequel on maçonnait les remplissages de blocage. Les saillies des briques espacées
parallèles aux plans des voûtes servaient à tracer et à maintenir l'arête,
faite en même temps que l'enduit. S'il s'agissait d'une coupole, ou les
nerfs de brique formaient comme des côtes engagées dans la portion
de sphère, ainsi qu'on peut le voir à la voûte du temple dit de Minerva
Medica, à Rome, ou ces nerfs composaient une suite d'arcs en façon
d'imbrication, comme dans la voûte de la petite salle ronde des thermes
de Dioclétien.
</div>
[[Image:Construction.voute.romaine.2.png|center]]
<div class="text">
Cette structure des voûtes présentait donc les avantages suivants :
1° économie de cintres ; 2° rapidité d’exécution, sans avoir à craindre
cependant les accidents qui résultent d’une interruption momentanée
dans le travail ; 3° facilité d’employer des ouvriers de qualités différentes ;
car, pour remplir les cellules de blocage, il n’était besoin que
de manœuvres ; 4° possibilité de décintrer immédiatement après le remplissage
des cellules, et même avant ce remplissage, si l’on tenait à remployer
les cintres ailleurs, puisque la croûte composée de briques à plat
suffisait et au delà pour recevoir ces remplissages des cellules ; 5° élasticité
pendant la durée du travail, ce qui permettait d’éviter les ruptures
qui se manifestent dans une construction absolument homogène et qu’il
faut un certain temps pour compléter ; 6° après le remplissage des reins,
concrétion parfaite. Dans la construction des très-grandes voûtes, qui,
par leur développement même, ne peuvent être fermées en un court
espace de temps, il se manifeste souvent des ruptures pendant le travail
des ouvriers ou immédiatement après leur fermeture. Ces accidents
se produisirent pendant la construction de la coupole de Sainte-Sophie
de Constantinople, d’une manière tellement grave, qu’il fallut recommencer
l’opération ; mais les Romains des bas temps ne savaient plus bâtir
comme leurs devanciers. Après la construction de la coupole de Saint-Pierre
de Rome des déchirures se manifestèrent. Il est aisé de concevoir
comment des surfaces courbes de cette étendue, maçonnées peu à peu,
présentent, après l’achèvement du travail, des parties parfaitement sèches
et ''prises'', d’autres encore molles, pour ainsi dire, ou tout au moins légèrement
compressibles. C’est à cette inégalité dans la ''prise'' des mortiers,
et par suite dans la compressibilité de ces surfaces, qu’il faut attribuer
les désordres que l’on signale dans les grandes voûtes de maçonnerie
élevées depuis les belles époques de l’empire. Mais si, au lieu d’élever
ces voûtes par assises, par zones, comme on le fait encore de nos jours,
on maçonne rapidement une ossature bien entendue suivant la forme
même de la voûte et les propriétés de sa courbure, ce qui est facile, on
peut prendre tout le temps nécessaire pour remplir les intervalles laissés
entre cette ossature ; car celle-ci établie, la voûte est faite, elle prend
son équilibre, subit ses tassements sans être gênée, sans se déchirer.
Cette méthode devait conduire tout naturellement les constructeurs
romains à adopter les caissons pour leurs voûtes, et surtout pour les
voûtes sphériques. Voici pourquoi. Pour faire une voûte sphérique, il
est nécessaire d’établir des cintres rayonnants divisant la demi-sphère
par côtes, comme les degrés de longitude divisent la terre ; mais les
couchis qui vont d’un cintre à l’autre donnant des lignes droites, il en
résultait, ou que la voûte était composée d’une suite de plans, ou qu’il
eût fallu faire une forme sur ces couchis pour arriver à la courbe sphérique.
Cela exigeait beaucoup de bois, était long, et dispendieux par
conséquent. Des difficultés plus graves surgissaient si la voûte sphérique
avait un très-grand diamètre, comme celle du Panthéon de Rome, par
exemple<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. En supposant qu’on eût voulu élever une voûte couvrant une
aussi grande surface par la méthode adoptée dans les temps modernes,
c’est-à-dire par zones maçonnées successivement sur cintres, on comprend
quelle puissance il eût fallu donner à ces cintres, et comme il eût
été nécessaire d’assurer leur parfaite immobilité pendant un laps de
temps très-considérable ; or, les bois à l’air en aussi grande quantité, et
vu le nombre de leurs assemblages, travaillent de telle sorte, que, malgré
toutes les précautions, un cintrage de cette importance s’affaisserait
peut-être de 0<sup>m</sup>,50 à son sommet au bout de trois ou quatre mois. Il n’en
faut pas tant pour compromettre l’exécution d’une coupole de cette
dimension. Mais si, sur un cintrage relativement léger, les constructeurs
peuvent en très-peu de temps bander une ossature légère, mais assez
résistante cependant pour permettre de compléter la structure de
l’énorme demi-sphère, sans se presser et sans craindre les tassements ou
affaissements partiels, le problème sera résolu, et l’on ne courra aucun
risque, car le décintrage de la voûte se réduira à un enlèvement de
pièces de bois dont la fonction sera devenue insignifiante ; il pourra se
faire sans qu’il y ait à prendre ces précautions délicates, faute desquelles
il peut survenir une catastrophe. Dans les constructions, il ne faut jamais
que l’oubli d’une précaution, une maladresse puissent occasionner un
sinistre ; les procédés pratiques doivent offrir toute sécurité, et rien ne
doit être livré au hasard ou à la chance plus ou moins heureuse. C’était
bien évidemment ainsi que les architectes romains entendaient élever
leurs bâtisses.
 
Piranesi a donné une gravure de la construction de la coupole du
Panthéon de Rome ; mais nous ne savons sur quelle donnée il a fait sa
planche, car de son temps, pas plus qu’aujourd’hui, on n’en pouvait
reconnaître exactement la structure. Nous pensons que le système qu’il
indique est celui de l’extrados de la coupole qu’il aura pu voir pendant
qu’on réparait la couverture de plomb ; il aura supposé que la combinaison
visible à l’extérieur devait se reproduire à l’intérieur ; or, cela
n’est pas possible, si l’on considère la disposition de cet intérieur et
l’épaisseur de la voûte, qui, près de la lunette, n’a pas moins de 1<sup>m</sup>,50.
Les briques que l’on peut voir à l’extrados ne traversent certainement
pas l’épaisseur de la voûte ; donc la structure, l’ossature visible à l’intérieur peut être différente de celle visible à l’extérieur. Nous irons plus
loin, nous dirons que ces deux ossatures doivent être absolument différentes,
et nous allons expliquer pourquoi. Quand les Romains construisaient
un arc-doubleau, une tête de berceau portant charge, ou même
un arc de décharge, ils avaient le soin de procéder ainsi que l’indique
la figure 3 en A : ils maçonnaient, à partir de la naissance, le quart de
l’arc environ en rangs de briques liaisonnées, puis les deux quarts
restant en rangs de briques extradossées. Comme ils construisaient les
arcs de décharge avant les remplissages que ces arcs avaient pour fonction
de soulager, il fallait nécessairement cintrer ces arcs. Le système
des rangs d’arcs extradossés permettait de ne pas charger outre mesure
le cintre de charpente à son point le plus faible, puisqu’on commençait
par poser le premier rang de claveaux DE. Ce rang posé, le cintre
n’avait plus rien à porter, et l’on pouvait bander les deux autres arcs.
Si cependant les constructeurs romains avaient eu seulement l’intention
de ne pas charger le cintre de charpente, du moment que le premier
arc eût été bandé, ils auraient maçonné le reste de l’épaisseur de l’arc
de briques liaisonnées, en se servant du premier arc comme d’un cintre
très-suffisamment résistant ; mais nous voyons au contraire que, sans
exception, les parties supérieures des arcs-doubleaux ou de décharge
sont maçonnées en rangs de briques extradossées. Cette méthode était
justifiée par l’expérience. Si nous supposons l’arc A (arc de décharge du
mur de précinction du Panthéon de Rome) construit entièrement en
briques liaisonnées, ainsi qu’il est tracé en B, et qu’il survienne un écartement
dans les culées F, G, par suite d’une commotion telle, par
exemple, qu’un tremblement de terre, ou un tassement, cet arc se
rompra à l’extrados en H, et à l’intrados à la clef, en I ; toutes les pressions
viendront dès lors agir sur les deux arêtes K et sur l’arête L, lesquelles,
si la charge est forte, s’épaufreront de telle sorte, que le segment
KK ne portera plus. Mais si cet arc de décharge a été construit ainsi
que ceux du Panthéon (voy. en A), et que l’écartement ait lieu dans les
culées (voy. en C), les trois arcs extradossés s’infléchiront, s’ouvriront, et
les charges se répartiront sur six arêtes d’intrados en M et trois arêtes
d’extrados en N, à la clef. Les angles de brisures seront moins allongés
et le désordre moins considérable que dans l’exemple B. On comprend
donc pourquoi ces arcs de brique sont toujours extradossés dans leur
partie supérieure, c’est-à-dire dans la partie qui porte la charge ; c’était
pour conserver une certaine élasticité que ne pouvaient avoir des arcs
homogènes dans leur épaisseur. Ce principe appuyé sur l’observation,
si simple d’ailleurs, mais si peu suivi dans l’architecture moderne,
était, à plus forte raison, appliqué aux coupoles d’un grand diamètre.
</div>
[[Image:Deformation.voute.romaine.png|center]]
<div class="text">
Conformément à la méthode expliquée dans la figure 1 et par les raisons
données plus haut, il était nécessaire qu’une coupole comme celle
du Panthéon fût rapidement ''ébauchée'', pour ainsi dire, sur ces cintrages,
que les Romains tenaient à faire légers et avec des bois courts autant que
possible, afin d’éviter les dépenses inutiles, les difficultés de pose et le
gaspillage des charpentes. Pour expliquer clairement la méthode des
</div>
[[Image:Voute.Pantheon.Rome.png|center]]
<div class="text">
<br>
constructeurs romains lorsqu’ils voulaient fermer de grandes coupoles,
nous prenons comme type le Panthéon de Rome. La figure 4 présente
une section de cette voûte hémisphérique. Le mur de précinction, avec
ses chambres de décharge si habilement combinées, a été élevé jusqu’au
niveau N avec le commencement de la voûte, divisée par vingt-huit
caissons dans son pourtour et qui laissaient entre eux vingt-huit bandes
pleines comme autant de côtes qui se perdent dans la partie unie de la
calotte comprise entre le point ''a'' et la lunette L. Ces vingt-huit bandes
indiquent la place des cintres de charpente C aboutissant à une lanterne
de charpente composée de vingt-huit poteaux et de deux fortes enrayures.
Nous supposons ces cintres faits de bois courts et suivant la méthode
des charpentes romaines reproduites sur les bas-reliefs de la colonne
Trajane. Il n’y avait pas à songer, à moins de dépenses prodigieuses,
à poser des cintres portant de fond, avec entraits. Ce système de cintrage,
qui, du reste, est encore usité à Rome et dans une partie de
l’Italie, est solide, mais ne saurait supporter une très-lourde charge.
Les vingt-huit demi-fermes de cintres posées, il s’agissait de les réunir
par des entretoises et de composer les couchis qui devaient recevoir la
voûte de maçonnerie. Si les constructeurs avaient prétendu sur ces
charpentes fermer une calotte telle que celle dont nous donnons la section,
il est évident que les cintres auraient été déformés par la charge
dès que les maçons seraient arrivés au point P, car il n’était pas possible,
sur une aussi grande surface, de bander en même temps toute une zone
de la coupole. Certains points eussent été accidentellement plus chargés
que d’autres, d’où il eût pu s’ensuivre des désordres irrémédiables. On
voit en A un huitième du plan horizontal de ce système de cintrage.
En coupe, les caissons se profilent de telle sorte que leurs listels sont
vus du centre de l’édifice sur le pavé. C’est-à-dire (voyez en R le détail
de la section de l’un des caissons de la deuxième zone) que l’œil du
spectateur placé au centre de l’édifice sur le sol aperçoit les listels ''o'' dans
toute leur largeur, les coupes de leurs épaisseurs tendant à ce point
visuel. Le cintrage ainsi disposé, il s’agissait de trouver la méthode la
plus expéditive et la plus économique pour maçonner cette énorme
calotte hémisphérique. Le détail de cette opération est expliqué dans la
figure 5. En A sont les cintres. Pour relier les courbes et pour poser les
entretoises, des liens ''a'' ont été cloués latéralement, comme on le ferait
pour des plates-bandes. Ces liens portent chacun deux entailles qui reçoivent les entretoises E, lesquelles sont entaillées à mi-bois en ''e'' pour
recevoir les cerces de doublures C. Des planchettes-couchis ''p'' réunissent
les deux entretoises et reposent en feuillure. Il reste donc des châssis
vides F qu’il s’agit de fermer. Or, l’ossature de la charpente ainsi combinée,
parfaitement solide et aussi légère que possible, indiquait le
travail incombant aux maçons. Ceux-ci profitant de la membrure de bois
pour poser des nerfs de brique, il était inutile de remplir l’intervalle
entre ces nerfs par une pleine maçonnerie. C’était le cas de profiter,
au contraire, de ces vides F laissés entre la membrure pour alléger
cette maçonnerie. Donc, au lieu de fermer ces vides F avec des couchis
</div>
[[Image:Detail.voute.Pantheon.Rome.png|center]]
<div class="text">
<br>
ordinaires sur le châssis, composé des entretoises et des cerces de doublures,
on posa un autre châssis saillant ''g'', sur celui-ci un second
châssis également saillant ''h'', puis un troisième ''i'', puis, toujours en
retraite, un panneau de planches. En coupe, ces trois châssis et le panneau
donnaient le profil indiqué en R dans la figure 4 ; ainsi se trouvait
indiqué en saillie sur le cintrage le moule du caisson. Les maçons pouvaient
dès lors exécuter très-rapidement leur travail, comme l’indique
le tracé B figure 5. Ils bandaient sur les cintres les nerfs de brique G,
réunis au droit des entretoises par les étrésillonnements H, également
de brique, légèrement bombés et posés sur une cerce de bois que l’on
enlevait sitôt l’étrésillon bandé. Cette membrure de brique, répétant
exactement la membrure de bois, laissait visibles les caissons, sur lesquels
il n’y avait plus qu’à maçonner un blocage de matériaux légers
et mortier (voyez en S). Il est clair qu’au droit des panneaux M, ce blocage
était beaucoup plus mince qu’il ne l’était le long des membrures.
Ce blocage cellulaire formait alors comme autant de voûtains carrés
compris entre les nerfs côtiers, ou longitudes, et les bandes ''zonales'', ou
latitudes, de brique. Cette première opération, qui pouvait être rapidement
terminée, formait une croûte très-résistante, bien pondérée,
légère cependant, et qui rendait dorénavant le cintrage de bois superflu.
Celui-ci pouvait se dessécher, jouer dans ses assemblages, sans qu’il
pût en résulter le moindre désordre. Mais une voûte hémisphérique de
cette étendue, d’une épaisseur de 0<sup>m</sup>,50 environ, au droit des nerfs,
n’eût pu offrir des garanties de durée sérieuses pour des constructeurs
qui prétendaient ne rien abandonner aux chances d’accidents, tels qu’un
ouragan, une forte pression atmosphérique, une oscillation du sol
(et Rome n’en est pas exempte). Il fallait que ce réseau tout composé de
nerfs relativement minces fût préservé, enserré, bridé par une enveloppe
protectrice. La calotte hémisphérique régularisée à l’extrados par
un bétonnage, ou plutôt un enduit grossier, les constructeurs cherchèrent
le moyen le plus propre à garantir cette coque légère et fragile.
C’est alors qu’ils durent adopter le système entrevu par Piranesi, système
qu’explique la figure 6. De toutes les grandes coupoles connues et
encore entières, celle du Panthéon d’Agrippa est la seule qui ne soit pas
lézardée. Celle de Sainte-Sophie a dû être restaurée à plusieurs reprises ;
celle de Saint-Pierre de Rome est fissurée d’une manière assez grave<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]].
Nous croyons donc que c'est grâce à ce système double que la coupole
du Panthéon de Rome doit de s'être conservée intacte, malgré des
commotions terrestres qui, à plusieurs reprises, causèrent des accidents
à certains édifices de cette ville. Nous n'avons pu vérifier le fait de ce
réseau d'arcs doublant la calotte à caissons; seule l'indication de Piranesi
peut fournir un renseignement. Mais certaines dispositions du tambour
de l'édifice ne nous laissent guère de doutes à cet égard. En effet, si
l'on jette les yeux sur la figure 4, on voit que ce tambour (voy. le huitième
du plan en A) présente une suite de parties pleines et de vides qui
coïncident avec les points d'appui et les niches inférieures formant
aujourd'hui chapelles. Sachant que les Romains, dans leurs constructions,
ne font jamais rien qui ne soit motivé, on ne pourrait comprendre
pourquoi ces contre-forts T ont été ainsi réservés, s'ils ne devaient pas
contribuer d'une manière efficace au maintien de la coupole. Ces contre-forts
T ne sont pas disposés au droit des nerfs des caissons; ils ont une
fonction distincte; fonction expliquée par le réseau d'enveloppe que
représente la figure 6. Pour former ce réseau, la calotte à caissons servait
de cintrage, et il suffisait de cerces de bois légères pour bander les arcs
appuyés sur l'extrados de cette calotte. Ces arcs bandés, il n'y avait plus
qu'à garnir les intervalles avec une maçonnerie (blocage) de matériaux
légers, ainsi qu'il est indiqué en B sur la figure 6.
</div>
[[Image:Detail.voute.Pantheon.Rome.2.png|center]]
<div class="text">
<span id=Nimes1>L’économie des cintres préoccupait si fort les constructeurs romains,
que même lorsqu’ils ont fait des voûtes en pierre appareillées, d’une
assez grande largeur (ce qui est rare), comme par exemple dans le monument
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nimes|Nîmes]] connu sous le nom des Bains de Diane, ils ont posé
des arcs-doubleaux sur cintres, et ces arcs-doubleaux ont eux-mêmes
servi de cintres pour poser de grandes dalles entre eux, comme on
pose des couchis. Notre figure 7 explique ce genre de construction de
voûtes. Dans ce dernier cas, les constructeurs ont fait l’économie de tous
les couchis de bois, puisque les épaisses dalles de pierre reposent chacune
de leurs extrémités sur les arcs-doubleaux. Il est évident, donc,
que dans la construction de leurs voûtes, les Romains ont économisé,
autant que faire se pouvait, la matière et le temps, par conséquent
n’ont jamais fait de dépenses inutiles. On cite à peine un ou deux
exemples de voûtes d’arête avec coupes appareillées dans tous les
édifices de la Rome antique. Par ce même motif d’économie, ont-ils
évité les pénétrations. les arrière-voussures, les pendentifs d’appareil,
dont nos architectes modernes qui prétendent avoir étudié l’architecture
antique pour en tirer un profit, se montrent si prodigues, au grand
dommage de nos finances<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]].
</div>
[[Image:Voute.Bains.Diane.Nimes.png|center]]
<div class="text">
Nous devions nous étendre quelque peu sur le système de structure
des voûtes romaines pour mieux faire saisir certaines analogies entre
ce système et celui adopté en France vers le milieu du XII<sup>e</sup> siècle. Analogies
de principes, comme on va le voir, non de formes ; ce qui prouve
une fois de plus que des principes vrais, établis sur une observation
juste et un raisonnement logique, ne sont point une entrave dans l’art de
l’architecture, mais au contraire la seule force productrice.
 
À la fin de l’empire déjà, ces méthodes employées dans la construction
des voûtes s’étaient altérées ; les constructeurs négligeaient d’appliquer
régulièrement les procédés admis dans les édifices romains
jusqu’aux Antonins. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Byzance|Byzance]], les grandes voûtes de l’église de
Sainte-Sophie sont grossièrement faites. Il va sans dire que pendant les
premiers siècles du moyen âge, les dernières traces de ces traditions de
la bonne époque romaine étaient effacées. On cherchait à reproduire
sur de petites dimensions les formes apparentes des voûtes romaines,
mais on n’en connaissait plus la véritable structure. Ce n’est qu’au commencement
du XII<sup>e</sup> siècle qu’il se manifeste tout à coup un progrès dans
la structure des voûtes, et qu’apparaît l’embryon d’un système nouveau
en Occident. Ce phénomène se produisant au moment des premières
croisades, il était assez naturel d’attribuer ce brusque développement
à une influence orientale ; mais les documents que l’on avait pu recueillir
jusqu’à ces dernières années ne venaient guère confirmer ces conjectures
à priori, lorsque M. le comte Melchior de Vogüé entreprit un
voyage dans la Syrie centrale. Accompagné par un jeune architecte,
habile dessinateur, M. Duthoit, M. le comte de Vogüé rapporta de ces
contrées une masse de documents d’une haute importance pour l’histoire
de notre art français, car ils nous donnent l’explication des progrès
qui se manifestèrent si rapidement en Occident dès les premières
années du XII<sup>e</sup> siècle<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]].
En effet, ces monuments de la Syrie centrale dus
à une civilisation gréco-romaine présentent un caractère particulier.
Dans leur structure, les éléments grec et romain ne sont pas juxtaposés,
comme il arrive dans les édifices de la Rome impériale ; ils se mêlent
sous l’influence de l’esprit clair et logique du Grec. Nous avons maintes
fois fait ressortir cette singulière disposition de l’architecture romaine
de l’empire<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]], qui ne considérait l’art grec que comme une décoration
quasi indépendante de la structure ; si bien que, dans tout édifice
romain, on peut enlever cette parure empruntée à l’art grec sans affecter
l’organisme, pour ainsi dire, de la bâtisse romaine.
 
Les édifices gréco-romains de la Syrie centrale procèdent tout différemment :
les deux structures grecque et romaine se prêtent un mutuel
concours : il n’y a plus l’ossature et le vêtement qui la couvre, mais un
corps complet dans toutes ses parties. L’arc et la plate-bande ne sont
plus réunis en dépit de leurs propriétés, ainsi que cela se voit si fréquemment
dans l’architecture de l’empire, mais remplissent leurs
véritables fonctions. Ce rationalisme dans l’art exerça évidemment une
influence sur les Occidentaux, qui se précipitèrent en masses compactes
dans ces contrées à la fin du XI<sup>e</sup> siècle. Il ne s’agissait plus de suivre de
loin les traditions affaiblies de l’art impérial ; les croisés trouvaient dans
les villes déjà abandonnées, mais encore debout, du Hauran, une architecture
nouvelle pour eux, claire dans ses expressions comme une leçon
bien faite, fertile en déductions, facile à comprendre et pouvant être
appropriée à tous les besoins.
 
Dans ces édifices, la voûte d’arête n’existe pas, tout étant bâti d’appareil,
mais bien le berceau, la coupole et le cul-de-four. Les arcs-doubleaux
et archivoltes sont fréquents, et ces arcs-doubleaux qui forment
travées portent, ou des plafonds de pierre, ou des charpentes, suivant
que les localités possédaient ou ne possédaient pas de bois.
 
<span id=Chagga>Nous allons rechercher comment ces dispositions ont dû avoir une
influence directe sur la construction de nos voûtes occidentales, et firent
abandonner le mode de structure des Romains. Voici (fig. 8) un fragment
de la basilique de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chagga|Chagga]]<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]], dont la construction date du II<sup>e</sup> ou du
III<sup>e</sup> siècle de notre ère. Les travées de cette basilique sont étroites
(2<sup>m</sup>,50 d'axe en axe des piles, en moyenne) et sont couvertes, entre les
arcs-doubleaux, par des dalles épaisses; une couche de terre battue
revêtue d'un enduit formait une terrasse étanche sur le dallage supérieur.
La construction se compose de piles à section carrée portant des
arcs-doubleaux sur la nef principale, contre-butés par d'autres arcs-doubleaux
bandés sur les collatéraux, lesquels soutiennent une galerie
de premier étage donnant sur cette nef centrale. Le caractère particulier
à cette construction, ce sont ces arcs-doubleaux qui composent l'ossature
intérieure de l'édifice. Rien de semblable dans les constructions
romaines occidentales de l'empire. La voûte romaine maçonnée comme
nous venons de le montrer au commencement de cet article, possède
rarement des arcs-doubleaux apparents<span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]], puisque ces arcs sont noyés
dans l'épaisseur même de la voûte, ne sont que des nerfs cachés.
</div>
[[Image:Voute.basilique.Chagga.png|center]]
<div class="text">
Pour les architectes occidentaux, si fort empêchés, à cette époque,
lorsqu’ils prétendaient établir des voûtes sur le plan de la basilique
romaine (voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]]), la vue d'un édifice comme la
basilique de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chagga|Chagga]], — et la Syrie centrale en possède encore plusieurs
conformes à ces dispositions, — devait leur faire naître la pensée d'appliquer ce mode de structure en remplaçant les dallages, qui ne pouvaient convenir aux climats de l'Occident, ni à la nature des matériaux
dont ils disposaient, par une voûte en berceau sur la nef centrale, par
des voûtes d'arête sur les nefs basses, et par un demi-berceau sur le
triforium pour permettre l'établissement de couvertures inclinées et
contre-buter le berceau central. Ces déductions se présentaient naturellement à l'esprit des constructeurs occidentaux, si naïfs qu'on les
veuille supposer.
</div>
[[Image:Coupe.basilique.Chagga.png|center]]
<div class="text">
La coupe de la basilique de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chagga|Chagga]] (fig. 9) donne le tracé A ; deux
travées du plan étant projetées en ''a''. Subissant la nécessité de couvrir
leurs édifices par des pentes assez roides pour recevoir de la tuile, et ne
pouvant par conséquent employer le système de dallages des architectes
syriens, les artistes occidentaux, en voulant appliquer le principe si
simple de ces basiliques, n’avaient qu’à relever les grands arcs-doubleaux
de la nef, comme l’indique en C la coupe B, à réunir ces arcs-doubleaux
par un berceau concentrique à leur extrados, à bander un
demi-berceau D sur le triforium, entre les arcs-doubleaux E et des
voûtes d’arête, suivant le mode byzantin<span id="note10"></span>[[#footnote10|<sup>10</sup>]], entre les arcs-doubleaux
inférieurs F des collatéraux. La substitution des voûtes aux dallages
entraînait forcément l'écartement des piles P. Les archivoltes G étaient
conservées, mais avec un diamètre égal à celui des arcs-doubleaux F, et
d'autres archivoltes I, ou une claire-voie portait le berceau central.
Mais les archivoltes G destinées à recevoir les voûtes des collatéraux
s'avançaient au ras intérieur des piles P, et alors, pour porter les arcs-doubleaux
supérieurs C, il fallait ajouter à ces piles un appendice L sous
la forme d'une colonne engagée. D'une construction dans laquelle l'arc
et la plate-bande étaient simultanément employés avec un sentiment
exquis du vrai, les architectes occidentaux arrivaient à faire, sans trop
d'efforts, un monument entièrement voûté. Cependant cette modification,
en apparence si simple, suscitait des difficultés de détail qui ne
furent résolues que peu à peu. Mais telle est la puissance d'un premier
enseignement clair et logique, que tout travail qui en découle se fait sous
cette première influence. Les constructeurs occidentaux, en voyant cette
architecture grecque de la Syrie, apprenaient à raisonner; aussi, à dater
de cette époque, leurs œuvres si confuses jusque-là, toutes bourrées de
traditions mal comprises, reproduisant, en les abâtardissant de plus en
plus, les formes de l'antiquité romaine, s'élèvent, progressent en s'appuyant
sur le raisonnement, sur ces principes légués par les derniers
des Grecs.
</div>
[[Image:Voute.basilique.Chagga.2.png|center]]
<div class="text">
Cette coupe B est celle de la plupart de nos églises romanes construites
au commencement du XII<sup>e</sup> siècle en Auvergne, dans le Languedoc, la
Provence et le Lyonnais. On peut aisément constater qu’il y a moins de
dissemblance entre la coupe A et la coupe B qu’entre un monument voûté
quelconque de Rome et cette coupe B. Cet arc-doubleau plein cintre E du
triforium, que l’on retrouve dans les galeries des basiliques romanes de
l’Auvergne et du Languedoc, et qui ne peut s’expliquer avec la voûte en
demi-berceau (voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Triforium |Triforium ]]), est un vestige persistant de cette influence
du monument syrien. Quant aux difficultés de détail dont nous
venons de parler, voici en quoi elles consistaient tout d’abord. Les piles
de la basilique de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chagga|Chagga]] (voy. en ''a'') sont à section carrée, ce qui était naturel,
puisque ces piles ne reçoivent que deux arcs-doubleaux, et que l’archivolte
qui unit ces piles naît en pénétration au-dessus de la naissance
des deux arcs-doubleaux (voy. la figure 8). Mais nous voyons que déjà
dans la coupe B les archivoltes G qui réunissent les piles ont leur naissance
au niveau des naissances des arcs-doubleaux F (voy. la figure 9).
L’extrados de ces archivoltes G ne se dégage donc qu’au-dessus de cette
naissance, et, par suite, la naissance de la voûte d’arête ne pouvait
s’établir qu’au point relevé de ce dégagement, ce qu’indique le tracé
perspectif (fig. 10). Il y avait là un embarras, une de ces difficultés de
détail dans l’art du constructeur, qui contraint bientôt celui-ci, pour peu
qu’il raisonne, à trouver une solution satisfaisante ; or, tous ceux qui
ont pratiqué cet art et qui ne se contentent pas d’à peu près, qui veulent
trouver la solution vraie, savent combien ces recherches entraînent à
modifier certaines formes qui paraissent consacrées par le temps. Et
c’est précisément dans la manière de résoudre ces difficultés à dater
des premières années du XII<sup>e</sup> siècle, que l’on reconnaît la puissance de
cet enseignement logique puisé en Orient par nos maîtres français de
cette époque. D’abord ces maîtres raisonnent ainsi : puisqu’il y a deux
arcs-doubleaux et deux archivoltes naissant au même niveau, et qu’entre
ces arcs-doubleaux et ces archivoltes il faut (sur leur extrados) bander
des voûtes d’arête, il est de toute nécessité que la pile donne exactement
la section des claveaux de ces arcs, qu’ils trouvent sur elle leur
place, par conséquent la section carrée ne peut convenir pour la pile ;
alors ils tracent la pile H (voyez figure 9). Ainsi les arcs-doubleaux
trouveront leur assiette en ''d'', les archivoltes en ''b'', et les arêtes des voûtes
naîtront dans les angles rentrants ''e'' qui sont les points de rencontre des
extrados de ces arcs. Mais bientôt, quand les monuments voûtés prennent
plus d’ampleur, ces architectes reconnaissent que les archivoltes qui
portent les murs latéraux et la voûte en berceau doivent avoir plus
d’épaisseur que les arcs-doubleaux qui n’ont pas de charge, que ces
naissances de voûtes d’arête dans les angles demandent, ou un appareil
spécial, ou affament la pile en réduisant les tas de charge ; alors ils tracent
les piles suivant le plan K. Les archivoltes se dégagent en ''f'', l’arc-doubleau
des latéraux en ''g'' ; les angles ''h'' reçoivent les naissances des
voûtes d’arête ; les angles ''i'', les archivoltes de décharge au-dessus de la
claire-voie du triforium, et le grand arc-doubleau du berceau central,
ayant la largeur ''mm'', porte sur le tailloir d’un chapiteau reposant sur la
colonne engagée. Mais les archivoltes ''f'' et l’arc-doubleau ''g'' ont une
épaisseur plus grande que n’est l’espace ''op'', d’où il résulte que l’arête ''h''
de la voûte doit s’élever verticalement jusqu’au moment où l’épaisseur ''rp''
des claveaux se dégage de cette arête ; alors les constructeurs ajoutent
encore une colonne engagée au devant des pilastres des archivoltes et
de l’arc-doubleau postérieur, afin d’avancer les claveaux de ces arcs de
manière à les dégager entièrement dès leur naissance. Ainsi se compose
peu à peu, et commandée par les déductions tirées de la construction
des voûtes, la pile romane du XII<sup>e</sup> siècle.
 
Tant qu’on n’avait pas sous les yeux ces monuments de la Syrie centrale,
il était difficile de se rendre compte des motifs qui avaient fait
adopter, pendant la dernière partie de la période romane, ces arcs-doubleaux
séparant les travées des édifices voûtée, puisque les Romains
ne séparaient pas leurs travées de voûtes par des arcs-doubleaux. Les
édifices syriens nous donnent la solution de cette question. Dans ces
édifices, les arcs-doubleaux sont, par suite d’un raisonnement très-juste,
faits pour franchir des espaces trop larges pour être couverts par des
plates-bandes ou par des charpentes, dans un pays où les bois longs
étaient rares ; ces arcs portent de grandes dalles, comme dans l’exemple
précédent, ou des pannes. C’est ce qui nous fait dire que ces artistes
syriens avaient su allier, mieux que ne l’avaient fait les Romains, l’arc
et la plate-bande. Les architectes occidentaux ont conservé les arcs-doubleaux
comme l’ossature naturelle de tout édifice bâti de pierre ; seulement,
entre ces arcs, ils ont bandé des voûtes suivant la tradition
romaine, soit en berceau, soit d’arête.<span id=Byzance1>
</div>
[[Image:Voute.arete.byzantine.png|center]]
<div class="text">
Mais à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Byzance|Byzance]], à Sainte-Sophie, déjà la voûte d’arête romaine s’était
modifiée. Sa clef centrale était habituellement alors posée au-dessus du
niveau des extrados des clefs d’arcs-doubleaux (voyez figure 11), si toutefois
on peut donner le nom d’arcs-doubleaux à des arcs à peine saillants
sur le nu interne de la voûte. L’arc A, par exemple, de la figure 11
n’était que le nerf de brique, romain qui, au lieu d’être entièrement
noyé dans l’épaisseur de la voûte, ressortait quelque peu. On remarquera
d’ailleurs que ces arcs A, B, C sont au nu de la voûte, à sa naissance en D
sur les tailloirs carrés des chapiteaux, et ne prononcent leur saillie qu’en
se rapprochant de la clef. En un mot, ces arcs ne sont pas concentriques
à la voûte, laquelle est une sorte de compromis entre la coupole et la
voûte d’arête. Or, c’est ce principe de structure qu’adoptent généralement
nos architectes occidentaux dans la construction de leurs voûtes
d’arête à la fin du XI<sup>e</sup> siècle ; c’est suivant ce système que sont faites
les voûtes de la nef de l’église abbatiale de Vézelay, qui datent des premières
années du XII<sup>e</sup> siècle, et ce n’était pas sans raison que ce parti
avait été adopté. Ces voûtes bombées offraient plus de résistance que
les voûtes engendrées par deux cylindres se pénétrant à angle droit.
Nous développons tout ce qui touche à cette question dans l’article
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], il n'est donc pas nécessaire de revenir ici sur ce sujet,
d'autant qu'alors, au commencement du XII<sup>e</sup> siècle, on n'apportait pas,
dans la pratique de la structure, les soins que les Romains avaient su y
mettre. On ne fabriquait plus ces belles et grandes briques carrées qui
permettaient de noyer des nerfs résistants dans l'épaisseur des voûtes et
d'obtenir des arêtiers bien bandés; faits de tuf ou de moellons irréguliers,
très-rarement de moellons piqués, les arêtiers n'offraient pas de
cohésion et tendaient à se détacher. Plus le constructeur se rapprochait
de la coupole, plus il évitait les chances de rupture des arêtiers, puisque
ceux-ci formaient à peine un pli saillant à l'intrados jusqu'à la moitié
environ de leur développement, pour se perdre dans un ellipsoïde en se
rapprochant de la clef. D'ailleurs, pour tracer les cintres diagonaux de
charpente, il n'était pas besoin de chercher la courbe de rencontre des
deux cylindres, il suffisait de tracer un demi-cercle dont le diamètre
était la diagonale du parallélogramme à voûter<span id="note11"></span>[[#footnote11|<sup>11</sup>]]. Sur ces arcs diagonaux
et sur l'extrados des arcs-doubleaux et formerets, on posait des couchis,
puis on faisait avec de la terre la forme bombée nécessaire sur chacun
des triangles, de manière à se rapprocher plus ou moins d'une coupole.
On maçonnait alors sur ce moule, sans qu'il fût besoin de prendre des
dispositions particulières pour les arêtiers, sensibles seulement au départ
et inappréciables à la clef. Ces sortes de voûtes ont intérieurement l'apparence
que présente notre figure 12, et toute la surface courbe comprise
entre les points A, C, B, D, était, ou un sphéroïde, si la voûte était
fermée sur un plan carré, ou un ellipsoïde, si elle était fermée sur un
plan barlong.
</div>
[[Image:Voute.arete.XIIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Mais avant d’entrer dans quelques développements à ce sujet, il est
nécessaire de faire connaître les tâtonnements qui précédèrent et provoquèrent
la révolution qui se fit dans l’art de construire les voûtes au
milieu du XII<sup>e</sup> siècle.
</div>
[[Image:Voute.berceau.romaine.png|center]]
<div class="text">
Nous avons dit que les Romains évitaient autant que possible les
pénétrations de berceaux de voûtes, comme présentant des difficultés
et des pertes de temps pour le constructeur. Les Romains, en effet, — et
cela ressort de l’étude de leurs monuments, — cherchaient à économiser
sur le temps, c’est-à-dire qu’ils prétendaient, tout en bâtissant de
manière à assurer une parfaite solidité et une longue durée aux constructions,
obtenir un résultat dans le plus court espace de temps. Ils
évitaient donc les appareils demandant un tracé compliqué et une taille
longue. S’ils avaient un berceau de voûte à faire pénétrer dans une salle
voûtée, ils tenaient la clef de ce berceau pénétrant au-dessous de la
naissance du berceau qui eût dû être pénétré. Exemple (fig. 13), soit
une galerie A voûtée en berceau : le berceau de la galerie B communiquant
à la première était bandé, sa clef C au-dessous de la naissance du
berceau D. Le Colisée à Rome, les arènes d’Arles et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nimes|Nîmes]] présentent
cette structure à chaque pas. Mais encore les claveaux de ces berceaux,
lorsqu’ils sont appareillés en pierre, au lieu d’être reliés, sont
juxtaposés, ainsi que le montre notre figure. Ce système d’appareil est
visible, non-seulement dans les arènes d’Arles et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nimes|Nîmes]], mais aussi à
l’aqueduc du Gard et dans beaucoup d’autres édifices de l’empire.
Il est clair que cette méthode économisait le temps et la dépense ; car
il n’était besoin que d’un panneau pour les tailleurs de pierre, et à chaque
joint, d’un cintre de charpente, au lieu d’une suite de couchis sur
cintres. La pose, en ce cas, se fait beaucoup plus rapidement que lorsqu’on
veut croiser les joints des claveaux.
 
Les architectes du moyen âge usèrent parfois de ce procédé, notamment
en Provence, où ils avaient sous les yeux les exemples de l’antiquité ;
mais les plans qu’ils adoptaient pour certaines parties d’édifices,
comme les bas côtés pourtournant les sanctuaires des églises, bas côtés
sur lesquels s’ouvrent des chapelles, nécessitaient des berceaux annulaires
pénétrés normalement par d’autres berceaux. Il y avait là une
difficulté réelle pour la solution de laquelle on ne pouvait recourir aux
structures romaines, qui ne présentent pas d’exemples de ce genre de
voûtes. Les Byzantins avaient essayé de construire des voûtes reposant
sur des colonnes et formant des pénétrations de cylindres, de cônes ou
d’ellipsoïdes ; mais il faut reconnaître que ces tentatives sont grossières,
ne procèdent que par tâtonnements, et ne donnent. pas comme résultat
une méthode géométrique pouvant être formulée. Malgré les difficultés
que soulevait la construction des voûtes d’un collatéral pourtournant
un sanctuaire reposant sur des colonnes, en partant de la donnée
romaine ou byzantine, il est à croire que l’on tenait fort à cette disposition
du plan, car les architectes occidentaux ne cessèrent de chercher
la solution de ce problème depuis le commencement du XII<sup>e</sup> siècle jusqu’à
ce qu’ils l’aient résolu d’une manière complète à la fin de ce siècle.
Il faut reconnaître même que cette longue suite d’essais ne contribua
pas médiocrement à développer le système d’où procède la voûte d’arête
du XIII<sup>e</sup> siècle ; système excellent, puisqu’il permet toutes les combinaisons
imaginables en n’employant toujours qu’un même procédé.
 
Rien n’est tel, pour faire apprécier la marche progressive d’un travail
qui demande les efforts de l’intelligence et les combinaisons successives
de l’expérience appuyée sur une science positive comme la géométrie,
que de suivre pas à pas les solutions approximatives plus ou moins heureuses
du problème posé, que de montrer chaque perfectionnement,
l’abandon de certaines méthodes qui ne sauraient conduire à la solution
définitive. C’est ce que nous allons essayer de faire, à propos de ces
voûtes pourtournant les sanctuaires, en passant successivement par les
combinaisons qui se présentèrent aux architectes du moyen âge depuis
le point de départ qui leur était donné, jusqu’à la complète solution du
problème posé par eux-mêmes.
 
Les Romains avaient bandé des voûtes d’arête sur des piles isolées à
section carrée, dès les premiers temps de l’époque impériale et peut-être
même sous la république, pour couvrir des citernes, des étages
inférieurs. Ces voûtes ne possédaient pas d’arcs-doubleaux ; c’étaient des
demi-cylindres se croisant à angle droit, conformément au plan (fig. 14).
</div>
[[Image:Voutes.arete.romaines.png|center]]
<div class="text">
Lorsque les Byzantins voulaient voûter des galeries circulaires portées
d’un côté sur des colonnes isolées, ils bandaient des archivoltes d’une
colonne à l’autre, et au-dessus des clefs de ces archivoltes ils construisaient
un berceau annulaire, ou bien, du mur de précinction, ils élevaient
un demi-berceau qui appuyait sa ligne de clefs sur le mur élevé
au-dessus des archivoltes. Ils évitaient ainsi les voûtes d’arête, c’est-à-dire
les pénétrations des archivoltes dans le berceau annulaire, et en
cela ils suivaient la tradition romaine.
</div>
[[Image:Voutes.XIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Mais ce mode de structure obligeait les architectes à perdre une hauteur
considérable au-dessus des archivoltes, et à élever d’autant les
constructions, si l’on voulait trouver au-dessus de ces collatéraux circulaires,
soit une galerie de premier étage, soit un fenestrage. On prit donc
le parti, à la fin du XI<sup>e</sup> siècle, en Occident, de faire pénétrer les archivoltes dans le berceau annulaire. Or, en ce cas, voici d’abord la difficulté
qui se présente. Dans un sanctuaire porté par des colonnes (fig. 15),
ou, si les tailloirs des chapiteaux sont carrés, comme en A, les archivoltes
sont plus larges en ''ab'' qu’en ''cd'', ou si l’on veut que les douelles
des claveaux de ces archivoltes soient parallèles, les tailloirs des colonnes
doivent donner des trapèzes en projection horizontale, comme en B.
Dans le premier cas, ces archivoltes sont des portions de cônes ; dans le
second, elles sont prises dans un cylindre : mais ces tailloirs en forme
de trapèzes, si la courbe du sanctuaire n’est pas très-développée, sont
d’un effet très-désagréable à l’œil, et donnent des angles aigus qui résistent
mal à la charge. Vus sur la diagonale, ces chapiteaux paraissent
plus saillants d’un côté que de l’autre, et semblent mal reposer sur les
fûts (voyez en D). On essaya donc de s’en tenir aux tailloirs carrés ; mais,
au lieu de bander les voûtes normales à la courbe du sanctuaire sur
une surface conique, on maintint leurs clefs sur une ligne horizontale,
et la courbe ''ab'' était en anse de panier, tandis que la courbe ''cd'' était
plein cintre ; ou bien la naissance de l’archivolte était biaise de ''a'' en ''c''
et de ''b'' en ''d'', de manière à avoir en ''cd'' comme en ''ab'' une courbe plein cintre, et cette dernière donnait alors la section d’un berceau qui pénétrait
le berceau annulaire.<span id=Clermont.Ferrand>
</div>
[[Image:Voutes.Notre.Dame.du.Port.Clermont.png|center]]
<div class="text">
C’est ainsi que sont construites les voûtes du collatéral du sanctuaire
de l’église de Notre-Dame du Port, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrand|Clermont]] (fig. 16). Mais (voyez le
plan A) si l’on voulait que l’arc ''ab'', tracé le long du mur du collatéral,
fût plein cintre, le diamètre ''ab'' étant plus grand que le diamètre ''cd'' et
que le diamètre ''ef'', la naissance de l’arc et devait être placée à un
niveau très-supérieur à celui de la naissance de l’arc ''ab'' ; si bien qu’une
élévation faite perpendiculairement à l’axe XO donnait la projection
tracée en B. — Toujours en supposant les clefs de niveau — et qu’en
coupe faite suivant OX, on obtenait la projection tracée en D, la naissance
de l’archivolte suivait sur le sommier S la ligne ponctuée ''gh''. Des
voûtes ainsi conçues ne pouvaient être tracées sur l’épure avec rigueur ;
on ne les obtenait que par des tâtonnements et une méthode empirique.
Cependant l’archivolte ''ef'', qui n’était qu’une pénétration et ne se détachait
pas de la voûte, devait porter le mur de l’abside et ne pouvait être
faite de moellons ou de blocage sur forme, il fallait qu’elle fût construite
en pierres appareillées. Dès lors on conçoit les difficultés qui assaillaient
les constructeurs. À proprement parler, il n’y a pas d’archivoltes ici,
mais des berceaux gauches pénétrant dans un berceau annulaire. On
reconnut donc bientôt qu’il y avait avantage à distinguer l’archivolte de
la voûte, à la rendre indépendante. Mais alors comment faire porter les
sommiers de ces archivoltes sur les tailloirs carrés des chapiteaux ? où
trouver leur assiette et la naissance des voûtes ? Voici le tailloir tracé
(fig. 17) (voyez en A). Les archivoltes sont projetées en DD. Nous traçons
les sommiers, ou le premier claveau de ces archivoltes en ''aa'' ; il ne
restera, entre leur extrados, que le tas de charge ''b'', et l’espace ''cd'' pour
la naissance de la voûte. Mais comme les naissances des archivoltes
sont plus élevées que celle de la section de la voûte annulaire, il en
résultera que, si l’on veut que les arêtes partent du tailloir, ces arêtes
se détacheront des verticales ''cd'' et formeront des angles rentrants ''ecf'',
''gdh'', d’un effet maigre et peu rassurant, indiqué dans le trait perspectif A’.
S’il y avait de bonnes raisons pour poser des archivoltes indépendantes
de la voûte, on en devait trouver de tout aussi bonnes pour bander les
arcs-doubleaux partant de la colonne isolée pour aboutir à la colonne
engagée du collatéral ; arcs-doubleaux qui devaient faciliter la construction
des voûtes tournantes en divisant le berceau annulaire primitif par
travées. Mais où loger, sur le tailloir carré, le sommier, le premier claveau
de cet arc-doubleau ? Si (voy. en B, fig. 17) nous prétendons laisser
les deux premiers claveaux d’archivoltes et le premier claveau d’arc-doubleau,
indépendants, sur le tailloir du chapiteau, il nous faudra, ou
donner peu de lit à chacun de ces claveaux, ou augmenter beaucoup la
surface supérieure du tailloir, et dans ce cas il restera deux angles de ce
tailloir inoccupés ; toutes les charges viendront se reporter en M, c’est-à-dire
en dehors de l’axe de la colonne et tendront à faire incliner celle-ci.
De plus (voyez le tracé perspectif B’), les naissances des archivoltes
étant à un niveau supérieur à celui de la naissance de l’arc-doubleau,
</div>
[[Image:Voutes.Notre.Dame.du.Port.Clermont.2.png|center]]
<div class="text">
<br>
il restera au-dessus de la naissance de cet arc un triangle T vertical, et
l’arête de la voûte ne pourra commencer qu’en ''i'', au point où la courbe
de la pénétration P viendra toucher l’extrados de l’arc-doubleau. Il n’est
pas besoin d’insister sur le mauvais effet de cette combinaison. Si (voy.
en C, fig. 17) de ces trois membres d’arcs nous formons un sommier
composé par la pénétration des lits de ces arcs, ceux-ci ne deviendront
indépendants que lorsque leur courbure d’extrados se détachera de la
verticale ; mais comme les naissances de ces arcs ne sont pas au même
niveau (voyez le tracé perspectif C’), nous aurons encore en ''t'' un triangle
vertical qui déportera la naissance de l’arête en ''s''. Pour des artistes qui
cherchaient les formes les mieux appropriées à l’objet, ces arêtes déportées,
ne naissant pas dans le fond de l’angle rentrant, ayant l’air de
reposer sur les reins de l’arc-doubleau, ne pouvaient être une solution
satisfaisante. Ces archivoltes et arcs-doubleaux reposant en bec de flûte
sur le tailloir ne présentaient pas une structure conforme aux principes
de la voûte portée sur des arcs saillants ; principes qui veulent que chacun
de ces arcs conserve sa forme et sa dimension dans la totalité de
son développement. Les maîtres essayèrent donc d’autres combinaisons,
D’abord ils pensèrent que l’arc-doubleau, qui ne porte pas charge, pouvait
être diminué de largeur, ce qui laissait, en apparence, plus de lit
aux premiers claveaux des archivoltes et permettait à la voûte de prendre
plus bas sa naissance. Pour quelque temps, ils s’en tinrent à ce dernier
parti, en trichant, autant que faire se pouvait, soit en donnant plus de
profondeur au tailloir que de largeur, soit en posant le premier claveau
un peu en encorbellement sur ce tailloir, de manière à le dégager. Cependant
la structure des voûtes elles-mêmes avait suivi ces progrès. Faites
d’abord de moellons jetés sur forme, on établit bientôt leur naissance
en pierre, puis on essaya de les construire entièrement en moellons
taillés, appareillés. Pour des appareilleurs qui n’étaient pas familiers
avec l’art du trait, — nous parlons des premières années du XII<sup>e</sup> siècle, — il
n’était point aisé de tracer l’appareil de voûtes d’arête tournantes ;
aussi ces premières voûtes appareillées présentent-elles les coupes les
plus bizarres, les expédients les plus naïfs. À défaut d’expérience, ces
artistes avaient la ténacité, entrevoyaient un but défini, et ce n’est pas
un petit enseignement qu’ils nous donnent quand nous voulons suivre
pas à pas les étapes qu’ils ont faites dans l’art de la construction, sans
abandonner un seul jour la voie tracée dès leurs premiers essais. Leurs
déductions s’enchaînent avec une rigueur de logique dont on ne saurait
trouver l’équivalent à une autre époque ; et c’est dans l’Île-de-France
particulièrement que l’on constate la persistance des constructeurs à
poursuivre les conséquences d’un principe admis.
</div>
[[Image:Voute.eglise.collegiale.Poissy.png|center]]
<div class="text">
Les bas côtés du chœur de l’église collégiale de Poissy étaient élevés
de 1125 à 1130. Portées du côté du sanctuaire sur des colonnes monostyles,
les voûtes de ce collatéral possèdent déjà des arcs-doubleaux
séparatifs et des archivoltes dont les naissances sont au même niveau ;
il en résulte que les voûtes d’arête naissent dans l’angle rentrant formé
par les extrados de ces arcs qui sont ''à peu près'' indépendants. Nous disons
à peu près, parce que l’architecte a triché afin de dégager, autant que
faire se pouvait, les naissances de ces arcs sans charger trop inégalement
les colonnes. Pour cela, il a donné un peu plus de saillie extérieurement
aux tailloirs des chapiteaux, et ceux-ci ne sont pas carrés, mais leurs
côtés normaux à la courbe du chevet (voyez la figure 18, en A). Ce constructeur
a, de plus, doublé ces archivoltes du côté du collatéral, afin
de surhausser les voûtes, et de faire que l’extrados de cet arc doublant
eût un rayon plus étendu. De ''a'' en ''b'', il existe un épais formeret dont le
rayon — vu l’écartement des piles engagées P, P — est beaucoup plus
grand que ne sont les rayons des archivoltes et arcs-doubleaux. Aussi
l’architecte a-t-il placé la naissance de ce formeret au-dessous de celle
des autres arcs, ainsi que l’indique la coupe C faite sur l’axe OA. Malgré
l’abaissement de cette naissance, la clef du formeret s’élève au-dessus
de celle des archivoltes doublées, et la voûte présente une section rampante,
qui du reste est favorable à l’introduction de la lumière. Il s’agissait
de bander les voûtes qui n’ont point encore d’arcs ogives (diagonaux).
Ces voûtes étant construites en moellon piqué, le constructeur
a procédé ainsi que l’indique la perspective (fig. 19). Il a enchevêtré les
claveaux à la rencontre des berceaux formant arêtes au moyen de coupes
biaises faites sur le tas. On conçoit que cette structure ne pouvait être
très-solide, et que ces arêtes ne se soutenaient que parce que les angles
qu’elles forment sont très-obtus. L’aspect n’en était pas satisfaisant,
aussi on ne tarda guère à parer à ces inconvénients. Mais il nous faut
jeter un coup d’œil sur ce qui se faisait vers la même époque dans d’autres
provinces où l’école romane avait jeté un vif éclat.
</div>
[[Image:Voute.eglise.collegiale.Poissy.2.png|center]]
<div class="text">
En Auvergne, dès la fin du XI<sup>e</sup> siècle, l’école des constructeurs avait
apporté, ainsi que nous l’avons vu, dans la structure des voûtes tournantes,
des perfectionnements notables, sans toutefois chercher avec
autant de ténacité que le faisaient les écoles du Nord la solution des
problèmes posés.
 
<span id=Brioude>Nous trouvons un exemple curieux de ce fait dans l’église Saint-Julien
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Brioude|Brioude]], dont le chœur fut entièrement reconstruit en 1140. Avant
de passer outre et de suivre la marche rapide des constructeurs du nord
de la France, il est nécessaire de nous arrêter un instant devant les
voûtes du collatéral absidal de ce monument. Pendant qu’à Saint-Denis
en France, Suger faisait reconstruire l’église de son abbaye d’après un
système de structure entièrement nouveau, on élevait l’abside de l’église
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Brioude|Brioude]]. Là le système annulaire, sans arcs-doubleaux, est encore
admis ; seules les archivoltes donnant sur le sanctuaire se détachent de
la voûte, qui se compose d’un berceau annulaire pénétré par des berceaux
normaux à la courbe du sanctuaire, et formant, par conséquent, des
voûtes d’arête. Au droit des fenêtres qui éclairent le collatéral, entre
les chapelles, des berceaux d’un diamètre plus petit que ceux des travées
pénètrent le berceau annulaire. Mais ce qui doit faire l’objet d’un
examen attentif dans ces voûtes, c’est qu’elles sont complètement
appareillées et non plus construites en blocages ou en moellons enduits,
ou encore en moellons taillés et enchevêtrés comme dans le collatéral
de l’église Saint-Louis de Poissy.
 
De leur côté, les Auvergnats cherchaient aussi le progrès, mais seulement
dans le mode d’exécution, sans rien changer au système roman.
Voici (fig. 20) l’appareil d’une de ces voûtes d’arête tournantes. En A
est l’archivolte donnant sur le sanctuaire.
</div>
[[Image:Voute.arete.tournante.png|center]]
<div class="text">
On voit que les architectes auvergnats n’avaient pas encore, au milieu
du XII<sup>e</sup> siècle, admis les arcs-doubleaux séparatifs, et que la voûte de
pierre repose directement sur le tailloir du chapiteau. Tout irrégulier
qu’il est, l’appareil des arêtes est conforme à la théorie, composé de
pierres d’un assez gros volume taillées avec soin. Entre les chapelles
absidales, voici (fig. 21) comment sont disposées les pénétrations des
baies qui éclairent le collatéral. Les colonnes engagées portent la voûte
elle-même, et non les arcs, qui, dans les provinces du Nord, à cette époque,
sont déjà chargés de la soutenir. Cependant, dans la première
travée du bas côté du chœur de l’église de Notre-Dame du Port, à
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrand|Clermont]], dont la construction est de plus de cinquante ans antérieure
à celle de l’église de Saint-Julien de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Brioude|Brioude]], on remarque un arc-doubleau
séparatif, très-peu saillant, il est vrai, en partie noyé par
conséquent dans la voûte même, mais enfin qui indique déjà la tendance
à diviser les voûtes annulaires par travées. Cet exemple ne fut pas suivi
dans le collatéral circulaire de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Brioude|Brioude]], dont les voûtes sont encore
franchement romanes comme combinaison, mais construites avec plus
de savoir et de soins. Ayant constaté la tendance de cette province
centrale à ne pas abandonner ses traditions romanes, même pour la
construction des voûtes tournantes posées sur piles isolées qui exigeaient
des combinaisons entièrement neuves, nous allons suivre la marche des
perfectionnements rapides introduits dans la structure des voûtes appartenant
aux édifices du Nord.
</div>
[[Image:Voute.eglise.Saint.Julien.Brioude.png|center]]
<div class="text">
En se reportant aux figures 1, 2, 5 et 8 de cet article, on observera
que les voûtes romaines, qui présentent une structure parfaitement
homogène, si on ne les considère que superficiellement, se composent
en fait, de nerfs et de parties neutres, ou, si l’on préfère cette définition,
d’une membrure et de remplissages rendus aussi légers et aussi inertes
que possible. Nous avons donné les deux raisons principales qui avaient
fait adopter ce parti : la première, l’économie des cintres de charpente ;
la seconde, l’avantage de bander les voûtes suivant une méthode rapide
qui assurait l’homogénéité de leur structure, une égale dessiccation des
mortiers, et qui permettait d’obtenir, en même temps qu’une parfaite solidité,
la plus grande légèreté possible. Nous avons vu que, dans la construction
des voûtes d’arête, les Romains noyaient des arêtiers de brique dans
l’épaisseur même de la voûte, comme ils noyaient des arcs-doubleaux
dans l’épaisseur des berceaux et des côtes dans l’épaisseur des coupoles.
Cette méthode était judicieuse, inattaquable au point de vue de la solidité ;
l’était-elle autant au point de vue de l’art ? Si l’architecture a pour
objet de ne dissimuler aucun des procédés de structure qu’elle emploie,
mais au contraire de les accuser en leur donnant les formes convenables,
il est évident que les Romains ont souvent méconnu ce principe ; car,
les voûtes enduites, recouvertes intérieurement de stucs et de peintures,
suivant des combinaisons indépendantes de la membrure, il était impossible
de savoir si ces voûtes possédaient ou non des arcs-doubleaux,
des nerfs dans leur contexture. Cette ossature résistante, jugée nécessaire
à sa stabilité, n’était pas toujours visible ; si elle est en partie accusée
dans la coupole du Panthéon, elle ne l’est pas dans les voûtes des
thermes d’Antonin Caracalla, dans celles de la basilique de Constantin,
dans la grande salle des thermes de Dioclétien. La question est ainsi
réduite à ses limites les plus étroites. Toute structure ne doit-elle pas
être pour l’architecte le motif d’une disposition compréhensible pour
l’œil. Les Grecs, tant vantés comme artistes, avec raison, et si peu compris,
s’il s’agit d’appliquer leurs principes, ont-ils fait autre chose, dans
leur architecture, que de considérer la structure comme la raison déterminante
de toute forme ? En ont-ils jamais dissimulé les moindres membres ?
Et ces petits édifices de la Syrie centrale, dont nous avons parlé
plus haut, ne sont-ils pas la plus vive expression de ce sentiment du Grec,
qui le porte, dans les choses d’architecture, à considérer toute structure
comme l’élément constitutif de la forme visible, même après qu’il
a subi l’influence romaine, influence si contraire aux goûts du Grec.
 
Mais ces Grecs des bas temps n’ont pas, dans la Syrie centrale, fait
des voûtes d’arête sur de grandes dimensions. Ils n’ont accepté, de
l’héritage romain, que l’arc, le berceau et la coupole. Cependant ils se
sont appropriés ces formes en y ajoutant leurs dispositions rationnelles,
et ces tendances sont assez marquées pour que les Occidentaux, qui
virent ces monuments à la fin du XI<sup>e</sup> siècle, aient pu suivre cette voie,
mais en allant beaucoup plus loin que n’avaient pu le faire les habitants
de ces petites cités semées sur le chemin de la Perse à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Byzance|Byzance]].
 
Or, on peut le demander à tous les gens de bonne foi : admettre le
principe de la structure des voûtes romaines, et s’inspirer de l’esprit
analytique du Grec, de son goût pour le vrai, de son sentiment inné de
la forme, pour, de ces éléments, constituer un système complet, n’est-ce
pas un progrès ? Et est-on en droit de repousser comme suranné ce
système, si d’ailleurs on ne sait que reproduire la forme apparente de la
structure romaine, sans y prendre même ce qui en constitue le mérite
principal, l’économie des moyens et la simplicité d’exécution ? Il suffit,
pensons-nous, de poser ces questions, pour que chacun puisse déterminer
où s’est arrêté le progrès et où commence la décadence.
 
Adopter la voûte romaine, mais raisonner ainsi que l’ont fait ces
artistes occidentaux du XII<sup>e</sup> siècle, est, à nos yeux, une des révolutions
les plus complètes, les mieux justifiées qui aient jamais été faites dans
le domaine de l’architecture. Que se sont-ils dit ces artistes ? « En construisant
leurs voûtes, les Romains ont considéré deux objets, une ossature
et un remplissage neutre ; mais de ces deux objets distincts ils n’ont
tiré qu’une forme apparente, une concrétion, confondant ainsi la chose
qui soutient, la chose essentielle et la chose soutenue, inerte. Si l’intention
est excellente, si le résultat matériel est satisfaisant, le résultat,
comme art, est vicieux ; car dans l’art de l’architecture, qui est une sorte
de création, la fonction réelle de chaque membre doit être accusée par
une forme en rapport avec cette fonction. Si une voûte ne peut se soutenir
que par un réseau de nerfs, ce réseau n’est pas destiné par l’art
à être caché, il doit être apparent, d’autant plus apparent, qu’il est plus
utile. Les Grecs ont admis cette loi, sans souffrir d’exceptions… » Que
les architectes occidentaux aient fait ce raisonnement en plein XII<sup>e</sup> siècle,
nous ne l’affirmerons pas ; mais leurs monuments le font pour eux, et
cela nous suffit.
Les architectes romans avaient adopté tout d’abord la voûte en berceau
comme étant la plus simple et la plus facile à construire. Déjà, vers
la fin du XI<sup>e</sup> siècle, ils avaient nervé ces berceaux, non plus par des
arcs plus résistants, comme nature de matériaux, noyés dans l’épaisseur
même de la voûte, mais par des arcs-doubleaux saillants<span id="note12"></span>[[#footnote12|<sup>12</sup>]] donnant une
plus grande résistance à ces berceaux au droit des points d'appui. La
poussée continue de ce genre de voûtes les fit bientôt abandonner. Restaient
donc, pour voûter de grands espaces, des salles, des nefs, la voûte
d'arête et la coupole sur pendentifs, parfaitement connue alors en
Occident, puisque, depuis plus d'un siècle, des coupoles sur pendentifs
avaient été construites dans l'ouest et le centre de la France<span id="note13"></span>[[#footnote13|<sup>13</sup>]]. La voûte
d'arête romaine, formée par la pénétration de deux demi-cylindres, donnait,
comme courbe de pénétration, une courbe plate qui inquiétait,
avec raison, des constructeurs ne possédant plus les excellents mortiers
de l'empire<span id="note14"></span>[[#footnote14|<sup>14</sup>]]. La coupole sur pendentifs demandait beaucoup de hauteur
et exigeait un cintrage de charpente compliqué et très-dispendieux.
Ces maîtres du XII<sup>e</sup> siècle cherchèrent donc, comme nous l'avons déjà
dit, un moyen terme entre ces deux structures; ils rehaussèrent la voûte
d'arête à la clef, ainsi, du reste, que l'avaient fait les Byzantins (voyez
fig. 10). Mais, — et c'est alors qu'apparaît la véritable innovation dans
l'art du constructeur, — ils firent sortir de la voûte d'arête romaine ou
byzantine le nerf noyé dans son épaisseur, le construisirent en matériaux
appareillés, résistants, et le posèrent sur le cintre de charpente; puis,
au lieu de maçonner la voûte autour, ils la maçonnèrent par-dessus,
considérant alors cet arc laissé saillant, en sous-œuvre, comme un cintre
permanent. Dans le porche de l'église abbatiale de Vézelay on voit déjà
deux voûtes ainsi construites (1130 environ); mais c'est dans l'église
abbatiale de Saint-Denis (1140) que le système est complétement développé.
Là les voûtes sont plutôt des coupoles que des voûtes d'arête,
mais elles sont toutes, sans exception, nervées parallèlement et diagonalement
par des arcs de pierre saillants, et ces arcs sont tous en tiers-point,
c'est-à-dire formés d'arcs de cercle brisés à la clef. Les déductions
logiques de ce système ne se font pas attendre. Dans la voûte
romaine, formée de cellules, comme nous l'avons vu figure 1 et suivantes,
le remplissage de ces cellules est ''maintenu'', mais est inerte, n'affecte
aucune courbure qui puisse en reporter le poids sur les parois des cellules.
Puisque les constructeurs du XII<sup>e</sup> siècle détachaient les nerfs de la voûte,
qu'ils en faisaient comme un cintrage permanent, il était naturel de
''voûter'' les remplissages sur ces nerfs, c'est-à-dire de leur donner en tout
sens une courbure qui reportât réellement leur pesanteur sur les arcs.
Ainsi la ''voûte'' était un composé de plusieurs voûtes, d'autant de voûtains
qu'il y avait d'espaces laissés vides entre les arcs. Du système concret
romain, — malgré les différents membres qui constituaient la voûte
romaine, — les maîtres du XII<sup>e</sup> siècle, en séparant ces membres, en leur
donnant à chacun leur fonction réelle, arrivaient au système élastique.
Bien mieux, ils inauguraient un mode de structure par lequel on évitait
toutes les difficultés dont nous avons indiqué plus haut quelques-unes,
et qui leur donnait la liberté de voûter, sans embarras, sans dépenses
extraordinaires, tous les espaces, si irréguliers qu'ils fussent, en prenant
les hauteurs qui leur convenaient, soit pour les naissances des
arcs, soit pour les niveaux des clefs.
 
Les voûtes du porche de Vézelay (1130), dont quelques-unes déjà sont
bandées sur des arcs diagonaux, sont maçonnées en moellons irréguliers
noyés dans le mortier, mais ce maçonnage ne reporte pas exactement
sur les arêtes la charge des triangles maçonnés; celles-ci enlevées, la
voûte tiendrait encore, comme se tiennent les voûtes du même édifice
dépourvues de ces arcs diagonaux. Ici l'arc diagonal est plutôt un
moyen de donner de la résistance à un point faible, de l'accuser, qu'une
structure commandée par une nécessité, C'est un expédient, non un
principe. Il ne serait donc pas exact de considérer les nerfs saillants,
les arcs ogives (pour leur donner leur véritable nom) des voûtes du
porche de Vézelay. comme la première tentative d'un principe nouveau;
c'est un acheminement vers un principe qui n'est pas encore entrevu.
En effet, dans l'art de l'architecture, et surtout dans la pratique de cet
art, les principes ne naissent pas tout formés dans le cerveau des constructeurs,
il y a toujours comme une intuition des principes avant
l'énoncé de ces principes. Remplacer des cintres provisoires de bois par
des cintres permanents de pierre, était une idée ingénieuse, déduite de
la théorie romaine sur la solidité des voûtes; ce n'était pas un nouveau
principe: ce n'est pas un principe nouveau de faire saillir ''sous'' la voûte
le nerf noyé ''dans'' la voûte; c'est une simple déduction logique. Mais
considérer ces nerfs, ressortis de la voûte, comme une membrure indépendante,
et combiner, sur cette membrure, des successions de voûtes
qui ne peuvent se soutenir que parce qu'elles portent sur cette membrure,
c'est alors un nouveau principe qui s'établit, qui n'a plus de rapport
avec le principe de la structure romaine; c'est une découverte, et
une découverte si importante dans l'art de la construction, que nous
n'en connaissons pas qui puisse lui être comparée. Les constructeurs
s'affranchissaient ainsi de toutes les difficultés qui se présentent lors de
l'établissement des voûtes sur des plans irréguliers, et notamment sur
des plans curvilignes. Il faut se placer à ce point de vue, si l'on veut se
rendre compte de la valeur de cette innovation; ne pas considérer seulement
l'apparence des voûtes, mais leur mode de structure. Or, il existe
beaucoup de voûtes nervées qui ne sont point des voûtes en arcs d'ogive,
c'est-à-dire qui ne sont point construites d'après ce principe ignoré
jusqu'alors, consistant en une succession de voûtes portées sur des arcs
bandés en tous sens, quelle que soit la configuration du plan à couvrir.
Nous avons essayé, dans l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], de faire ressortir la différence
entre le principe de la coupole nervée, et le principe de la voûte
en arcs d’ogive, bien qu’en apparence ces deux voûtes aient le même
aspect<span id="note15"></span>[[#footnote15|<sup>15</sup>]], ou peu s'en faut ; il semblerait que nos développements à ce
sujet ne sont pas assez étendus, puisque de savants critiques n'ont pas
paru apprécier toute l'importance de cette différence. Cependant elle est
telle, que le système de coupole nervée, successivement amélioré, amplifié, conduit à une structure bornée dans les moyens et qui ne peut
aboutir à des résultats étendus, tandis que le système de la voûte en
arcs d'ogive se prête à toutes les combinaisons possibles, sans qu'il en
résulte jamais pour le constructeur des difficultés d'exécution, soit dans
le tracé, soit dans le mode de cintrage, soit dans l'appareil. C'est d'abord
dans l'église de l'abbaye de Saint-Denis, bâtie par Suger, qu'apparaît
franchement l'application de ce dernier système. Dans des articles dus
à notre savant ami F. de Verneilh, trop tôt enlevé aux études archéologiques<span id="note16"></span>[[#footnote16|<sup>16</sup>]],
il est dit que les voûtes du chœur de l'église abbatiale de
Saint-Denis sont une déduction, une conséquence de celles qui pourtournent
le chœur de l'église collégiale de Poissy, dont nous avons
montré la structure (fig. 18 et 19). Nous ne pouvons nous rendre à cette
opinion; les voûtes du collatéral circulaire de Poissy n'accusent point
l'origine du principe admis dans l'église de Saint-Denis. Ces voûtes de
Poissy sont des voûtes romanes qui essayent de s'affranchir des difficultés
tenant au mode de structure roman, mais qui ne laissent en rien soupçonner
le nouveau système inauguré à Saint-Denis. Nous persistons
donc à dire que les embryons de ce système nous font défaut, qu'ils
n'existent plus, ou que l'église de Saint-Denis présente tout à coup
en 1140 un premier exemple complet de ce mode de structure des
voûtes. On va en juger.
</div>
[[Image:Plan.voute.chapelle.eglise.Saint.Denis.png|center]]
<div class="text">
La figure 22 présente en A le plan d’une demi-chapelle du tour du
chœur de l’église abbatiale de Saint-Denis, avec le double collatéral
pourtournant. Ce plan étant donné, que l’on se pose le problème de le
voûter à l’aide du système romain ou du système roman, la solution
sera impossible.
 
Par quels artifices de pénétrations pourrait-on voûter les chapelles ?
Par des coupoles ? Peut-être ; mais alors il faudrait que ces coupoles
reposassent sur des arcs, établir des pendentifs, et alors prendre une
hauteur considérable. D’ailleurs ces pendentifs biais, irréguliers, produiraient
un très-mauvais effet. En établissant son plan, l’architecte de
l’abside de Saint-Denis savait comment il allait le voûter ; ou, pour parler
plus vrai, c’était le système de voûtes à employer qui lui donnait les
dispositions de son plan. D’abord le cercle intérieur qui lui sert à tracer
le périmètre de la chapelle rencontre en ''a'' le tailloir de la colonne
monostyle ''b'', de sorte que les branches d’arcs ogives ''ac'', ''de'', ''ec'', sont égales
entre elles. Ayant tracé l’arc-doubleau ''f'' et l’archivolte g'','' il prend le
milieu de l’axe ''gf'', en ''i'', et il trace les deux branches d’arcs ogives ''bi'', ''hi'',
puis il trace les arcs-doubleaux ''hb'', ''bi''. Il est clair que tous ces arcs sont
indépendants ; l’architecte est le maître de placer où bon lui semble
leur naissance. Mais (et c’est là où apparaissent les conséquences forcées
du nouveau système adopté), s’il eût tracé ces arcs en plein cintre,
ou il eût fallu que les naissances de ces arcs eussent été à des niveaux
très-différents, si l’on eût voulu que leurs clefs fussent élevées à un même
niveau, puisque ces arcs sont de diamètres très-différents, et alors surgissaient
les difficultés que nous avons signalées plus haut pour fermer
les remplissages triangulaires voûtés ; ou si les naissances de ces arcs
eussent été placées au même niveau, leurs clefs atteignaient des niveaux
très-variables. L’architecte emploie donc l’arc en tiers-point ou brisé,
qui lui assure toute liberté pour donner aux clefs les niveaux convenables.
Ainsi, le rabattement B indique en ''l’b’'' l’arc-doubleau ''lb'', en ''b’h’''
l’arc-doubleau ''bh'', en ''c’e’'' une des branches d’arcs ogives de la chapelle,
en ''ob’'' l’arc-doubleau ''bf'', en ''b''i’'' la branche d’arc ogive ''bi'', et en ''b''p''
celle ''hi''. Il résulte de ce tracé que les clefs ''cfi'' sont au même niveau, et
que les clefs des deux arcs-doubleaux ''hb'', ''bl'', sont aussi sur une même
ligne de niveau, inférieure à celle des trois clefs ''cfi''. Reste, sur cette
ossature, à bander les triangles voûtés, lesquels reposent sur ces arcs en
tiers-point. Les lignes de clefs de ces remplissages aboutissent nécessairement
au point culminant de chacun de ces arcs et donnent les projections
ponctuées ''iq'', ''cr'', et passent par la ligne d’axe ''cg''. Une petite difficulté
se présentait dans la partie pleine de la chapelle.
 
L’architecte avait dû percer les fenêtres D, non pas au milieu de la
courbe ''ke'', mais plus rapprochées de la pile centrale ''e'', afin d’échapper le
contre-fort C. Or, l’archivolte de cette fenêtre tenant lieu de formeret, sa
clef se trouve en ''t'' ; la ligne de clefs ''ct'' divisait donc très-irrégulièrement
le triangle ''kec'' ; et il restait, de ''k'' en ''s'', un espace entre l’extrados de cette
archivolte et celui de la branche d’arc ''kc'', qui pouvait embarrasser le
maçon chargé de bander la voûte sur le triangle ''kec''. La figure perspective
E montre en F comment cette petite difficulté fut résolue. Le remplissage
voûté commence comme commencerait une coupole sur une
partie circulaire ; puis la surface courbe, gauchissant à mesure qu’elle
s’élève, va chercher l’extrados de l’archivolte et celui de la branche
d’arc ogive. En G, une projection horizontale indique la disposition des
rangs de moellons taillés, à la naissance de la surface courbe entre les
arcs. Sur le tracé perspectif E on voit que les archivoltes des fenêtres
faisant fonction de formerets pénètrent dans la branche d’arc ogive
d’axe, à sa naissance. On remarquera aussi que les naissances des arcs
ogives de la chapelle sont à un niveau plus bas que les naissances des
autres arcs, et que, par suite, les tailloirs des chapiteaux descendent d’une
assise (voy. en ''y''). Sauf quelques tâtonnements, quelques points vaguement
étudiés, le système est complet, franc ; la liberté de l’architecte
est acquise, et de ce premier essai il est facile d’arriver aux
conséquences les plus étendues. Le tracé perspectif E montre bien que
les remplissages triangulaires en moellons taillés reportent leur charge
sur les nervures, sont bandés sur leur extrados, et que celles-ci remplissent
exactement, à Saint-Denis déjà, l’office de cintres permanents portant
la voûte ou plutôt une réunion de voûtes. Par un reste de respect
pour la tradition, peut-être aussi par un défaut de confiance absolue en
la bonté du système nouveau, les clefs des formerets et arcs-doubleaux latéraux sont tenues plus bas que celles des arcs ogives, afin de laisser
encore à la réunion des voûtains triangulaires une forme générale ''domicale''.
Ce parti persista jusqu’aux premières années du XIII<sup>e</sup> siècle.
 
Ce qui prouve combien le système de voûtes admis dans la reconstruction
de l’église abbatiale de Saint-Denis est radical, est nouveau, ce sont
les monuments contemporains de celui-ci ou même un peu postérieurs,
dans lesquels on aperçoit encore des hésitations, des restes de traditions
romanes dont les architectes n’osent ou ne peuvent s’affranchir. À ce
point de vue, les voûtes de la cathédrale de Sens méritent un examen
approfondi. M. Challe, au Congrès scientifique d’Auxerre de 1859, a
parfaitement établi que la cathédrale de Sens ne pouvait avoir été reconstruite
après l’incendie de 1184 ; mais on ne peut admettre qu’elle ait
été commencée par l’archevêque Henri de France dès son intronisation,
c’est-à-dire en 1122, dix ans avant le narthex de l’église abbatiale de
Vézelay. Les caractères de l’architecture, des profils et de la sculpture
ne peuvent faire supposer que la cathédrale de Sens ait été commencée
avant 1140, peu avant la mort de l’archevêque Henri. Et en effet, les
textes disent qu’il commença cet édifice, mais ils ne disent pas à quel
moment de son épiscopat cette fondation eut lieu. Or, c’est en 1137 que
l’abbé Suger commence la reconstruction de son église ; en trois ans et
trois mois il avait achevé le chœur. En admettant que la cathédrale
de Sens soit contemporaine de l’église de Saint-Denis, on y travaillait
encore en 1170, et son édification était poursuivie avec lenteur.
 
La cathédrale de Sens ne peut donc passer pour avoir servi de point
de départ pour les travaux de Saint-Denis, et les voûtes de Saint-Étienne
de Sens accusent une indécision (surtout les voûtes basses), des tâtonnements
qui n’apparaissent plus à Saint-Denis.
</div>
[[Image:Plan.voute.cathedrale.Sens.png|center]]
<div class="text">
Examinons (fig. 23) une demi-travée de la nef de la cathédrale de
Sens. Les voûtes des collatéraux A possèdent des arcs-doubleaux C qui
sont plein cintre (voy. le rabattement C’). Mais les travées de la nef
étant doubles, c’est-à-dire alternativement composées de grosses piles P
pour porter les arcs-doubleaux et les arcs ogives des hautes voûtes, et
de piles intermédiaires S composées de colonnes accouplées destinées
à porter seulement les arcs de recoupement de ces voûtes hautes, les
arcs ogives des voûtes basses se placent assez gauchement sur ces piles.
Les arcs ogives rabattus en D ont leurs deux branches inégales, celle ''ab''
étant plus courte que celle ''bc''. En ''c'', le constructeur, n’ayant pas réservé
une colonnette pour recevoir cette branche ''bc'', a dû poser un corbeau
dans la hauteur du sommier de l’arc-doubleau et de l’arc formeret
(voy. le tracé perspectif G) ; ainsi a-t-il pu diminuer une partie de la
différence de longueur entre les deux branches des arcs ogives. Ces
branches d’arcs ogives reposent d’autre part sur la saillie du tailloir des
chapiteaux des colonnes accouplées S et sur des colonnettes engagées
tenant aux grosses piles. Bien que les arcs-doubleaux C soient plein
cintre, les archivoltes E de la nef sont en tiers-point (voy. leur rabattement
en E’). D’ailleurs les clefs des arcs ogives atteignent un niveau ''d''
supérieur au niveau des clefs des arcs-doubleaux et des archivoltes ; de
sorte que ces voûtes sont fortement bombées et construites en moellons
taillés, comme il a été dit ci-dessus. Ce mélange du plein cintre et de
l’arc en tiers-point pour les arcs-doubleaux et archivoltes ne se trouve
nulle part à Saint-Denis dans les constructions de Suger. À Saint-Denis,
les branches d’arcs sont plus adroitement placées. <span id=Chalons.sur.Marne>On n’y voit point
de ces culs-de-lampe qui paraissent avoir été un expédient à Sens, et
que nous retrouvons aussi dans les voûtes basses d’un autre monument
de la Champagne, à Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]]. Maintenant, si
nous passons aux voûtes hautes, faites quelques années plus tard (d’autant
que, comme nous l’avons dit, les travaux à Sens furent conduits
avec lenteur), nous trouvons un système de voûtes très-intéressant à
étudier, en ce qu’il éclaircit plusieurs questions touchant la construction
de ces parties importantes de nos édifices de la fin du XII<sup>e</sup> siècle. Ces
voûtes hautes sont sur plan carré avec arc-doubleau de recoupement ;
méthode adoptée, sauf de rares exceptions, pour les nefs de la seconde
moitié du XII<sup>e</sup> siècle et du commencement du XIII<sup>e</sup><span id="note17"></span>[[#footnote17|<sup>17</sup>]]. À Sens, cette disposition
des voûtes hautes est parfaitement accusée par la forme et la
dimension des piles. Les arcs ogives (arcs diagonaux) PM sont plein
cintre<span id="note18"></span>[[#footnote18|<sup>18</sup>]]; leur rabattement est en ''pm''. L'arc-doubleau de recoupement SM
est rabattu en ''sm''. Les arcs-doubleaux PO sont rabattus en ''ro''. Pour les
formerets (anciens), ils étaient plein cintre et sont rabattus en ''nt''. On observera
que la courbe d'extrados de l'arc ogive (rabattue) vient rencontrer
en ''v'' le formeret au niveau de l'extrados de sa clef (en projection verticale),
de sorte que la ligne des clefs du remplissage triangulaire M''g''
(en projection horizontale) est donnée par la courbe d'extrados ''vm''.
Le demi-triangle M''gh'' est donc une section de coupole, et pourrait être
construit suivant le mode propre à ce genre de voûtes, c'est-à-dire par
une suite de rangs de moellons concentriques. C'est là un point qu'il
ne faut pas perdre de vue, car il indique clairement que, comme nous
prétendons l'établir dans l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Ogive|Ogive]], la forme de la coupole préoccupait
encore les architectes de la première période dite gothique.
Cependant les rangs de moellons de ces remplissages sont posés parallèlement
à la ligne M''g'' des clefs, afin de reporter le poids de ces remplissages
en entier sur les arcs-doubleaux et arcs ogives. Mais on pourra
objecter que les formerets plein cintre n'existant plus et ayant été remplacés
à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle par d'autres, en tiers-point et beaucoup
plus élevés, nous n'établissons notre tracé que sur une hypothèse. Voici
donc (fig. 24) la preuve de l'exactitude du tracé précédent. En A, est le
plan horizontal de la naissance de ces grandes voûtes de la cathédrale
de Sens. B est l'arc-doubleau; C, l'arc ogive; D, l'arc-doubleau de recoupement.
</div>
[[Image:Plan.voute.cathedrale.Sens.2.png|center]]
<div class="text">
En E, est tracée la coupe, suivant le grand axe, de cette portion
de voûte. Les colonnettes ''c'' existent encore en place avec leurs chapiteaux,
et dans les travées du chœur les branches ''be'' d’arcs formerets
ont été laissées au-dessous des formerets surélevés à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle.
Ces éléments suffiraient pour indiquer la hauteur et la forme précise
des anciens formerets au XII<sup>e</sup> siècle. Mais voici qui vient encore appuyer
notre restitution. Tout le long de la nef, la corniche F du XII<sup>e</sup> siècle est
conservée ; au-dessous est une ornementation de petits arcs plein
cintre qui reposent sur une arcature qui autrefois s’ouvrait nécessairement
au-dessus des voûtes, ainsi que l’indique la coupe G. La corniche F
était surélevée pour permettre aux entraits de la charpente de passer
au-dessus de l’extrados des voûtes ; et cette arcature G donnait du jour
et de l’air sous le comble. Dans le chœur de l’église abbatiale de Vézelay,
qui date de 1180 à 1190, les formerets sont également plein cintre et
ainsi disposés en contre-bas des clefs de la voûte. Les voûtes hautes de
l’église Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]] possèdent, dans le chœur,
des formerets plein cintre surbaissés. Il n’y a donc rien dans cette disposition
qui ne soit conforme à la structure des voûtes des édifices voisins
de Sens ou appartenant à la même province. La ligne ponctuée ''gh''
indique la place des formerets refaits à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, formerets
qui enveloppent de grandes fenêtres à meneaux dont les archivoltes
viennent aujourd’hui pénétrer les restes de l’arcature autrefois ajourée
au-dessus des voûtes. La figure 25 donne cette arcature à l’extérieur ;
les traces encore en place et de nombreux fragments permettent de
la restituer sans difficultés<span id="note19"></span>[[#footnote19|<sup>19</sup>]]. En perçant les nouvelles fenêtres, les architectes
du XIII<sup>e</sup> siècle se sont contentés de boucher les baies donnant autrefois
sous le comble, et d'entailler les pieds-droits et archivoltes plein
cintre suivant la courbe de l'archivolte de ces nouvelles baies. On voit
encore en place, sur quelques points, les chapiteaux C, des portions
d'archivoltes et toute la partie supérieure B. En A, sont les arrivées des
arcs-boutants qui datent de la construction primitive. Cette arcature
supérieure donnant au-dessus des voûtes se retrouve dans beaucoup
d'églises romanes des provinces rhénanes, et avait pénétré jusque dans
les parties orientales de la Champagne. Sa présence à Sens n'en est pas
moins un fait assez remarquable.
</div>
[[Image:Detail.Notre.Dame.Chalons.sur.Marne.png|center]]
<div class="text">
Il ressort de cette étude que les voûtes hautes de Saint-Étienne de
Sens étaient très-bombées, présentaient des triangles concaves fortement
inclinés vers l’extérieur ; que les constructeurs n’osaient encore s’affranchir
de la forme génératrice donnée par la coupole, quant au tracé, bien
qu’ils eussent déjà adopté le mode de structure des voûtains triangulaires
de remplissages reportant les charges sur les arcs-doubleaux et
formerets ; du moins cela paraît-il probable, puisque ce mode est adopté
pour les voûtes des collatéraux, plus anciennes, et pour les voûtes hautes
des chœurs de Vézelay et de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chalons.sur.Marne|Châlons-sur-Marne]], qui sont
du même temps, ou peu s’en faut, que celles hautes de la cathédrale de
Sens. Les triangles prenant pour base les formerets, ayant à Sens été
refaits à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, — quoique les arcs ogives et arcs-doubleaux
n’aient point été modifiés, — nous ne pouvons affirmer toutefois que
les rangs de moellons de ces triangles aient été posés parallèlement à
la ligne des clefs (voy. figure 24). Il serait possible que les rangs de
moellons du demi-triangle ''ilm'' eussent été posés parallèlement à la ligne
des clefs ''lm'', et que les moellons du demi-triangle ''nlm'' eussent été posés
par rangs horizontaux, puisque la ligne ''lm'' n’était qu’un segment de
l’arc ogive (extrados), et que, par conséquent, ce demi-triangle ''nlm'' était
une tranche de sphère pénétrée par le formeret. Cette structure eût été
assez étrange et exceptionnelle pour qu’on ne puisse l’admettre. Cependant
il y avait alors une telle liberté dans la manière de poser les remplissages
des voûtes d’arête, qu’on ne doit repousser absolument aucune
conjecture. C’est grâce à cette liberté que les architectes de la seconde
moitié du XII<sup>e</sup> siècle arrivent à voûter sans difficultés les surfaces irrégulières,
et notamment des espaces triangulaires, entre piles, ainsi qu’on
le peut voir autour du chœur de la cathédrale de Paris. Le sanctuaire
de Notre-Dame de Paris est enveloppé d’un double collatéral (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 44) ; la seconde zone de piles étant naturellement plus
développée que la première, et la troisième que la seconde, l’architecte
a multiplié les points d’appui de manière à présenter toujours des arcs
d’ouvertures à peu près égales. La figure 26 donne une travée A du
sanctuaire de Notre-Dame de Paris, le premier collatéral B et la seconde
précinction C de colonnes monocylindriques. D sont les archivoltes ;
E, les arcs-doubleaux concentriques ; F, les arcs-doubleaux rayonnants ;
et G les arcs-doubleaux diagonaux. Tous ces arcs sont en tiers-point, de
sorte que leur brisure, leur point culminant est en ''d'' pour les premiers,
en ''e'' pour les seconds, en ''f'' pour les troisièmes, et en ''g'' pour les quatrièmes.
Pour voûter ces surfaces triangulaires, le constructeur a réuni les
extrados des points culminant des arcs F et G par des courbes ou lignes
de clefs bombées ''fg'', ''gg'', ''gf''. Il a voûté en surfaces courbes, par rangs
parallèles à ces lignes de clefs, les triangles ''gg''O, ''gfI'', en posant, suivant
la méthode ordinaire, chacun de ces rangs de moellons piqués sur les
extrados des branches d’arcs O''g'', I''g'', I''f''. Le point culminant des lignes
de clefs ''fg'', ''gg'', est en ''h'', et ce point culminant est à un niveau sensiblement
supérieur aux points culminants ''d'' et ''e'' des archivoltes D et arcs-doubleaux
E, puisque les arcs-doubleaux rayonnants et diagonaux F et G
sont tracés sur un plus grand diamètre, et que leurs clefs se trouvent,
par cela même, plus élevées déjà que celles ''d'' et ''e''. Ces clefs, aux points
culminants ''dh'', ''eh'', ont donc été réunies par une courbe ; puis des lignes
fictives ont été tirées de ''l'' en ''h'', de K en ''h'', de ''i'' en ''h'': ces lignes sont des
courbes par lesquelles doivent passer les rangs de moellons. Les extrados
''l'', ''e'' des arcs-doubleaux ont été divisés en un nombre de divisions
égales suivant l’épaisseur des rangs de moellons ; un même nombre de
divisions égales a été fait sur la courbe ''lh'', par exemple ; puis les lignes
qui ont réuni ces points ont donné les joints des rangs de moellons, ce
que présente la structure tracée en H et en P. Ainsi ces triangles concaves
viennent-ils reposer leur poids sur les arcs de pierre qui réunissent
les piles. Il est clair que tout autre système de voûtes ne pouvait permettre
de résoudre d’une manière aussi simple le problème de construction
posé en ce cas, et nous ajouterons même que le système de la voûte
gothique seul se prêtait sans difficultés à fermer ces triangles laissés
entre des arcs en tiers-point. Voici donc où les architectes en étaient
arrivés déjà dans l’Île-de-France en 1165 environ. Cependant, bien
des perfectionnements restaient encore à introduire dans le mode de
construire ces voûtes, surtout dans la manière de poser les arcs sur
les piles.
</div>
[[Image:Plan.voute.Notre.Dame.Paris.png|center]]
<div class="text">
Ajouter des arêtes à la voûte soit d’arête, soit cellulaire, soit en coupole
sphérique ou côtelée, ou plutôt poser sous ces voûtes des cintres
permanents de pierre, au lieu de cintres provisoires de charpente, c’était
une idée nouvelle ; c’était, comme nous l’avons expliqué au commencement
de cet article, sortir le squelette englobé dans l’épaisseur de la
voûte romaine pour le laisser apparaître sous cette voûte ; c’était l’utiliser
non plus seulement comme un renfort, mais comme un support, et
bientôt l’unique support ; c’était enfin rendre ce squelette indépendant
de la voûte elle-même et permettre l’emploi de tous les systèmes possibles
de voûtage. Toutefois les déductions étendues de ce système ne se
présentent que successivement. Ainsi, la voûte d’arête byzantine bombée
étant donnée, renforcer les lignes de pénétration de surfaces courbes
au moyen d’arêtes de pierre sous-jacentes ; extraire de la voûte bombée
les arcs noyés dans l’épaisseur des lignes de pénétration, pour les placer
sous ces lignes, afin de reposer les triangles de la voûte ''sur'' les arcs,
c’est évidemment la première idée qui se présente à l’esprit des constructeurs
au XII<sup>e</sup> siècle ; mais cette ''extraction'' d’un membre de la voûte
byzantine, noyé dans son épaisseur, pour le placer sous cette voûte, ne
modifie pas la voûte ; celle-ci subsiste, son ossature est visible extérieurement,
voilà tout. Or, il faut trouver la place propre à recevoir cette
ossature ; la présence nouvelle de cette ossature exigera un supplément
d’assiette. C’est en effet ce qui arriva. Soit (fig. 27) un sommier A de
voûtes d’arête bombées byzantines, portées sur des piles isolées. Le
constructeur a l’idée de sortir les arêtes de brique ''a'', noyées dans l’épaisseur
de ces voûtes, pour maçonner la voûte non plus autour de ces nerfs,
mais au-dessus. L’opération qui se présente tout d’abord est celle-ci :
il écorne les angles du sommier, et pose, non plus en brique, mais en
pierres appareillées, les claveaux ''b'' en dehors des angles. Il aura de même
fait sortir des faces ''c'' des arcs-doubleaux ''d''. L’ensemble du sommier
ainsi modifié occupera donc une surface ''fghi'', plus étendue que celle
occupée par le sommier de la voûte primitive. Il faudra, dès lors, ou
que le chapiteau prenne un évasement considérable, ou que la pile soit
plus grosse. Mais cependant les architectes, au XII<sup>e</sup> siècle, sentaient déjà
qu’il était nécessaire de réduire autant que possible les points d’appui
dans les intérieurs des édifices. Le nouveau système adopté paraissait
donc en contradiction avec cette nécessité admise. On évasa les chapiteaux ;
mais n’osant pas porter toute la saillie de ces arcs ressortis, en
encorbellement sur le nu des piles, on ajouta à celles-ci, non pas une
augmentation uniforme de surface, mais des membres portants, ainsi
que nous l’avons fait voir dans la figure 9, ce qui permettait d’ailleurs
de diminuer le corps principal de la pile.
</div>
[[Image:Plan.voutes.arete.byzantines.png|center]]
<div class="text">
Ainsi naissent ces faisceaux de colonnes engagées, qui sont une première
déduction logique du nouveau mode de voûtage. Puisque les arcs-doubleaux
et arcs ogives (diagonaux) étaient extraits de la voûte byzantine
pour paraître sous sa surface interne, il était naturel d’extraire du
corps de la pile elle-même des membres pour porter ces arcs. L’idée de
réduction absolue de l’ensemble ne vient que successivement. On voit
même, dans les monuments voûtés suivant la méthode gothique les plus
anciens, que les piles, par suite de l’opération que nous venons d’indiquer,
occupent une surface supérieure, relativement, à celle occupée
par les piles des derniers monuments de la période romane. On croyait
nécessaire de trouver en supplément les surfaces propres à recevoir les
arcs nouvellement adoptés. Cette disposition est surtout sensible dans
les provinces où le travail de transition de la voûte romane à la voûte
gothique se fait avec lenteur, avec timidité. <span id=Laval>Ainsi les piles de la nef
(sans collatéraux) de l’église de la Trinité, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Laval|Laval]], qui date du milieu du
XII<sup>e</sup> siècle, portent un système complet d’arcs-doubleaux et d’arcs ogives
(fig. 28). Ici l’architecte a cru nécessaire de trouver sur les tailloirs des
chapiteaux la place franche, ou à très-peu près, de chacun de ces arcs,
qui sont indépendants les uns des autres dès le sommier.
</div>
[[Image:Voute.eglise.Trinite.Laval.png|center]]
<div class="text">
Dans l’Île-de-France cependant, dès 1140, les arcs se pénètrent à leur
naissance, ainsi qu’on le voit autour du chœur de l’église abbatiale de
Saint-Denis. On signale bien encore des tâtonnements, des embarras,
mais le principe de pénétration des arcs au sommier est déjà admis.
</div>
[[Image:Voute.cathedrale.Senlis.png|center]]
<div class="text">
À la cathédrale de Senlis, dont la construction est peu postérieure à
celle de l’église de Saint-Denis (partie de l’abside), on voit que l’architecte a cherché à faire pénétrer l’arc ogive des chapelles dans l’arc-doubleau d’ouverture. La figure 29 donne en A la pile d’angle de ces chapelles (peu profondes comme celles de l’église de Saint-Denis). L’arc-doubleau
d’entrée est en ''a'' et l’arc ogive en ''b''. Cet arc ogive naît sur la
colonne destinée à l’arc-doubleau. Le tracé perspectif B montre en ''a’'' cet
arc-doubleau et en ''b’'' l’arc ogive pénétrant. Bien entendu, les sommiers
de ces deux arcs ne sont plus indépendants, mais sont pris dans les
mêmes assises jusqu’au niveau ''n''. Bientôt ces arcs, à leur naissance, se
groupent de plus en plus, se pénètrent, ce qui permet de diminuer d’autant la section des piles qui les portent. Les arcs se resserrant en faisceau,
ne sont plus, de fait, un renfort, une ossature pour porter la voûte, mais
deviennent la voûte, et les remplissages qui ferment les intervalles entre
ces arcs sont de plus en plus réduits à la fonction des voûtains. La
preuve, c’est qu’entre les arcs-doubleaux et arcs ogives, dès le XIII<sup>e</sup> siècle,
on ajoute de nouveaux arcs supplémentaires. Ainsi se développe le principe
admis au XII<sup>e</sup> siècle, à l’insu, pour ainsi dire, de ceux qui les premiers
l’avaient reconnu, par une succession de conséquences rigoureusement
enchaînées. Telle est, en effet, la propriété des principes admis
en toute chose, qu’ils deviennent une source féconde, nécessaire, fatale
de déductions. C’est pourquoi nous répétons sans cesse : Tenez peu de
compte des formes, si vous ne les trouvez pas de votre goût, mais adoptez
un principe et suivez-le ; il vous donnera les formes nécessaires et convenables à l’objet, au temps, aux besoins. Et c’est pourquoi aussi ceux
qui n’aiment guère à se soumettre à un principe, parce qu’il oblige
l’esprit à raisonner, espèrent donner le change au public en prétendant
que les études sur notre architecture française du moyen âge ont pour
résultat de faire adopter des formes surannées. En tout ceci il ne s’agit
pas de formes, il s’agit d’une méthode ; c’est ce que n’admettront jamais,
il est vrai, les architectes pour qui toute méthode est considérée comme
une entrave au développement de l’imagination, ou, pour parler plus
vrai, à la satisfaction de leurs dispendieuses fantaisies.
 
<span id="Amiens120"></span>Dans les grands édifices, les voûtes établies comme le sont les voûtes
hautes de la cathédrale de Sens présentent en somme l’apparence de
coupoles côtelées. Les constructeurs n’osent pas encore tenir les clefs
de ces grandes voûtes, — clefs d’arcs ogives, clefs d’arcs-doubleaux et
de formerets, — sur le même niveau. À la cathédrale de Paris cependant,
les voûtes hautes du chœur, terminées avant 1190, sont beaucoup
moins bombées que celles de Saint-Étienne de Sens. Il est clair que plus
les voûtes sont bombées, plus il est nécessaire d’élever les murs latéraux
au-dessus des formerets pour porter les entraits de la charpente,
lesquels doivent passer francs au-dessus de l’extrados de ces voûtes.
Il résulte de cette disposition un emploi inutile de matériaux, une
ordonnance lourde qu’il faut occuper par une claire-voie, si l’on prétend
l’alléger ; mais alors aussi une dépense considérable pour un objet secondaire.
En remontant les clefs de tous les arcs au même niveau, il n’y
avait plus à poser au-dessus des formerets que la corniche et le bahut
propre à recevoir la charpente du comble. C’est donc vers ce résultat
pratique que tendent les efforts des constructeurs à partir du commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle. Le nouveau système se prêtait d’ailleurs parfaitement
au nivellement des clefs, puisque les voûtains de remplissage
reportent toutes les charges sur les arcs ogives et doubleaux, nullement
sur les formerets, dont, à la rigueur, on peut se passer<span id="note20"></span>[[#footnote20|<sup>20</sup>]]. Dans la nef de
la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] déjà, les clefs des formerets, des arcs-doubleaux
et arcs ogives sont à très-peu près au même niveau. Il en est de même
à la sainte Chapelle du Palais, à Paris, et dans beaucoup d'autres édifices
bâtis de 1230 à 1240. Les voûtains conservent une courbure en
tous sens, ils sont concaves, de sorte que leurs rangs de clefs sont
courbes.
 
À l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], ce mode de structure est suffisamment
détaillé pour que nous n'ayons pas à nous étendre ici sur cet objet.
Nous constaterons cependant que, malgré la courbure donnée aux surfaces
triangulaires des voûtains de remplissage, s'ils étaient d'une très-grande
dimension, à mesure que l'on nivelait les clefs des arcs, on craignait
le relâchement de ces larges surfaces courbes, et l'on cherchait à
les renforcer entre les arcs-doubleaux et les arcs ogives par des arcs,
auxquels on donna jusqu'au XVI<sup>e</sup> siècle le nom de ''tiercerets'' ou ''tiercerons''.
Ces arcs supplémentaires venaient aboutir à la lierne posée de la clef de
l'arc-doubleau à la clef de l'arc ogive. C'est peut-être à la voûte centrale
du transsept de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] que ce système fut appliqué
pour la première fois<span id="note21"></span>[[#footnote21|<sup>21</sup>]]. Cette voûte carrée, qui porte 14<sup>m</sup>,40 en moyenne.
d'axe en axe des piliers, parut probablement trop large aux constructeurs
de cet édifice pour être faite suivant la méthode admise jusqu'alors.
Nous présentons (fig. 30) le plan du quart de cette voûte. Au centre C
est une clef en lunette pour le passage des cloches de la flèche. Les liernes
sont projetées en ''ab'', les tiercerons en ''ef''. Ces arcs viennent se réunir au
milieu des tiercerons. En AB, nous avons tracé le rabattement des arcs-doubleaux;
en GE, celui des arcs ogives; en GF, celui des tiercerons,
et en HE la projection verticale des liernes. On voit que les clefs de ces
arcs atteignent à très-peu près le même niveau. Les liernes ont une courbure,
sont bandées pour pouvoir se porter d'elles-mêmes, et reçoivent
en F' la tête des tiercerons. Les rangs de moellons des voûtains n'en sont
pas moins posés parallèlement aux lignes de clefs, c'est-à-dire aux
liernes, et les tiercerons ne sont là qu'un nerf pour renforcer ces rangs
de moellons vers le milieu de leur courbure, dont la lierne ''ab'' donne la
flèche.
</div>
[[Image:Plan.voute.centrale.cathedrale.Amiens.png|center]]
<div class="text">
En Angleterre, l’adoption de ce système s’était combinée avec une
disposition particulière à cette contrée, de rangs de moellons des voûtains
(voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. de 62 à 72); ce qui amena des combinaisons
de voûtes tout à fait différentes de celles admises par l'école
française.
</div>
[[Image:Plan.voute.cathedrale.Bayeux.png|center]]
<div class="text">
En Normandie, vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, on voit déjà des voûtes dont
les arcs-doubleaux et arcs ogives ont leurs clefs au même niveau, et qui
sont réunies par des liernes non plus courbes, mais horizontales. C’est
une sorte de système mixte entre le système anglais, sur lequel nous
reviendrons tout à l’heure, et le système français. <span id=Bayeux>La voûte centrale du
transsept de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], qui date de cette époque, nous
donne un exemple remarquable de ce genre de structure (fig. 31). En A,
est projeté le quart du plan de cette voûte, percée d’un œil pour le
passage des cloches. De ''a'' en ''b'' sont les liernes horizontales, sans tiercerons.
</div>
[[Image:Detail.voute.cathedrale.Bayeux.png|center]]
<div class="text">
Les arcs-doubleaux sont rabattus en BC, les arcs ogives en DE, les
liernes projetées en GE. Ces liernes horizontales ne sont point appareillées
en plates-bandes, leur grande longueur et leur faible section ne
l’ont pas permis ; elles passent à travers les remplissages de moellons,
qui viennent ainsi les soutenir comme une ligne de clefs. La section H
fait comprendre cet appareil. Dans leur plus grande courbure, c’est-à-dire
près de l’arc-doubleau, les rangs de moellons sont inclinés suivant
les lignes ''gh'', et, en se rapprochant de la lunette, ces rangs prennent
naturellement la courbure beaucoup plus plate ''ih''. La lierne est donc
pincée par la butée de ces rangs de moellons, elle charge et affermit
leur point de jonction. En pareil cas, les remplissages triangulaires sont
plutôt des portions cylindriques que des concavités, comme dans
l’exemple précédent. Le tracé M donne la projection de la clef-œil avec
l’arrivée d’un des arcs ogives O et d’une lierne L. Ces arrivées sont renforcées
par des redents en manière de goussets, qui donnent de la puissance
aux points de rencontre. Voici (fig. 32) comme sont appareillées
ces rencontres d’arcs avec la clef-œil. La clef-œil est composée de huit
morceaux. Les quatre qui correspondent aux arcs ogives sont naturellement
maintenus à leur, place par la coupe normale à l’arc ; les quatre
qui correspondent aux liernes sont maintenus également par une coupe
oblique ''a'', de sorte que le dernier morceau ''b'' de la lierne est plus large
à l’intrados, de ''e'' en ''f'', qu’à l’extrados, de ''g'' en ''h''. Mais toutefois ce morceau,
pas plus que ceux qui le précèdent, ne peut choir, puisqu’ils sont
les uns et les autres pincés et maintenus par les triangles des remplissages,
à la queue ''p''. La figure 32 permet d’apprécier l’utilité des redents
qui renforcent les arrivées des branches d’arcs et des liernes, et empêchent
ainsi les ruptures qui, se produisant au collet, occasionneraient
de graves désordres dans l’économie de la voûte. Comme toujours,
l’élément pratique, une nécessité d’appareil ou de structure, fournit ici
un motif de décoration. Il est nécessaire de nous étendre quelque peu
sur le système de voûtes anglo-normand. Cette étude est intéressante,
parce qu’elle fait voir comment, en partant d’un même point, d’un
même principe, les deux systèmes anglais et français sont arrivés à des
résultats très-différents, tout en demeurant rigoureusement fidèles l’un
et l’autre à ce principe.
 
C’est la meilleure réponse que l’on puisse faire à ceux qui considèrent
les principes comme une gêne, et qui ne croient pas qu’au contraire,
c’est de leurs déductions seulement qu’on peut tirer des formes nouvelles<span id="note22"></span>[[#footnote22|<sup>22</sup>]].
 
Dès le XIII<sup>e</sup> siècle on reconnaît, dans la structure des voûtes, l'influence
du génie anglo-normand ou anglo-saxon, si l'on veut, car nos voisins
n'adoptent pas volontiers la qualification d'anglo-normand. Il est donc
entendu que nous ne nous brouillerons pas sur un mot.
</div>
[[Image:Voute.arete.sur.plan.carre.png|center]]
<div class="text">
Nous avons vu qu’en France, ou plutôt dans l’Île-de-France, déjà au
milieu du XII<sup>e</sup> siècle, les remplissages des voûtes en arcs d’ogive sont
fermés au moyen de rangs de moellons piqués, posés perpendiculairement
(en projection horizontale) aux formerets, de telle sorte que ces
rangs de moellons viennent se joindre parallèlement sur la ligne des
clefs, ou ligne faîtière. Pour obtenir ce résultat, nous avons montré
(voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 55) comment l'appareilleur traçait sur l'extrados
de la courbe du formeret et sur l'extrados de la courbe de l'arc
ogive un nombre égal de divisions qui formaient les joints des rangs de
moellons. Or, comme la courbe de l'arc ogive est toujours plus étendue
que ne peut l'être celle du formeret, les divisions sur l'arc ogive, étant
en nombre égal à celles faites sur le formeret, sont plus grandes. En
Normandie et de l'autre côté de la Manche, jusque vers 1220, on procède
exactement de la même manière; mais en Angleterre, particulièrement,
dès le commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, il se manifeste une indécision
dans cette façon de tracer les remplissages des voûtes; on cherche évidemment
un moyen plus pratique, plus expéditif, et surtout qui puisse
être défini d'une façon plus nette. En effet, les remplissages des triangles
de la voûte française étant concaves, ces rangs de moellons ne peuvent
être géométriquement tracés sur l'épure; ils sont posés par le maçon, qui
les taille à mesure, à la demande du cintre-planchette dont nous avons
parlé dans l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]] et dont nous reparlerons tout à l'heure.
Il était nécessaire donc que l'ouvrier chargé de cette besogne fût assez
intelligent, eût une dose d'initiative suffisante, pour pouvoir disposer
''seul'', sans le concours du maître appareilleur, ces rangs de moellons
concaves à l'intrados et plus épais, par conséquent, au milieu du rang
qu'aux deux extrémités. Il y avait dans ce mode de procéder un ''à peu
près'', un sentiment, peut-on dire, qui n'entrait pas dans le génie précis
et pratique de l'Anglais, lequel prétend ne rien livrer au hasard dans
l'ordre des choses qui peuvent être matériellement prévues et définies.
Donc, pour en revenir à l'objet qui nous occupe, les constructeurs
anglais, ayant, comme les nôtres, adopté les arcs ogives pour la structure
des voûtes d'arête, divisent le formeret et l'arc ogive pour bander les
rangs de moellons de remplissage, non plus en un nombre égal de
divisions, mais en divisions égales. Ainsi (fig. 33), soit une voûte d'arête
sur plan carré; le rabattement du formeret étant ''ab'', et celui de l'arc
ogive ''cd'', si chaque rang de moellons donne sur le formeret les divisions
''ae'', ''ef'', ''fg'', etc., on aura reporté ces mêmes divisions sur l'arc ogive de
''c'' en ''l'', de ''l'' en ''m'', etc. On aura ainsi (ces divisions étant égales) un plus
grand nombre de largeurs de rangs de moellons sur l'arc ogive que sur
le formeret. Réunissant donc les points ''e'l''', ''f'm''', etc., on aura la direction
de ces rangs de moellons qui en ''o'' viendront se rencontrer sur la ligne
des clefs. Le poseur pourra ainsi n'avoir à placer que des moellons également
épais; les lignes de joints s'inclineront vers l'arc ogive, bien que
les surfaces triangulaires passent par une succession de lignes droites
horizontales. Les triangles pourront être bandés sans cintres ni même
sans cintre-planchette, et il suffira d'une lierne de bois posée de V en X
pour recevoir provisoirement les rencontres des derniers rangs de moellons.
Ce n'est pas du jour au lendemain qu'on arrive en Angleterre à
cette solution pratique, on constate des tâtonnements dont il est utile de
se rendre compte.
</div>
[[Image:Voute.cloitre.abbaye.Westminster.png|center]]
<div class="text">
<span id="Westminster2"></span>Dans le cloître de l’abbaye de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes W#Westminster|Westminster]] (fig. 34), ces tâtonnements
sont visibles. Plusieurs voûtes sont fermées conformément à la méthode
française (voyez en A le triangle B), d’autres présentent pour la combinaison
des remplissages la projection C. Cette combinaison est obtenue
par le procédé suivant : l’angle ''aef'' a été divisé en deux par la ligne ''ab'',
les rangs de moellons du triangle opposé ont été bandés perpendiculairement
à cette ligne '''ab''': ces rangs de moellons viennent donc se chevaucher
sur la ligne des clefs ; ou bien, comme on le voit en D, les rangs de
moellons coupent à angle droit cette ligne ''ad’''. C’est le cas de l’exemple
présenté dans la figure 33. Parfois aussi, dans d’autres voûtes, à Ely
notamment, les rangs de moellons piqués sont posés perpendiculairement
aux branches d’arcs ogives, comme le montre le triangle G, et se
chevauchent toujours sur la ligne des clefs ou se réunissent en sifflets.
 
Les voûtes du transsept de l’église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes W#Westminster|Westminster]], qui datent de 1230
environ, sont faites conformément au tracé indiqué dans le triangle D et
dans la figure 33 ; c’est-à-dire que les divisions sont égales sur la courbe
du formeret F (voyez le tracé perspectif P, fig. 34) et sur l’arc ogive O.
Cet arc ayant un plus grand développement que le formeret, il y a donc
plus de divisions sur l’arc ogive que sur ce formeret, et les rangs de
moellons légèrement concaves s’inclinent sur cette branche O d’arc
ogive. Il n’y a pas de lierne transversale pour masquer le chevauchage
des rangs de moellons sur la ligne des clefs, mais il en existe longitudinalement
déjà, comme l’indique la figure, de M en N. La naissance de la
courbe des formerets étant en R, c’est-à-dire beaucoup au-dessus de la
naissance des arcs ogives, il y a donc en ''ghi'' un triangle vertical faisant
partie du tas de charge, et de la ligne ''ih'', pour aller prendre le rang de
moellons ''m'' (le premier qui commence la série des divisions égales), le
constructeur a élevé une surface trapézoïdale ''ihmn'', gauche (en aile de
moulin). Ce n’est donc qu’à partir de la ligne ''mn'' que les divisions égales
ont été faites à la fois sur le formeret et sur la branche d’arc ogive.
 
Il est facile de reconnaître qu’ici le praticien n’a pas eu d’autre idée
que de simplifier son travail au moyen de ces divisions égales sur les
deux arcs, de poser des rangs de moellons parallèles dans leur étendue,
et d’éviter ainsi la taille de ces moellons sur le tas, exigée par le système
français. Les conséquences de l’adoption de ce procédé simplificateur
ne se firent pas attendre.
 
Dans la voûte française, les remplissages de moellons sont des voûtains
courbes en tous sens, concavités reportant leur poids sur les nerfs de
pierre, sur les cintres permanents. Chaque triangle de la voûte française
est une cellule indépendante se maintenant d’elle-même. D’après ce qui
précède, on voit que les constructeurs anglais ne considèrent pas les
triangles de remplissages comme des voûtains, mais, comme des panneaux,
ou plutôt encore comme une suite de couchis. En effet, admettons
que l’on ait à poser sur des cintres combinés, comme le sont les
arcs-doubleaux, formerets et arcs ogives (c’est-à-dire possédant chacun
leur courbe propre) des couchis de planches, il est évident que ces couchis,
ayant une égale largeur dans toute leur étendue, donneraient exactement
la figure que reproduit le tracé P (fig. 34) ; que ces couchis ne
pourraient se réunir parallèlement suivant la ligne des clefs du triangle,
mais se chevaucheraient.
 
<span id=Lincoln1>Les Anglais ont-ils fait des voûtes originairement composées d’arcs de
pierre ou de courbes de bois, sur lesquelles ils auraient posé des madriers,
des couchis, en un mot ? C’est possible ; d’autant qu’il existe encore
en Angleterre, dans le cloître de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Lincoln|Lincoln]], entre autres
exemples, des voûtes ainsi construites et qui datent du XIV<sup>e</sup> siècle. Il ne
faut pas perdre de vue que les constructions de bois ont de tout temps
tenu une place importante dans l’architecture anglaise, comme dans
l’architecture de toutes les races du Nord.
 
Le système de voûtains à projection horizontale triangulaire de la
voûte française ne peut en aucune façon se prêter à l’emploi de planches
ou de madriers, puisqu’il eût fallu tailler chacun d’eux pour lui donner
plus de largeur au milieu qu’aux extrémités ; tandis que le système
anglais primitif indiqué ci-dessus permet la mise en œuvre du bois ;
bien plus, il l’indique, il en est une conséquence. Les dérivés des exemples
précédents viennent encore accuser cette préoccupation des constructeurs.
La voûte anglaise arrive, au XV<sup>e</sup> siècle, à être une combinaison
de charpenterie bien plutôt qu’une combinaison de maçonnerie.
 
Dès le XIII<sup>e</sup> siècle, les liernes apparaissent, puis les tiercerons. Les
liernes étaient une conséquence toute naturelle du chevauchement des
rangs de moellons sur la ligne des clefs. Les tiercerons — pour les voûtes
d’une grande portée du moins — étaient commandés pour empêcher
le fléchissement de ces rangs de moellons qui n’ont qu’une flèche inappréciable
et qui semblent figurer des couchis. Ces plans courbes dans
un sens, mais nullement concaves ou très-peu concaves, — puisque ces
rangs de moellons remplissaient l’office de couchis, — avaient besoin
d’être maintenus dans le milieu de leur développement, pour ne point
se déformer, s’infléchir ; les tiercerons furent donc posés pour parer à
cette éventualité.
 
Bientôt les conséquences de ce principe conduisent à des combinaisons
d’arcs dont nous ne trouvons pas, en France, les analogies ; et c’est
toujours un mode simplificateur qui est la cause de ces combinaisons.
 
Tout ce qui est du ressort de l’architecture du moyen âge est si légèrement
apprécié, même, il faut bien l’avouer, par les architectes, qu’on
s’en tient à l’apparence, qu’on juge les méthodes adoptées sur cette
apparence, et qu’on ne prend pas la peine de rechercher si derrière
la forme visible il y a un procédé très-simple qui l’a commandée.
 
Déjà en 1842, un des hommes les plus distingués en Angleterre parmi
les archéologues s’occupant de l’architecture, avec le sens pratique que
dans ce pays on apporte à toute chose, M. le professeur Willis, avait
publié sur la construction des voûtes anglaises du moyen âge un travail
très-étendu et savamment déduit<span id="note23"></span>[[#footnote23|<sup>23</sup>]]. Ce travail est peut-être la première
étude sérieuse qui ait été faite sur le système de structure des voûtes
anglaises, et certes les observations recueillies depuis n'ont fait que
confirmer les aperçus de M. Willis. Toutefois, n'ayant pas un point de
comparaison en dehors du système anglais, le savant professeur ne peut
en apprécier tout le côté pratique. En nous aidant de son remarquable
travail et de nos observations personnelles, nous essayerons de faire
comprendre comment ces voûtes, en apparence si compliquées, sont la
déduction la plus simple du système dont nous venons d'exposer les
principes élémentaires.
 
Puisque, pour maintenir la flexion des rangs de moellons, considérés
comme des couchis, les constructeurs anglais avaient jugé nécessaire
d'établir un tierceron dans chaque triangle de voûtes, aboutissant à la
lierne de clefs, il était naturel qu'ils en établissent bientôt plusieurs.
Ainsi firent-ils (fig. 35).
</div>
[[Image:Plan.voute.medievale.anglaise.png|center]]
<div class="text">
Les tiercerons venaient aboutir de la naissance au milieu des liernes,
en ''aa’''. Ces constructeurs jugèrent que pour les grands triangles, les
espaces ''a’b'', ''a’c'' étaient trop grands encore pour se passer d’un renfort
intermédiaire. Ils établirent donc les contre-tiercerons ''gh'', ''gi'', aboutissant
au milieu des demi-liernes, en ''h'' et en ''i''. N’oublions pas que chaque
arc de la voûte française possède sa courbe particulière, qui est toujours
une portion de cercle, sauf de rares exceptions. Si donc, en se conformant
à ce principe, le constructeur anglais avait dû adopter pour chacun
de ces arcs, — lesquels ont tous une base différente, — une courbe
particulière, il lui eût fallu tracer : 1° la courbe du formeret ''gb'' ; 2° celles
des deux tiercerons ''ga’'', ''ga'' ; 3° celle de l’arc ogive ''gc'' ; 4° celles des deux
contre-tiercerons ''gh'', ''gi'' ; 5° celle de l’arc-doubleau ''gl'': en tout, sept
courbes. De plus, en admettant que, comme dans la voûte française,
tous ces arcs eussent été des portions de cercle, ou il eût fallu que leurs
naissances eussent été placées à des niveaux très-différents, ou que les
clefs de ces arcs eussent été elles-mêmes à des niveaux très-différents.
<span id=Lincoln2>Dans le premier cas, il existait, entre le chapiteau de la pile et la naissance
de la courbe des arcs ayant la plus faible base, une verticale
gênante pour placer les moellons de remplissage suivant le mode admis
par les Anglais ; la voûte le long du formeret semblait ne plus tenir à la
structure, se détacher, comme on peut le voir dans quelques-unes de ces
voûtes primitives, notamment dans les chœurs des cathédrales d’Ely et
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Lincoln|Lincoln]]. Pour éviter cet inconvénient, dès la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, les
constructeurs anglais adoptent une courbe composée, de telle sorte que,
toutes ces courbes, à partir du niveau du chapiteau des piles, ont le
même rayon.
 
Ainsi (fig. 35) l’arc ogive étant la plus longue courbe, c’est elle qu’on
trace au moyen d’un premier arc de cercle ''g’m'', puis d’un second arc
de cercle ''mn'' ; le point ''n'' étant fixé comme hauteur de la voûte sous
clef. Bien entendu, le centre de cette seconde courbe se trouve sur le
prolongement de la ligne passant par le point ''m'' et le centre ''e'' de l’arc
''g’m''. La courbe du formeret ''gog’'' est donnée par le même rayon ''em''. Ceci
fait, toutes les courbes des autres arcs sont données. Tous ont une base
plus courte que celle de l’arc ogive. Donc, rabattant le contre-tierceron
''g’h'' sur la ligne de base ''g’c'', en ''h’'' ; de ce point ''h’'' élevant une perpendiculaire,
celle-ci viendra rencontrer en ''h'''' la courbe maîtresse ''g’n''. La courbe
de ce contre-tierceron sera donc la courbe ''g’h''''. Rabattant le tierceron
''g’a’'', idem en ''a'''' ; élevant une perpendiculaire de ce point ''a'''', celle-ci
rencontrera la courbe maîtresse en ''a'''''. La courbe de ce tierceron sera
donc la courbe ''g’a'''''. Rabattant le deuxième contre-tierceron ''g’i'', idem
en ''i’'' ; élevant une perpendiculaire de ce point ''i’'', celle-ci rencontrera la
courbe maîtresse en ''i''''. La courbe du deuxième contre-tierceron sera
donc la courbe ''g’i''''. On procédera de même pour le tierceron ''g’a'' du
long triangle, tierceron dont la courbe sera donnée de ''g’''en ''p'' ; de même
aussi pour l’arc-doubleau ''g’l'', dont la courbe sera donnée de ''g’'' en ''q''.
 
Ces clefs atteignent toutes des niveaux différents. Pour tracer les
liernes transversales ''cb'', il suffira d’élever des perpendiculaires des points
''ha’ic'' sur la ligne ''cb'' (projection horizontale de cette lierne transversale),
et de prendre sur ces perpendiculaires des longueurs égales à ''h’h'''',
à ''a''a''''', à ''i’i'''', à ''cn'', qui donneront les points ''r'', ''s'', ''t'', ''u'', points d’intersection
des tiercerons avec la lierne ''cb''. Si l’on veut que le formeret ait la même
courbe que tous les autres arcs, on procédera comme ci-dessus. Nous
rabattrons la ligne ''g’b'' sur la base ''g’c'' ; du point V, nous élèverons une
perpendiculaire qui, rencontrant la courbe maîtresse en V'' donnera la
courbe ''g’''V'' du formeret. Cette courbe en projection transversale donnera
la hauteur ''b''V’, tandis que le formeret, rabattu en ''go'', donnera la
hauteur ''bo’''. Employant le même système de tracé, nous aurons en ''uy''
la projection longitudinale des branches de liernes ''cl''.
</div>
[[Image:Plan.voute.medievale.anglaise.2.png|center]]
<div class="text">
Tout ceci n’est que de la géométrie descriptive très-élémentaire, et
ne demande pas de grands efforts d’intelligence de la part du traceur,
mais les conséquences au point de vue de la structure sont importantes.
D’abord, puisque nous n’avons qu’une seule courbe composée pour tous
les arcs ; ou plutôt, que tous les arcs ne sont qu’un segment plus ou
moins étendu d’une même courbe composée, les panneaux d’appareil
d’un arc peuvent servir pour tous les arcs ; de plus, les arcs, en pivotant
autour de la verticale élevée dans l’axe de la pile ''g'', devant nécessairement
passer par un même plan courbe, puisqu’ils ont tous la même courbe,
donnent à l’extrados une forme conoïde concave en manière de pavillon
de trompette, qui simplifie singulièrement la pose des moellons de
remplissage. Si bien (voy. fig. 36) qu’en traçant la projection horizontale
de cette voûte, on voit comment se peuvent poser aisément les rangs
de ces moellons ne remplissant plus que la fonction de planches ou
bardeaux posés entre des nervures de charpenterie. Mais la suite de
déductions logiques qui avait amené les constructeurs anglais à considérer
ces arcs multipliés comme des nerfs d’une charpente, les conduisait
(à cause surtout du peu de courbure de ces arcs dans la partie
supérieure de la voûte) à les relier entre eux par des goussets et contre-liernes,
ainsi que l’indique la figure 36<span id="note24"></span>[[#footnote24|<sup>24</sup>]]. Les points de rencontre de ces
goussets et contre-liernes avec les arcs et les liernes donnent des motifs
de clefs qui renforçaient d'autant ces points de jonction. On obtenait
ainsi un réseau résistant d'arcs puissamment étrésillonnés, sur lesquels
on pouvait poser les moellons de remplissage comme on pose des planches
sur une membrure de charpente. La figure 37 donne le tracé perspectif
d'une de ces clefs (celle A de la figure 36). Les contre-liernes et
goussets sont tracés suivant un plan vertical, ainsi que l'indique la section
B (fig. 37), des feuillures F étant réservées pour poser les moellons
de remplissage, et la queue de ces contre-liernes arasant l'extrados de
ces moellons. On observera que l'arc C (qui est ici l'arc ogive) possède
en D une joue plus large au-dessous de la contre-lierne qu'en ''d'', ce que
motive la position verticale de cette contre-lierne, et ce qui est parfaitement
conforme aux conditions de résistance de ces arcs, lesquels n'ont
plus besoin d'avoir autant de force là où ils participent au réseau qu'au-dessous
de ce réseau. Revenant à la figure 36, nous voyons que les clefs
A, B, C, sont posées sur un cercle dont le point D est le centre; de sorte que
les branches d'arcs DC, DA, DB, sont identiques. Les clefs E, C, F, divisent
la branche de liernes transversale en quatre parties égales, comme la
clef G divise la branche de liernes longitudinale en deux parties égales.
La clef H divise la branche d'arc AO en deux parties égales, et, pour
poser la clef I, on a réuni les points BH, AK, par des lignes, ainsi qu'on
le voit en M. Ces deux lignes ont coupé le tierceron en deux points ''a'', ''b'';
divisant en deux cet espace ''ab'', on a marqué le point P, centre de la clef I.
</div>
[[Image:Detail.clef.de.voute.anglaise.png|center]]
<div class="text">
En multipliant ainsi les arcs des voûtes destinées à maintenir les remplissages,
qui ne sont plus que des panneaux de pierre, il était naturel
de construire ces arcs eux-mêmes tout autrement que ne le sont les arcs
des voûtes françaises.
 
Les arcs des voûtes françaises sont, avec raison, bandés au moyen de
claveaux ayant entre lits peu d’épaisseur. C’est-à-dire que dans un arc
de voûte française, le constructeur a multiplié les joints, afin de laisser
à cet arc une plus grande élasticité, d’éviter les jarrets et brisures, qui
eussent été, pour les voûtains, une cause de dislocation. Quoique ces
voûtains conservent eux-mêmes une certaine élasticité, il était important
de préserver de déformations sensibles les cintres permanents (arcs)
qui les portent. En bandant ces arcs en claveaux peu épais, en multipliant
les joints, le constructeur français estimait avec beaucoup de
justesse que (en admettant un mouvement, un tassement) la multiplicité
de ces joints, toujours épais, permettait à l’arc, de suivre ces mouvements
ou tassements sans déformer sa courbure. Mais, dès l’instant que les
Anglais remplissaient les voûtains de remplissage par des panneaux de
pierre, et qu’ils adoptaient des courbes composées de deux segments de
cercle, dont l’un avait un très-grand rayon, il eût été périlleux de bander
ces arcs à l’aide de claveaux peu épais. Aussi, quand les voûtes anglaises
sont faites conformément aux tracés que nous venons de donner en
dernier lieu, les arcs sont composés au contraire de longs morceaux de
pierre, comme le seraient des courbes de charpente. Les liernes ou contre-liernes,
qui sont des étrésillons, sont taillées souvent dans un seul morceau
de pierre d’une clef à l’autre. Cette méthode était conséquente au
système de voûtes admis par ces constructeurs dès la fin du XIII<sup>e</sup> siècle.
 
De tout ce qui précède il ressort que les constructeurs anglais, malgré
l’apparence compliquée de ces figures, ont adopté au contraire un procédé
simplificateur, soit pour le tracé de ces voûtes, soit pour leur structure.
Il est intéressant d’observer comment nos voisins, déjà, étaient
pénétrés de cet esprit pratique qui tend à faire converger les efforts
communs vers un but, en laissant peu de part à l’initiative individuelle.
Il est évident que, pour faire une voûte française à la même époque,
c’est-à-dire pendant la première moitié du XIV<sup>e</sup> siècle, il fallait de la part
de chaque ouvrier plus d’intelligence et d’initiative qu’il n’en était besoin
pour construire une voûte comme celle que nous venons d’analyser.
L’épure faite suivant cette dernière méthode, la besogne de l’ouvrier se
bornait à un travail quasi mécanique. Il n’en était pas ainsi de nos voûtes,
qui demandaient pendant la pose des combinaisons que le maître devait
prescrire pas à pas, mais qu’il ne pouvait géométriquement tracer, que
le maçon ne pouvait mettre à exécution que par suite d’un effort de son
intelligence. Nous croyons qu’il y a plus d’art dans nos voûtes, d’apparence
si simple, qu’on n’en saurait trouver dans ce système purement
géométrique, très-simple comme procédé pratique, mais d’apparence
si compliquée.
 
Les génies des deux peuples se montrent ainsi de part et d’autre avec
leurs qualités et leurs défauts. On n’est point surpris toutefois que les
hommes qui déjà possédaient un esprit collectif et simplificateur aussi
manifeste fussent également pénétrés de ce sentiment de discipline et
d’ordre qui nous fut si funeste aux journées de Crécy et de Poitiers.
Tout se tient dans l’histoire d’un peuple, quand on y veut regarder de
près, et c’est ce qui fait de l’étude de l’architecture de ces temps, si
complétement empreinte du génie des peuples qui la pratiquaient en
France et en Angleterre, un sujet inépuisable d’observations intéressantes.
 
On a vu dans la figure 35 comment les constructeurs anglais, ayant
adopté une seule courbe composée pour tous les arcs d’une voûte, appliquaient
même parfois cette courbe au formeret, et par suite à l’archivolte
de la fenêtre ouverte sous ce formeret. C’est un procédé simplificateur
de construction des voûtes, qui n’exigeait qu’une seule épure pour
tous les arcs, qui explique pourquoi beaucoup de ces archivoltes des
fenêtres appartenant à des édifices voûtés au XIV<sup>e</sup> siècle sont obtenues au
moyen de courbes composées. Il y a, dans cette forme observée par tous,
ceux qui ont visité l’Angleterre, non pas un caprice, une question de
goût, mais l’application rigoureuse d’un système suivi, comme nous
venons de le démontrer, avec un esprit méthodique rigoureux dans ses
déductions. Une fois la courbe admise par une nécessité de construction,
on s’y habitua et l’on s’en servit dans des circonstances non commandées
par le système de structure.
</div>
[[Image:Plan.voute.XIVe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Cependant les constructeurs anglais ne s’en tinrent pas à la voûte que
nous venons de donner (fig. 35 et 36) ; ils prétendirent, vers la même
époque, c’est-à-dire au commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, avoir, avec des
arcs formés de courbes composées, des liernes sur un plan horizontal et
non plus inclinées vers les formerets et arcs-doubleaux. Voici (fig. 38)
comment ils s’y prirent pour arriver à ce résultat. Soit un quart de
voûte d’arête ABCD, un tierceron étant tracé en AE. Pour les naissances
de tous ces arcs, c’est-à-dire du formeret AB, du tierceron AE, de l’arc
ogive AC, de l’arc-doubleau AD, et de tous les autres arcs, s’il plaît
d’en tracer d’autres, comme dans le précédent exemple, un seul arc AF
a été tracé, le centre de cet arc étant en D. Rabattant les longueurs de
chacun de ces arcs sur la ligne AC considérée comme base, et, de ces
points de rabattement, élevant des perpendiculaires sur la base, la
ligne ''ab'' étant considérée comme le niveau auquel doit atteindre
chacun de ces arcs, on trace les segments F''a'', F''g'', en prenant leurs
centres en ''m'' et ''n'' sur la ligne Fo'''' prolongée ; le segment I''h'', en prenant
son centre en ''r'' sur la ligne I''o'' prolongée ; le segment K''b'', en prenant son
centre en ''q'' sur la ligne K''o'' prolongée. Les clefs de tous ces arcs sont
sur un même plan de niveau, et par conséquent les liernes CD, CB, sont
horizontales. Cependant les sommiers des arcs possèdent tous la même
courbe, au moins jusqu’au point K, ce qui sauve la difficulté des naissances
dont les courbes sont différentes. Une fois ce niveau K échappé,
il y a une si faible différence entre les courbures des arcs, que les rangs
de moellons de remplissage peuvent toujours être posés conformément
à la méthode indiquée précédemment.
</div>
[[Image:Plan.voute.anglaise.XIVe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Voyons (figure 39) comment ce système de structure des voûtes anglaises
incline vers une méthode de plus en plus mécanique. Soient en
ABCD un quart de voûte carrée, et en EBFG un quart de voûte barlongue.
Dans la première, l’arc ogive est l’arc AD ; dans la seconde, l’arc ogive
est l’arc EG. Ayant admis, comme le montre la figure 36, que les tiercerons
doivent être multipliés, afin de ne plus considérer les remplissages
que comme des panneaux, non plus comme des voûtains, il s’ensuit
naturellement que ces panneaux doivent, autant que faire se peut,
être semblables comme étendue. Pour tracer les tiercerons, ce ne sera
donc plus les liernes que nous diviserons en parties égales, comme
dans l’exemple 36, mais nous décrirons le quart de cercle BC pour le
quart de la voûte carrée, et nous diviserons ce quart de cercle en parties
égales. Par les points diviseurs faisant passer des lignes A''a'', A''b'', A''c'',
nous aurons la projection horizontale des tiercerons d’un huitième de la
voûte. Dès lors les angles DA''a'' (A sommet), ''a''A''b'', ''b''A''c'', ''c''AC, seront égaux
et les panneaux compris entre leurs côtés semblables. Nous étrésillonnerons
ces tiercerons par des contre-liernes ''e,f,g,h,'' etc., comme dans
l’exemple figure 36, mais ici tracées de telle sorte que leurs points de
rencontre se trouvent sur les quarts de cercle BC, ''ei''. Ou nous voulons
adopter pour tous ces arcs une seule et même courbe composée, comme
dans l’exemple fig. 35, ou nous voulons que les liernes BD, DC, soient
de niveau. Dans le premier cas, nous prenons l’arc ogive AD comme
étant le plus étendu, nous le rabattons sur la ligne A’D’, nous élevons la
perpendiculaire D’D« (D » étant la hauteur de la voûte sous clef), et nous
traçons, au moyen de deux centres, la courbe composée A’D« . Procédant
comme il a été dit ci-dessus ; prenant les longueurs A''a'', A''b'', A''c'', AC,
et les reportant sur la ligne A’D’en A’''a’'', en A’''b’'', en A''c’'', en A’C’, et de ces
points, ''a’,b’,c’'',C’, élevant des perpendiculaires à la ligne A’D’, ces perpendiculaires
rencontreront la courbe A’D » en des points qui donneront
les hauteurs sous clef de chacun des arcs A''a'', A''b'', etc., et par suite,
pour la lierne DC, la projection verticale C'''D'''. Mais si nous prétendons
poser ces liernes de niveau, alors il nous faudra chercher, au moyen du
procédé indiqué figure 38, les courbes A’K, A’''l'', etc., en conservant
toujours pour les sommiers la même courbe A’''n''.
 
S’il s’agit d’une voûte barlongue, dont le quart est EBFG, nous procédons
exactement de la même manière que pour la voûte carrée ; seulement
l’arc formeret EF et les tiercerons joignant ce formeret étant
plus courts que ne l’est le formeret et ne le sont les tiercerons A''a'',
A''b'', A''c'' de la voûte carrée, les clefs de ces arcs seront (en supposant que
nous n’adoptions qu’une seule courbe) plus basses que dans la voûte
carrée, c’est-à-dire que les points hauteurs de ces clefs seront en ''m''
pour le formeret EF, en ''o'' pour le tierceron E''o’'', en ''p'' pour le tierceron
E''p’'', en ''q'' pour le tierceron E''q’'', etc., et que la ligne des liernes FG
donnera la projection verticale F’D'''. Mais si nous voulons que les
liernes de cette voûte barlongue soient de niveau, alors il faudra chercher
les courbes composées comme ci-dessus, et la courbe du formeret
EF rabattue en A’I conservera toujours une partie de la courbe primitive inférieure de A’en ''s'', pour les sommiers.
 
On voit ainsi comment sont donnés, par l’application d’un principe
de construction déduit rigoureusement, ces arcs brisés en lancettes A’I,
ou surbaissés composés A''m'', si fréquemment adoptés pour les fenêtres
des nefs anglaises voûtées, ces fenêtres étant circonscrites par l’arc
formeret. Cependant, à ces courbes engendrées tout naturellement par
un procédé de structure, on a voulu trouver les origines les plus saugrenues.
Ces courbes prétendaient imiter le bonnet d’un évêque, ou bien
elles avaient une signification mystico-symbolique ; en se rapprochant
de la ligne droite au-dessus d’un certain point, elles devaient indiquer
la disposition de l’âme chrétienne, qui devient de plus en plus ferme
à mesure qu’elle s’élève vers le ciel ! ... Mais nous ne rapporterons point
ces rêvasseries de tant d’auteurs qui ont écrit sur l’architecture du
moyen âge sans avoir à leur service les premiers éléments de la géométrie
et de la statique. Il est clair que les artistes que tout raisonnement
fatigue, et qui seraient aises qu’il fût interdit de raisonner, même en architecture,
par une bonne loi bien faite, et surtout rigoureusement appliquée,
s’empressent de répéter ces pauvretés à l’endroit de la structure
gothique, et aiment bien mieux voir l’imitation d’un bonnet d’évêque
dans une courbe qu’un principe de structure : le bonnet d’évêque, en ce
cas, ou l’aspiration de l’âme dispense de toute étude et de toute discussion,
et la voûte gothique passe ainsi au compte des niaiseries humaines ;
ce qui simplifie la question. <span id="Windsor"></span>Lorsqu’une seule courbe sert pour tous les
arcs d’une voûte, et si ces arcs pivotent sur la pile support, il est clair
que, au-dessus de chaque pile, chaque partie de voûte donne exactement
la forme d’un pavillon de trompette<span id="note25"></span>[[#footnote25|<sup>25</sup>]]. Lorsque la portion supérieure
de ces courbes composées seule est modifiée, afin de poser toutes les
clefs et les liernes, par conséquent, de niveau ou dans un même plan
horizontal, la forme en pavillon n’en existe pas moins jusqu’à une certaine
hauteur au-dessus des naissances, et la variété des courbes supérieures
modifie un peu la forme en pavillon, mais ne saurait la détruire
pour l’œil. Il est clair aussi que les architectes devaient, par suite de
l’adoption de ces arcs rayonnants donnant entre eux des angles égaux,
quelle que fût la disposition des travées, soit carrées, soit barlongues,
abandonner l’arc ogive, et donner à tous ces arcs rayonnants qui remplissent
chacun une fonction semblable une section semblable. C’est
ce qui arriva. Il était conforme à la marche logique des procédés adoptés
par les constructeurs anglais de ne plus poser entre ces arcs des rangs
de moellons, mais de les remplacer par de véritables panneaux de
pierre, des dalles. Ce parti est adopté de l’autre côté de la Manche dès
le XV<sup>e</sup> siècle, soit sur des arcs disposés en pavillon de trompette, soit sur
des arcs formant une suite de pyramides curvilignes avec portion de
berceau. C’est ainsi qu’est construite la voûte de la chapelle de Saint-George,
à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes W#Windsor|Windsor]]<span id="note26"></span>[[#footnote26|<sup>26</sup>]]. La figure 40 montre une de ces pyramides de
voûtes à l’extrados ; comment sont disposés les arcs portant feuillures
A, et comment entrent dans ces feuillures les panneaux B de remplissage.
Les arcs tiercerons, compris entre les arcs ogives O, aboutissent
à une ligne de niveau DD’. À partir de cette ligne jusqu’à la ligne
des clefs CC’, la voûte forme un berceau composé de panneaux de pierre
clavés, portant en relief, les compartiments simulant alors des pénétrations
d’arêtes, de tiercerons, de contre-liernes, etc. La ligne des clefs,
ou la lierne qui réunit la clef E du formeret à la ligne DD’, est horizontale,
de telle sorte que les tiercerons compris entre les arcs ogives O et
ces formerets sont taillés sur des courbes différentes ; de même pour les
tiercerons compris entre les arcs ogives, d’après la méthode indiquée
précédemment. Ainsi, dans cette voûte de la chapelle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes W#Windsor|Windsor]],
plusieurs systèmes sont mis en pratique : le système des voûtes en portions
de pyramides curvilignes, avec arcs pris sur des courbes différentes
(sauf pour les sommiers) ; le système des grands claveaux larges et peu
épais, comme des dalles clavées, enchevêtrées, complétant la voûte par
un berceau, dans sa partie supérieure. Plus tard encore les arcs sont
supprimés, et les voûtes anglaises ne se composent plus que d’un appareil
de grandes dalles, avec nerfs saillants à l’intérieur pris dans la masse
et figurant encore les arcs de la structure qui n’existent plus de fait.
C’est ainsi que sont construites les voûtes les plus récentes de la cathédrale
de Peterborough et celles de la chapelle de Henri VII à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes W#Westminster|Westminster]].
</div>
[[Image:Detail.voute.chapelle.Saint.George.Windsor.png|center]]
<div class="text">
Ces sortes de voûtes sont très-plates. Ainsi la voûte dont la figure 40
présente l’extrados n’a, comme flèche, qu’un peu plus du quart de
son diamètre. Cela seul indique les avantages que l’on pouvait tirer
de ce mode de structure.
 
Nous avons cru nécessaire de nous étendre quelque peu sur les combinaisons
qui ont amené les constructeurs anglais aux formes de voûtes
en apparence si différentes des nôtres, bien que partant d’un même
principe. Cette digression tend à démontrer que, d’un même principe,
quand on le suit avec méthode, il peut sortir des déductions très-variées.
Il est certain que du principe générateur de la voûte gothique on peut
tirer d’autres conséquences encore ; que par conséquent il ne peut y
avoir aucune bonne raison pour repousser ce principe excellent en lui-même,
et laissant à l’architecte la plus grande liberté quant aux applications
qu’on en peut faire, en raison des programmes, de la nature des
matériaux et de l’économie.
 
Revenons à la voûte française. Nous l’avons laissée au moment où,
étant arrivée à son développement, elle permet de couvrir à l’aide des
arcs ou cintres permanents, portant des voûtains de moellon piqué,
toutes les surfaces possibles. Ayant atteint au milieu du XIII<sup>e</sup> siècle un
degré de perfection absolu, conformément au mode admis dès le milieu
du XII<sup>e</sup> siècle, le système français ne se modifie plus ; il procède toujours
de l’arc-doubleau, des arcs ogives et formerets avec ou sans tiercerons
et liernes. Ce n’est guère que dans les provinces les plus septentrionales,
et notamment en Normandie même, que l’application des tiercerons et
liernes devient fréquente à dater de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle. Dans l’Île-de-France,
en Champagne, en Bourgogne, les constructeurs s’en tiennent
aux arcs ogives et aux arcs-doubleaux jusqu’à la fin du XV<sup>e</sup> siècle. À ce
point de vue, comme procédé de structure, la voûte française ne se
modifie pas. Les perfectionnements ou innovations — si l’on peut appeler
innovation la conséquence logique d’un système admis tout d’abord — ne
portent que sur les naissances de ces voûtes. Nous avons vu qu’en
Angleterre, au moyen des courbes composées, on avait évité les difficultés
résultant des courbes de rayons différents pour bander les remplissages,
puisque, dans ces voûtes anglaises, dès le XIV<sup>e</sup> siècle, la courbe
inférieure est la même pour tous les arcs d’une voûte. En France, sauf
de très-rares exceptions, qui appartiennent à une époque relativement
récente, la courbe composée n’est pas employée, les formerets, arcs-doubleaux
et arcs ogives ont chacun leur courbe, qui est toujours un
segment de cercle. Comme on sentait de plus en plus la nécessité de
placer les clefs de ces arcs au même niveau, afin de ne pas perdre de
place et de pouvoir passer les entraits des charpentes immédiatement
au-dessus de l’extrados des voûtes, lorsque ces arcs avaient des ouvertures
très-différentes, il fallait, ou que leur brisure donnât des angles
très-différents, c’est-à dire que les uns fussent très-aigus, les autres
très-obtus, ou que les naissances de ces arcs fussent placées à des
niveaux différents<span id="note27"></span>[[#footnote27|<sup>27</sup>]]. C'est ce dernier parti qui prévalut, car les constructeurs
cherchaient à donner aux arcs en tiers-point d'un même édifice, — au
moins pour les arcs-doubleaux, formerets et archivoltes, — des
angles de brisure à la clef qui ne fussent pas trop inégaux. Les naissances
de ces divers arcs furent donc une de leurs plus grandes préoccupations.
</div>
[[Image:Plan.voute.cathedrale.Narbonne.png|center]]
<div class="text">
<span id=Narbonne>Le chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]], commencé à la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle et conçu évidemment par un maître très-habile, présente,
sous le rapport de la construction des voûtes, de précieux renseignements<span id="note28"></span>[[#footnote28|<sup>28</sup>]]. Le dernier pilier des travées parallèles à l'axe du chœur, qui
commence les travées rayonnantes, est disposé rigoureusement et le plus
économiquement possible pour recevoir les arcs qu'il doit porter. La
figure 41 donne la section horizontale de ce pilier sous les voûtes du
collatéral. L'archivolte de la partie parallèle à l'axe du chœur occupe
toute la largeur ''ab'', et celle de la première travée tournante la même largeur
''a'b'''. Ces archivoltes ont l'épaisseur totale de la pile, à quelques centimètres
près. La colonnette C monte jusqu'à la haute voûte, pour porter
un seul arc (voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]], fig. 48), puisque nous sommes dans la
partie gironnante du chœur; la colonnette D porte à la fois et l'arc-doubleau
A et les deux arcs ogives O du collatéral gironnant. Les travées T
étant plus étroites que celles parallèles T' au grand axe, il en résulte que
le nerf G vertical, qui reçoit le boudin principal G' de l'archivolte, se
trouverait, dans la travée T tournante, en retraite du nu H, et qu'il ne paraît
point. Ainsi ce sont les arcs qui ont donné rigoureusement la position
des nerfs et colonnettes de cette pile cylindrique. Si nous montrons la
voûte du collatéral (fig. 42), avec une des piles de la partie gironnante,
nous voyons comment les archivoltes pénètrent dans la pile, et comment
les arcs-doubleaux et arcs ogives du collatéral, à cause de leur plus
grande ouverture, ont leur naissance placée plus bas que celle de ces
archivoltes. Nous voyons aussi comment sont tracés ces arcs ogives, suivant
une courbe dans leur plan horizontal. La figure 43 explique ce
tracé. En A, sont les grosses piles du sanctuaire; en B, les piles d'entrée
des chapelles. Les clefs C des arcs ogives sont posées au milieu de la
ligne ''ab'' de clef des voûtains de remplissage, qui réunit le sommet de
l'arc-doubleau d'entrée des chapelles au sommet de l'archivolte. Afin
de ne pas avoir en ''e'' un angle trop aigu, le constructeur a donné, en
projection horizontale, une courbure à l'arc ogive ''e''C. Ainsi les remplissages
s'établissent-ils plus également dans les deux triangles voisins
ayant pour bases l'arc-doubleau du collatéral et l'arc-doubleau d'entrée
des chapelles. <span id=Bourges>À la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], les voûtes des collatéraux du
chœur (1225 environ) sont déjà tracées suivant ce principe.
</div>
[[Image:Voute.cathedrale.Narbonne.png|center]]
<div class="text">
Mais nous voyons, dans la perspective figure 42, qu’entre l’arc ogive
et l’archivolte, le remplissage est abandonné et pénètre dans la pile
même, continuant au-dessus de la bague formant chapiteau. Il y a là
un point incomplet, car les voûtains de remplissage doivent toujours
reposer sur des extrados d’arcs. Au XIV<sup>e</sup> siècle, le constructeur de l’église
abbatiale de Saint-Ouen de Rouen prend un parti plus franc, plus
logique, bien qu’en apparence beaucoup plus compliqué (fig. 44). Les
archivoltes prennent tout l’espace ''ab'', c’est-à-dire exactement la largeur
de la pile, moins le nerf C destiné à recevoir l’arc-doubleau et les arcs
ogives des voûtes hautes, et le profil de ces archivoltes n’est autre que
celui de la pile, ou, pour être plus exact, la section de la pile n’est autre
que la section de l’archivolte. L’arc-doubleau du collatéral n’est également
que le profil ''g'' de la pile, et l’arcogive le profil ''h''. En élévation, ces
arcs se pénètrent ainsi que l’indique le tracé perspectif. Il n’y a plus
de chapiteau, puisqu’il n’a plus de raison d’être, et les sommiers, à lits
horizontaux, s’élèvent jusqu’au niveau N, c’est-à-dire beaucoup au-dessus
des naissances des arcs.
</div>
[[Image:Plan.voute.cathedrale.Narbonne.2.png|center]]
<div class="text">
C’est la dernière expression de la combinaison des naissances d’arcs
de voûtes en France, et ce parti fut suivi jusqu’à l’époque de la renaissance.
</div>
[[Image:Voute.eglise.abbatiale.Saint.Ouen.Rouen.png|center]]
<div class="text">
Ce sont là des conséquences rigoureuses du principe de la voûte
trouvée au XII<sup>e</sup> siècle ; mais, quant au mode de structure, il ne varie pas,
c’est-à-dire que les arcs remplissent toujours les fonctions de cintres
permanents recevant des voûtains de remplissage entre leurs branches,
voûtains qui ne deviennent jamais des panneaux, mais sont construits
par petits claveaux dont les rangs courbés partent toujours de l’arc-doubleau,
archivolte ou formeret, pour venir reposer à l’autre extrémité
en biais, sur les arcs ogives.
 
Dans l’article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], il est dit comment, à l’aide de ce système
de voûtes, on peut couvrir toutes les surfaces, si peu régulières qu’elles
soient ; comment on peut, sans difficultés d’appareil, faire des voûtes
biaises, rampantes, gauches, etc. Ce système français est donc essentiellement
pratique ; il présentait, sur le système romain, un perfectionnement,
et par conséquent il était plus raisonnable de chercher à le
perfectionner encore que de l’abandonner pour recourir au mode romain.
Mais l’engouement du XVI<sup>e</sup> siècle pour les arts italiens l’emporta
chez nous sur les raisons qui militaient en faveur de notre système
de voûtes françaises, dont il était facile de tirer des conséquences de
plus en plus étendues. Philibert de l’Orme, dans son ''Traité d’architecture''<span id="note29"></span>[[#footnote29|<sup>29</sup>]], s’exprime ainsi au sujet de ces voûtes : « Ces façons de voûtes ont
été trouvées fort belles, et s’en voit de bien exécutées et mises en œuvre
en divers lieux du royaume, et signamment en ceste ville de Paris,
comme aussi en plusieurs autres. Aujourd’huy ceux qui ont quelque
cognoissance de la vraye Architecture, ne suivent plus ceste façon de
voulte, appellée entre les ouvriers ''la mode française'', laquelle véritablement
je ne veux despriser, ains plustot confesser qu’on y a faict et
pratiqué de fort bons traicts et difficiles. Mais pour autant que telle
façon requiert grande boutée, c’est-à-dire grande force pour servir de
poulser et faire les arcs-boutans, afin de tenir l’œuvre serrée, ainsi
qu’on le voit aux grandes églises, pour ce est-il que sur la fin de ce
présent chapitre, pour mieux faire entendre et cognoistre mon dire,
je descriray une voulte avec sa montée, telle que vous la pourrez voir
soubs la forme d’un quarré parfaict, autant large d’un costé que
d’autre, ou vous remarquerez la croisée d’ogives, etc. » Ainsi, quoi
que puissent prétendre les critiques plus ou moins officiels de notre
Académie des beaux-arts, au XVI<sup>e</sup> siècle encore, ces voûtes étaient considérées
comme ''françaises'' (par les ouvriers, il est vrai ; mais, en fait de
traditions, le langage des ouvriers est le plus certain). Or, comme l’architecture
du moyen âge dérive en très-grande partie du système de
voûtes, il faut en prendre son parti, et admettre que nous avions une
architecture française et reconnue comme telle du XII<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle.
Mais le texte de Philibert de l’Orme est intéressant à plus d’un titre.
Notre auteur admet que ceux qui ont quelque « cognoissance de la vraye
« architecture ne suivent plus ceste façon de voulte », et le premier
exemple qu’il donne d’une voûte propre à couvrir un vaste vaisseau,
après ce préambule, est une voûte gothique en arcs d’ogive sur plan
carré, avec liernes et tiercerons. Quant aux exemples qu’il fournit « sur
la fin de son chapitre », ce sont des tracés de voûtes sphériques pénétrées
par un plan quadrangulaire, voûtes qui ne peuvent être faites sur
de grandes dimensions, qui sont d’un appareil difficile, dispendieux,
qui sont très-lourdes, et poussent beaucoup plus que ne le font les voûtes
gothiques. Et en effet, jusqu’au commencement du XVII<sup>e</sup> siècle, les constructeurs
français, quelque « cognoissance » qu’ils eussent « de la
vraye architecture », continuaient à bâtir des voûtes sur les vaisseaux
larges, avec arcs-doubleaux et arcs ogives : l’église de Saint-Eustache,
à Paris, en est la preuve, et elle n’est pas le seul exemple. La pratique
était en ceci plus forte que les théories sur « la vraye architecture », et,
n’ayant point trouvé mieux, on continuait à employer l’ancien mode,
jusqu’au moment — et cela sous Louis XIV seulement — où l’on adopta,
pour les grands vaisseaux, des berceaux de pierre avec pénétrations,
comme à Saint-Roch de Paris, comme à la chapelle de Versailles,
comme dans la nef des Invalides, etc.
 
Or, ce genre de voûtes est un pas en arrière, non un progrès. Les berceaux
ont une poussée continue et non répartie sur des points isolés ; ils
sont très-lourds, s’ils sont de pierre ; leur effet n’est pas heureux, et les
pénétrations des baies dans leurs reins produisent des courbes très-désagréables,
que les Romains, avec juste raison, évitaient autant que
faire se pouvait.
 
On voit donc percer dans le texte naïf du bon Philibert de l’Orme ce
sentiment d’exclusion quand mêne, à l’égard des procédés du moyen
âge, qui s’est développé depuis lui avec moins de bonhomie. En effet,
en marge du texte que nous venons de citer, il est dit en manière de
vedette : « L’auteur approuver la façon moderne (de l’Orme désigne,
ainsi les voûtes gothiques) des voûtes, ''toutes fois'' ne s’en vouloir ayder. »
Pourquoi, puisqu’il les approuve ? Il ne nous le dit pas. Quoi qu’il en soit
et bien qu’il ne s’en aidât pas, il construisit, comme tous ses confrères,
des voûtes en arcs d’ogive, et il eut raison, car la plupart des
exemples qu’il donne comme des nouveautés n’ont réellement rien de
pratique ni de sérieux, s’il s’agit de fermer de grands espaces. En ceci
Philibert de l’Orme prélude à la critique (si l’on peut donner ce nom
à un blâme irraisonné) de la structure du moyen âge. Depuis lui, cette
critique, quoique moins naïve, ne raisonne pas mieux ; mais elle est plus
exclusive encore, et ne dirait pas, en parlant de la façon des voûtes du
moyen âge, « laquelle véritablement je ne veux despriser, ains plustôt
''confesser'' qu’on y a faict et pratiqué de fort bons traicts et difficiles ».
Ce sont choses qu’on ne confesse plus au XIX<sup>e</sup> siècle, parce que les esprits
logiques de notre temps pourraient répondre : « Si vous confessez que
le mode a du bon, pourquoi ne vous en servez-vous pas ? ») Mieux vaut ne
rien dire, ou battre l’eau, que de provoquer de pareilles questions.
 
La renaissance, quoi qu’en dise Philibert de l’Orme, ne change donc
pas de système de voûtes pour les grands vaisseaux, et pour cause ;
mais elle compliqua ce système. Elle multiplia les membres secondaires
plutôt comme un motif de décoration que pour obtenir plus de
solidité. Et en effet les voûtes qu’elle construisit sont en assez mauvais
état ou mêne sont tombées, tandis que la durée des voûtes des cathédrales
de Chartres, de Reims, d’[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], défieront encore bien des
siècles. Les voûtes hautes de l’église Saint-Eustache de Paris ne furent
faites que pendant les dernières années du XVI<sup>e</sup> siècle, elles ne sont pas
très-solides ; leurs sommiers ne sont pas combinés avec adresse, les
arcs sont bandés en pierres inégales de lit en lit, ce qui, comme nous le
disions plus haut, est une cause de déformations. Parmi ces voûtes
datant du XVI<sup>e</sup> siècle, on peut citer, comme remarquables, celles qui
fermaient le chœur de l’église Saint-Florentin (Yonne), et qui dataient
du milieu de ce siècle<span id="note30"></span>[[#footnote30|<sup>30</sup>]].
</div>
[[Image:Plan.voute.eglise.Saint.Florentin.png|center]]
<div class="text">
Nous donnons (fig. 45) la projection horizontale de la moitié de ces
voûtes, au chevet de l’église. L’arc-doubleau et l’arc ogive composent,
comme dans la voûte du moyen âge, l’ossature principale de la structure ;
mais les tiercerons qui partent de la pile pour se joindre au milieu
des liernes n’existent plus ici, et sont remplacés par des intermédiaires
''ab'', qui, s’ils produisent un effet décoratif piquant, ont le tort de reporter
une poussée latérale sur les flancs des formerets, ce qui est absolument
contraire au principe de la structure des voûtes gothiques,
et, qui pis est, au bon sens. Cette poussée est encore augmentée par les
arcs ''ad'', qui eux-mêmes contre-butent les liernes ''de''. Aussi ces formerets
(rabattus en AA’B) s’étaient-ils inclinés en dehors sous la pression
de ces arcs qui viennent les pousser en ''a’a'''', ce qui ne serait point
arrivé si, au lieu de ces arcs ''ab'', l’architecte eût posé des tiercerons A''d''... ;
mais on n’aurait pas eu ce compartiment en étoile, et le désir de produire
une apparence nouvelle l’emportait sur ce que commandait
la raison. On voit donc que déjà se manifestait cette tendance, si
développée aujourd’hui en architecture, de sacrifier le vrai, le sage,
le raisonné, à une forme issue du caprice de l’artiste. Bien d’autres
entorses à la raison se rencontrent dans cette voûte. Ainsi, nous avons
rabattu l’arc-doubleau en AC, et l’arc ogive A''e'' en AF ; le grand arc
AD contre-butant la clef du chevet, en AG. La rencontre de ce grand
arc AD avec l’arc ogive donne la clef H ; or, comme cet arc ogive est
tracé, le niveau de cette clef H est donné et se trouve en ''h''. Nous reportons
ce niveau en ''h’'' sur le rabattement de l’arc AD. Le niveau de la
clef I est donné ; il est le même que celui de la clef H, puisque l’arc
ogive AE est tracé. Il faut donc que l’arc KI atteigne ce niveau I ; nous
le rabattons en KI''i'', la flèche I''i'' étant égale à la ligne I''h''. Rabattant sur
l’arc de cercle K''i'' la clef O, nous obtenons le point ''o’'', et la hauteur O''o’''
donne, sur la courbe K''i'' aussi bien que sur celle du grand arc AD, le
niveau de la clef O en ''o’'' et en ''o''''. Donc il faut que cette grande courbe
butante AD passe en G, en ''h’'' et en ''o''''. De ''o'''' en G, elle se rapproche
évidemment trop de l’horizontale et bute mal l’arrivée des arcs ogives
et liernes du chevet ; aussi cette branche d’arc ''o''''G s’était-elle tordue
et relevée, par suite le grand arc-doubleau KL s’était déformé.
 
La clef ''b'' étant donnée en projection horizontale, son niveau est donné
sur le rabattement de l’arc ogive en ''b’'' ; la rencontre ''a'' sur le formeret
étant donnée en projection horizontale, son niveau est donné en ''a'''' sur
le rabattement du formeret, donc la longueur ''ab'' en projection horizontale ;
l’arc ''a''b'''' est connu. Il en est de même pour l’arc ''bm'', rabattu en
''b''m’'', puisque le niveau de la clef ''m'' est connu.
 
Quant aux liernes ''de'', elles sont prises sur un arc de cercle qui réunirait
la clef B du formeret à la clef ''e'' des arcs ogives. Cet arc de
lierne est rabattu de ''n'' en ''e'', ''n'' donnant le niveau de la clef B du formeret
par rapport au niveau de la clef ''e'' des arcs ogives. En M sont
rabattus les arcs ogives ''pq'' du chevet (le niveau de la clef étant celui
de l’arc-doubleau), les branches des liernes en ''rq'', et les tiercerons
en ''ps''. Tous les arcs, liernes, fausses liernes, faux tiercerons, sont posés
dans un plan vertical, quelle que soit leur position par rapport à la
courbure des arcs principaux (voyez en P).
</div>
[[Image:Detail.clef.de.voute.pendante.png|center]]
<div class="text">
Mais les arcs secondaires, pénétrant plus ou moins obliquement les
arcs principaux, suivant que ceux-ci se rapprochent ou s’éloignent de
la verticale, les joues de ces arcs secondaires, posés dans un plan vertical,
se trouvent l’une au-dessus, l’autre au-dessous de l’extrados de
l’arc principal ; il en résultait une difficulté pour maçonner les voûtains.
Pour sauver cette difficulté, les architectes de la renaissance tracent
une clef pendante à ces points de rencontre (fig. 46)<span id="note31"></span>[[#footnote31|<sup>31</sup>]] ; clef pendante
qui se compose d’un corps cylindrique dans lequel viennent pénétrer
les divers arcs<span id="note32"></span>[[#footnote32|<sup>32</sup>]]. Les arcs secondaires étant, comme les arcs principaux, posés dans un plan vertical, l’extrados de la fausse lierne A arrive
horizontalement contre le corps cylindrique, tandis que l’extrados de
l’arc ogive B le pénétrerait en ''b'' du côté de sa naissance, et en ''c'' du
côté de son sommet ; il y aurait donc une différence de niveau entre le
point'' b'' et le point ''c''. Et de ''b'' en ''c'', comment poser les moellons de
remplissage ? Les constructeurs ont donc augmenté la hauteur des joues
de ces arcs principaux en arrivant près de ces clefs, ainsi que l’indique
le supplément ''g'', pour araser le point ''e'', et cela en raison du niveau de
ces points d’arrivée des liernes, fausses liernes ou faux tiercerons. Il y
aurait, par exemple, un décrochement en ''h'' à l’arrivée de l’arc ogive B,
puisque l’extrados du faux tierceron ''l'' n’arriverait pas au niveau de l’extrados
de la fausse lierne A. On voit quelles complications de coupes produisaient
ces fantaisies des architectes de la renaissance, beaucoup plus
préoccupés d’obtenir un effet décoratif que des conditions d’une sage
construction. Si nous ajoutons à ces difficultés gratuitement accumulées
le manque des connaissances du tracé géométrique, qui déjà se
faisait sentir dans les chantiers, nous ne serons pas surpris du peu de
durée de ces voûtes du XVI<sup>e</sup> siècle. Cependant on reconnaît que l’habitude
de raisonner sur l’application des formes convenables à l’objet
n’est point encore perdue chez les maîtres. Ainsi la forme allongée de
ces clefs pendantes, dont l’axe est habituellement vertical, est bien
motivée par ces pénétrations d’arcs à des niveaux différents. Ces longues
pierres qui semblent à l’œil des fiches plantées aux rencontres
d’arcs, ne sont pas là par un caprice d’artiste, mais une nécessité de
structure, et les queues tombantes plus ou moins ornées de sculptures
que ces artistes leur donnent en contre-bas des arcs ne font qu’accuser
la fonction de ces clefs de rencontre d’arcs.
 
Au point de vue de la structure, l’art du XVI<sup>e</sup> siècle était, pour les
voûtes comme pour le reste, à l’état d’infériorité sur les arts antérieurs.
Les arcs-boutants, par exemple, à cette époque, ne sont plus disposés
conformément aux lois de la statique et de l’équilibre des forces (voy.
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Arc-boutant|Arc-boutant]]) ; les archivoltes ne sont plus régulièrement extradossées,
les lits d’assises ne correspondent plus aux membres de l’architecture ;
les claires-voies, les meneaux, adoptent des formes contraires à la nature
et à la résistance des matériaux mis en œuvre. Il est évident que
les architectes, préoccupés avant tout d’appliquer certaines formes appartenant
à un autre mode de structure que celui adopté en France
en raison des matériaux et de leur emploi judicieux, abandonnent à
des mains subalternes le tracé de cet appareil, qui n’est plus d’accord
avec ces formes empruntées ailleurs. Les maîtres du XV<sup>e</sup> siècle étaient
meilleurs constructeurs, meilleurs praticiens et traceurs que ceux du
XVI<sup>e</sup> ; ceux du XIV<sup>e</sup> siècle l’emportaient sur les maîtres du XV<sup>e</sup>, et peut-être
ceux du XIII<sup>e</sup> l’emportaient-ils encore sur ceux du XIV<sup>e</sup>. Cependant
les appareilleurs du XII<sup>e</sup> siècle étaient des génies, si nous les comparons
à ceux du XVII<sup>e</sup> siècle, car il n’est pas de structure plus grossière et plus
mal tracée en France, à moins de remonter aux plus mauvaises époques
de l’école romane, que celle de ce XVII<sup>e</sup> siècle, que l’on s’efforce d’imiter
aujourd’hui.
 
Les voûtes françaises et anglaises, parties toutes deux du même point
au XII<sup>e</sup> siècle, étaient arrivées au XVI<sup>e</sup>, dans l’un et l’autre pays, à des
résultats très-différents et qui donnent la mesure exacte des aptitudes
des deux peuples. D’après ce que nous avons vu précédemment, on
observera qu’en se perfectionnant conformément à la méthode admise
dès le XIII<sup>e</sup> siècle, les voûtes anglaises, malgré leur apparence compliquée,
arrivent de fait, au contraire, à l’emploi d’un procédé très-simple,
en ce qu’une courbe peut suffire à tous les arcs d’une voûte, ou que (si
ces arcs doivent atteindre à la clef un même niveau) les courbes différentes
dans une partie seulement de leur développement, sont tracées
par un procédé très-simple ; que tous ces arcs restent indépendants,
et ne sont reliés que par des entretoises d’un seul morceau, qui n’ont
qu’un rôle secondaire et ne peuvent en rien influer sur la courbe principale
admise pour les arcs ; que les remplissages ne sont plus que des
panneaux, aussi faciles à tracer qu’à poser. Dans les voûtes françaises,
nous voyons que les constructeurs en viennent à multiplier les arcs ; ils
les croisent, de telle façon que la courbure de ces arcs doit être distincte
pour chacun d’eux ; que ces courbures sont commandées par des
niveaux donnés par le tracé préalable sur plan horizontal ; que ces arcs
sont dépendants les uns des autres, et que, par conséquent, ces constructeurs
ne sont plus les maîtres, ainsi, de donner à ces courbes les
flèches nécessaires en raison de leur fonction, de leur résistance ou de
leur action de poussée et de butée ; qu’en un mot, ces constructeurs
français du XVI<sup>e</sup> siècle abandonnent un système judicieux et parfaitement
entendu (celui du XIII<sup>e</sup> siècle), pour se lancer dans des combinaisons
indiquées seulement par la fantaisie. Le réseau de la voûte
anglaise de la fin du XV<sup>e</sup> siècle est solide, méthodique : c’est la conséquence
d’une longue expérience fidèle au principe posé. Le réseau de
la voûte française au XVI<sup>e</sup> siècle n’est pas solide, parce que les arcs qui
s’entrecroisent par suite d’un caprice de l’artiste, sans l’intervention
d’une nécessité et de la raison, ont des actions différentes, les unes
molles et faibles, les autres actives et puissantes. Au lieu de rendre la
voûte française en arc d’ogive plus solide qu’elle ne l’était, par l’adjonction
de tous ces arcs secondaires, les architectes français l’altèrent,
lui enlèvent ses qualités d’élasticité, de force et de liberté. Aussi ces
voûtes du XVI<sup>e</sup> siècle sont-elles, la plupart, proches de leur ruine, lorsqu’elles
ne sont pas déjà tombées.
 
Alors, au XVI<sup>e</sup> siècle, nos architectes cherchent, à l’aide d’un savoir
médiocre d’ailleurs, à faire des tours de force, et notre Philibert de
l’Orme lui-même, malgré son rare mérite, n’est pas exempt de ce travers.
Le pédantisme s’introduit dans l’art, et le vrai savoir, le savoir pratique,
fait défaut. On veut oublier et l’on oublie les vieilles méthodes,
les principes établis sur une longue expérience ; méthodes et principes
que l’on pouvait perfectionner sans se lancer dans des théories enfantines
et très-superficielles. Il n’est pas douteux, rien qu’à examiner les monuments
existants, que les maîtres du XIII<sup>e</sup> siècle savaient la géométrie.
et en comprenaient surtout les applications beaucoup mieux que les
maîtres du XVI<sup>e</sup> siècle. Mais les premiers ne s’amusaient pas à la montre,
ils se servaient de la science, ainsi que les vrais savants s’en servent,
comme d’un moyen, non pour en faire parade. Les architectes de la renaissance
prenaient déjà le moyen pour la fin ; et, comme il arrive toujours
en pareil cas, on possède une classe de théoriciens spéculatifs
passablement pédants, et en arrière une masse compacte ignorant les
procédés les plus simples. Au XVI<sup>e</sup> siècle, on faisait des livres dans lesquels
on discutait Vitruve tant bien que mal, où l’on donnait les proportions
des ordres, où l’on couvrait des pages d’épures destinées à éblouir
le vulgaire, mais on inclinait à construire très-mal, très-grossièrement,
dans un pays où l’art de la construction avait atteint un développement
prodigieux, comme science d’abord, puis comme emploi raisonné des
matériaux et de leurs qualités. L’art s’échappait des mains du peuple,
de ces corporations d’artisans, pour devenir l’apanage d’une sorte
d’aristocratie de moins en moins comprise, parce qu’elle laissait de côté
les principes issus du génie même du pays pour une sorte de formulaire
empirique, inexpliqué et inexplicable comme une révélation. Il
était évident que tout ce qui pouvait tendre à discuter ce formulaire
présenté en manière de dogme devait être repoussé par ce corps aristocratique
des nouveaux maîtres, dont l’Académie des beaux-arts conserve
aujourd’hui encore les doctrines avec plus de rigueur que jamais.
C’est pourquoi, de temps à autre, nous voyons, du sein de ce corps et
de ses adeptes les plus fervents, s’échapper une protestation contre
l’étude de notre art français du moyen âge et les applications étendues
qu’on en peut faire. C’est pourquoi aussi nous ne cessons pas et nous
ne cesserons pas de tenter de développer cette étude, de faire entrevoir
ses applications, bien convaincu de cette vérité affirmée par l’histoire :
que les corps ne sont jamais plus exclusifs qu’aux jours où ils sentent
leur pouvoir ébranlé.
 
<br><br>
----
 
<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Le plâtre a été employé par les Romains dans les circonstances indiquées ici,
notamment au théâtre de Taormine, en Sicile, et dans les thermes d'Antonin Caracalla,
à Rome.
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Notamment aux voûtes des thermes d’Antonin Caracalla.
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : La voûte du Panthéon d'Agrippa a 43 mètres 36 centimètres de diamètre.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Il faut dire que ces deux coupoles sont élevées sur pendentifs ; mais la nature des
lézardes qui se sont produites dans la coupole de Saint-Pierre de Rome n’indique pas
que ces désordres soient dus uniquement à des tassements. Il y a eu ruptures dans la
calotte même causées par un léger relèvement de la zone des reins de la coupole. Les
déchirures causées par des tassements se sont au contraire produites (et cela devait être)
à la base même de la demi-sphère, ce qui motiva la pose d’un cercle de fer à cette
base ; ces lézardes sont suivant les longitudes. Les fissures observées à l’extrados de la
zone en contre-bas de la lanterne sont au contraire suivant les latitudes, et produisent
une pression à l’intrados qui fit détacher des parties d’enduits et de mosaïques.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Un jeune ingénieur français, M. Choisy, va publier prochainement un travail très-complet
sur la structure des voûtes romaines, d'après les monuments. Ce recueil, que
nous avons eu entre les mains, donne en détail les divers procédés employés par ces
grands constructeurs, et démontre, de la manière la plus évidente, que l'économie dans
la dépense était une de leurs principales préoccupations. Nous engageons les architectes
qui veulent sérieusement connaître les procédés employés par les Romains dans les constructions
à recourir aux travaux de M. Choisy sur cette matière.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : Voyez la ''Syrie centrale ; architecture civile et religieuse du'' I<sup>er</sup> ''au'' VII<sup>e</sup> ''siècle'', par
M. le comte Melchior de Vogüé. Baudry, éditeur.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : Voyez ''Entretiens sur l'architecture''.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Voyez la ''Syrie centrale'', pl. xvi.
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : L'exemple du temple de Diane de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nimes|Nîmes]] est une exception. Il ne faut pas perdre
de vue que les monuments romains élevés dans la Province sont, beaucoup plus que
ceux d'Italie, pénétrés de l'esprit grec, surtout en se rapprochant de Marseille. Il est intéressant de constater les analogies qui existent entre ces monuments antiques de la Province romaine et ceux de la Syrie centrale.
 
<span id="footnote10">[[#note10|10]] : Nous expliquerons tout à l’heure en quoi consiste ce mode.
 
<span id="footnote11">[[#note11|11]] : Toute cette théorie est développée dans l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]].
 
<span id="footnote12">[[#note12|12]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 3.
 
<span id="footnote13">[[#note13|13]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Coupole|Coupole]].
 
<span id="footnote14">[[#note14|14]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 4.
 
<span id="footnote15">[[#note15|15]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 62 et suivantes jusqu’à la figure 72 ''bis''.
 
<span id="footnote16">[[#note16|16]] : Voyez les ''Annales archéologiques'', t. XXIII, p. 1 à 18 et 115 à 132.
 
<span id="footnote17">[[#note17|17]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Ogive|Ogive]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Travée|Travée]].
 
<span id="footnote18">[[#note18|18]] : Aujourd'hui le centre de ces arcs serait en I; mais il y a eu, après le décintrage, un
léger abaissement de la clef, puis plus tard un faible écartement des murs, qui a dû déformer
quelque peu ces arcs, dont les centres devaient être posés sur la ligne supérieure
des tailloirs.
 
<span id="footnote19">[[#note19|19]] : C’est grâce à l’obligeance de M. Lance, architecte diocésain de Sens, et aux sondages
intelligents faits par son inspecteur, M. Lefort, que nous avons pu relever exactement
cette arcature, qui présente une disposition si curieuse. Dans notre restitution, la forme
des fenêtres est seule douteuse, bien que les pieds-droits de ces fenêtres soient encore
accusés à l’extérieur et coïncident avec les pieds-droits de l’arcature du triforium. (Voyez
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Triforium|Triforium ]].)
 
<span id="footnote20">[[#note20|20]] : Il existe en effet un assez grand nombre de voûtes des XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles sans formerets.
Les voûtes de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrand|Clermont]] (Puy-de-Dôme), par exemple, en sont
dépourvues.
 
<span id="footnote21">[[#note21|21]] : La construction de cette voûte paraît dater de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, peut-être de 1270.
Elle fut réparée en partie plus tard, assez maladroitement, après l’incendie de la première
flèche ; mais il est certain que les tiercerons et liernes existaient avant cette époque,
car les points de départ sont anciens.
 
<span id="footnote22">[[#note22|22]] : À l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], nous avons déjà indiqué les conséquences tirées par les
Anglo-Normands de la voûte du XII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote23">[[#note23|23]] : Ce travail, inséré dans le premier volume des ''Transactions'' de l'Institut des architectes
britanniques, a été traduit, en 1843, par M. Daly, dans la ''Revue d'architecture''
(t. IV), Le traducteur, dans l'introduction qui précède le texte de M. Willis, ne fait
pas ressortir les différences profondes qui séparent la structure des voûtes anglaises de
celle des voûtes françaises, et ne semble pas avoir étudié ces dernières; mais en 1843
personne n'était en état de se livrer à un travail critique sur cet objet.
 
<span id="footnote24">[[#note24|24]] : Salle voisine de la cathédrale d’Ely, côté nord, XIV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote25">[[#note25|25]] : 0n a donné à cette forme la qualification de voûte en éventail ; mais un éventail se
développe dans un seul plan : il n’est pas besoin de faire ressortir le défaut de précision
de cette dénomination.
 
<span id="footnote26">[[#note26|26]] : Voyez le mémoire de M. le professeur Willis, ''sur les voûtes anglaises du moyen
âge'', ou, dans le tome IV de la ''Revue d'architecture'' de M. Daly, la traduction de ce travail
et les planches à l'appui.
 
<span id="footnote27">[[#note27|27]] : Voyez, à ce sujet, à l’article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], le chapitre Voûte.
 
<span id="footnote28">[[#note28|28]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]], fig. 48. La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]] est singulièrement pauvre
en sculptures. Il semble que le maître de l’œuvre ait concentré toutes ses ressources pour
obtenir une construction irréprochable comme conception et comme exécution.
 
<span id="footnote29">[[#note29|29]] : ''L'Architecture'' de Philibert de l'Orme. Paris, 1576, livre IV, chap. viii.
 
<span id="footnote30">[[#note30|30]] : Les arcs-boutants qui contre-butaient ces voûtes étaient mal combinés, comme il
arrive à presque tous les arcs-boutants de cette époque ; puis les parements extérieurs des
contre-forts avaient été sapés à diverses époques ; quelques tassements s’étaient produits.
Il y a vingt ans, ces voûtes menaçaient ruine, il fallut les refaire. M. Piéplu, architecte
du département de l’Yonne, s’acquitta de ce travail avec beaucoup d’adresse, il y a quelques
années ; mais, par des raisons d’économie, on se contenta de voûtes simples en arcs
d’ogive. Nous donnons ici les voûtes anciennes, relevées avant la démolition.
 
<span id="footnote31">[[#note31|31]] : Nous supposons, dans cette figure, la clef marquée X dans la figure précédente (45).
 
<span id="footnote32">[[#note32|32]] : 2 Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clef|Clef]].
</div>