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|}
 
=== PORTE ===
s. f. Baie servant d'issue, au niveau d'un sol. Toute porte se
compose de deux jambages, d'un linteau ou d'un cintre. Les jambages possèdent
un tableau et une feuillure destinée à recevoir les vantaux. Nous
diviserons cet article en portes fortifiées de villes et châteaux; en portes
de donjons et tours; en poternes; en portes d'abbayes; en portes d'églises,
extérieures et intérieures; en portes de palais et maisons, extérieures et
intérieures.
 
==== PORTES FORTIFIÉES <i>tenant aux enceintes de villes, châteaux, manoirs</i>. ====
<span id=Autun34>Il existe encore en France quelques portes romaines et gallo-romaines qui présentent les caractères d'une issue percée dans une enceinte et protégée par des défenses. Telles sont les portes de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nimes|Nîmes]],
d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Arles|Arles]], de Langres, d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]]: les premières antérieures à l'établissement
du christianisme; celles d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]] datant du IV<sup>e</sup> ou V<sup>e</sup> siècle. Ces portes sont
toutes dressées à peu près sur un même plan. Elles consistent en deux
issues, l'une pour l'entrée, l'autre pour la sortie des chariots, et en
deux passages pour les piétons; elles sont flanquées extérieurement de
deux tours semi-circulaires formant une saillie prononcée. Les portes
d'Arroux et de Saint-André, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]], sont surmontées, au-dessus des
deux arcs donnant passage à travers l'enceinte, d'un chemin de ronde à
claire-voie, qui pouvait servir au besoin de défense. Les baies, s'ouvrant
sur la voie publique, n'étaient fermées que par des vantaux de
menuiserie,
sans herses ni ponts mobiles<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]].
</div>
[[Image:Porte.Saint.Andre.Autun.2.png|center]]
<div class="text">
La porte de Saint-André, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]], est l'une des plus complètes de
toutes celles que nous possédons en France, et se rapproche de
l'époque du moyen âge<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]]. Elle est d'ailleurs entièrement tracée sur le
modèle antique, et possède deux voies A (fig. 1), deux issues pour les
piétons B, deux tours C, servant de postes militaires, avec leurs deux
escaliers D montant aux étages supérieurs<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. On retrouve encore sur
la voie en A des fragments nombreux de ce pavé romain en gros
blocs irréguliers. Au droit des deux poternes B étaient établis des trottoirs,
et en E était creusé un large fossé dont on aperçoit encore le
profil. La voie formait une chaussée qui s'étendait extérieurement assez
loin dans la vallée, comme pour mettre en évidence les arrivants. L'ouvrage
principal (fig. 2) est construit en gros blocs de grès posés jointifs,
sans mortier, suivant la méthode romaine. On voit, dans notre figure 2,
le chemin de ronde supérieur percé d'arcades d'outre en outre et
communiquant
avec le premier étage des tours et le chemin de ronde des
courtines. Ces tours possédaient encore au-dessus deux autres étages,
réservés à la défense, l'un couvert par une voûte, et le dernier à ciel
ouvert. On y arrivait par les escaliers à double rampe indiqués sur le
plan.
</div>
[[Image:Porte.Saint.Andre.Autun.png|center]]
<div class="text">
Nous nous sommes souvent demandé, en voyant les portes des villes
de Pompéi, de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nimes|Nîmes]], d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]], de Trèves, toutes si bien disposées pour
l'entrée des chariots et des piétons, pourquoi, depuis qu'on a prétendu
revenir aux formes de l'antiquité grecque et romaine, on n'avait jamais
adopté ce parti si naturel des issues jumelles? La réponse à cette question,
c'est que l'on s'est fait une sorte d'antiquité de convention,
lorsqu'on
a prétendu en prescrire l'imitation. Placer un pilier dans le milieu
d'une voie paraîtrait, aux yeux des personnes qui ont ainsi faussé l'esprit
de l'antiquité, se permettre une énormité. Beaucoup d'honnêtes
gens considèrent les portes Saint-Denis et Saint-Martin à Paris, si peu
faites pour le passage des charrois, comme étant ce qu'on est convenu
d'appeler une heureuse inspiration d'après les données de l'antiquité.
Mais pour l'honneur de l'art antique, jamais les Romains, ni les Grecs
byzantins, ni les Gallo-romains, n'ont élevé des portes de ville aussi
mal disposées. Leurs portes sont larges, doubles, et n'ont jamais, sous
clef, une hauteur supérieure à celle d'un chariot très-chargé. Elles sont
accompagnées de poternes, ou portes plus petites pour les piétons, profondes;
c'est-à-dire formant un passage assez long, plus long que celui
des baies charretières, afin de permettre au besoin un stationnement
nécessaire. <span id=Nimes1>Quelquefois même ces poternes sont accompagnées de
bancs et d'arcades donnant sur le passage des chariots. Telle est, par
exemple, la disposition de la porte dite d'Auguste, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nimes|Nîmes]].
 
Les tours et remparts touchant à la porte de Saint-André d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]]
sont construits en blocages revêtus extérieurement et intérieurement
d'un parement de petits moellons cubiques, suivant la méthode
gallo-romaine.
Bien que les détails de cette porte soient médiocrement tracés
et exécutés, l'ensemble de cette construction, ses proportions, produisent
l'effet le plus heureux.
 
Mais on conçoit que ces portes n'étaient pas suffisamment couvertes,
fermées et défendues pour résister à une attaque régulière. Il est vrai,
qu'en temps de siège, on établissait, en avant de ces entrées, des
ouvrages de terre et bois, sortes de barbacanes qui protégeaient ces
larges issues. Ces ouvrages de terre, avec fossés et palissades, s'étendaient
même parfois très-loin dans la campagne, formaient un vaste
triangle dont le rempart de la ville était la base et dont le sommet était
protégé par une tour ou poste en maçonnerie. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]] même, on voit
encore, de l'autre côté de la rivière d'Arroux, un de ces grands ouvrages
triangulaires de terre, dont les deux côtés aboutissaient à deux ponts et
dont le sommet était protégé par un gros ouvrage carré en maçonnerie,
connu aujourd'hui sous le nom de <i>temple de Janus</i>, et qui n'était en
réalité qu'un poste important tenant l'angle saillant d'une tête de pont.
Ce qui reste de cette tour carrée fait assez voir qu'elle était dépourvue
de portes au niveau du rez-de-chaussée, et qu'on ne pouvait y entrer que
par une ouverture pratiquée au premier étage et au moyen d'une échelle
ou d'un escalier de bois mobile.
 
Quand le sol gallo-romain fut envahi par les hordes venues du
nord-est, beaucoup de villes ouvertes furent fortifiées à la hâte. On détruisit
les grands monuments, les temples, les arènes, les théâtres, pour faire
des remparts percés de portes flanquées de tours. On voit encore à
Vesone (Périgueux), près de l'ancienne cathédrale du X<sup>e</sup> siècle, une de ces
portes. Il n'y a pas longtemps qu'il en existait encore à Sens, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], et
dans la plupart des villes de l'est et du sud-est du sol gaulois. Beaucoup
de ces ouvrages furent même construits en bois, comme à Paris, par
exemple.
 
Quand plus tard les Normands se jetèrent sur les pays placés sous la
domination des Carlovingiens, les villes durent de nouveau établir à la
hâte des défenses extérieures, afin de résister aux envahisseurs. Ces
ouvrages ne devaient pas avoir une grande importance, car il ne paraît
pas qu'ils aient opposé des obstacles bien sérieux aux assaillants; les
récits contemporains les présentent aussi généralement comme ayant été
élevés en bois; et d'ailleurs l'art de la défense des places n'avait pas eu
l'occasion de se développer sous les premiers Carlovingiens.
</div>
[[Image:Porte.chateau.Carcassonne.4.png|center]]
<div class="text">
Ce n'est qu'avec l'établissement régulier du régime féodal que cet art
s'élève assez rapidement au point où nous le voyons arrivé pendant le
XII<sup>e</sup> siècle. Les restes des portes d'enceintes de villes ou de châteaux
antérieures à cette époque, toujours modifiées postérieurement,
indiquent cependant déjà des dispositions défensives bien entendues. Ces
portes consistent alors en des ouvertures cintrées permettant exactement
à un char de passer: c'est dire qu'elles ont à peine 3 mètres
d'ouverture sur 3 à 4 mètres de hauteur sous clef. Il n'était plus alors question,
comme dans les cités élevées pendant l'époque gallo-romaine,
d'ouvrir de larges ouvertures au commerce, aux allants et venants, mais
au contraire de rendre les issues aussi étroites que possible, afin d'éviter
les surprises et de pouvoir se garder facilement. De grosses tours très-saillantes
protégeaient ces portes.<span id=Carcassonne1>
</div>
[[Image:Porte.chateau.Carcassonne.3.png|center]]
<div class="text">
Nous ne trouvons pas d'exemple complet de portes de villes ou
châteaux
avant le commencement du XII<sup>e</sup> siècle. Un de ces exemples, parvenu jusqu'à nous sans altération aucune, se voit au château de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]], et il remonte à 1120 environ. Nous donnons (fig. 3) le plan de
cette porte à rez-de-chaussée. On arrive à l'entrée par un pont défendu
lui-même par une large barbacane bâtie au XIII<sup>e</sup> siècle<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]]. Le tablier de
ce pont A, dont les parapets sont crénelés<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]], est interrompu en B, et laisse
en avant de l'entrée une fosse de 3 mètres environ de longueur sur
3 mètres de largeur. Un plancher mobile, que l'on enlevait en cas de siège,
couvrait ce vide. La porte, qui n'a pas 2 mètres de largeur sur 2<sup>m</sup>,30 de
hauteur, est surmontée d'un large mâchicoulis, fermée par une herse C,
un vantail D et une seconde herse E. Un poste placé dans la salle F de la
tour de gauche avait son entrée en G, sous le passage. Un second poste H,
placé dans la tour de droite, avait son entrée sous un portique
donnant sur la cour intérieure du château. En K, est un très-large fossé. Des
meurtrières disposées dans les deux salles F et H commandent l'entrée
et les dehors. On ne pouvait monter aux étages supérieurs de cette
porte que par des escaliers de bois posés le long du parement intérieur
de l'ouvrage en I. Le plan (fig. 4) est pris au niveau de la chambre O de la
seconde herse tombant dans la coulisse P, formant aussi mâchicoulis.
On arrive à cette chambre par la salle L et par l'escalier M. Deux trous
carrés R, percés dans le sol des deux salles des tours, traversent la voûte
des salles du rez-de-chaussée et correspondent à deux autres trous
percés dans les voûtes du premier étage, de manière à mettre en communication les défenseurs postés à l'étage supérieur avec les servants de
la seconde herse et avec les gens des postes inférieurs. Ces trous, qui
ont 0<sup>m</sup>,63 de largeur sur 0<sup>m</sup>,50 de large, permettaient même au besoin
de placer des échelles. Mais ils étaient surtout percés pour faciliter le
commandement, qui partait toujours de la partie supérieure des défenses.
La figure 5 présente la coupe longitudinale de la porte faite sur l'axe.
On voit, en B, l'interruption du tablier du pont; en C, la coulisse de la
première herse, et en D, la coulisse de la seconde. La première herse
est manœuvrée de l'étage supérieur, en E, placé immédiatement sous le
plancher réservé aux défenseurs. La seconde herse est manœuvrée de la
chambre dont nous avons donné le plan (fig. 4). Les trous des hourds
de la défense supérieure sont apparents en G<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]]. Devant la première herse
est disposé un grand mâchicoulis; un second mâchicoulis est percé
devant la seconde herse. En H, nous donnons la coupe de la chambre
de la herse faite sur la ligne <i>abcd</i> du plan (fig. 4), avec les salles voûtées
du rez-de-chaussée et du premier étage. La coupe (fig. 5) montre également
les escaliers de bois qui permettent de monter de la cour du château, soit à la chambre de la herse, soit à l'étage supérieur. Une première
porte de bois était disposée en avant de la fosse, sur le pont, en I,
afin de
commander le tablier de celui-ci. Cet espace en avant de la première
herse était abrité des traits qu'auraient pu lancer les assaillants, par un
petit comble en appentis, laissant d'ailleurs passer les projectiles tombant
du premier mâchicoulis. Ainsi, en cas d'attaque, une garde postée
sur le tablier mobile couvrait d'abord le tablier du pont fixe de
projectiles.
Si l'on prévoyait que la porte I allait être forcée, on faisait tomber
le tablier mobile. Du haut de la tour d'où l'on pouvait facilement voir les
dispositions de l'attaque, on laissait couler la herse, on fermait le vantail
derrière elle, et l'on commandait, au besoin, de laisser tomber la
seconde herse. Alors toute la défense agissait du haut, soit par les hourds,
soit par les meurtrières, soit par le grand mâchicoulis. Si l'on voulait
prendre l'offensive et faire une sortie, on commandait du haut de lever
la seconde herse, on massait son monde sous le passage de la porte, on
préparait une passerelle, on faisait lever la première herse et l'on ouvrait
le vantail. Était-on repoussé, on rentrait quelquefois ayant l'ennemi derrière
soi; mais en laissant du haut tomber la première herse, on séparait
ainsi les assaillants les plus avancés de la colonne massée sur le pont et
on les faisait prisonniers.
</div>
[[Image:Porte.chateau.Carcassonne.2.png|center]]
<div class="text">
La figure 6 est une vue perspective de la porte prise du pont, en
supposant
la défense de bois et son appentis enlevés. Sur les flancs des tours
on voit les deux corbeaux destinés à porter la traverse postérieure de
cet appentis. La première herse est supposée levée et la fosse non
fermée par son tablier mobile. Sauf les herses qui ont été supprimées,
mais dont toutes les attaches et les moyens de suspension sont apparents,
cette porte n'a subi aucune dégradation. Il faut ajouter que la
fosse a été remplacée par une voûte moderne. Cette construction est
faite de petites pierres de grès jaune et est exécutée avec grand soin.
Les salles sont voûtées en calotte avec de petits moellons bien taillés.
Les combles qui recouvrent cette entrée ont été refaits depuis peu
dans la forme indiquée sur la coupe longitudinale.
</div>
[[Image:Porte.chateau.Carcassonne.png|center]]
<div class="text">
Les moyens d'attaque des places fortes de cette époque admis, moyens
qui ne consistaient qu'en un travail de sape, fort long et périlleux puisqu'il
était impossible de battre en brèche des tours et courtines dont les
murs avaient une forte épaisseur, faisaient que les assaillants cherchaient
toujours à brusquer un assaut ou à surprendre l'ennemi. Si les tours et
courtines avaient trop de relief pour qu'il fût possible de tenter une
escalade, surtout lorsque les parapets étaient garnis de hourds, on
essayait de s'introduire dans la place par surprises ou par une attaque
brusquée sur les portes. Dès lors les assiégés accumulaient autour de
ces portes les moyens de défense; on doublait les herses, les vantaux,
les obstacles, et l'on séparait les treuils de ces herses afin de rendre les
trahisons plus difficiles. Ainsi, dans l'exemple que nous venons de présenter,
on voit que la première herse, celle qui ferme l'issue à l'extérieur,
est manœuvrée du haut; c'est-à-dire de l'étage où tous les défenseurs
de la porte sont réunis, où se trouve nécessairement le capitaine.
Les gens chargés de cette manœuvre, ainsi entourés du gros du poste,
sous les yeux du commandant, pouvaient difficilement trahir. La
chambre
de la seconde herse est totalement séparée du premier treuil. Les
hommes chargés de manœuvrer cette seconde herse ne voyaient pas
ce qui se passait à l'extérieur, et ne pouvaient s'entendre avec ceux
postés au premier treuil. Ils pouvaient même être enfermés dans cette
chambre. On évitait ainsi les chances de trahison: car il faut dire
qu'alors les défenseurs comme les assaillants d'une place étaient recrutés
partout, et ces troupes de mercenaires étaient disposées à se vendre au
plus offrant; beaucoup de places étaient prises par la trahison d'un
poste, et toutes les combinaisons des architectes militaires devaient tendre
à éviter les relations des postes chargés de la manœuvre des
fermetures
avec les dehors, à les isoler complètement ou à les placer sous l'œil
du capitaine.
 
Les surprises des places par les portes étaient si fréquentes, que
non-seulement
on multipliait les obstacles, les fermetures dans la longueur
de leur percée, mais qu'on plaçait, au dehors, des barbacanes, des
ouvrages avancés qui en rendaient l'approche difficile, qui obligeaient
les entrants à des détours et les faisaient passer à travers plusieurs
postes.
 
Aujourd'hui, lorsqu'on assiège régulièrement une place, on établit la
première parallèle à 600 ou 800 mètres, et en cheminant peu à peu vers le
point d'attaque par des tranchées, on établit les batteries de brèche le
plus près possible de la contrescarpe du fossé; les assiégeants, avec l'artillerie
à feu, ne se préoccupent guère des portes que pour empêcher les
assiégés de s'en servir pour faire des sorties. Mais lorsque l'attaque d'une
place ne pouvait être sérieuse qu'au moment où l'on attachait les
mineurs
aux remparts, on conçoit que les portes devenaient un point faible.
L'attaque définitive étant extrêmement rapprochée, toute ouverture, toute
issue devait provoquer les efforts de l'assiégeant.
 
En étudiant les portes fortifiées des places du moyen âge, il est donc
très-important de reconnaître les dehors et de chercher les traces des
ouvrages avancés qui les protégeaient; car la porte elle-même, si bien
munie qu'elle soit, n'est toujours qu'une dernière défense précédée de
beaucoup d'autres.
 
La porte de Laon à Coucy-le-Château est, il ce point de vue, l'une des
plus belles conceptions d'architecture militaire du commencement du
moyen âge. Bâtie, ainsi que les remparts de la ville et le château lui-même,
tout au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle par Enguerrand III, sire de
Coucy<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]], elle donne entrée dans la ville en face du plateau qui s'étend
du côté de Laon. Cette porte, placée en face de la langue de terre qui
réunit le plateau à la ville de Coucy, donnait une entrée presque de
niveau dans la cité; mais à cause de cette situation même, elle demandait
à être bien défendue, puisque cette langue de terre est le seul point par
lequel on pouvait tenter d'attaquer les remparts, dominant, sur tout le
reste de leur périmètre, des escarpements considérables. Au commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle, voici quel était le système défensif des abords de
cette porte (fig. 7).
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.11.png|center]]
<div class="text">
En A, était tracée la route de Laon, reportée aujourd'hui en B; en C,
une voie descendant dans la plaine et allant vers Chauny<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]]. En D, était
une grande barbacane dans laquelle se réunissaient les deux voies pour
atteindre un viaduc E, admirablement construit sur arcades en
tiers-point.
Ce viaduc aboutissait à une tour G, bâtie dans l'axe de la porte H.
Du point de jonction F des routes au point E, ce viaduc s'élevait par une
pente sensible vers la ville. Il était de niveau du point E au seuil de la
porte, du seuil de cette porte au point H sous le couloir de l'entrée, il
existait encore une pente. Des salles inférieures de la porte, par un souterrain
d'abord, percé sous le passage, et par des baies percées dans
chacune des piles du viaduc, on arrivait au niveau D de la barbacane,
sous la voie supérieure. Ainsi, de la ville, et sans ouvrir aucune des herses
et vantaux de la porte elle-même, sans abaisser le pont à bascule, sans
ouvrir les vantaux des baies de la tour G, les défenseurs pouvaient se
répandre dans l'enceinte de la barbacane, se porter aux issues L et K, à
la tour du coin P et sur les chemins de ronde terrassés garnis de palissades.
Si la barbacane était forcée, les défenseurs pouvaient rentrer dans la
ville, sous le viaduc, sans qu'on fût obligé d'ouvrir les vantaux des portes
de la tour G, non plus que les herses de l'ouvrage principal. Plus tard,
vers la fin du XV<sup>e</sup> siècle, un beau boulevard revêtu et encore entier fut
construit sur l'emplacement de la tour G, dont les substructions restèrent
engagées ainsi au milieu du terre-plein; le viaduc fut maintenu et en
partie englobé dans les maçonneries du boulevard. Le plan (fig. 8) donne
l'ensemble de ces constructions successives. Ce plan est pris au niveau
de l'étage inférieur de la porte, De la ville on descend, par deux escaliers
A, dans deux salles basses B, et de ces salles dans le souterrain C.
On suivait le viaduc dans sa longueur sur des ponts volants D, posés
d'une pile à l'autre jusqu'à la grande barbacane et en traversant l'étage
inférieur de la tour G. Nous verrons tout à l'heure le détail de l'amorce
de ce passage avec la porte, et du pont à bascule placé en E. Notre plan
donne, en teinte plus claire, le boulevard construit vers la fin du
XV<sup>e</sup> siècle, et qui est d'un grand intérêt pour l'histoire des défenses
appliquées à l'artillerie à feu<span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]]. Alors les ingénieurs se servirent du
passage souterrain pour permettre d'arriver aux galeries inférieures de
ce boulevard. Ils fermèrent seulement les arcades I par de la
maçonnerie
et comblèrent le passage des ponts volants. Vers la partie détournée,
le viaduc ne servit plus que de pont passant sur un fossé, pour atteindre,
du plateau, le niveau de la plate-forme du boulevard<span id="note10"></span>[[#footnote10|<sup>10</sup>]]. Les
espaces K formaient fossé séparant le plateau de la ville et déclinant à
droite et à gauche vers les escarpements naturels. Les galeries
inférieures du boulevard, indiquées sur le plan, étaient percées de nombreuses meurtrières couvrant le fond de ce fossé de feux croisés. Cet aperçu de l'ensemble des défenses de la porte de Laon à Coucy fait assez
connaître l'importance de ce poste militaire, et comme il était puissamment
défendu. Examinons maintenant la porte en elle-même, assez bien
conservée encore aujourd'hui pour que l'on puisse juger du système
adopté par le constructeur<span id="note11"></span>[[#footnote11|<sup>11</sup>]]. Le plan (fig. 8) est pris au-dessous du
pavé de la ville, de sorte que le sol des deux salles formant caves non
voûtées et des deux salles rondes V est au-dessus du niveau du fond du
fossé K. On ne descendait dans ces salles, destinées à servir de magasins,
que par des trappes percées dans le plancher et dans la niche P.
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.10.png|center]]
<div class="text">
La figure 9 donne le plan de la porte, au niveau du pavé de la ville.
Ce plan montre le passage pour les chariots et les piétons, se rétrécissant
vers l'entrée extérieure.
 
Ce passage est voûté en berceau tiers-point en A, en B et en C; il est
couvert par un plancher en D. En E, est un large mâchicoulis entre deux
herses. L'entrée F se fermait par le pont G relevé, et en I était une porte
à deux vantaux avec barres. Du couloir D, vers la ville, on entrait par
deux portes détournées dans deux salles J, servant de corps de garde.
On observera que les deux entrées dans ces salles sont disposées de
telle façon que, du passage, on ne puisse voir l'intérieur des postes, ni
reconnaître, par conséquent, le nombre d'hommes qu'ils contiennent.
Ces postes sont chauffés par deux cheminées K, et éclairés par deux
fenêtres L placées au-dessus des deux descentes de caves marquées A
sur le plan souterrain. De ces deux postes J, on passe dans les salles
circulaires M, percées chacune de trois meurtrières, deux sur le fossé,
une sur le passage.
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.9.png|center]]
<div class="text">
En N, est une des trappes donnant dans une trémie qui correspond à
l'étage en sous-sol. Deux escaliers, pris dans l'épaisseur des murs des
tours, permettent de monter au premier étage, dont le plan (fig. 10)
présente une disposition peut-être unique dans l'art de fortifier les
portes au moyen âge. Les deux escaliers que nous venons de signaler
arrivent en A dans deux couloirs donnant sur le chemin de ronde R des
courtines, et dans les salles rondes B. De ces salles rondes on monte au
mâchicoulis M percé entre les deux herses, par deux degrés D. Les
salles rondes sont percées de trois meurtrières chacune, donnant sur le
dehors<span id="note12"></span>[[#footnote12|<sup>12</sup>]], et d'une fenêtre F donnant sur la ville. Elles sont, en outre,
munies de cheminées C. Par les couloirs E, on arrive, soit à la grande
salle S, largement éclairée du côté de la ville par cinq fenêtres, soit aux
escaliers à vis qui montent aux défenses supérieures. Des latrines sont
disposées en L, et une vaste cheminée s'ouvre en K. On conviendra que
ces dispositions, soit comme défenses, soit comme postes, sont remarquablement
entendues. La grande salle S, ayant 22 mètres de longueur
sur 8 mètres de largeur, pouvait servir de dortoir ou de lieu de réunion
à une garde de vingt-cinq hommes, sans compter les défenseurs veillant
dans les corps de garde du rez-de-chaussée et dans les trois étages de
salles rondes. Ainsi un poste de cinquante à soixante hommes pouvait
facilement tenir dans cet ouvrage en temps ordinaire, et, en cas d'attaque,
il était aisé de doubler ce nombre de défenseurs sans qu'il y eût encombrement.
Si l'on continue à gravir les deux escaliers à vis, on arrive au
second étage (fig. 11), et l'on pénètre, soit dans les deux salles circulaires
A, soit dans les deux échauguettes B, donnant entrée sur un chemin
de ronde crénelé C, du côté de la ville, et permettant aux défenseurs
de surveiller les abords de la porte à l'intérieur. Les salles A sont
percées chacune de deux meurtrières, d'une fenêtre F, et communiquent
au jeu de la herse, situé en H, et au hourd situé en D, par les deux
couloirs G. En montant encore par les escaliers à vis, on arrive au troisième
étage (fig. 12), qui est l'étage spécialement consacré à la défense.
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.8.png|center]]
<div class="text">
Par les couloirs A, on entre dans les salles circulaires B, 0n passe dans
les chemins de ronde munis de hourds C, ou sur le chemin de ronde
intérieur P. Des salles circulaires, ou du chemin de ronde extérieur C,
on arrive au jeu du pont-levis situé au-dessus du hourd protégeant la
porte.
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.7.png|center]]
<div class="text">
Faisant une coupe sur l'axe de la porte, c'est-à-dire sur la ligne <i>ac</i>
de la dernière figure, on obtient la figure 13.
 
Cette figure indique les principales dispositions de cet ouvrage. A est
le sol de la ville. On observera que le sol du passage est
très-incliné vers
l'entrée, afin de donner plus de puissance à une colonne de défenseurs
s'opposant à des assaillants qui auraient pu franchir le pont et soulever
les herses. En B, on voit, en coupe, le couloir souterrain aboutissant à la
poterne de sortie C, laquelle est mise en communication avec les passages
pratiqués à travers les piles du pont. Un pont à bascule, pivotant
en C et muni de contre-poids, permettait, une fois abaissé, de descendre
les degrés D. De ce point il fallait faire manœuvrer un second pont à
bascule, pour franchir les intervalles E, F entre les piles D, G, H. Et ainsi,
soit par des ponts à bascule, soit par des passerelles de planches, que
l'on pouvait enlever facilement, arrivait-on, à travers la tour G du plan
général (fig. 7), jusqu'à la grande barbacane D. Le tablier I du pont
(fig. 13) était interrompu en J et remplacé par un pont-levis, non point
combiné comme ceux de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle et des siècles suivants,
mais composé d'un tablier pivotant en K, de deux arbres L pivotants, et
de deux chaînes passant à travers les mâchicoulis du hourd M; là ces
chaînes se divisaient chacune en deux parties, dont l'une s'enroulait sur un
treuil et l'autre était terminée par des poids. C'était donc du niveau des
hourds N que l'on manœuvrait le pont-levis, c'est-à-dire au-dessus des
mâchicoulis du hourd M. Quant aux deux herses, on les manœuvrait par
un treuil unique; les chaînes enroulées en sens inverse sur ce treuil permettaient,
au moyen d'un mécanisme très-simple, de lever l'une des deux
herses avant l'autre, mais jamais ensemble. Il suffisait pour cela, quand
les herses étaient abaissées, et ne tiraient plus sur le treuil par conséquent,
de décrocher les chaînes de la herse qu'on ne voulait pas lever,
et de manœuvrer le treuil, soit dans un sens, soit dans l'autre. L'une des
herses levée, on la calait, on décrochait ses chaînes, on rattachait celles
de la seconde, et l'on manœuvrait le treuil dans l'autre sens. Il n'est pas
besoin de dire que des contre-poids facilitaient comme toujours le
levage. Pour baisser les herses, on raccrochait les chaînes, et on laissait
aller doucement sur le treuil l'une des herses, puis l'autre. L'obligation
absolue de ne lever qu'une des deux herses à la fois était une sécurité
de plus, et nous n'avons vu ce système adopté que dans cet ouvrage.
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.6.png|center]]
<div class="text">
Mais il est nécessaire d'examiner en détail le mécanisme des ponts et
des herses.
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.5.png|center]]
<div class="text">
En A (fig. 14), nous donnons le plan de la chambre de levage des
herses au niveau <i>a</i> de la coupe, et en B, le plan de la
plate-forme de
levage du pont, au niveau <i>b</i> de la même coupe. On observera d'abord
que l'intervalle qui sépare les deux tours, et qui couvre l'entrée, donne
en plan une portion de cercle. Deux consoles <i>c</i> forment saillie sur cette
portion de cylindre et portaient un hourd de bois <i>d</i>, dont il existe en
place des fragments. Ce hourd était posé sur deux pièces de bois
horizontales <i>e</i>, et consistait en un empilage d'épais madriers courbes figurés
en E dans la coupe. De chaque côté, sur les flancs des tours, étaient
fixées deux poulies F destinées à diriger les deux chaînes du pont et à
les empêcher de frotter, soit contre le hourd, soit contre la maçonnerie.
Au-dessus de ces poulies, en G, les chaînes se partageaient en deux branches:
l'une, celle H, allait s'enrouler sur le treuil T, au moyen de la
poulie de renvoi <i>h</i>; l'autre, celle I, était tendue par un contre-poids K.
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.4.png|center]]
<div class="text">
En appuyant sur le treuil de <i>f</i>en <i>g</i>, on enroulait la chaîne et l'on soulevait
le pont. Cette manœuvre était facilitée par les contre-poids K.
Lorsque
ce contre-poids était descendu en <i>l</i>, le pont était complètement
relevé. Pour l'abaisser, on appuyait sur le treuil en sens inverse. Sur le
plan B est indiquée la position du treuil, et par des lignes ponctuées la
projection horizontale des chaînes; la ferme de charpente M étant posée
en <i>m</i> sur ce plan. Un deuxième mâchicoulis existait en <i>p</i>. Pour manœuvrer
les deux herses, il était posé à droite et à gauche deux solives
jumelles <i>n</i> (voy. le plan B) sur les traverses <i>q</i> (voy. la coupe), reposant
elles-mêmes sur les deux épaulements <i>s</i> (voy. le plan A). Ces solives
jumelles recevaient chacune deux poulies doubles <i>t t'</i> destinées à recevoir,
celle <i>t</i>, les deux chaînes de levage et de contre-poids de la herse
extérieure; celle <i>t'</i>, les deux chaînes de levage et de
contre-poids de la
herse intérieure. La coupe fait voir le treuil V, avec la chaîne de levage
de la herse intérieure accrochée et la herse O levée, son contre-poids
étant par conséquent descendu; la chaîne de levage de la herse
extérieure
décrochée, celle-ci abaissée et son contre-poids R à son point
supérieur, les deux chaînes de levage s'enroulaient sur le treuil en X
(voy. le plan A), et les manivelles étaient fixées en Y. Aujourd'hui la
construction étant conservée jusqu'au niveau N, les scellements, les
corbeaux sont visibles, et pour la partie supérieure nous avons retrouvé
les fragments qui en indiquent suffisamment les détails.
 
Il n'y a rien, dans ce mécanisme, qui ne soit très-primitif; mais ce
qu'il est important de remarquer ici, ce sont les dispositions si parfaitement
appropriées au besoin, et conservant par cela même un aspect
monumental, qui certes n'a point été cherché. Il est évident que les
architectes auteurs de pareils ouvrages étaient des gens subtils et réfléchissant
mûrement à ce qu'ils avaient à faire. Sur tous les points, les
passages, les issues, sont disposés exactement en vue du service de la
défense, n'ont que les largeurs et hauteurs nécessaires, et l'architecture
n'est bien ici que l'expression exacte du programme. Cependant, à
l'extérieur, l'aspect de cette défense est imposant, et rappelle sous une
autre forme ces belles constructions antiques des populations
primitives.
 
La figure 15 donne l'élévation extérieure de la porte de Laon, à Coucy,
les ponts étant supposés abattus et les herses levées. Les hourds de bois
de cet ouvrage étaient évidemment permanents et portés sur des
consoles
de pierre, comme ceux du donjon du château.
 
Toute la maçonnerie est élevée en assises de pierres calcaires du
bassin
de l'Aisne, d'une excellente qualité. Parementées grossièrement, ces
assises sont séparées par des joints de mortier épais, et l'aspect rude de
ces parements ajoute encore à l'effet de cette structure grandiose. Quand
on compare ces ouvrages de Coucy, le donjon, le château, la porte de
Laon, les remparts et les tours, aux travaux analogues élevés vers la même
époque en Italie, en Allemagne et en Angleterre, c'est alors qu'on peut
reconnaître chez nous la main d'un peuple puissant, doué d'une sève et
d'une énergie rares, et qu'on se demande, non sans quelque tristesse,
comment il se fait que ces belles et nobles qualités soient méconnues, et
qu'un esprit étroit et exclusif ait pu parvenir à répudier de pareilles
œuvres en les rejetant dans les limbes de la barbarie?
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.3.png|center]]
<div class="text">
Une coupe transversale, faite sur l'axe des tours, sur les passages
ouverts sur le mâchicoulis et sur la chambre du levage des herses (fig. 16),
montre l'intérieur des salles circulaires de ces tours, les passages A sur
le chemin de ronde des courtines, la coupe B des hourds et tout le système
de la défense à l'intérieur.
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.2.png|center]]
<div class="text">
Une dernière figure complétera cet ensemble, sur lequel on pourrait
publier un volume: c'est l'élévation de la face intérieure de la porte
du côté de la ville (fig. 17). L'arcade large, à doubles claveaux, qui donne
entrée dans le passage, est d'un effet grandiose. La grande salle du
premier étage est bien accusée par ces cinq fenêtres carrées à meneaux,
et les deux échauguettes d'angle épaulent de la façon la plus heureuse
cette structure si simple.
</div>
[[Image:Porte.Laon.Coucy.png|center]]
<div class="text">
Cette façade, crénelée à son sommet, fait assez voir que les portes des
places bien défendues pouvaient à la rigueur tenir lieu de petites citadelles
et se défendre au besoin contre les citoyens qui eussent voulu capituler
malgré la garnison. Alors la porte est toujours un poste isolé, commandé
par un chef sûr, et pouvant encore résister en cas de trahison ou d'escalade
du rempart. Nous faisons ressortir, à l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]],
l'importance de ces postes isolés dans le système défensif du moyen âge,
et il ne paraît pas nécessaire de revenir ici sur ce sujet.
 
Laissant de côté, pour le moment, des ouvrages d'une moindre
importance,
mais de la même époque, c'est-à-dire du commencement du
XIII<sup>e</sup> siècle, nous allons examiner comment, dans l'espace d'un siècle,
ces dispositions avaient pu être modifiées dans la construction de portes
d'une force semblable.
 
Sur le flanc oriental de la cité de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]], il existe une porte
défendue d'une manière formidable, et désignée sous le nom de porte
Narbonnaise<span id="note13"></span>[[#footnote13|<sup>13</sup>]]. Cette porte et tout l'ouvrage qui s'y rattache avaient été
bâtis par Philippe le Hardi, vers 1285, lorsque ce prince était en guerre
avec le roi d'Aragon.
 
<span id=Carcassonne3>Nous présentons (fig. 18) le plan général de cette entrée, avec sa
barbacane et ses défenses environnantes<span id="note14"></span>[[#footnote14|<sup>14</sup>]]. La porte Narbonnaise,
indiquée
en E, n'est pas munie d'un pont-levis; elle s'ouvre sur le dehors
de plain-pied, suivant une pente assez roide de l'extérieur à l'intérieur
et d'après la méthode défensive de ces ouvrages. Les ponts mobiles
n'existaient qu'en B, sur des piles traversant un large fossé en dehors
de la barbacane A. L'arrivant, ayant traversé ce pont, se présentait
obliquement devant la première entrée C de la barbacane, fermée
seulement
par des vantaux. Cette entrée C était flanquée par un redan D
de l'enceinte extérieure, qui la commandait complétement. Un autre
redan L,
avec forte échauguette sur le rempart intérieur, commandait en
outre, à portée d'arbalète, cette entrée C<span id="note15"></span>[[#footnote15|<sup>15</sup>]]. Se détournant vers sa gauche,
l'arrivant se trouvait en face de la porte Narbonnaise, défendue par une
chaîne, un mâchicoulis, une herse, des vantaux, un grand mâchicoulis
intérieur G, un troisième mâchicoulis I, une seconde herse et une porte
de bois. Deux meurtrières H sont percées sur le passage entre les deux
herses, et dépendent de deux salles à rez-de-chaussée F, dans lesquelles
on entre par les portes V. Ces salles sont encore percées chacune de
cinq meurtrières. La partie attaquable des tours de la porte est renforcée
par des éperons ou becs N, percés chacun d'une meurtrière O. Nous
avons expliqué ailleurs<span id="note16"></span>[[#footnote16|<sup>16</sup>]] la destination spéciale de ces éperons ou becs.
Ils obligeaient l'assaillant à s'éloigner de la tangente, et le plaçaient
sous les traits des assiégés. Ils rendaient nulle l'action du bélier sur le
seul point où l'assiégeant pouvait le faire agir avec succès. Percer la
pointe de ces becs par des meurtrières au ras du sol extérieur, était
encore un moyen d'empêcher l'attaque rapprochée.
</div>
[[Image:Porte.Narbonnaise.Carcassonne.7.png|center]]
<div class="text">
Des salles F, on prenait deux escaliers à vis qui montaient au premier
étage, d'où se faisait la manœuvre des herses. Sous ces salles sont pratiqués
de beaux caveaux pour les provisions.
 
Des palissades de bois P empêchaient le libre parcours des lices entre
les remparts extérieur et intérieur, et ne permettaient pas d'approcher
du pied des courtines intérieures en M et en K. Les rondes seules
pouvaient
passer par les barrières N, afin de faire leur service de nuit. Une
énorme tour, indiquée au bas de notre figure, et dite tour du
Trésau<span id="note17"></span>[[#footnote17|<sup>17</sup>]],
commandait ces lices, et servait encore d'appui à la porte Narbonnaise
en battant les dehors par-dessus l'enceinte extérieure.
 
La figure 19 donne le plan du premier étage de la porte Narbonnaise.
Les deux escaliers à vis que nous avons vus indiqués à rez-de-chaussée
débouchent dans les deux salles A. Ces deux salles, voûtées comme celles
du rez-de-chaussée, possèdent une cheminée C chacune, avec four. De
ces deux salles on peut sortir par les deux portes B, sur le chemin de
ronde D, s'élevant jusqu'au niveau des coursières E des courtines, par de
grands emmarchements. Par les deux passages G on entre de plain-pied
dans la salle centrale F, au milieu de laquelle s'ouvre le grand mâchicoulis
carré I. En supposant que les assaillants aient pu pénétrer jusqu'à
la seconde herse, en forçant les premiers obstacles, on pouvait les
accabler de projectiles et de matières enflammées; les défenseurs chargés
de cet office se tenaient en arrière dans les deux réduits K, et étaient
ainsi parfaitement à l'abri des traits qui auraient pu être lancés par les
ennemis, ou soustraits à la fumée et aux flammes des matières
accumulées
dans le passage. Par les deux couloirs détournés L, les assiégés
se rendaient au côté du mâchicoulis antérieur M. De cette salle F, on
manœuvrait la première herse N et l'on servait le troisième
mâchicoulis O.
En continuant à monter les escaliers H, au-dessus du premier étage, on ne
débouche nulle part et l'on arrive à un précipice; de telle sorte que des
assaillants ayant pu pénétrer dans ces escaliers à rez-de-chaussée, trouvant
les portes fermées et barrées au premier étage et continuant à
gravir les degrés comme pour atteindre l'étage supérieur, se trouvaient
pris dans une véritable souricière. Pour monter au deuxième étage, celui
de la défense, il faut traverser les salles A, et aller chercher les escaliers
à vis R qui seuls montent aux crénelages. Pour servir la seconde herse,
il fallait franchir les portes B et se rendre sur la plate-forme P.
Les
servants de cette seconde herse recevaient des ordres du dedans par une
petite fenêtre percée au-dessus des mâchicoulis O. Les deux salles A
sont percées, sur les dehors, l'une de trois meurtrières, l'autre de quatre,
et éclairées du côté de la ville par deux fenêtres. Cette description
fait assez connaître le soin minutieux apporté dans l'établissement de
cette porte. Mais la coupe longitudinale faite sur <i>ab</i>, que nous présentons
(fig. 20), rendra encore cette description plus claire.
</div>
[[Image:Porte.Narbonnaise.Carcassonne.6.png|center]]
<div class="text">
Cette coupe nous montre en A la chaîne suspendue d'un côté de la
porte à un anneau scellé au flanc de la tour, passant dans l'autre tour
par un orifice et retenue par une barre à l'intérieur, lorsqu'on voulait
la tendre. La chaîne était un obstacle que l'on apportait en temps ordinaire,
lorsque les herses étaient levées et les vantaux ouverts, à une
troupe de cavalerie qui aurait voulu se jeter dans la ville. Même en
temps de paix on craignait et l'on avait lieu de craindre les surprises. En
H, est le premier mâchicoulis percé en avant de la herse et figuré dans
le plan du premier étage en M. En C, coule la première herse, servie
dans la chambre carrée centrale. En D, est la première porte de bois, à
un vantail, ferrée, barrée, ainsi que le fait voir la figure. En E, la meurtrière
commandant le passage, et au-dessus le grand mâchicoulis carré,
central, avec l'un des réduits décrits dans la figure précédente. En F, le
troisième mâchicoulis percé en avant de la deuxième herse; en G, cette
seconde herse, manœuvrée du dehors et abritée par un auvent P. Enfin
en H, les derniers vantaux. De la salle du deuxième étage, par l'œil I,
on pouvait commander la manœuvre des herses; car il ne faut pas
oublier que le commandement se faisait toujours du haut. Un
formidable
système de mâchicoulis doubles en bois et de hourds, défendait
en outre, en temps de guerre, les approches de la porte. Les scellements
de cet ouvrage de charpenterie sont aujourd'hui parfaitement visibles.
En cas de siège, on établissait donc en avant du mâchicoulis H un
double hourdage, avec premier mâchicoulis K et second mâchicoulis L.
Ce double hourd était couvert et crénelé d'archères. Il formait un auvent
au-dessus d'une niche dans laquelle est placée une fort jolie statue de la
sainte Vierge. On ne pouvait descendre dans ce double hourd que par la
haie N et des échelles; de telle sorte que si ces hourds étaient pris par
escalade, ou brûlés, l'assaillant n'était pas pour cela maître de la
défense. Dans la partie supérieure, nous avons figuré les hourds posés.
Toute la défense active s'organisait à l'étage supérieur M, l'étage O ne
servant que de dépôt et de salle de réunion pour la garnison. Cette
salle O est largement éclairée par de belles fenêtres<span id="note18"></span>[[#footnote18|<sup>18</sup>]] du côté de la ville.
Nous donnons (fig. 21) le plan de l'étage M supérieur, dont le plancher
était de bois. En WN, sont les chemins de ronde de la défense, et en X
une partie des hourds en place<span id="note19"></span>[[#footnote19|<sup>19</sup>]].
</div>
[[Image:Porte.Narbonnaise.Carcassonne.5.png|center]]
<div class="text">
La figure 22 présente l'élévation extérieure de la porte Narbonnaise,
avec son grand hourdage de bois au-dessus de l'entrée et les hourds de
couronnement posés sur la tour et la courtine de droite. La tour de
gauche est présentée avec ses créneaux à volets, en temps de paix<span id="note20"></span>[[#footnote20|<sup>20</sup>]].
Toute
la maçonnerie de cet ouvrage est entièrement élevée en belles pierres
de grès, gris verdâtre, d'une bonne qualité. Les assises sont ciselées sur
les arêtes des lits et joints avec bossage brut sur la face; les lits, très-bien
dressés et posés sur couche de mortier excellent, ont 0<sup>m</sup>,01
d'épaisseur
en moyenne. L'aspect extérieur et intérieur de cette porte est des plus
imposants et les salles intérieures admirablement construites avec beaux
parements layés. Il ne manquait à cette construction, pour être
complète,
que les combles, qui ont été rétablis depuis peu, sous la direction
de la commission des monuments historiques<span id="note21"></span>[[#footnote21|<sup>21</sup>]].
</div>
[[Image:Porte.Narbonnaise.Carcassonne.4.png|center]]
<div class="text">
Avant de quitter cet édifice si remarquable à tous égards, il est nécessaire
de rendre compte du jeu des herses, parfaitement visible encore.
</div>
[[Image:Porte.Narbonnaise.Carcassonne.3.png|center]]
<div class="text">
Nous prenons pour exemple la seconde herse, celle qui est manœuvrée extérieurement sur le chemin de ronde du côté de la ville
(fig. 23). En A, la herse est supposée levée. En <i>a</i>, sont les trous de scellement
des deux jambettes du treuil figuré en <i>a'</i> dans la coupe C. On
voit encore en place les deux gros pitons <i>b</i> dans lesquels était enfilée
une barre de fer ronde qui était destinée à maintenir les
contre-poids
<i>c</i>,
lorsqu'ils étaient abaissés. En outre, deux cales <i>e</i>, figurées en <i>e'</i>, dans la
coupe, et entrant dans deux trous disposés à cet effet, soutenaient la herse
levée. Les scellements des deux pièces de bois <i>f</i> qui étaient destinées à
supporter les poulies sont intacts. Lorsqu'on voulait baisser la herse
(voyez en B), on appuyait un peu sur le treuil de manière à enlever facilement
les cales <i>e</i> et à faire glisser la barrette de fer passant dans les
pitons <i>b</i>; puis on laissait aller, en lâchant, sur les deux manivelles du
treuil. La herse tombée, on décrochait les deux barres de fer <i>g</i>, et on
laissait entrer leurs œils <i>h</i> dans deux goujons de fer encore scellés dans
la muraille. Ainsi devenait-il impossible, du bas, de soulever la herse.
Deux grands crochets de fer scellés en <i>l</i> supportaient une traverse de
bois à laquelle était suspendu l'appentis tracé dans la coupe (fig. 20),
et dans laquelle venaient s'assembler les pièces de charpente <i>f</i>. Les
contre-poids rendaient la manœuvre facile à deux hommes appuyant sur
le treuil. Voulait-on relever la herse, on faisait sortir les œils <i>h</i> des barres
d'arrêt <i>g</i> de leurs goujons, on accrochait ces barres aux mailles de la
chaîne, et l'on appuyait sur le treuil. Cette manœuvre était simple et
rapide. La première herse s'enlevait par les mêmes moyens. Il s'agissait
seulement d'avoir des contre-poids bien équilibrés, de façon à empêcher
la herse de gauchir au levage ou à la descente.
</div>
[[Image:Porte.Narbonnaise.Carcassonne.2.png|center]]
<div class="text">
Il ne paraît pas que cet ouvrage ait jamais été attaqué, et depuis
l'époque de sa construction, l'histoire ne signale aucun siège en règle de
la cité de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]], bien qu'à plusieurs reprises le pays ait été
envahi, soit par les troupes du prince Noir, soit par les troupes de
l'Aragon, soit dans des temps de guerres civiles. C'est qu'en effet, avec
les moyens d'attaque dont on disposait au moyen âge, la cité était une
place imprenable, et la porte Narbonnaise, la seule accessible aux
charrois, eût pu défier toutes les attaques.
 
Lorsqu'on visite cette porte dans tous ses détails, outre la beauté de la
construction, la grandeur des dispositions intérieures, on est émerveillé
du soin apporté par l'architecte dans chaque partie de la défense. Rien
de superflu, aucune forme qui ne soit prescrite par les besoins; tout est
raisonné, étudié, appliqué à l'objet, Nous ne connaissons aucun édifice
qui ait un aspect plus grandiose que cette large façade plate donnant du
côté de la ville. Ce n'est qu'un mur percé de fenêtres et de meurtrières;
mais cela est si bien construit, cela prend un si grand air, qu'on ne peut
se lasser d'admirer, et qu'on se demande si la scrupuleuse observation
des nécessités en architecture n'est pas un des moyens les plus
puissants
de produire de l'effet.
 
Le mode d'attaque des places devait nécessairement influer sur les dispositions
données aux portes fortifiées. Lorsque les armées assiégeantes
n'avaient pas encore adopté des moyens réguliers, méthodiques, pour
s'emparer des places, il est clair que leurs efforts devaient se porter sur
les issues. La première idée qui venait au commandant d'une armée
assiégeante, dans des temps où l'on ne possédait pas des moyens
destructifs
organisés, était naturellement d'entrer dans la place assiégée par
les portes, et de concentrer tous ses moyens d'attaque sur ces points
faibles; aussi, par contre, les assiégés apportaient-ils alors à la défense
de ces portes un soin minutieux, accumulaient-ils sur ces points tous
les obstacles, toutes les ressources que leur suggérait leur esprit subtil.
Cependant, déjà vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle, Philippe-Auguste avait su faire
des sièges réguliers, conduits avec méthode et à l'instar de ce que
faisaient les Romains en pareil cas. Pendant le XIII<sup>e</sup> siècle, quelques
sièges bien conduits indiquent que l'art d'attaquer les places se maintenait
au point où Philippe-Auguste l'avait amené<span id="note22"></span>[[#footnote22|<sup>22</sup>]]; mais les progrès
sont peu sensibles, tandis que l'art de la défense se perfectionne d'une
manière remarquable. À la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, la défense des places avait
acquis une supériorité évidente sur l'attaque, et lorsque les places sont
bien munies, bien fortifiées, elles ne peuvent être réduites que par un
blocus étroit. Mais dès le commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, les engins
s'étant très-perfectionnés, les armées agissant avec plus de méthode et
d'ensemble, on voit apparaître dans l'art de la fortification des modifications
importantes. D'abord les ouvrages de bois, qui occupent une si
large place dans les forteresses jusqu'alors, disparaissent; et en effet, à
l'aide d'engins puissants, surtout après l'expérience acquise en Orient
pendant les dernières croisades, on mettait le feu à ces hourds, si bien
garnis qu'ils fussent de peaux fraîches ou de feutres mouillés. On
renonça donc d'abord aux hourds de bois mobiles, établis seulement en
temps de guerre, et on les remplaça par des hourds de pierre, des
mâchicoulis<span id="note23"></span>[[#footnote23|<sup>23</sup>]].
Puis les perfectionnements apportés dans l'attaque étaient
assez notables pour qu'on ne s'attachât plus à forcer les portes; on pratiquait
des galeries de mine, on affouillait les fondations des tours, on
les étançonnait avec du bois, et en mettant le feu à ces soutiens, on
faisait tomber des ouvrages entiers. On possédait des engins destructifs
assez puissants pour battre en brèche des points saillants, ou pour jeter
dans une place une si grande quantité de projectiles de toutes sortes, des
matières enflammées, infectantes, qu'on la rendait inhabitable. Dès lors
la défense des portes prenait moins d'importance. Il ne s'agissait plus
que de les mettre à l'abri d'un coup de main, de les bien flanquer et de
leur donner assez de largeur pour qu'une troupe pût rentrer facilement
après, une sortie, ou prendre l'offensive en cas d'un échec essuyé par
l'assiégeant.
 
Ces portes étroites et basses des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, si prodigieusement
garnies d'obstacles, prennent de l'ampleur; les petites chicanes
accumulées
sous leurs passages disparaissent, mais en revanche les flanquements
et les ouvrages avancés sont mieux et plus largement conçus; les
défenses extérieures deviennent parfois ce qu'on appelait alors des bastilles,
c'est-à-dire de véritables forteresses à cheval sur un passage.
</div>
[[Image:Porte.Villeneuve.lez.Avignon.3.png|center]]
<div class="text">
Philippe le Bel fit élever, pendant les dernières années du XIII<sup>e</sup> siècle,
en face d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Avignon|Avignon]] , une citadelle importante<span id="note24"></span>[[#footnote24|<sup>24</sup>]], ouverte par une seule
porte, du côté accessible, c'est-à-dire au midi, en face de la petite ville
de Villeneuve-lez-Avignon. Cette porte est flanquée de deux grosses
tours couronnées de mâchicoulis. Son ouverture, au point le plus étroit,
est de 4<sup>m</sup>,20, largeur inusitée pour les portes des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles.
Nous en donnons le plan à rez-de-chaussée (fig. 24). Entre deux arcs
en tiers-point, coule une première herse A, derrière laquelle, en B, roulait
une porte à deux vantaux. En C, est un mâchicoulis, devant la
seconde herse D, derrière laquelle également était suspendue une seconde
porte à double vantail. Les mâchicoulis de couronnement défendent la
première herse. On pénètre dans les deux tours par les portes E, fermées
par des vantaux à coulisse, manœuvrés des salles du premier étage.
Les deux herses A et D se manœuvraient d'une salle voûtée située directement
au-dessus du passage; deux escaliers à vis montent du rez-de-chaussée aux salles du premier et à la plate-forme supérieure, qui est
dallée sur voûtes. Sur cette plate-forme, au-dessus de la salle de
manœuvre des herses, s'élève un châtelet carré voûté en berceau, sur la
plate-forme dallée duquel on arrivait par une échelle de meunier
passant
par une trappe ménagée au centre du berceau. Dans cette construction tout ouvrage de charpenterie avait été exclu, afin de soustraire cette
défense aux chances d'incendie. La construction est traitée avec un soin
extrême; élevée en excellente pierre de Villeneuve, par assises réglées
de 0<sup>m</sup>,27 de hauteur, elle n'a subi aucune altération. Les voûtes sont
faites avec la plus grande perfection, épaisses, bien garnies dans les
reins par une maçonnerie excellente. Les deux escaliers à vis donnent
dans des chambres, cachots et latrines, placés dans les épaulements qui
réunissent ces tours aux deux courtines voisines. Sur le flanc de l'épaulement
de gauche, on voit l'une de ces descentes de latrines, tombant
sur les dehors. Un pont-levis, d'une époque plus récente, avait été disposé
en avant de la première herse. Les abords de cette porte étaient
primitivement défendus par un ouvrage avancé, sorte de barbacane qui
est représentée dans la figure 25, donnant l'élévation extérieure de la
porte de Villeneuve-lez-Avignon. Cette élévation fait voir, au centre, le
châtelet carré qui surmonte la plate-forme et les couronnements
</div>
[[Image:Porte.Villeneuve.lez.Avignon.2.png|center]]
<div class="text">
crénelés
des escaliers à vis qui, à droite et à gauche, servaient de guette et
complétaient la défense des deux pans coupés. Le châtelet, par sa
position
dominante, commandait les abords et pouvait recevoir un ou deux
engins à longue portée. Des engins, pierriers, mangonneaux, pouvaient
également être dressés sur les plates-formes dallées des tours. Par la
suppression des combles en charpente on évitait donc les incendies, et
l'on rendait, par l'installation des machines de jet, les approches plus
difficiles; car ces engins remplissaient alors l'office de nos pièces de
rempart. Tout porte à croire que les deux pans coupés qui unissent les
tours aux courtines étaient principalement destinés à recevoir de ces
formidables machines qui, dans cette position, battaient les assaillants
qui eussent voulu s'approcher de la porte par les flancs des deux tours.
C'était ainsi, en effet, qu'on attaquait les portes pendant les sièges,
depuis le XII<sup>e</sup> siècle. Les assiégeants se gardaient de se présenter en face
de ces portes, toujours munies sur leur front. Ils formaient leur attaque,
suivant une ligne oblique, en se couvrant par des mantelets, des
épaulements
et des galeries de bois, contre les projectiles des courtines;
laissant les barbacanes dont ils occupaient les défenseurs par des
attaques rapprochées, ils les prenaient latéralement, et arrivaient ainsi
à la base des tours des portes, au point le plus difficile à
défendre<span id="note25"></span>[[#footnote25|<sup>25</sup>]].
C'était en prévision de ce genre d'attaque que les constructeurs
militaires
faisaient ces becs saillants, ces éperons renforçant les tours des
portes au point attaquable et obligeant l'assaillant à s'éloigner de la
tangente; mais dès l'instant que l'on pouvait munir les couronnements
des tours de machines de jet à longue portée, ce moyen de défense
rapprochée devenait superflu.
</div>
[[Image:Porte.Villeneuve.lez.Avignon.png|center]]
<div class="text">
Une coupe faite suivant l'axe du passage de la porte de
Villeneuve-lez-Avignon
(fig. 26), complétera l'intelligence de ce bel ouvrage d'un
aspect vraiment imposant. Cette coupe B indique la coulisse de la
première
herse en C, les premiers vantaux en <i>f</i>, la coulisse de la seconde
herse en D et les seconds vantaux en <i>e</i>. On observera que, conformément
à l'usage admis, autant que la configuration du terrain le permettait,
le sol du passage s'élève de l'extérieur à l'intérieur. Au-dessus du
passage, se voit la chambre de manœuvre des deux herses, et au-dessus
de cette salle le châtelet supérieur, surmonté d'un engin à longue portée.
Devant la seconde herse D, s'ouvre un mâchicoulis. La figure A donne la
coupe transversale du passage fait sur <i>ab</i> en regardant du côté de l'entrée.
En E, sont encore scellés les trois anneaux de fer, de 0<sup>m</sup>,25 de diamètre,
qui servaient à suspendre les poulies nécessaires à la manœuvre des
chaînes de la première herse.
 
Mais la place de Villeneuve-lez-Avignon est située sur une colline de
roches abruptes, et sa porte s'ouvre en face d'un contre-fort descendant
vers la plaine. Dans une pareille situation, il n'est besoin ni de fossés,
ni d'ouvrages avancés très-forts, car l'assiette du lieu offre déjà un
obstacle difficile à vaincre. La circulation des allants et venants se borne
à des sorties et à des rentrées d'une garnison. La porte que nous venons
de présenter ci-dessus est donc plutôt l'entrée d'un château que d'une
ville populeuse et dont les issues doivent être laissées libres tout le jour.
Les portes de la ville d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Avignon|Avignon]] étaient bien, au XIV<sup>e</sup> siècle, des ouvrages
disposés pour une cité fortifiée, mais contenant une population
nombreuse
et active.
 
<span id="Avignon11">Les remparts d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Avignon|Avignon]] furent élevés de 1348 à 1364. Ils étaient percés,
soit du côté du Rhône, soit du côté de la plaine, de plusieurs portes,
parmi lesquelles nous choisirons la porte Saint-Lazare, l'une des mieux
conservées et sur laquelle nous possédons des documents complets<span id="note26"></span>[[#footnote26|<sup>26</sup>]].
 
La porte Saint-Lazare d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Avignon|Avignon]] fut détruite, ou du moins fort
endommagée par une inondation formidable de la Durance en 1358.
Elle fut reconstruite sous Urbain V, vers 1364, avec toute la partie des
remparts qui s'étend de cette porte au rocher des Doms, par l'un des
architectes du palais des Papes, Pierre Obreri, si l'on en croit la
tradition.
 
Voici (fig. 27) le plan général de cette porte, avec le châtelet qui la
couvrait. Il ne reste plus aujourd'hui de ces constructions que la porte
A et les soubassements d'une partie du châtelet, mais des dessins
complets
des ouvrages avancés nous sont conservés<span id="note27"></span>[[#footnote27|<sup>27</sup>]].
 
Les arrivants se présentaient par une voie B sur le flanc du châtelet;
ils devaient franchir un premier pont-levis C, traverser l'esplanade du
châtelet diagonalement, se faire ouvrir une barrière D; passer sur un
second pont-levis E, entrer dans un ouvrage avancé F fermé par le pont-levis
et défendu par deux échauguettes avec mâchicoulis; se présenter
devant la porte protégée par une ligne de mâchicoulis supérieurs, par
une herse et par un second mâchicoulis percé devant les vantaux. Le
châtelet était complétement entouré par un fossé G rempli d'eau, de
même que le grand fossé H protégeait les remparts. Ces fossés étaient
alimentés par les cours d'eau naturels qui cernent la ville sur toute
l'étendue des murailles ne faisant pas face au Rhône.
</div>
[[Image:Porte.Saint.Lazare.Avignon.4.png|center]]
<div class="text">
Trois tours peu élevées flanquaient le châtelet. On montait à l'étage
supérieur de ces tours et aux crénelages des courtines par les escaliers K.
Une vue cavalière (fig. 28), prise du point X de notre plan, fera saisir
l'ensemble de cette porte avec ses défenses antérieures.
</div>
[[Image:Porte.Saint.Lazare.Avignon.3.png|center]]
<div class="text">
Les trois tours du châtelet étaient voûtées et couvertes par des plates-formes
dallées à la hauteur du crénelage.
 
Il est facile de voir que le châtelet était ouvert à la gorge et commandé
par l'avant-porte, de même que cette avant-porte était commandée
par la tour carrée couronnant la dernière entrée. Cet ouvrage était donc
déjà construit suivant cette règle de fortification, que ce qui défend doit
être défendu.
</div>
[[Image:Porte.Saint.Lazare.Avignon.2.png|center]]
<div class="text">
La coupe longitudinale faite sur la porte A du plan et l'avant-porte
(fig. 29) fait saisir les détails de cette défense. En B, est le
pont-levis
abaissé; en C, la porte qui conduit par un degré pris dans l'épaisseur de
la muraille au crénelage de l'avant-porte; en D, la coulisse de la herse;
en G, le mâchicoulis qui protège les vantaux H; en I, le passage couvert
par un plancher. La herse se manœuvrait du palier K, auquel on montait
par un escalier L posé sur la saillie du mur inférieur; car il faut noter
que le mur supérieur M est beaucoup moins épais que le mur du
rez-de-chaussée. Cet escalier L servait d'ailleurs à dégager l'escalier
marqué I sur le plan général, et qui aboutissait en retour à côté de
l'arcade plein cintre portant le jeu de la herse. Du palier K, en prenant
un escalier de bois, on montait à l'étage supérieur sous la couverture, et
l'on entrait sur le chemin de ronde du crénelage par la porte P ménagée
dans un tambour de pierre posé à l'angle du crénelage. Chacune des
portes des remparts d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Avignon|Avignon]] était munie d'une cloche, afin de pouvoir
prévenir les défenseurs ou les habitants en cas d'attaque ou de surprise.
Si nous faisons une section transversale sur la ligne <i>ab</i> de la figure 29 et
du plan général, en regardant l'entrée de l'avant-porte, nous obtenons le
tracé S. Le pont-levis étant relevé, son tablier fermait l'issue T, et ses
bras, passant à travers les deux rainures V, ainsi qu'il est marqué en V'
sur la coupe longitudinale, ne gênaient nullement la défense. Le créneau
milieu, ses deux meurtrières, restaient libres, et les deux échauguettes
latérales J flanquaient la porte. De la salle du premier étage de la tour
on passait sur les chemins de ronde des courtines par les portes N. Du
côté de la ville, un simple pan de bois Y percé de baies fermait les étages
supérieurs de la tour.
 
La figure 30 donne, en A, la face de l'ouvrage avec l'avant-porte, et
en B, la face de la tour, en faisant une section sur l'ouvrage avancé.
</div>
[[Image:Porte.Saint.Lazare.Avignon.png|center]]
<div class="text">
La porte Saint-Lazare d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Avignon|Avignon]] est remarquable déjà par la simplicité
des constructions. Ici on ne voit plus cette accumulation d'obstacles
dont la disposition compliquée devait souvent embarrasser les défenseurs.
Les portes d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Avignon|Avignon]] ne sont pas, il est vrai, très-fortes, mais elles ont
bien le caractère qui convient à l'enceinte d'une grande ville. La porte
Saint-Lazare, avec son boulevard ou barbacane extérieure, protégeait
efficacement un corps de troupes voulant tenter une sortie ou étant
obligé de battre en retraite. On pouvait, sur l'esplanade du boulevard,
masser facilement cinq cents hommes, protéger leur sortie au moyen des
flanquements que fournissaient les tours; et eussent-ils été repoussés,
ils trouvaient dans cette enceinte un refuge assuré, sans que le désordre
d'une retraite précipitée pût compromettre la défense principale,
celle de la porte tenant aux courtines. Enfin, le boulevard fût-il tombé
aux mains de l'assiégeant, les défenses étant ouvertes complétement du
côté de la ville, les assiégés, au moyen surtout de l'avant-porte crénelée,
pouvaient contraindre l'assaillant à se renfermer dans les trois tours
rondes et à laisser l'esplanade et les courtines libres, ce qui facilitait un
retour agressif.
 
La disposition des portes ouvertes à travers une simple tour carrée,
sans flanquements, appartient plus particulièrement à la Provence. Il
existait à Orange, à Marseille, et il existe encore à Carpentras, à Aigues-Mortes,
des portes de la fin du XIII<sup>e</sup> et du commencement du XIV<sup>e</sup> siècle,
percées à travers des tours carrées sans échauguettes ou tourelles flanquantes;
tandis que les ouvrages de ce genre qui appartiennent au
domaine royal sont, sauf de très-rares exceptions, munis de tours
rondes ou de flanquements prononcés.
 
La petite ville de Villeneuve-sur-Yonne possède encore une très-jolie
porte du commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, qui, par la disposition de ses
flanquements, mérite d'être signalée entre beaucoup d'autres.
 
Cette porte, modifiée au XVI<sup>e</sup> siècle, dans sa partie supérieure, par de
nouvelles toitures, laisse cependant voir toutes ses dispositions primitives.
La figure 31 en donne le plan.
</div>
[[Image:Porte.Villeneuve.sur.Yonne.3.png|center]]
<div class="text">
En A, était un pont-levis flanqué par deux tourelles angulaires formant
éperons et pleines dans leur partie inférieure. En B, était un large mâchicoulis,
bouché aujourd'hui, qui protégeait la première herse C. Des
vantaux de bois fermaient le passage en E. En G, est la seconde herse
précédée d'un second mâchicoulis, et en I une seconde paire de
vantaux.
On montait aux étages supérieurs de la porte et aux courtines par
les deux escaliers extérieurs H. En P, se présentaient obliquement, à
l'extérieur, deux grands mâchicoulis qui battaient le pont-levis et à
travers lesquels passaient les chaînes servant à enlever le tablier. Le
tracé M donne le plan de la partie supérieure de la porte. On voit
les deux échauguettes flanquantes crénelées qui commandent le pont et
les dehors; en N, les deux mâchicoulis obliques à travers lesquels passent
les chaînes O du pont-levis; en S, le treuil servant à manœuvrer les
chaînes; en T, la défense supérieure dominant tout l'ouvrage.
</div>
[[Image:Porte.Villeneuve.sur.Yonne.2.png|center]]
<div class="text">
La figure 32 présente l'élévation extérieure de la porte de Villeneuve-sur-Yonne.
Cette élévation fait saisir la double fonction des mâchicoulis
obliques. Toute cette construction est élevée en cailloux de meulière
avec chaînes de pierre aux angles. Elle est bien traitée et les mortiers en
sont excellents. C'est peut-être à la bonté de cette construction et au
peu de valeur des matériaux que nous devons sa conservation.
 
Une coupe longitudinale faite sur la partie antérieure de la porte
(fig. 33) fait voir la manœuvre du pont-levis et son mécanisme. Des
contre-poids, suspendus en arrière des deux longrines du tablier, facilitaient
son relèvement, lorsqu'on appuyait sur le treuil T. La première
herse abaissée, le mâchicoulis qui la protège était ouvert aux défenseurs.
Dans cet exemple, comme dans tous ceux précédemment donnés, la
défense n'agit que du sommet de la porte, et par la disposition des
échauguettes et des grands mâchicoulis obliques, le fossé ainsi que les
abords du pont pouvaient être couverts de projectiles.
</div>
[[Image:Porte.Villeneuve.sur.Yonne.png|center]]
<div class="text">
On comprend qu'un pareil ouvrage, si peu étendu qu'il soit, devait
être très-fort. D'ailleurs les courtines avaient un grand relief, et étaient
renforcées sur le front opposé à la rivière par un gros donjon cylindrique
qui existe encore. Toute l'enceinte de cette petite ville, si gracieusement
plantée sur les bords de l'Yonne, n'était percée que de quatre portes
semblables, deux sur les fronts d'amont et d'aval, et deux autres, l'une
près du donjon, l'autre en face du pont jeté sur l'Yonne. Six tours
cylindriques plantées aux angles formés par les courtines complétaient
les défenses. Quant au donjon, il est séparé de la courtine, qui s'infléchit
en demi-cercle pour lui faire place, par un fossé. Il ne se reliait au chemin
de ronde que par un pont volant et était percé, vers les dehors,
d'une poterne au niveau de la contrescarpe du fossé.
 
En 1374, le roi Charles V fit refaire l'enceinte de Paris sur la rive gauche,
en reculant les murs fort au delà des limites établies sous
Philippe-Auguste.
Cette nouvelle enceinte suivait à peu près la ligne actuelle des
boulevards intérieurs et était percée de six portes, qui étaient, en partant
d'amont, les portes Saint-Antoine, du Temple, Saint-Martin,
Saint-Denis,
Montmartre, Saint-Honoré. La plupart de ces portes étaient établies
sur plan carré ou barlong avec tourelles flanquantes. L'une des plus
importantes, et dont il nous reste des gravures, était la porte
Saint-Denis<span id="note28"></span>[[#footnote28|<sup>28</sup>]]. «Nos roys, dit Du Breul<span id="note29"></span>[[#footnote29|<sup>29</sup>]], faisans leurs premières entrées dans
Paris, entrent par cette porte, qui est ornée d'un riche
avant-portail,
où se voyent par admiration diverses statues et figures qui sont faictes
et dressées exprès, avec plusieurs vers et sentences pour explications
d'icelles... C'est aussi par cette porte que les corps des défuncts
rois sortent pour être portez en pompes funèbres à Saint-Denys en
France...» La porte Saint-Denis de Paris était bâtie fort en saillie sur
les courtines et formait un véritable châtelet, dans lequel on pouvait faire
loger un corps de troupes. En 1413, le duc de Bourgogne se présenta
devant Paris vers Saint-Denis, dans l'intention, disait-il, de parler au roi;
mais, dit le <i>Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de Charles</i> VI<span id="note30"></span>[[#footnote30|<sup>30</sup>]], «on
lui ferma les portes, et furent murées, comme autreffois avoit esté, avecques
ce très grant foison de gens d'armes les gardoient jour et nuyt...»
 
Et en effet, la plupart de ces portes furent murées plusieurs fois pendant
les guerres des Armagnacs et Bourguignons. Ainsi, à cette époque
encore, au commencement du XV<sup>e</sup> siècle, on ne se fiait pas tellement
aux fermetures ordinaires des portes de villes qu'on ne se crût obligé
de les murer en cas de siège. Il faut dire que ce moyen était particulièrement
adopté lorsqu'on craignait quelque trahison de la part des habitants.
Alors les portes devenaient des bastilles, des forts, permettant de
réunir des postes nombreux sur l'étendue des remparts.
 
Les portes bâties à Paris sous Charles V se prêtaient parfaitement à
ce service, ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant la vue cavalière
que nous donnons de la porte de Saint-Denis (fig. 34). La grande saillie
que présentait cet ouvrage sur les courtines donnait un bon flanquement
pour l'époque, et avait permis l'établissement d'une fausse braie,
avec petit fossé intérieur entre ces courtines et le large fossé qui était
alimenté par des cours d'eau, aujourd'hui en partie perdus sous les
constructions modernes de la ville<span id="note31"></span>[[#footnote31|<sup>31</sup>]].
 
Cette porte fut restaurée ou plutôt modifiée au XVI<sup>e</sup> siècle. Les crénelages
supérieurs furent remplacés par des parapets destinés à recevoir de
l'artillerie. Elle fut démolie sous Louis XIV, pour être remplacée par
l'arc triomphal qui existe encore aujourd'hui et qui se reliait à un système
de courtines et de bastions non revêtus.
 
Notre vue cavalière fait voir la petite cour intérieure, qui était nécessairement
entourée de meurtrières au premier étage, de façon à couvrir
de projectiles les assaillants qui auraient pu forcer le pont-levis. Le premier
étage contenait ainsi des salles sur les quatre côtés de la cour,
pouvant renfermer une assez nombreuse garnison. Deux escaliers pratiqués
dans les tourelles en arrière-corps desservaient ces salles et l'étage
supérieur crénelé, couvert en terrasse. Probablement les arcades latérales
étaient percées de larges mâchicoulis, et dans leurs murs de fond
donnant sur la cour s'ouvraient des meurtrières enfilant l'intervalle
entre la fausse braie et la courtine.
 
En dehors, des barrières et palissades défendaient les approches du
ponceau<span id="note32"></span>[[#footnote32|<sup>32</sup>]], protégé lui-même par un crénelage et deux échauguettes.
Comme tous les ouvrages élevés à Paris pendant le moyen âge, ces
portes étaient bien exécutées en maçonnerie revêtue de pierres de taille,
et possédaient ce caractère grandiose, monumental, qui indiquait la
grande ville.
 
Cette enceinte, percée de belles portes, s'appuyait à l'est sur la Bastille,
construite en même temps, mais achevée seulement au commencement
du règne de Charles VI<span id="note33"></span>[[#footnote33|<sup>33</sup>]].
</div>
[[Image:Porte.Saint.Denis.Paris.png|center]]
<div class="text">
Vers le commencement du XV<sup>e</sup> siècle, l'art de la fortification des
places tendait à se modifier. Du Guesclin avait pris de vive force un si
grand nombre de places sans recourir à la méthode régulière des sièges,
que l'on devait chercher dorénavant à éloigner les assaillants par des
ouvrages avancés étendus, particulièrement en dehors des portes;
ouvrages
qui formaient de larges boulevards quelquefois reliés entre eux
par des caponnières en terre ou de simples palissades. On reconnaissait,
au moment où l'artillerie à feu commençait à jouer un rôle dans
les
sièges, qu'il était important de couvrir les approches des portes par des
terrassements ou des murs épais, peu élevés, commandés par les
courtines
et les tours.<span id=Nevers3>
</div>
[[Image:Porte.du.Croux.Nevers.2.png|center]]
<div class="text">
Il existe encore à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nevers|Nevers]] une belle porte de la fin du XIV<sup>e</sup> siècle ou des
premières années du XV<sup>e</sup>, qui possède les restes très-apparents du grand
ouvrage avancé qui la protégeait. La porte du Croux (c'est ainsi qu'on
la nomme) se compose (fig. 35) d'un boulevard A, avec épaisse muraille
basse B sur les chemins de ronde, de laquelle on montait par un
escalier C, pris dans l'épaisseur d'un mur de contre-garde D, qui flanque
la porte extérieure E, protégée par un fossé F et fermée par un
pont-levis.
Cette première entrée était enfilée par la courtine D'. Un corps
de troupes pouvait être massé dans l'espace A, qui avait à peu près la
forme d'un bastion et qui n'était mis en communication directe avec le
chemin G que par la poterne H. Si l'assaillant parvenait à forcer la première
porte E, il se trouvait pris en flanc par les défenseurs logés en A.
Peut-être existait-il autrefois un pont volant mettant le boulevard A en
communication avec les remparts de la ville. L'espace I n'était qu'une
berge, et en K était creusé le fossé entourant les murs de la place. La
porte L, peu étendue, flanquait les épaisses courtines M. Elle était
fermée par des ponts-levis et des vantaux en P. Outre l'issue destinée
aux chariots, cette défense possède une poterne latérale, avec petit
pont-levis particulier, suivant un usage généralement admis depuis le
XIV<sup>e</sup> siècle. Le couloir de cette poterne, détourné, bien que permettant le
jeu du bras du petit pont-levis, était mis en communication avec la ville
par la porte R, et avec le grand passage charretier par la porte S. Des
barres étaient encore placées en T, de sorte que si l'on voulait faire
entrer des piétons ou une ronde dans la ville, on abaissait seulement
le pont-levis de la poterne, et ces gens devaient se faire reconnaître
par la garde postée en L avant de pouvoir pénétrer dans la cité. Le couloir
de la poterne, par sa configuration irrégulière, rendait le passage
des piétons plus difficile, et faisait que, toutes les petites portes étant ouvertes,
un homme placé sur le pont-levis ne pouvait voir ce qui se passait
au delà de la défense, dans l'intérieur de la ville. On arrivait au premier
étage de la porte par l'escalier O, et de ce premier étage aux crénelages
et mâchicoulis supérieurs par un escalier intérieur de bois.
 
La figure 36 donne l'élévation extérieure de l'ouvrage principal. On
voit, dans cette élévation, les deux rainures du grand pont-levis et celle
unique du pont-levis de la poterne. Les faces de la tour sont défendues,
sur les trois côtés extérieurs, par des mâchicoulis crénelés, et les angles
par deux échauguettes dont le sol est un peu relevé au-dessus de celui
des mâchicoulis. Ceux-ci ne se composent que de consoles de pierre
avec mur mince crénelé posé sur leur extrémité. Des planches placées
sur les consoles permettaient aux défenseurs de se servir des créneaux et
meurtrières, et de jeter des pierres, entre ces consoles, sur les assaillants.
</div>
[[Image:Porte.du.Croux.Nevers.png|center]]
<div class="text">
Nous allons indiquer quels étaient la disposition et le mécanisme de ces
ponts-levis des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles. Soit (fig. 37) une porte d'une largeur
et d'une hauteur suffisantes pour permettre le passage des cavaliers et
des chariots, c'est-à-dire ayant environ, suivant l'usage admis au XIV<sup>e</sup> siècle,
3<sup>m</sup>,50 de hauteur sur 3<sup>m</sup>,50 de largeur. Cette porte est présentée
en A vue extérieurement, et en B vue intérieurement, suivant une coupe
transversale faite sur le passage. En C, est l'une des rainures du pont-levis
telle qu'elle se montre sur le dehors, et en C', masquée par le
parement
intérieur de la salle du premier étage. Le plan D fait au niveau <i>ab</i>
explique la position de ces rainures. Sur les élévations A, B, le pont-levis
est supposé abaissé. La coupe longitudinale G explique le jeu du
pont-levis. Celui-ci est relevé en appuyant sur les chaînes E; alors la partie
postérieure F des bras I, entraînée par des poids, tombe en F', après
avoir décrit un arc de cercle, et les bras I viennent se loger en I'. Le
tablier K, en décrivant un arc de cercle sur ses tourillons, s'élève en K' et
bouche l'entrée; les bras étant en retraite, les chaînes se tendent suivant
un angle, et obligent ainsi le tablier à s'appuyer sur les montants
et l'arc
de la porte. Il faut, bien entendu, que la longueur des chaînes soit calculée
pour obtenir ce résultat et pour laisser aux bras une inclinaison
qui facilite le premier effort de relèvement. Le tablier est composé d'un
châssis de fortes solives avec croix de Saint-André, sur lesquelles sont
cloués les madriers. Une autre croix de Saint-André et des traverses
rendent solidaires les deux bras à l'intérieur.
 
En L, nous montrons l'un des tourillons des bras, et en M l'entaille
ferrée dans la pierre, destinée à recevoir ces tourillons.
</div>
[[Image:Pont.levis.XIVe.XVe.siecle.2.png|center]]
<div class="text">
On a de nos jours rendu la manœuvre des ponts-levis plus facile et
plus sûre, au moyen de treuils, de poulies avec chaînes à la Vaucanson,
mais le principe est resté le même.
 
Les ponts-levis des poternes se relevaient au moyen d'un seul bras, à
l'extrémité extérieure duquel était suspendue une fourche de fer
recevant
les deux chaînes. Mais nous aurons l'occasion de parler de ces
ponts-levis en nous occupant spécialement des poternes<span id="note34"></span>[[#footnote34|<sup>34</sup>]].
 
L'emploi de l'artillerie à feu contre les places fortes obligea de modifier
quelques-unes des dispositions défensives des portes dès le XV<sup>e</sup> siècle:
mais alors l'artillerie de siège était difficilement
transportable<span id="note35"></span>[[#footnote35|<sup>35</sup>]], et le plus
souvent les armées assiégeantes n'avaient que des pièces de petit calibre;
ou bien si elles parvenaient à mettre en batterie des bombardes d'un
calibre très-fort, ces sortes de pièces n'envoyaient que des boulets de
pierre en bombe, comme les engins à contre-poids. Si ces gros
projectiles,
en passant par-dessus les murailles d'une place assiégée, pouvaient
causer des dommages, ils ne faisaient pas brèche et rebondissaient sur
les parements des tours et courtines, pour peu que les maçonneries fussent
épaisses et bien faites. Les ingénieurs militaires ne se préoccupaient
donc que médiocrement de modifier l'ancien système défensif, quant aux
dispositions d'ensemble, et n'avaient guère apporté de changements que
dans les crénelages, afin de pouvoir y poster des arquebusiers. <span id=Flavigny>Nous
avons un exemple de ces changements dans une des portes antérieures
de la petite ville de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes F#Flavigny|Flavigny]] (Côte-d'Or). Cette porte (fig. 38) est encore
flanquée de deux tours cylindriques percées de meurtrières à la base, à
mi-hauteur et au sommet. Ces meurtrières, faites pour de très-petites
bouches à feu, sont circulaires. La porte elle-même, ainsi que sa poterne,
est surmontée d'un mâchicoulis avec parapet percé également de
meurtrières
circulaires. Cet ouvrage précède une porte du XIV<sup>e</sup> siècle, en
partie démolie aujourd'hui et qui était fermée par une herse et des vantaux.
</div>
[[Image:Porte.Flavigny.2.png|center]]
<div class="text">
La figure 39 donne en A la face intérieure de la porte présentée en
perspective extérieurement dans la figure 38. On remarquera que chaque
console de mâchicoulis porte une séparation en pierre qui donne de la
force au parapet. Cette disposition est d'ailleurs expliquée par la coupe B.
Il faut ajouter que cette porte s'ouvre au sommet d'un escarpement, et
que le chemin qui y conduit a une très-forte pente. Il n'était besoin, dans
une telle situation, ni de fossés, ni de pont-levis par conséquent; l'assaillant
qui se présentait devant cette entrée ayant à dos un précipice. Toute
simple qu'elle est, cette porte est un joli exemple des constructions
militaires de l'époque de transition, au moment où les architectes se
préoccupent de l'emploi des bouches à feu.
</div>
[[Image:Porte.Flavigny.png|center]]
<div class="text">
Olivier de Clisson, le frère d'armes de du Guesclin, qui fit aux Anglais
une guerre si désastreuse, était un général d'un rare mérite, et qui fortifia
un assez grand nombre de châteaux en Poitou, sur les frontières de la
Bretagne et de la Guienne. Il adopta, pour les défenses des portes, un
système qui paraît lui appartenir. Il élevait une tour ronde sur un pont,
et la perçait d'un passage fermé par des herses et des vantaux. Sur le
pont de Saintes, il existait une porte de ce genre<span id="note36"></span>[[#footnote36|<sup>36</sup>]], et l'on en voit
encore quelques-unes dans les provinces de l'Ouest. Une des portes
de l'enceinte du château de Montargis présentait cette disposition,
et le vide central de cette tour, à ciel ouvert, permettait d'écraser,
du sommet de l'ouvrage, les assaillants qui se seraient introduits entre
les deux portes percées dans les parois opposées du cylindre<span id="note37"></span>[[#footnote37|<sup>37</sup>]]. Les tours
rondes servant de portes, qui paraissent appartenir à l'initiative du connétable
Olivier de Clisson, sont habituellement très-hautes, c'est-à-dire
donnant un commandement considérable sur les alentours. Elles sont
isolées et ne se relient pas aux courtines des enceintes. Ce sont de petites
bastilles à cheval sur un pont, de sorte que les assiégés enfermés
dans ces postes, n'ayant que des moyens de retraite très-peu sûrs,
étaient plus disposés à se défendre à outrance. Il arrivait assez fréquemment,
en effet, que les portes se reliant aux courtines, si bien munies
qu'elles fussent, devenant l'objet d'une attaque très-vive et tenace,
étaient abandonnées peu à peu par les défenseurs, qui trouvaient, par les
chemins des courtines voisines, un moyen de quitter facilement la
partie,
sous le prétexte d'étendre le champ de la défense. Enfermée dans une
tour isolée servant de porte, la garnison n'avait d'autre ressource que de
lutter jusqu'à la dernière extrémité. La disposition qui semble avoir été
systématiquement adoptée par le connétable Olivier de Clisson est,
d'ailleurs, conforme au caractère énergique jusqu'à la férocité de cet
homme de guerre<span id="note38"></span>[[#footnote38|<sup>38</sup>]]. C'est ainsi que beaucoup des ouvrages militaires du
moyen âge prennent une physionomie individuelle, et qu'il est bien difficile,
par quelques exemples, de donner un aperçu de toutes les ressources trouvées par les constructeurs. Aussi ne prétendons-nous ici que
présenter quelques-unes des dispositions les plus généralement admises
ou les plus remarquables. Il n'est pas douteux, d'ailleurs, que dans les
constructions militaires du moyen âge, les idées personnelles des
seigneurs
qui les faisaient élever n'eussent une influence particulière
considérable
sur les dispositions adoptées, et que ces seigneurs, en bien
des circonstances, fournissent eux-mêmes les plans mis à exécution,
tant est grande la variété de ces plans. Il est bon d'observer encore
que si, pendant le moyen âge, les constructions des églises et des monastères
sont souvent négligées; que s'il est évident, dans ces constructions,
que la surveillance a fait défaut, on ne saurait faire le même reproche
aux travaux militaires. Ceux-ci, bien que très-simples, ou élevés à l'aide
de moyens bornés parfois, sont toujours faits avec un soin extrême, indiquant
la surveillance la plus assidue, la direction du maître. C'est grâce
à cette bonne exécution que nous avons conservé en France un aussi
grand nombre de ces ouvrages, malgré les destructions entreprises
d'abord
par la monarchie, à dater du XVI<sup>e</sup> siècle, pendant la révolution du
dernier siècle, et enfin par les communes, depuis cette époque.
 
Avant de passer à l'examen des poternes, nous devons dire quelques
mots des portes de barbacanes, c'est-à-dire appartenant à de grands ouvrages
avancés, portes qui présentent des dispositions particulières.
 
Ce ne fut guère qu'au XIII<sup>e</sup> siècle que l'on se mit à élever des barbacanes
en maçonnerie. Jusqu'alors ces ouvrages avancés, destinés à faciliter les sorties de troupes nombreuses, ou à pratiquer des retraites,
étaient généralement élevés en bois, et ne consistaient qu'en des terrassements
avec fossés et palissades. Mais les assiégeants, mettant le feu
à ces ouvrages, rendaient leur défense impossible; on prit le parti, en
dehors des places importantes, de construire des barbacanes en
maçonnerie,
et de les appuyer par des tours, au besoin. Toutefois on cherchait
toujours à ouvrir ces défenses du côté opposé aux remparts formant le
corps de la place, afin d'empêcher les assiégeants qui s'y seraient logés
de pouvoir s'y maintenir. Les portes des barbacanes sont conçues suivant
ces principes, et les défenses qui les composent sont <i>ouvertes à la gorge</i>.
 
<span id=Carcassonne2>Vers la fin de son règne, le roi Louis IX fit relever l'enceinte extérieure
et réparer le château de la cité de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]]. Du côté de la ville, il fit
construire une barbacane sur plan semi-circulaire, qui défendait l'approche
de la porte du château, porte que nous avons donnée figures 3, 4, 5
et 6<span id="note39"></span>[[#footnote39|<sup>39</sup>]]. La barbacane du château de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]], en forme de
demi-lune,
s'ouvre, sur les rues de la cité, par une porte d'une construction aussi
simple que bien entendue; et cette porte, ne débordant pas le nu du
mur circulaire composant la barbacane, est ouverte entièrement du côté
de l'intérieur, de sorte que les défenseurs de l'entrée du château pouvaient
voir complétement ceux de la porte de la barbacane et même leur
donner des ordres. Si les assiégeants s'emparaient de cette première entrée,
il était facile de les couvrir de projectiles.
</div>
[[Image:Plan.porte.barbacane.Carcassonne.png|center]]
<div class="text">
Voici, figure 40, en A, le plan de cette porte au niveau du sol, l'extérieur
de la barbacane étant en B. Un mâchicoulis C défend les vantaux
se fermant en D. En E, est l'entrée de l'escalier à ciel ouvert qui monte
à l'étage supérieur; en F, une armoire destinée à renfermer les falots
et autres ustensiles nécessaires au service. Le plan G est pris à l'étage
supérieur crénelé, auquel on arrive par l'escalier I et le degré J. Les
chemins de ronde K de la courtine circulaire sont placés à un mètre en
contre-bas du sol L. On voit en M l'ouverture du mâchicoulis qui protège
les vantaux. Des créneaux latéraux enfilent les chemins de ronde, qui
sont isolés de l'étage défensif de l'ouvrage par deux portes O. Cet étage
supérieur, comme l'entrée à rez-de-chaussée, est commandé par les
défenses de la porte du château.
</div>
[[Image:Porte.barbacane.Carcassonne.2.png|center]]
<div class="text">
La figure 41 présente l'élévation extérieure de cette porte, et la figure 42
sa coupe faite sur son axe. L'aspect de l'ouvrage, pris de l'intérieur de la
barbacane, est reproduit dans la vue perspective, figure 43. Il est aisé de
reconnaître, en examinant cette dernière figure, que les défenses supérieures,
comme l'entrée, sont ouvertes du côté du château, et qu'il était
dès lors difficile à un assiégeant de s'y maintenir en face de la grande défense
qui protége la porte que nous avons donnée figures 3, 4 et 5.
 
Assez généralement, cependant, les portes des barbacanes s'ouvraient
latéralement dans des rentrants, afin d'être bien couvertes par les saillants,
et alors elles n'étaient que des issues ne se défendant pas par
elles-mêmes<span id="note40"></span>[[#footnote40|<sup>40</sup>]]. Ces barbacanes, vers le commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, prirent
une importance plus considérable au point de vue de la défense; elles se
munirent de tours, ainsi que nous l'avons montré plus haut en nous
occupant de la porte Saint-Lazare d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Avignon|Avignon]] ; elles prirent le nom de
châtelets, de bastilles, de boulevards, et leurs portes, tout en étant commandées
par les ouvrages intérieurs, furent souvent flanquées de tourelles
ou d'échauguettes. Telles étaient défendues la porte des <i>deux
moulins</i>, à la Rochelle, située derrière la tour du phare<span id="note41"></span>[[#footnote41|<sup>41</sup>]];
celles de Saint-Jean-d'Angély,
de Saint-Jacques, à Paris; d'Orléans, etc.
</div>
[[Image:Coupe.porte.barbacane.Carcassonne.png|center]]
<div class="text">
Parmi ces portes précédées de bastilles, une des plus remarquables,
était celle du château de Marcoussis, qui datait de la fin du XIV<sup>e</sup> siècle,
et dont la destruction est si regrettable. Là le système défensif était
complet. L'avant-porte s'ouvrait sur le côté d'un châtelet carré, défendu
par deux tours. Du châtelet on communiquait à l'entrée de la forteresse
par un pont fixe, de bois, jeté sur un large fossé plein d'eau, et un pont-levis.
Cette entrée était flanquée de deux grosses tours, puis s'élevait
au delà la tour du coin, surmontée d'une guette très-élevée qui permettait
de voir tout ce qui se passait dans le châtelet et au dehors. La porte
du château et ses ouvrages de défense commandaient absolument le
châtelet à très-petite portée<span id="note42"></span>[[#footnote42|<sup>42</sup>]].
</div>
[[Image:Porte.barbacane.Carcassonne.png|center]]
<div class="text">
 
==== PORTES DE DONJONS. POTERNES. ====
Les donjons possédaient des portes
défendues d'une façon toute spéciale. Ces portes étaient souvent relevées
au-dessus du niveau du sol extérieur, afin de les mettre à l'abri d'une
attaque directe; des échelles de bois étaient alors disposées par la garnison
pour pouvoir entrer dans ces réduits ou en sortir. Mais on comprend que cette disposition présentait de graves inconvénients. Si les
défenseurs du château ou de la ville étaient obligés de se réfugier précipitamment
dans le donjon, ce moyen d'accès était insuffisant, et il advenait (comme cela s'est présenté pendant la dernière phase du siége du
château Gaillard par Philippe-Auguste<span id="note43"></span>[[#footnote43|<sup>43</sup>]]) que les défenseurs, pris de
court, n'avaient pas le temps de rentrer dans le réduit. Aussi chercha-t-on
à rendre les portes de donjons aussi difficiles à forcer que possible,
en laissant aux assiégés les moyens de se réfugier en masse serrée dans
la défense extrême, s'ils étaient pressés de trop près. Beaucoup de donjons
possédaient deux poternes, l'une apparente, l'autre souterraine,
qui communiquait avec les dehors, de telle sorte que si une garnison
pensait ne pouvoir plus tenir dans la place, soit par suite de la vigueur
de l'attaque, soit par défaut de vivres, elle pouvait se dérober et ne
laisser aux assaillants qu'une forteresse vide. Les gros donjons
normands
sur plan-carré étaient habituellement ainsi disposés<span id="note44"></span>[[#footnote44|<sup>44</sup>]]. Mais
cependant,
une fois les garnisons enfermées dans leurs murs, il leur devenait bien difficile de les franchir devant un ennemi avisé, soit pour
s'échapper, soit pour tenter des sorties offensives, car les poternes souterraines
n'étaient pas tellement secrètes que l'assiégeant ne pût en avoir
connaissance, et les portes relevées au-dessus du sol extérieur étaient
difficiles à franchir en présence de l'assiégeant. Ces problèmes paraissent
avoir préoccupé le constructeur de l'admirable donjon de Coucy.
Ce donjon possède une porte percée au niveau de la contrescarpe du
fossé creusé entre la tour et sa chemise, et une petite poterne relevée
au niveau du chemin de ronde de cette chemise, chemin de ronde qui
est mis en communication, par un escalier, avec une poterne
aboutissant
aux dehors de la place<span id="note45"></span>[[#footnote45|<sup>45</sup>]]. La porte du donjon de Coucy, percée
à rez-de-chaussée, est combinée avec un soin minutieux; elle permet à
la garnison, soit de franchir rapidement ce fossé, soit de descendre sur
le sol dallé qui en forme le fond, et de joindre la poterne extérieure, soit
de protéger un corps de troupes pressé de très-près par des assaillants;
de plus, cette porte est, contrairement aux habitudes du temps,
très-richement
décorée de sculptures d'un beau style.
 
La figure 44 donne en A le plan de cette porte, et en B sa coupe longitudinale.
Elle se fermait (voy. la coupe) au moyen d'un pont à bascule,
d'une herse, d'un vantail avec barres rentrant dans l'épaisseur
de la maçonnerie<span id="note46"></span>[[#footnote46|<sup>46</sup>]], et d'un second vantail également barré. Le pont
à bascule était relevé au moyen du treuil C posé dans une chambre
réservée au-dessus du couloir, chambre à laquelle on arrive par l'unique
escalier du donjon<span id="note47"></span>[[#footnote47|<sup>47</sup>]]. Ce treuil était disposé de manière qu'on pût en
même temps abaisser le pont et relever la herse, les deux chaînes du
pont et celles de la herse s'enroulant en sens inverse sur son tambour.
Mais c'est dans la disposition du tablier du pont que l'on constate le
soin apporté par les constructeurs sur ce point de la défense. Le tablier
du pont roulait sur un axe, sa partie postérieure décrivant l'arc de cercle
<i>ab</i>. Lorsqu'il était arrivé au plan horizontal, il était maintenu fixe par
une jambe mobile <i>c'</i>, qui tombait dans une entaille pratiquée dans l'assise
en saillie <i>e</i>; alors son plancher se raccordait à niveau avec un tablier fixe
de bois G qui traversait le fossé, tablier dont les deux longrines latérales
H s'appuyaient sur deux corbeaux I. Ce tablier fixe pouvait être
lui-même
facilement démonté, si les assiégés voulaient se renfermer absolument
dans le donjon. En effet, un chevalet K incliné, dont les pieds entraient
dans trois entailles L, était arrêté à sa tête par des chantignoles M maintenues
par des clefs <i>m</i>. En faisant tomber ces clefs par un déchevillage
facile à opérer de dessus le pont, le chevalet s'abattait; on enlevait, dès
lors, facilement les longrines, et toute communication avec le dehors
était interrompue en apparence. Cependant, si nous examinons le tablier
du pont à bascule indiqué séparément en N, on remarquera qu'une partie
O de ce tablier est disposée en façon d'échelle. Cette partie était mobile
et roulait sur l'axe D. En enlevant une cheville de fer, marquée sur
notre figure, la partie mobile O tombait et venait s'abattre en <i>n</i> (voy. la
coupe). À cette partie mobile du tablier était suspendu un bout d'échelle
P, qui, le tablier abattu, pendait en P'; dès lors les assiégés pouvaient
descendre dans le fossé par cette échelle, et là ils étaient garantis par le
petit ouvrage R en maçonnerie percé d'archères. De ce réduit, ils descendaient
par quelques marches sur le sol dallé formant le fond du fossé,
et pouvaient se diriger vers la poterne de la chemise qui communique
avec les dehors de la place. Le tablier mobile du pont étant relevé, la partie
O servant d'échelle pouvait être abattue, et la garnison trouvait ainsi
un moyen de sortie sans avoir besoin d'abaisser le pont; il suffisait alors
d'ouvrir les vantaux intérieurs et de lever la herse, ce qu'on pouvait faire
sans abattre le pont, en décrochant les chaînes du tambour du treuil. La
partie mobile O du pont était relevée au moyen de la chaîne S. Le plan A
indique la charpente du pont à bascule et celle du tablier fixe, ses longrines
étant tracées en <i>d</i>. On voit que, d'un côté, en <i>f</i>, il reste, entre la
longrine et le tablier du pont à bascule, un espace vide assez large. Cet
espace se trouve réservé du côté où l'assiégeant pouvait plus facilement
se présenter au fond du fossé. C'était un mâchicoulis, car de ces longrines
aux barres d'appui <i>g</i>, indiquées sur la coupe, on devait établir, en cas
d'attaque, des mantelets percés d'archères, pour battre le fossé. De ce
côté, il existe également au-dessous des corbeaux <i>h</i> (voy. le plan) un
épaulement en pierre qui masquait le dessous du pont et les défenseurs
descendant par les échelles. En T, nous avons tracé la coupe transversale
du passage fait sur la chambre de levage et regardant vers l'entrée.
</div>
[[Image:Porte.donjon.Coucy.2.png|center]]
<div class="text">
La figure 45 complète cette description; elle donne l'élévation de la
porte du donjon de Coucy, avec toutes les traces existantes du mécanisme
du pont à bascule. On voit en <i>a</i> les trois entailles recevant les
pieds du chevalet; en <i>b</i>, le petit terre-plein défendu descendant au fond
du fossé; en <i>c</i>, l'entaille recevant la jambette du pont à bascule, pour le
maintenir horizontal; en <i>d</i>, l'épaulement formant garde; en <i>e</i>, les corbeaux
recevant les longrines du pont fixe; en <i>f</i>, les entailles des barres
d'appui; en <i>g</i>, les poulies de renvoi des chaînes du pont à bascule. Le
niveau dallé du fond du fossé est en <i>h</i>. En <i>l</i>, est tracée la coupe du
pont à bascule, avec sa partie mobile servant d'échelle, en <i>i</i>.
</div>
[[Image:Porte.donjon.Coucy.png|center]]
<div class="text">
Le tympan de la porte est décoré d'un bas-relief représentant le sire de
Coucy combattant un lion, conformément à la légende. Des personnages
en costumes civils ornent la première voussure, des crochets feuillus la
seconde. On observera que des deux barres d'appui <i>f'</i>, la barre <i>f'</i> seule
est placée à l'aplomb de la longrine isolée du tablier et laissait un mâchicoulis
ouvert: c'est que cette barre d'appui, étant placée du côté attaquable,
se trouvait réunie, comme nous l'avons dit, à la longrine par un
mantelet en bois percé d'archères. Par la même raison, de ce côté, l'épaulement
<i>d</i> était destiné à empêcher les traits qui auraient pu être lancés
par les assiégeants obliquement, de frapper, en ricochant, les défenseurs
descendant par l'échelle au fond du fossé.
 
Tout est donc prévu avec une subtilité rare dans cet ouvrage; mais il
faut reconnaître que le donjon de Coucy est une œuvre incomparable,
conçue et exécutée par des hommes qui semblent appartenir à une race
supérieure. Dans cette forteresse, l'art le plus délicat, la plus belle sculpture,
se trouvent unis à la puissance prévoyante de l'homme de guerre,
comme pour nous démontrer que l'expression de l'utile ne perd rien à
tenir compte de la beauté de la forme, et qu'un ouvrage militaire n'en est
pas moins fort parce que l'ingénieur qui l'élève est un artiste et un homme
de goût. À côté de cette œuvre vraiment magistrale, la plupart des portes
de donjons ne sont que des issues peu importantes. Leurs fermetures
consistent en des herses ou des ponts à bascule, ou de simples vantaux
protégés par un mâchicoulis. Nous devons mentionner cependant les
portes étroites munies d'un pont-levis à un seul bras, et qui se voient
dans les ouvrages militaires des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles.
 
Voici (fig. 46) quelle est la disposition la plus générale de ces portes.
Elles se composent d'une baie d'un mètre de largeur au plus et de
2 mètres à 2<sup>m</sup>,50 de hauteur, surmontée d'une rainure destinée à loger
le bras unique supportant une passerelle mobile. En A, est présentée la
face de la porte extérieurement; en B, sa coupe; en C, son plan. L'unique
bras D, suspendant la passerelle, pivote sur les tourillons <i>a</i>, et vient,
étant relevé, se loger dans la rainure E. Alors le tablier G entre dans la
feuillure <i>g</i> et ferme hermétiquement l'entrée. Ce tablier est suspendu au
moyen d'une chaîne à laquelle est attaché un arc de fer K, qui reçoit
deux autres chaînes L, lesquelles portent le bout de la passerelle M. Le
bras relevé, l'arc de fer vient se loger en <i>l</i>, et les chaînes, étant inclinées
en retraite, forcent le tablier à entrer en feuillure; presque toujours une
herse ferme l'extrémité postérieure du passage de la porte, comme l'indique
notre figure. Nous avons donné quelques exemples de portes de
villes qui possèdent, à côté de la porte charretière, une de ces poternes
à pont-levis, mue par un seul bras (voy. fig. 34 et 35). Lorsqu'il s'agissait
de faire sortir ou rentrer une ronde ou une seule personne la nuit,
on abaissait la passerelle de la poterne; on évitait ainsi de manœuvrer le
grand pont-levis, et l'on n'avait pas à craindre les surprises. Quelquefois,
pour les entrées des donjons, la passerelle consistait en une échelle qui
s'abattait jusqu'au sol, alors la chaîne était mue par un treuil et un bras.
</div>
[[Image:Pont.levis.XIVe.XVe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Mais il est une série de poternes de places fortes qui présentent une
disposition toute spéciale. Il fallait, lorsque ces places contenaient une
garnison nombreuse, pouvoir les approvisionner rapidement,
non-seulement
de projectiles, d'armes et d'engins, mais aussi de vivres. Or, si l'on
considère que la plupart de ces places sont situées sur des escarpements;
que leur accès était difficile pour des chariots; que les entrées en étaient
étroites et rares; qu'en temps de guerre, l'affluence des charrois et des
personnes du dehors devenait un danger; que les gardes des portes devaient
alors surveiller avec attention les arrivants; que parfois on s'était
emparé de villes et de châteaux en cachant dans des charrettes des
hommes armés et en obstruant les passages des portes, on comprendra
pourquoi les approvisionnements se faisaient du dehors sans que la
garnison fût obligée d'abaisser les ponts et de relever les herses. Alors
ces approvisionnements étaient amenés à la base d'une courtine, en face
d'une poterne très-relevée au-dessus du sol extérieur, dans un endroit
spécial, bien masqué et flanqué; ils étaient hissés dans la forteresse au
moyen d'un plan incliné, disposé en face de cette poterne. <span id=Mont.Saint.Michel.en.Mer>Il y avait au
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Mont.Saint.Michel.en.Mer|Mont-Saint-Michel-en-mer]] une longue trémie ainsi pratiquée sur l'un
des flancs de la forteresse supérieure, en face de la porte de mer.
Cette trémie, en maçonnerie, aboutissait à une poterne munie d'un treuil,
et ainsi les vivres et tous les fardeaux étaient introduits dans la place,
sans qu'il fût nécessaire d'ouvrir la porte principale. Cette trémie fonctionne
encore, et les approvisionnements de la forteresse ne se font que
par cette voie. Le château de Pierrefonds possédait aussi sa poterne de
ravitaillement. Nous avons indiqué sa position dans le plan de ce château
(voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Château|Château]], fig. 24, et [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Donjon|Donjon]], fig. 41 et 44). Le château de Pierrefonds
pouvait facilement contenir une garnison de 1200 hommes; il
fallait donc trouver les moyens de la munir d'une quantité considérable
de vivres et d'objets de toutes sortes, d'armes et de projectiles, en un
court espace de temps, si comme il arrivait souvent pendant le moyen
âge, on se trouvait tout à coup dans la nécessité de se mettre en défense.
Eût-il fallu introduire les chariots, les bêtes de somme et les gens du
dehors dans la cour du château, pour compléter le ravitaillement, que
l'encombrement eût été extrême, que la place eût été ouverte à tout ce
monde, et qu'il eût été impossible à l'intérieur, pendant ce temps, de
préparer la défense et d'adopter les mesures d'ordre nécessaires en pareil
cas. La cour, embarrassée par tous ces chariots, ces ballots, ces bêtes et
ces gens, n'eût présenté que confusion; impossible alors de faire entrer
et sortir des gens d'armes, de disposer des postes, et surtout de cacher
ses moyens de défense. On conçoit alors pourquoi l'architecte du château
avait combiné une poterne permettant l'introduction de ces approvisionnements,
sans que les gens du dedans fussent gênés ni ralentis
dans leurs dispositions, et sans qu'il fût nécessaire de faire entrer
ni un chariot, ni un homme étranger à la garnison dans la place.
Non-seulement
la poterne de ravitaillement du château de Pierrefonds est
élevée de 10 mètres au-dessus du chemin extérieur qui pourtourne la forteresse;
mais elle donne dans une cour spéciale, séparée elle-même de
la cour principale du château par une porte fermée par une herse, par
des vantaux, et protégée par les mâchicoulis (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Château|Château]], fig. 24, et
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Donjon|Donjon]], fig. 41). Cette poterne de ravitaillement est percée à travers une
haute courtine ayant 3 mètres d'épaisseur. Son seuil, comme nous venons
de le dire, est placé à 10 mètres au-dessus du niveau du sol extérieur.
Un plan incliné, en maçonnerie et charpente, s'élevait du chemin jusqu'à
un niveau en contre-bas de 2 mètres du seuil et à 4 mètres de distance
de la courtine. Il restait ainsi, entre le sommet du plan incliné et
la poterne, une coupure qui était franchie par le pont-levis lorsqu'on
l'abattait. La figure 47 nous aidera à expliquer cet ouvrage. En A, est
tracé le plan de la poterne; deux contre-forts <i>a</i>, destinés à masquer le
tablier du pont lorsqu'il est relevé s'élèvent à l'aplomb, de la partie inférieure
du talus de la courtine; en B, est tracée la coupe longitudinale
de la poterne. Cette coupe fait voir en <i>b</i> le tablier du pont abaissé sur
le plan incliné C. Les bras mobiles de ce tablier sont marqués en <i>d</i>. Sur
le sol du chemin de ronde supérieur D est établi un treuil; une cheminée
<i>f</i>, qui s'ouvre sous le berceau en tiers-point <i>g</i>, permet de passer,
deux câbles qui, du treuil, viennent frotter sur le rouleau <i>e</i> de renvoi,
et de là vont saisir les fardeaux qui doivent être enlevés sur le plan incliné.
Les extrémités de ces deux câbles s'attachent à deux crochets <i>i</i>
scellés sur les parois des pieds-droits de la poterne. Lorsque l'opération
d'approvisionnement est terminée, les câbles sont rentrés, les vantaux <i>l</i>
de la poterne fermés et le pont-levis relevé; le tablier entre alors dans le
tableau <i>m</i> réservé dans la maçonnerie, et les deux bras se logent dans
les rainures <i>d'</i>, indiquées par la ligne ponctuée: la face extérieure de
cette poterne est tracée en E et sa face intérieure en F. Dans ce dernier
tracé, la cheminée des câbles est indiquée par des lignes ponctuées. Des
crochets <i>i</i>, les câbles viennent passer sur deux poulies placées à l'extrémité
des chantiers de roulement, en <i>p</i> (voy. le plan), car on observera
que ces crochets <i>i</i> sont scellés sur la ligne de prolongement des plans
inclinés. Le plan incliné fixe et le tablier mobile sont garnis de deux longrines
qui servent au roulement des fardeaux et masquent les câbles;
latéralement
des taquets formant échelons permettaient à des manœuvres
de monter en même temps que les fardeaux pour les empêcher de
dévier.
Ces taquets facilitaient au besoin la descente ou l'ascension d'une
troupe d'hommes d'armes; car cette poterne pouvait aussi servir de porte
de secours. Le plan incliné était d'ailleurs masqué par un ouvrage avancé
qui était élevé en dehors de la route pourtournant le château (voy. DONJON,
fig. 44). Le tracé G montre une portion du tablier du pont, avec ses
longrines et ses taquets-échelons. La poterne était surmontée d'une niche
décorée d'une statue de l'archange Saint-Michel, que nous avons retrouvée
presque entière dans les fouilles pratiquées en O; car il ne reste
debout,
de cette poterne, qu'une moitié, celle de gauche. En R, est donnée
la coupe d'ensemble de l'ouvrage, avec son plan incliné, à l'échelle de
0<sup>m</sup>,002 pour mètre. Cet ensemble fait voir comment on pouvait
décharger
les charrettes et hisser les fardeaux jusqu'au seuil de la poterne.
</div>
[[Image:Poterne.ravitaillement.Pierrefonds.png|center]]
<div class="text">
La poterne de ravitaillement du château de Pierrefonds est peut-être
une des plus complètes et des plus intéressantes parmi ces ouvrages de
défense. La simplicité de la manœuvre, la rapidité des moyens de fermeture,
la beauté de la construction, ne laissent rien à désirer. Le même
château possède une poterne basse, du côté du nord, qui était destinée à
la sortie et à la rentrée des rondes. Cette poterne, qui s'ouvre dans un
souterrain, et n'était fermée que par des vantaux, possède un
porte-voix
pris dans la maçonnerie, à côté du jambage de gauche et qui
correspondait
à deux corps de garde, l'un situé à rez-de-chaussée, l'autre au premier
étage (voy. la description du château de Pierrefonds). On voit aussi
parfois des poternes qui s'ouvrent sur un passage détourné, et dont
l'issue est commandée par des meurtrières (voy. le plan du château de
Bonaguil, à l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Château|Château]], fig. 28).
 
Mais nous ne pouvons donner dans cet article tous les exemples si
variés
de poternes. Il en était de ce détail de la fortification comme de toutes
les autres parties des places fortes; chaque seigneur prétendait posséder
des moyens de défense particuliers, afin d'opposer à l'assaillant des chicanes imprévues, et il est à croire que, dans les longues heures de loisir
de la vie des châtelains, ceux-ci songeaient souvent à doter leur résidence
de dispositions neuves, subtilement combinées, qui n'avaient point
encore été adoptées.
 
 
==== PORTES D'ABBAYES, DE MONASTÈRES ====
Il est rare que les portes d'établissements
religieux, pendant le moyen âge, aient l'importance, au point
</div>
[[Image:Porte.abbaye.Saint.Leu.d.Esserent.png|center]]
<div class="text">
<br>
de vue de la défense, des portes de châteaux. Il paraît que les moines,
sans négliger entièrement les précautions adoptées dans les résidences
féodales (car ils étaient seigneurs féodaux), voulaient conserver à leurs
établissements le caractère pacifique qui convenait à l'institution. Excepté
dans quelques abbayes, qui, comme celle du [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Mont.Saint.Michel.en.Mer|Mont-Saint-Michel-en-mer]],
étaient des forteresses du premier ordre, les entrées, tout en présentant
quelques signes de défense, n'accumulent pas les obstacles formidables
</div>
[[Image:Coupe.porte.abbaye.Saint.Leu.d.Esserent.png|center]]
<div class="text">
<br>
qui font, de la plupart des portes de châteaux, des ouvrages compliqués
et étendus. Ces portes de monastères ne sont pas précédées d'ouvrages
avancés, de barbacanes, de boulevards; elles s'ouvrent directement sur
la campagne, quelquefois même sans fossés ni pont-levis, et leurs
défenses
sont plutôt un signe féodal qu'un obstacle sérieux. La porte de
l'abbaye de Saint-Leu d'Esserent, qui date XIV<sup>e</sup> siècle, est construite
d'après ces données mixtes: c'est autant une porte de ferme qu'une
porte fortifiée. Nous en présentons (fig. 48) la face du dehors. Cet ouvrage
consiste en deux contre-forts extérieurs, portant chacun une échauguette
cylindrique. Entre les contre-forts qui masquent la courtine, s'ouvrent
une porte charretière et une poterne. Trois mâchicoulis sont percés au-dessus
de la grande issue et deux au-dessus de la poterne (voy. le plan
en <i>a</i>); un crénelage couronnait le tout. En B, est tracé le profil des encorbellements
des échauguettes, avec leur larmier. La figure 49 donne
la coupe de cette porte faite sur <i>ab</i>. On reconnaît aisément qu'une
entrée pareille ne pouvait présenter un obstacle bien sérieux à des
assaillants déterminés; quoi qu'il en soit, cette composition ne laisse pas
d'être habilement conçue et d'une très-heureuse proportion. On élevait
même pendant les XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles des portes de monastères qui n'avaient
nullement le caractère défensif; alors ces portes étaient plutôt
hospitalières,
c'est-à-dire qu'elles étaient précédées d'un porche, comme
l'entrée d'une église: telle était la jolie porte de l'abbaye de Troarn (Calvados), aujourd'hui transportée dans la propriété de M. le marquis de
Banneville<span id="note48"></span>[[#footnote48|<sup>48</sup>]]. Il existe encore une très-jolie porte fortifiée de monastère à
Saint-Jean-au-Bois (forêt de Compiègne). Cette entrée, d'une dimension
réduite, était munie de ponts-levis et défendue par deux petites tours. Sa
construction date de la seconde moitié du XV<sup>e</sup> siècle; car elle est percée
de meurtrières disposées pour des arquebusiers. Nous en donnons
(fig. 50) le plan à rez-de-chaussée en A, l'élévation extérieure en B, et la
coupe longitudinale en C. La poterne n'a pas plus de 0<sup>m</sup>,50 de largeur,
et était munie d'un pont-levis à un seul bras. Les tabliers des deux ponts-levis
entraient en feuillure et étaient défendus par des mâchicoulis. Les
tours seules étaient couvertes, le dessus de la porte ne présentant qu'un
chemin de ronde, comme celui des courtines; la construction est faite
en pierre et en maçonnerie de moellons. Le ponceau qui précède la porte,
et qui passe sur un fossé de 12 mètres de largeur, date de la même époque.
Il se compose de deux arches, la plus étroite, du côté du pont-levis,
pour diminuer la poussée sur la dernière pile.
</div>
[[Image:Porte.monastere.Saint.Jean.au.Bois.png|center]]
<div class="text">
Nous craindrions de fatiguer nos lecteurs en ajoutant d'autres exemples
à ceux déjà fort nombreux que nous avons donnés touchant les portes
fortifiées; mais ce détail de l'architecture militaire du moyen âge est
d'une si grande importance, que nous devions réunir au moins les types
les plus remarquables. Nous sommes loin d'avoir épuisé ce sujet, et il y
aurait à faire sur les portes fortifiées du XI<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle un ouvrage tout
entier. Nous n'avons pas parlé des portes détruites aujourd'hui entièrement,
mais sur les dispositions desquelles il reste des documents précieux. Telles sont, par exemple, les portes de Troyes, de Sens, de Paris.
Parmi les portes de villes encore debout et qui méritent d'être étudiées,
nous citerons celles de Provins, de Moret, de Chartres, de Gallardon, de
Dinan, de Vézelay, qui, bien que d'une médiocre importance, ne sont
pas moins des ouvrages remarquables. Les ruines de nos châteaux féodaux
présentent aussi de beaux spécimens de portes<span id="note49"></span>[[#footnote49|<sup>49</sup>]], et jusque vers la
fin du XVI<sup>e</sup> siècle, les dispositions adoptées pendant le moyen âge sont
conservées dans ces sortes d'ouvrages.
 
==== PORTES EXTÉRIEURES D'ÉGLISES ====
Il faut distinguer les portes principales
des églises des portes secondaires. Les portes principales, placées généralement
sur l'axe de la nef centrale, sont larges, décorées relativement
avec recherche, et présentent souvent, par la sculpture qui couvre leurs
tympans, leurs voussures et leurs pieds-droits, une réunion de scènes
religieuses qui sont comme la <i>préface</i> du monument. Nous ne possédons
pas de portes d'églises ayant quelque importance, au point de vue de la
sculpture, avant le commencement du XII<sup>e</sup> siècle. Celles qui existent
encore, et qui datent d'une époque plus reculée, sont d'une forme très-simple et ne paraissent avoir été décorées que par des moulures, des
tympans imbriqués ou couverts de peinture. Nous aurons l'occasion de
parler de ces portes du XI<sup>e</sup> siècle, remarquables plutôt par leur structure
que par leur ornementation. Quand il s'agit d'architecture religieuse, il
faut toujours recourir à l'ordre de Cluny, si l'on veut trouver les éléments
d'un art complet, formé, affranchi des tâtonnements, étranger aux imitations
grossières de l'architecture antique romaine.
 
La porte principale de la grande église abbatiale de Cluny, dont il ne
reste que des gravures, ne datait guère que du milieu du XII<sup>e</sup> siècle, tandis
que celle de l'église abbatiale de Vézelay fut élevée dès les premières années
de ce siècle. Comme composition, c'est certainement une des œuvres
les plus remarquables et des plus étranges du moyen âge, au moment où
les artistes abandonnent les traditions antiques gallo-romaines, mêlées
d'influences byzantines, pour chercher de nouveaux éléments. Nous
croyons donc devoir présenter cette œuvre en première ligne, car elle a
servi de type, évidemment, à un assez grand nombre de compositions du
XII<sup>e</sup> siècle, en Bourgogne, dans la haute Champagne et une partie du
Lyonnais. La figure 51 donne l'ensemble de cette porte aujourd'hui placée
au fond d'un porche profond et fermé<span id="note50"></span>[[#footnote50|<sup>50</sup>]], mais originairement ouvert sous
un portique étroit et à claire-voie. Elle se compose, ainsi que l'indique le
plan A, de deux baies jumelles séparées par un trumeau et fermées par
deux vantaux roulant sur des gonds scellés dans les feuillures B. Les
deux baies, larges dans leur partie inférieure, afin de laisser le plus d'ouverture
possible à la foule, se rétrécissent par une ordonnance d'encorbellement
portant sur les deux pieds-droits et sur le trumeau central. Ces
encorbellements sont décorés de six figures d'apôtres, demi
bas-relief, de
1<sup>m</sup>,50 de hauteur environ. Sur le pilastre saillant du trumeau est placée
une statue de saint Jean Précurseur, tenant entre ses mains un large nimbe
au milieu duquel était sculpté un agneau<span id="note51"></span>[[#footnote51|<sup>51</sup>]]. Deux linteaux portent sur les
pieds-droits et sur le trumeau, et les figures qui décorent ces deux blocs
de pierre ont exercé, depuis plusieurs années, la sagacité des archéologues.
En effet, les sujets qu'elles représentent sont difficiles à expliquer.
Sur le linteau de gauche, on voit une longue suite de figures marchant
toutes vers le trumeau; les unes montrent des archers (chasseurs), des
personnages parmi lesquels l'un porte un poisson, un autre un sceau de
bois rempli de fruits, plusieurs conduisent un bœuf. Adossé au trumeau et
semblant recevoir la série des arrivants, est un homme tenant une sorte
de hallebarde. Sur le linteau de droite, tout contre le trumeau, sont
deux figures plus grandes que celles décorant ce linteau: l'une tient les
clefs, et est évidemment saint Pierre; l'autre est une femme. Ces deux
personnages se tiennent étroitement unis. À la suite de ces deux personnages
viennent des guerriers complétement armés, et qui paraissent
combattre; puis un cavalier portant un bouclier; puis une très-petite
figure d'homme, vêtu d'un manteau flottant, qui monte à cheval au
moyen d'une échelle; puis, à la suite d'un homme, d'une femme et d'un
enfant qui paraissent se disputer, une famille composée également d'un
homme, d'une femme et d'un enfant dont les têtes sont munies d'oreilles
colossales. La tête de l'enfant sort de ses deux oreilles comme de deux
coquilles qui l'enveloppent presque entièrement.
</div>
[[Image:Porte.eglise.abbatiale.Cluny.png|center]]
<div class="text">
Que signifient ces bas-reliefs? Il faut d'abord observer qu'ils tiennent
la place occupée dans des tympans de la même époque, ou peu s'en faut
(comme celui de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]], par exemple), par les scènes du
jugement dernier, de la séparation des élus des damnés. Alors les élus
occupent le linteau de gauche (celui qui est à la droite du Christ), et les
damnés le linteau de droite. Si l'on se reporte au temps où fut sculptée la
porte principale de l'église de la Madeleine, on observera que les moines
de Vézelay avaient atteint un degré de puissance et d'influence tel, qu'il
fallut près d'un siècle de luttes sanglantes entre ces religieux, les comtes
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nevers|Nevers]] et les habitants de la commune de Vézelay, pour amoindrir ce
pouvoir exorbitant. Pour les abbés de Vézelay, l'action la plus louable,
celle qui devait faire gagner le ciel, était certainement le payement régulier
des redevances dues à l'abbaye, l'apport de dons; et, jusqu'au milieu
du dernier siècle, bien que l'abbaye de Vézelay fût sécularisée depuis
le XVI<sup>e</sup>, il y avait encore, à Vézelay, une fête dite de l'<i>Apport</i>, et qui
consistait à remettre à l'abbé des produits du sol, des bestiaux et des
volailles.
 
Pour nous, le linteau de gauche représente les élus, c'est-à-dire ceux
qui apportent à l'abbaye les produits de leur chasse, de leur pêche, de
leurs champs. Le linteau de droite représente les damnés, ou plutôt les
damnables. On remarquera d'abord, de ce côté, la figure de saint Pierre
qui garde les portes du Paradis, et probablement celle de sainte Madeleine,
qui intercède pour les pécheurs<span id="note52"></span>[[#footnote52|<sup>52</sup>]]. Les personnages qui remplissent
ce linteau représenteraient donc les vices ou les péchés. Les guerriers
combattants personnifieraient la discorde, la guerre; le petit homme montant
à cheval à l'aide d'une échelle, l'orgueil<span id="note53"></span>[[#footnote53|<sup>53</sup>]]; la famille qui semble se
quereller, la colère; et enfin, la famille aux grandes oreilles,
peut-être la
calomnie. Nous ne prétendons donner cette explication autrement que
comme une hypothèse, déduite d'ailleurs de beaucoup d'autres exemples
tirés de l'église de Vézelay elle-même. Plusieurs chapiteaux représentent
également des vices personnifiés. Et, d'ailleurs nul archéologue n'ignore
que, sur les portails de nos cathédrales, sont figurés fréquemment les
vices et les vertus en regard. Nous y reviendrons. Au-dessus de ces deux
linteaux, si étrangement composés, se développe la grande scène du Christ
dans sa gloire, entouré des douze apôtres, tous nimbés, tous tenant
des livres ouverts ou fermés, hormis saint Pierre, qui porte deux clefs.
Des mains du Christ s'échappent douze rayons qui aboutissent aux têtes
des apôtres.
 
Mais la difficulté de l'interprétation se présente encore pour les sujets
de la première voussure. En partant du compartiment de gauche, par le
bas, on voit deux personnages assis, tenant chacun un scriptional sur
leurs genoux<span id="note54"></span>[[#footnote54|<sup>54</sup>]]. Dans le compartiment suivant, au-dessus, est un homme
richement vêtu, et une femme coiffée d'un bonnet conique. Dans le troisième
compartiment, des hommes qui paraissent discuter, l'un d'eux est
échevelé; et dans le dernier compartiment on remarque deux hommes à
tête de chien. De l'autre côté du Christ, le compartiment supérieur contient
des personnages dont les nez sont faits en façon de groin de porc.
Les trois autres cases sont remplies de figures parmi lesquelles on distingue
un groupe de guerriers.
 
S'il faut donner une explication à ces sujets, nous serions portés à
croire qu'ils représentent les divers peuples de la terre. On sait la créance
qu'on donnait, pendant le moyen âge, aux fables recueillies par Pline,
et corrompues encore après lui, touchant les peuplades de l'Afrique et
des contrées hyperboréennes.
 
Ainsi, sur le tympan de Vézelay, le Christ serait placé au milieu du
monde, entouré des peuples de la terre<span id="note55"></span>[[#footnote55|<sup>55</sup>]]. Les médaillons qui remplissent
la deuxième voussure, et qui sont au nombre de vingt-neuf, représentent
le zodiaque et diverses occupations ou travaux de l'année. Un ornement
court sur la dernière voussure.
 
La sculpture de la porte principale de l'église de Vézelay est traitée
de manière à fixer l'attention. Très-découpée, ayant un haut relief, les
détails sont exécutés avec une grande finesse. On ne peut méconnaître
le style grandiose de ces figures, l'énergie du geste, et souvent même
la belle entente des draperies. Mais, à l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Statuaire |Statuaire ]], nous aurons
l'occasion de faire ressortir les qualités singulières de cette école clunisienne.
Les profils sont beaux, et la sculpture d'ornement d'une hardiesse
et d'une largeur de composition qui produisent un effet
saisissant<span id="note56"></span>[[#footnote56|<sup>56</sup>]]. Il faut reconnaître que toutes les portes romanes pâlissent à côté
de cette page, conçue d'une façon tout à fait magistrale.
 
Toutes les figures et les ornements de la porte principale de la
Madeleine
de Vézelay étaient rehaussés de traits noirs sur un ton monochrome
blanchâtre. Nous n'avons pu découvrir, sur ces sculptures, d'autres traces
de coloration.
 
<span id=Autun21>À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]], la porte principale de la cathédrale présente une disposition
analogue à celle de Vézelay, mais sa sculpture, bien que d'une époque
un peu plus récente, n'a pas un caractère aussi puissant. La composition
manque d'ampleur et d'originalité. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]], cette double ordonnance
des pieds-droits et du trumeau n'existe plus; les colonnettes s'élèvent
jusqu'au niveau du linteau. Les profils sont maigres, la statuaire plate et
sans effet. Cependant la porte de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]] est encore une
œuvre remarquable. On peut en saisir l'ensemble sur la figure 13 de
l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porche|Porche ]].
 
Parmi les portes d'églises du XII<sup>e</sup> siècle, les plus remarquables, il faut
citer aussi celle de Moissac. Cette porte s'ouvre latéralement sur le grand
porche dont nous avons donné le plan figure 24, à l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porche|Porche ]]. Elle
est élevée sous un large berceau qui forme lui-même avant-porche et
qui est richement décoré de sculptures en marbre gris. Son trumeau
est couvert de lions entrelacés qui forment une ornementation des plus
originales et d'un grand effet. Les pieds-droits se découpent en larges
dentelures sur le vide des baies, et le linteau présente une suite de rosaces
circulaires d'un excellent style<span id="note57"></span>[[#footnote57|<sup>57</sup>]]. Dans le tympan, est assise une grande
figure du Christ bénissant, couronné; autour de lui sont les quatre signes
des évangélistes, deux anges colossals, et les vingt-quatre vieillards de
l'Apocalypse. Les voussures ne sont remplies que par des ornements.
Mais, sur les jambages du berceau formant porche, sont sculptés, à la
droite du Christ, les vices punis; à la gauche, l'annonciation, la visitation,
l'adoration des mages et la fuite en Égypte.
 
Il nous serait difficile de présenter les exemples les plus remarquables
des portes d'églises du moyen âge. Une pareille collection nous entraînerait
bien au delà des limites de cet ouvrage. Nous devons chercher au
contraire à circonscrire notre sujet, à donner quelques types principaux,
et surtout à étudier les progrès successifs des écoles diverses qui ont
abouti aux œuvres magistrales du XIII<sup>e</sup> siècle. Il n'est pas besoin d'être
fort versé dans l'étude de nos anciens monuments, pour reconnaître que
les portes principales des églises en France présentent une variété extraordinaire
dans leur disposition et leur ornementation, tout en se conformant, par leur structure, à un principe invariable. Ainsi, les portes principales,
c'est-à-dire qui possèdent de larges baies, se composent toujours
d'un arc de décharge sous lequel est posé le linteau, et un remplissage,
qui est le tympan. Si ces portes doivent donner accès à la foule, dès le
XII<sup>e</sup> siècle, elles se divisent en deux ouvertures séparées par un trumeau.
Ce trumeau reçoit le battement des deux vantaux et soulage le
linteau au milieu de sa portée. C'est là une disposition qui appartient à
notre architecture du moyen âge, et qui ne trouve pas d'analogues dans
l'antiquité. La porte principale de l'église abbatiale de Vézelay, que nous
avons donnée (fig. 51), est certainement une des premières constructions
de ce genre et l'une des plus remarquables par l'ordonnance double des
pieds-droits et du trumeau, qui a permis de diminuer la portée des linteaux
en laissant le plus large passage possible à la foule. En allant chercher
les exemples d'architecture byzantine qui ont si puissamment influé au
XII<sup>e</sup> siècle sur notre art national, nous ne trouvons pas un exemple de
portes avec trumeaux et rangées d'arcs de décharge. L'influence de l'art
byzantin se fait seulement sentir dans le système d'un arc soulageant un
linteau, dans les profils et quelques ornements. On ne saurait donc méconnaître
que les portes de Vézelay, d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Autun|Autun]], de Moissac, appartiennent
à l'art français, sinon par tous les détails, au moins par la disposition générale.
Une fois admise, cette disposition dut paraître bonne, car elle ne
cessa d'être adoptée jusqu'à la fin du XV<sup>e</sup> siècle. Pendant la seconde période
du moyen âge, on ne trouve que bien peu de portes principales
qui n'aient leur trumeau central servant de battement aux vantaux et
offrant ainsi à la foule, comme les portes de villes de l'antiquité, deux
issues, l'une pour les arrivants, l'autre pour les sortants. Ces trumeaux
furent souvent enlevés, il est vrai, pendant le dernier siècle, pour donner
passage à ces dais de menuiserie recouverts d'étoffe, qui servent lors des
processions; mais ces actes de vandalisme furent heureusement assez
rarement commis.
 
Le principe admis, les architectes en surent tirer promptement tout le
parti possible. Les arcs de décharge nécessaires pour soulager le linteau
furent décorés de moulures, d'ornements, et bientôt de figures qui participaient
à la scène représentée sur le tympan. Comme il s'agissait de
percer ces portes sous des pignons très-élevés et lourds, on augmenta le
nombre des arcs à mesure que les monuments devenaient plus grands.
De là ces voussures à quatre, cinq, six et huit rangs de claveaux que l'on
voit se courber au-dessus des tympans de nos cathédrales. Les portes
formaient alors de profonds ébrasements très-favorables à l'écoulement
de la foule, car on remarquera que ces arcs de décharge, ces voussures,
se superposent en encorbellement, et que les pieds-droits qui les
portent
s'élargissent d'autant de l'intérieur à l'extérieur. Il y a encore, dans
cette disposition, une innovation sur l'architecture antique de la Grèce et
de Rome.
 
C'est aussi à Vézelay où nous voyons adopter la statuaire dans les
voussures. Sur la porte principale de cette église, la tentative est encore
timide. Le premier rang de claveaux décoré de sujets fait corps, pour
ainsi dire, avec le tympan. Mais déjà à Avallon, l'église
Saint-Lazare, qui
date du milieu du XII<sup>e</sup> siècle, présente des voussures dont chaque claveau
est décoré d'une figure sculptée. Dès cette époque, ce système
d'ornementation
est admis, comme on peut le reconnaître en examinant les
portes de l'église abbatiale de Saint-Denis, celles occidentales de la cathédrale
de Chartres, et enfin la porte Saint-Marcel de la cathédrale de
Paris, dont les fragments furent soigneusement réemployés au
commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, lors de la construction de la façade actuelle. À ce
propos, il est bon de signaler ce fait assez fréquent du réemploi des
fragments de portes du XII<sup>e</sup> siècle pendant le XIII<sup>e</sup>. C'est qu'en effet, le
XII<sup>e</sup> siècle, dont l'art est si élevé, si puissant, avait su composer des portes
d'une grande beauté, soit comme entente des proportions, soit comme
détails de sculpture. Les architectes du XIII<sup>e</sup> siècle, si hardis novateurs
qu'ils fussent, si peu soucieux habituellement des œuvres de leurs devanciers,
paraissent avoir été saisis de scrupules lorsqu'il s'agissait de faire
disparaître certaines portes élevées pendant le siècle précédent. Ainsi,
non-seulement sur la façade occidentale de la cathédrale de Paris, l'architecte
replaça habilement le tympan, un linteau, la plus grande partie
des voussures et les statues des pieds-droits d'une porte appartenant très-probablement
à l'église refaite par Étienne de Garlande, au XII<sup>e</sup> siècle;
mais, à la cathédrale de Chartres, nous voyons qu'on replace, sous la façade
du XIII<sup>e</sup> siècle, les trois portes qui autrefois s'ouvraient en arrière
des deux clochers, sous un porche; qu'à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], l'architecte réemploie
des fragments importants, sous les porches nord et sud, des deux portes
du transsept de l'église du XII<sup>e</sup> siècle; qu'à la cathédrale de Rouen, on
conserve, sur la façade occidentale, au XVI<sup>e</sup> siècle, deux portes du XII<sup>e</sup>.
 
<span id="Auxerre21">Ces œuvres d'art avaient donc acquis une célébrité assez bien
établie pour qu'on n'osât pas les détruire dans des temps où cependant
on ne se faisait aucun scrupule de jeter bas des constructions antérieures,
surtout lorsqu'il s'agissait de cathédrales. Plus tard, on peut signaler
le même esprit de conservation, le même respect, lorsqu'il s'agit de portes
du XIII<sup>e</sup> siècle. Quelques-unes de ces œuvres paraissaient assez belles
pour qu'on les laissât subsister au milieu de constructions plus récentes.
Sous le porche de Saint-Germain l'Auxerrois, à Paris, on voit que les architectes
ont conservé une porte du XIII<sup>e</sup> siècle, bien qu'ils aient
entièrement
rebâti la façade au XV<sup>e</sup>. À Saint-Thibaut (Côte-d'Or), une porte fort
belle, du XIII<sup>e</sup> siècle, reste enclavée au milieu de constructions du XIV<sup>e</sup>.
À la cathédrale de Sens, les constructeurs qui relèvent la façade au commencement
du XIV<sup>e</sup> siècle, conservent la porte principale datant de la fin
du XII<sup>e</sup>. À l'abbaye de Saint-Denis, la porte nord du transsept de Suger
est laissée au milieu des reconstructions du XIII<sup>e</sup>. À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Auxerre|Auxerre]], des portes
datant du milieu du XIII<sup>e</sup> siècle restent engagées dans les constructions
refaites sur la façade au XV<sup>e</sup>. Et en effet, jamais les architectes des XIV<sup>e</sup> et
XV<sup>e</sup> siècles, malgré leur savoir, malgré la profusion de leur ornementation,
leur recherche des effets, ne purent atteindre à cette largeur de composition,
à cette belle entente de la statuaire mêlée à l'architecture, qui
étaient les qualités dominantes des artistes des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles. Ils se
rendaient justice en conservant ces débris qui, très-probablement, passaient
avec raison pour des chefs-d'œuvre.
 
En nous occupant, avant toute autre, de la porte de l'église abbatiale
de Vézelay, nous avons voulu donner un de ces exemples qui servent de
point de départ, qui sont une innovation et prennent une influence considérable; mais les principales écoles de la France, dès le commencement
du XII<sup>e</sup> siècle, avaient adopté, pour les portes des églises comme pour
les autres parties de l'architecture, des types assez différents les uns
des autres, bien que soumis au principe commun d'arcs et de linteaux
indiqués plus haut. L'Auvergne, le Nivernais et une partie du Berry;
l'Île-de-France, la Champagne, la Picardie, la Normandie, le Poitou et
la Saintonge, le Languedoc, la Bourgogne, présentaient alors huit types
distincts qui se confondirent au XIII<sup>e</sup> siècle dans l'unité gothique. Nous
ne prétendons pas établir que ces provinces élevassent chacune de leur
côté des portes d'églises suivant un modèle admis, invariable; nous constatons
seulement que l'on trouve, dans chacune de ces écoles, des similitudes,
soit dans les proportions, soit dans les décorations, soit dans la
construction; qu'il est impossible, par exemple, de confondre une porte
romane de la Champagne avec une porte de la même époque appartenant
à un monument religieux de l'Auvergne ou du Poitou. C'est en
Auvergne
et dans le Nivernais, dans cette école romane si avancée dès le commencement
du XII<sup>e</sup> siècle, que nous trouvons les exemples de portes les
plus remarquables par la façon dont elles sont composées et
appareillées.
 
<span id=Nevers1>La porte principale de l'église Saint-Étienne de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nevers|Nevers]] est un des
exemples les plus francs de l'école des provinces du centre, et des plus
anciens. Cette porte date des dernières années du XI<sup>e</sup> siècle. Elle était
entièrement peinte. Les chapiteaux de ses colonnes n'étaient ornés que
par de la peinture. Les claveaux, appareillés d'une façon remarquable,
étaient également couverts de peintures représentant des oiseaux affrontés
et des ornements sur fond noir. Nous donnons (fig. 52) le plan et
l'élévation de cette porte. Le linteau et le tympan ont disparu; ils
étaient très-probablement décorés seulement par des peintures. On doit
signaler, comme appartenant à cette école, la proportion relativement
élancée de la baie; la grosseur inusitée des deux premières colonnes
qui rappellent les exemples gallo-romains, et enfin cet appareil de claveaux
qui est motivé par la nécessité d'employer de très-petits matériaux.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Saint.Etienne.Nevers.png|center]]
<div class="text">
Cependant les colonnes sont monolithes et ont été taillées au tour,
conformément à un usage admis dans les provinces du Centre, pendant
les XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles; les chapiteaux sont également tournés, sauf les
tailloirs, qui sont rectangulaires et sont pris dans une autre assise de
pierre. En A, est tracé le profil des archivoltes. <span id=Nevers2>Cet art roman de l'Auvergne
et du Nivernais, déjà délicat vers la fin du XI<sup>e</sup> siècle, bien étudié
quant aux proportions et aux profils, devait promptement produire des
résultats remarquables; et en effet, dès le milieu du XII<sup>e</sup> siècle, dans la
même ville, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nevers|Nevers]], on élevait la porte de l'église de
Saint-Genest, qui
peut être considérée comme un chef-d'œuvre par ses bonnes proportions,
la beauté et la sobriété de sa sculpture. Cette porte (fig. 53), qui n'a que
2 mètres d'ouverture, ne possède, pas plus que la précédente, de
trumeau
central. Les deux vantaux battaient l'un sur l'autre<span id="note58"></span>[[#footnote58|<sup>58</sup>]]. Sur le linteau
sont sculptés les douze apôtres debout<span id="note59"></span>[[#footnote59|<sup>59</sup>]], et dans le tympan, le Christ
entouré des quatre signes des évangélistes. Les boudins des archivoltes
sont ornés de délicates sculptures qui ne détruisent pas la masse du
profil, et les quatre chapiteaux sont finement travaillés. Le tracé de cette
porte a été obtenu au moyen de deux triangles équilatéraux, ainsi que
l'indique le géométral A. Le triangle équilatéral inférieur est inscrit entre
les trois points <i>a</i>, <i>b</i>, <i>c</i>; le triangle équilatéral supérieur, entre le départ
intérieur des boudins de la seconde archivolte et son sommet.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Saint.Genest.Nevers.png|center]]
<div class="text">
L'ogive est tracée, les centres étant très-relevés et posés sur les points
divisant le diamètre de la première archivolte en trois parties égales. Cette
disposition a donné une proportion très-heureuse et des courbes
complétement
satisfaisantes. Il y a évidemment là des combinaisons étudiées,
cherchées. On observera encore que comme construction, cette porte est
sagement conçue; le linteau et les tympans étant laissés indépendants
des archivoltes et soutenus seulement par les saillies des deux corbeaux
des pieds-droits. L'un de ces corbeaux, celui de droite, est décoré d'un
ornement feuillu, celui de gauche est simplement mouluré.
 
Il est bon de faire ressortir par plusieurs exemples le caractère propre
à quelques-unes de ces écoles dont nous parlions tout à l'heure. Les
portes étant, dans les édifices religieux et civils du moyen âge, la partie
traitée avec une attention toute spéciale, sont particulièrement
empreintes
du style admis par chacune de ces écoles. Si nous nous transportons
en Picardie, province dans laquelle les monuments de l'époque
romane sont devenus rares à cause de la qualité inférieure des matériaux,
nous trouverons encore cependant quelques portes du commencement
du XII<sup>e</sup> siècle qui sont élevées sur un modèle très-différent de ceux de
l'Île-de-France, de la Normandie et des provinces du Centre ou de l'Ouest.
 
<span id=Namps.au.Val>Voici (fig. 54) l'ensemble et les détails d'une porte s'ouvrant
latéralement
sur la nef de l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Namps.au.Val|Namps-au-Val]], dans les environs
d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]]. Elle se rapproche du style romano-grec des monuments des
environs d'Antioche, et il serait bien étrange que l'architecte qui a bâti
cette porte n'eût pas vu, ou tout au moins reçu des tracés de ces édifices
du V<sup>e</sup> siècle. Les profils, les ornements du tympan, les terminaisons en
volute de l'archivolte extérieure, sont des réminiscences de l'architecture
romano-grecque de Syrie que les premiers croisés avaient trouvée
sur leur passage. Cette baie est richement entourée de profils à l'intérieur.
Les profils de l'archivolte et du linteau, que nous donnons en A, à
l'échelle de 0<sup>m</sup>,10 pour mètre, sont très-beaux, et n'ont plus rien de la
grossièreté des moulures romanes copiées sur les édifices
gallo-romains.
Mais cette porte ne ressemble en aucune façon, ni par ses proportions,
ni par son style, à celle de l'église de Saint-Étienne de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nevers|Nevers]], qui date
à peu près de la même époque<span id="note60"></span>[[#footnote60|<sup>60</sup>]].
 
Si nous passons dans le Beauvoisis, nous voyons quelques portes d'églises
du commencement du XII<sup>e</sup> siècle prenant un tout autre caractère.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Namps.au.Val.png|center]]
<div class="text">
Choisissons, entre toutes, celle de l'église Villers-Saint-Paul (fig. 55).
Ici ce ne sont plus les proportions élancées admises dans les exemples
précédents. Les ébrasements sont profonds, supportent des archivoltes
épaisses, décorées de <i>bâtons rompus</i>, de méandres. Un pignon trapu couvre
le portail. La sculpture d'ornement est d'un assez beau caractère, quoique
sauvage. La sculpture de figures est d'une grossièreté toute
primitive
et rappelle les monnaies gauloises. Ces figures ne sont guère indiquées
d'ailleurs que dans un petit bas-relief carré posé sous la pointe du
pignon, et qui représente Samson terrassant le lion. On remarquera l'appareil
singulier du linteau, qui s'explique par la difficulté de monter sur
les pieds-droits un très-gros bloc de pierre, toute la construction étant
élevée en matériaux de petit échantillon. En A, nous donnons l'un des
pieds-droits en plan, et en B, la section sur l'archivolte.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Villers.Saint.Paul.png|center]]
<div class="text">
Le style de cette porte se rapproche davantage du style adopté en
Normandie et en Poitou que de tout autre, mais il est cependant plus
lourd, plus massif. Les profils sont moins étudiés, la taille plus grossière.
Il est évident que les architectes auteurs de ces œuvres appartenant à des édifices si voisins de Paris avaient été soustraits aux influences
qui avaient agi si puissamment sur les artistes de Picardie, de l'Auvergne,
du Berry, de la Bourgogne et du Midi. Les influences directes
orientales
n'avaient pas pénétré dans l'Île-de-France, le Beauvoisis et la
Normandie.
Les artistes de ces contrées restaient sous l'empire des traditions
gallo-romaines et des objets envoyés de Constantinople ou de Venise,
tels que certains meubles et bijoux, des ustensiles et des étoffes. C'est
cependant au milieu de cette école de l'ÎIe-de-France et des bords de
l'Oise, que l'architecture appelée gothique prend naissance dès le milieu
du XII<sup>e</sup> siècle et se développe avec une rapidité prodigieuse. Ce qui tendrait
à prouver une fois de plus que les croisades n'ont été pour rien
dans cet essor de l'art propre à l'école laïque française, vers le milieu du
XII<sup>e</sup> siècle, et qu'au contraire, si les croisades ont eu une influence sur
l'art de l'architecture chez nous, ce n'a été que sur certaines écoles
romanes, et particulièrement sur celles de la Bourgogne, du Berry, du
Lyonnais, des provinces méridionales et occidentales.
 
L'exemple que nous avons donné, figure 52, pris sur la porte principale
de l'église de Saint-Étienne de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nevers|Nevers]], bien qu'il appartienne aux provinces
du Centre et nullement à la Bourgogne, diffère cependant de la
plupart des types adoptés à la même époque en Auvergne. <span id=Clermont.Ferrant1>Une porte
latérale de l'église de Notre-Dame du Port, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]] (Puy-de-Dôme),
nous fournit un spécimen bien caractérisé de ces baies d'églises auvergnates.
La figure 56 donne l'élévation extérieure de cette porte. La baie
est rectangulaire, à vives arêtes, sans ébrasements. Un linteau d'une seule
pièce, renforcé dans son milieu, supporte un tympan et est déchargé par
un arc plein cintre. Il y a, dans cet exemple, la trace d'une tradition
antique évidente. Deux figures, les bras levés comme pour supporter une
imposte saillante, reçoivent les extrémités du linteau,
très-franchement
accusé. Ce linteau est décoré d'un bas-relief représentant l'adoration des
mages et le baptême de Jésus. Le tympan représente le Christ dans sa
gloire, bénissant, avec deux séraphins. Des deux côtés de l'archivolte,
deux groupes représentent l'annonciation, et probablement la naissance
du Christ (ce dernier bas-relief étant très-altéré).
</div>
[[Image:Porte.Notre.Dame.du.Port.Clermont.png|center]]
<div class="text">
Sur l'un des flancs de la cathédrale du Puy en Velay, il existe une
porte semblable à celle-ci comme structure, mais dont l'arc de décharge
est déjà brisé. Ces portes datent des premières années du XII<sup>e</sup> siècle,
peut-être de la fin du XI<sup>e</sup>.
 
Pendant la première moitié du XII<sup>e</sup> siècle, on élevait dans la Saintonge
et l'Angoumois un nombre prodigieux d'églises remarquables par leur
style et la beauté de leur structure. Les portes principales de ces églises
sont toutes conçues, à peu près d'après un type uniforme. Elles sont
basses, habituellement dépourvues de linteau et de tympan, et leurs
archivoltes plein cintre sont très-richement décorées d'ornements
empruntés,
la plupart, au style oriental de la Syrie. Voici l'une de ces
portes s'ouvrant sur la nef de l'église de Château-Neuf (Charente)
(fig. 57). Sur la première archivolte sont sculptés en plat relief, très-découpés,
suivant la méthode de l'école de Saintonge, à la clef, un
agneau dans un nimbe, des anges, et les quatre signes des évangélistes;
sur la seconde archivolte, des animaux fantastiques au milieu d'entrelacs
très-compliqués et délicats; sur la troisième, des feuilles en forme de
palmettes, enveloppant un tore sous leur tige. Le cordon extrême est
décoré de feuillages entrelacés et retournés. Des entrelacs avec animaux
couvrent l'imposte et les chapiteaux<span id="note61"></span>[[#footnote61|<sup>61</sup>]]. Les vantaux de la porte battent
intérieurement sur l'archivolte, et s'ouvrent, par conséquent, jusqu'au
sommet du cintre. Un peu plus tard les ornements de ces archivoltes
consistent en des billettes, des besants, des dents de scie courant sur
des moulures très-finement profilées. Telles sont ornées les portes des
églises de Surgères, de Jonzac, etc.
 
Les portes des églises de Sainte-Croix à Bordeaux, de la grande église
des Dames à Saintes, ont, avec celle donnée ci-dessous (fig. 57), la plus
parfaite analogie. L'influence de ce style se répand jusque dans le Poitou,
ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant les portes de Notre-Dame
la Grande, à Poitiers. Mais dans cette province, comme dans la
Haute-Marne,
apparaissent parfois, dès le commencement du XII<sup>e</sup> siècle, les
archivoltes à claveaux présentant chacun un bossage arrondi pareil à
celles qui se voient sur le portail méridional de l'église du
Saint-Sépulcre,
à Jérusalem. Ceci serait encore une preuve de la reconstruction
d'une grande partie de l'église du Saint-Sépulcre par les croisés, si M. le
comte de Vogué n'avait suffisamment indiqué les dates de cette
reconstruction<span id="note62"></span>[[#footnote62|<sup>62</sup>]].
</div>
[[Image:Porte.eglise.Chateau.Neuf.png|center]]
<div class="text">
Bien que très-ornées de sculptures, les portes de la Saintonge, de
l'Angoumois et du Poitou sont d'une proportion lourde, et n'ont pas
l'élégance des portes des provinces du Centre. Leur ornementation est
confuse et ne présente jamais cette large entente de l'effet, si bien exprimée
dans la composition des portes de la Bourgogne, de la haute Champagne
et du Lyonnais. Cependant, vers le milieu du XII<sup>e</sup> siècle, on voit, dans
une partie des provinces de l'Ouest, une étude délicate des proportions
et de l'effet se développer, lorsqu'il s'agit de la composition des façades,
et notamment des portes. L'église de Saint-Pierre de Melle
(Deux-Sèvres)
nous fournit un excellent exemple du progrès obtenu par les derniers
architectes romans.
 
Cette porte (fig. 58) se recommande plutôt par la manière dont elle est
composée que par ses dimensions, puisque la baie n'a pas plus de 1<sup>m</sup>,70 de largeur. Il semble que l'architecte ait voulu rompre avec les traditions
admises. D'abord les archivoltes sont en tiers-point et dépourvues de tout
ornement. Afin de faciliter le dégagement, les pieds-droits sont en retraite
sur les arcs, et portent ceux-ci au moyen d'encorbellements ornés de
sculpture. Un cordon sculpté sertit la dernière archivolte. Il n'y a pas ici
de tympan sculpté ni de linteau, conformément à l'usage des provinces
occidentales, mais au-dessus d'un couronnement très-riche est posée une
niche contenant la statue du Christ dans sa gloire, et celles de la sainte
Vierge et de saint Jean. Entre les corbeaux qui soutiennent la corniche
intermédiaire, dans des sortes de métopes, sont sculptés quelques signes
du zodiaque et un porc, qui, suivant un usage assez fréquent au XII<sup>e</sup> siècle,
représente un mois de l'année, celui pendant lequel on tue cet animal
domestique. Il n'est pas nécessaire de faire ressortir la belle entente de
cette composition, que notre gravure permet d'apprécier. La façon dont
la sculpture est disposée, les divisions des parties principales, le contraste
heureusement trouvé entre les surfaces lisses et les surfaces décorées,
font assez connaître que l'architecte de cette œuvre entendait son
art. La sculpture est, d'ailleurs, très-délicate et exécutée avec un soin
minutieux. C'était la dernière expression de l'art roman des provinces
de l'Ouest, qui devait s'éteindre, quelques années plus tard, sous l'influence
de l'art de l'école laïque de l'Île-de-France.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Saint.Pierre.Melle.png|center]]
<div class="text">
Nous avons vu déjà, par l'exemple tiré de l'église de Notre-Dame du
Port, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]], que les portes étaient décorées, dans certaines provinces,
au moyen de bas-reliefs accessoires qui étaient comme plaqués à côté
ou au-dessus des archivoltes. Peut-être cet usage n'était-il qu'une tradition
fort ancienne. Lorsque, pendant la période carlovingienne primitive,
l'art de la statuaire était complétement perdu, on recueillait parfois des
bas-reliefs provenant de monuments antiques gallo-romains, et on les
incrustait dans les nouvelles constructions, notamment au-dessus des
portes, comme étant la partie de l'édifice que l'on tenait à décorer. Plus
tard, les artistes romans conservèrent cette disposition en incrustant des
bas-reliefs neufs, comme on l'avait fait pour les fragments antiques.
C'est, en effet, dans les provinces où les restes gallo-romains étaient
abondants, que l'on voit ce système d'ornementation persister jusque
pendant le XII<sup>e</sup> siècle. La grande porte méridionale de l'église de Saint-Sernin,
à Toulouse, nous fournit un exemple très-remarquable de ce
genre de décoration (fig. 59). Cette porte, parfaitement conservée jusqu'à
la corniche<span id="note63"></span>[[#footnote63|<sup>63</sup>]], se compose de trois rangs d'archivoltes entourant
un linteau et un tympan de marbre gris. Ce tympan représente
l'ascension
du Christ, suivant la donnée byzantine. Deux anges soulèvent le
Sauveur, dont les bras sont tournés vers le ciel. Quatre figures d'anges
président, deux à droite, deux à gauche, à cette scène. Les douze apôtres
sont sculptés sur le linteau et tournent la tête vers le Christ. Deux anges
terminent, à droite et à gauche, cette série. À la droite du cintre est
incrustée la statue de saint Pierre foulant sous ses pieds Simon le
Magicien, accompagné de deux démons. À la gauche, la statue de
saint Paul prêchant. Deux petites figures au-dessus de sa tête semblent
écouter. Sous ses pieds sont placés deux dragons, puis deux autres figures
assises sur des lions. Des quatre colonnes logées dans les
ébrasements,
deux sont de marbre; ce sont celles qui sont voisines des
pieds-droits.
Les chapiteaux, les cordons, les corbeaux portant le linteau et la
corniche, sont très-finement sculptés et d'un style remarquable. Mais
nous parlerons ailleurs de cette école des sculpteurs
toulousains<span id="note64"></span>[[#footnote64|<sup>64</sup>]], si
brillante au XII<sup>e</sup> siècle, et qui s'éteignit brusquement pendant les croisades
contre les Albigeois, pour ne plus reparaître avec quelque éclat que
vers la fin du XV<sup>e</sup> siècle.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Saint.Sernin.Toulouse.png|center]]
<div class="text">
Les exemples que nous venons de donner des portes d'églises
appartenant
à quelques-unes des principales écoles romanes de France, qu'elles
soient ou non pourvues de linteaux, partent tous d'un même principe de
structure, simple, rationnel et qui demande à être expliqué.
 
Une épaisseur de mur étant donnée, lorsque les architectes du
XII<sup>e</sup> siècle voulaient y percer une porte principale, l'ébrasement intérieur
et l'épaisseur du tableau étant réservés, il restait une certaine épaisseur
de mur dont on profitait pour placer une, deux, trois, quatre colonnes et
archivoltes, et même plus; ces colonnes variant de 0<sup>m</sup>,33 (un pied) de
diamètre à 0<sup>m</sup>,16 (six pouces), on procédait de cette façon (fig. 60).
A étant le tableau, on lui laissait un champ de face <i>a</i>, puis, prenant la
largeur BC pour la base en partie engagée, on traçait la colonne D. On
faisait CB' égal à CB. On recommençait l'opération de B' en E, et de
E en F, comme ci-dessus, et ainsi autant de fois que l'épaisseur du mur
l'exigeait. Alors les carrés CBB'<i>b</i>, B'EF<i>e</i> donnaient la projection horizontale
des tailloirs des chapiteaux sous leur saillie.
 
Cette succession de carrés donnait la trace des sommiers des
archivoltes,
tracés en P; ces archivoltes se recouvrant pour former un arc
plus ou moins profond en décharge. Les colonnettes étaient posées en
délit et monolithes, indépendantes de la bâtisse. Ainsi les nus des tailloirs
des chapiteaux et les plinthes des bases, suivaient exactement les
nus de la maçonnerie pleine, et chaque rangée de claveaux venait reposer
sur les colonnettes. Les charges étant reportées sur les parties maçonnées
BCB'EF, etc., il n'y avait alors aucune rupture à craindre. Plus tard, vers
la fin du XII<sup>e</sup> siècle, lorsque les archivoltes furent allégies et décorées
de figures, on procéda d'après le même principe. Seulement, les
colonnettes
s'amaigrirent, les tailloirs s'obliquèrent souvent, suivant
l'ébrasement, et les intervalles de ces colonnettes furent évidés, ainsi que l'indique
le tracé T. À ces colonnettes s'adossèrent parfois des statues
surmontées de dais dans la hauteur de l'assise des chapiteaux ou dans
l'assise au-dessus, dais figurés en <i>g</i> sur le tracé T, et alors les claveaux
des archivoltes furent appareillés et moulurés, comme le fait voir le
tracé M, les épannelages <i>h</i> étant réservés pour les figures et les petits
dais qui les séparent. Le principe roman était conservé, mais avec un
perfectionnement et un allégissement; les colonnes restaient habituellement
indépendantes, c'est-à-dire monolithes. Cette règle présente
plutôt des variétés dans l'application du principe, que des exceptions,
comme nous le verrons.
</div>
[[Image:Plan.porte.eglise.romane.png|center]]
<div class="text">
Pour peu que l'on ait étudié les divers styles d'architecture antérieurs
à cette période et étrangers à ceux de la France, on reconnaîtra qu'il y
avait, dans ce principe de composition et de structure des portes, un
élément nouveau, sans précédents, et qui se prête singulièrement à la
décoration. En effet, lorsqu'il s'agissait d'ouvrir dans des grands murs
de façade, épais, des baies assez larges pour faciliter l'entrée et la sortie
de la foule, il fallait combiner ces baies de telle sorte, qu'elles pussent
sans danger crever ces constructions massives et hautes, et en même
temps s'ouvrir largement par des ébrasements. Le système d'archivoltes
superposées, et formant comme une succession de cerceaux concentriques allant toujours en s'évasant du dedans au dehors, était
très-bien
trouvé au point de vue de la solidité et de l'effet. Ces archivoltes ébrasées
formaient comme un large cadre autour du tympan, et il était
naturel, celui-ci étant orné de bas-reliefs, de couvrir ces archivoltes de
figures formant comme le complément de la scène principale, une
assemblée de personnages participant à cette scène. Nous avons vu qu'à
Vézelay déjà, ce parti est adopté. Nous le voyons développé aux portes
occidentales de l'église de Saint-Lazare d'Avallon, au portail royal de la
cathédrale de Chartres, et dans beaucoup d'autres églises élevées de
1150 à 1180. Maintenant nous allons examiner comme ce principe
roman du XII<sup>e</sup> siècle se modifie pour tomber dans la donnée gothique
par plusieurs voies.
 
Évidemment, vers la seconde moitié du XII<sup>e</sup> siècle, les architectes
cherchaient dans la composition des portes, considérées comme une
partie très-importante des édifices religieux, sinon de nouveaux principes,
tout au moins des applications variées. La monotonie de composition
des portes romanes dans chaque école fatiguait; on voulait tenter du
neuf, sans cependant abandonner la donnée première, qui paraissait
excellente et qui l'est en effet. <span id=La.Souterraine>C'est ainsi, par exemple, que sur la façade
de l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#La.Souterraine|la Souterraine]] (Creuse), surmontée d'un gros clocher, on
perçait une porte d'un aspect très-original, bien que son plan soit tracé
conformément au mode d'ébrasement admis définitivement. Cette porte
(fig. 61), comme la plupart de celles du Poitou et de la Saintonge, ne
possède pas de linteau ni de tympan. La première archivolte, posée sur
les pieds-droits, est découpée par une suite de redents
très-prononcés, se
détachant sur le vide de la baie; les vantaux s'ouvrent par conséquent
intérieurement jusqu'au sommet de cette archivolte dentelée. Les autres
arcs présentent une suite de boudins alternativement unis et redentés.
Ces redents descendent même jusqu'au niveau des bases. La seule
sculpture que l'on remarque sur cette porte est celle des chapiteaux, et
cependant l'aspect général est très-riche et d'une très-heureuse proportion<span id="note65"></span>[[#footnote65|<sup>65</sup>]].
On remarquera comment l'appareil des claveaux se combine avec
le système des redents. Ce système d'appareil était d'ailleurs conforme
à celui qui était adopté pour toutes les baies avec archivoltes. Ici les
arcs sont déjà en tiers-point, le plein cintre a disparu.
</div>
[[Image:Porte.eglise.La.Souterraine.png|center]]
<div class="text">
<span id=Nesle>Il est intéressant d'observer comme au sein d'une autre province se
faisait la transition entre le style roman et le style gothique. Dans l'Île-de-France,
la petite église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nesle|Nesle]], près l'Isle-Adam (Seine-et-Oise),
possède une porte principale qui date des dernières années du XII<sup>e</sup> siècle,
contemporaine par conséquent de l'exemple précédent, et qui se
recommande
par la pureté de son style, la sobriété de son ornementation,
sans que dans cet ouvrage, d'une physionomie neuve pour cette époque,
on signale aucune de ces étrangetés qu'admettent volontiers les artistes
en quête d'idées originales. Entre cette porte (fig. 62) et celle que nous
avons donnée (fig. 55), provenant de l'église de Villers-Saint-Paul, il
n'y a guère qu'un espace de soixante années. Or, on reconnaît aisément
que dans cette province l'art s'est dégagé plus rapidement qu'ailleurs
de la tradition romane. La porte de Villers-Saint-Paul est d'un style
roman lourd, barbare même, si on le compare à celui des provinces du
Centre, de l'Ouest et du Midi; et tandis que dans ces dernières contrées,
la transition du roman au gothique se fait péniblement, ou ne se fait
pas du tout, nous voyons s'épanouir tout à coup, dans l'Île-de-France,
en quelques années, un style délicat, sobre, rompant avec les
traditions
des âges précédents, tenant compte des proportions, en évitant
les bizarreries si fréquentes au moment de la formation d'un art.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Nesles.png|center]]
<div class="text">
À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nesle|Nesle]], les colonnettes sont monostyles, indépendantes de la bâtisse;
le tracé du plan est, sauf plus de légèreté, tout roman; mais les archivoltes
se profilent de la façon la plus heureuse et la plus logique (voy.
en A). La sculpture, rare, tandis qu'elle est prodiguée dans les portes
romanes de la même contrée, est répartie par un artiste de goût sur les
cordons, sur les pieds-droits, entre les colonnettes, comme pour faire ressortir
celles-ci. Il y a évidemment ici réaction contre le style roman.
Ce n'est pas une modification, c'est une rupture complète, qui devait
amener rapidement les plus beaux résultats, puisque les portes
occidentales
de la cathédrale de Paris sont à peu près contemporaines de
celle-ci, et que les portes des cathédrales d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]] et de Reims s'élèvent
trente ou quarante ans plus tard<span id="note66"></span>[[#footnote66|<sup>66</sup>]].
 
Avant de nous occuper des portes si remarquables de quelques-unes
de nos cathédrales françaises, nous croyons nécessaire de faire connaître
encore certaines tentatives faites dans les provinces au moment où l'art
s'affranchit des traditions romanes.
 
<span id="Montreal.Yonne15"></span>Pendant qu'on élevait les portes que nous avons figurées dans ces
deux derniers exemples, c'est-à-dire de 1190 à 1200, on bâtissait en
Bourgogne, près d'Avallon, un très-remarquable monument religieux,
dont nous avons souvent l'occasion de parler, la petite église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Montreal.Yonne|Montréal]]
(Yonne). Sa façade occidentale, entièrement lisse, n'est décorée
que par une porte basse, large, et par une rose. La porte se distingue
par la singularité de sa composition et par sa sculpture, qui est du plus
beau style. Afin de pouvoir mieux faire apprécier cet ouvrage à nos
lecteurs, nous adoptons une échelle qui permettra de prendre une idée
plus exacte de son caractère, et nous ne donnons ainsi que la moitié de
l'ensemble (fig. 63).
 
Bien que les murs de l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Montreal.Yonne|Montréal]] soient élevés en moellon
smillé, les piles intérieures, les contre-forts et la façade sont construits
en bel appareil de pierre de Coutarnoux (Champ-Rotard); les joints et
lits étant fins et parfaitement dressés. Quant aux ravalements, ils sont
faits avec un soin et une précision de taille tout à fait remarquables, et
le charme de ce petit édifice consiste principalement dans la manière
dont sont traités les profils et les tailles. Tous les parements droits ou
unis sont layés à la laye ou au taillant droit, tandis que les moulures fines,
comme les bases, les tailloirs, sont polies. Le contraste entre ces tailles
donne quelque chose de précieux aux profils et arrête le regard.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Montreal.2.png|center]]
<div class="text">
Notre figure indique l'appareil, et permet de reconnaître qu'il est
entièrement d'accord avec les formes adoptées. Les lits coïncident avec
les membres de moulures, la hauteur des chapiteaux, des bandeaux, la
division des redents décorant les pieds-droits et la disposition des membres
des archivoltes. Les détails de l'architecture sont, de plus, traités avec un
soin rare et par un artiste consommé; les colonnettes des ébrasements sont
monolithes, et entre elles, les angles des pieds-droits retraités sont ornés
de fleurettes, deux dans chaque assise. À l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Congé|Congé]] (fig. 3), nous
avons donné la partie inférieure du trumeau, dont la composition est
des plus originales. Mais, suivant l'habitude des architectes de la Bourgogne,
vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle (car cette porte date de 1200 au plus tard),
les moulures d'archivoltes, au-dessus du lit inférieur des sommiers,
naissent au milieu d'ornements ou de demi-cylindres pris aux dépens
de l'équarrissement du profil, ainsi que nous l'avons indiqué en A.
Les moulures d'archivoltes ne reposent donc pas brusquement sur les
tailloirs des chapiteaux et conservent de la force à leur souche. En B, est
tracé le profil des archivoltes à l'échelle de 0<sup>m</sup>,04 pour mètre. Chaque
claveau étant profilé dans un épannelage rectangulaire tracé en <i>a</i>, c'est
aux dépens des évidements <i>b</i> que sont taillées les souches feuillues ou
composées de demi-cylindres horizontaux. Les vantaux de la porte de
l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Montreal.Yonne|Montréal]] ont conservé leurs pentures de fer forgé, qui sont
d'un dessin très-délicat.
 
La figure 64 donne en A le plan de cette porte. On observera que la
première colonnette <i>a</i> est retraitée de la saillie du profil du socle de la
base et du tailloir du chapiteau (qui donnent la même projection horizontale),
afin que cette saillie ne dépasse pas le nu <i>b</i> du mur de la façade.
Dès lors le membre d'archivolte externe repose sur le nu <i>b</i>, et non sur le
tailloir. Tout cela indique du soin, de l'étude, et ne permet pas de supposer,
ainsi que plusieurs le prétendent, que cette architecture procède au
hasard, qu'elle ne sait pas tout prévoir. À l'intérieur, une tribune de pierre
s'élève au-dessus de cette porte; elle est soutenue par de grands encorbellements
et par la colonnette B (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Tribune|Tribune ]]), posée sur l'emmarchement
qui descend dans la nef; car le sol extérieur est plus élevé que le sol
intérieur du côté de la façade occidentale. Deux arcs de décharge en
tiers-point surbaissé doublent le linteau à l'intérieur, et portent sur les
colonnettes engagées <i>d</i> et sur le trumeau. En C, nous donnons un dessin
perspectif des chapiteaux, avec leurs tailloirs, au-dessus desquels on remarquera
les naissances des archivoltes plongeant dans les demi-cylindres
dont nous venons de parler; car, d'un côté de la porte, sont des
ornements, de l'autre ces demi-cylindres. Notre croquis, si insuffisant
qu'il soit, montre assez cependant que la sculpture est d'un bon style,
grande d'échelle, bien composée; que ces chapiteaux portent franchement
les quatre membres de l'archivolte et se combinent adroitement avec
les fleurettes qui garnissent les angles des pieds-droits.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Montreal.png|center]]
<div class="text">
L'architecture de Bourgogne, pendant les XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, se recommande
par l'ampleur et la hardiesse. Les profils, la sculpture, sont
traités largement; de plus, les compositions présentent un caractère
d'originalité que l'on ne trouve pas développé au même degré dans les
autres provinces françaises. La porte principale de l'église de la Madeleine
de Vézelay, celle de l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Montreal.Yonne|Montréal]] , donnent la mesure de
ces qualités particulières, et qui appartiennent au génie de la population
établie sur cette contrée. En Bourgogne, l'architecture des XII<sup>e</sup> et
XIII<sup>e</sup> siècles ne s'arrête pas à des types consacrés, elle cherche au contraire
la variété, des voies nouvelles et hardies; elle sait profiter des
matériaux que fournit le sol, et son école de sculpteurs est puissante.
Il existe encore, sous le porche de l'église de Saint-Père, ou plutôt de
Saint-Pierre-sous-Vézelay (Yonne), une porte fort dégradée aujourd'hui,
mais dont la composition est empreinte à un degré remarquable des
qualités que nous venons de signaler.
 
Cette porte (fig. 65), qui date de 1240 environ, quoique d'une petite
dimension, est conçue évidemment par un artiste du premier ordre.
Elle se trouvait percée primitivement sous le pignon dont nous avons
donné l'élévation<span id="note67"></span>[[#footnote67|<sup>67</sup>]]; le porche ayant été élevé plus tard. Un trumeau
sépare les deux baies jumelles terminées par deux grands trilobes d'un
trait hardi. Ce trumeau, dégradé aujourd'hui, était décoré par une statue
de saint Pierre placée très-près du sol. Au-dessus du dais, qui couronnait
cette statue, et dont on retrouve les traces, est sculpté un buste de
roi (probablement David), qui supportait une figure du Sauveur assise,
accompagnée de deux anges thuriféraires<span id="note68"></span>[[#footnote68|<sup>68</sup>]]. Sur les pieds-droits adossés à
deux colonnes, on voyait deux autres statues, détruites aujourd'hui, et
couronnées de dais d'un haut style. En A, nous avons tracé le plan de
la porte avec la projection horizontale des tailloirs des chapiteaux, du
dais et de la naissance des archivoltes. La statuaire remplit, dans cette
composition, un rôle important; elle est empreinte d'un caractère libre
et puissant, sans contrarier les lignes de l'architecture. Cet ensemble est
élevé en matériaux relativement grands et bien appareillés.
 
Nous sommes obligés de nous borner et de laisser de côté quantité
d'exemples de portes remarquables par la variété de leur composition et
la beauté de leurs détails. Les exemples que nous venons de donner en
dernier lieu, et qui appartiennent à la belle époque du moyen âge, font
assez connaître que cette architecture gothique se développait, dans les
diverses provinces françaises, avec une liberté d'allures bien éloignée
de cet hiératisme dont on a parfois accusé les maîtres de cet art. Il
arriva certainement un moment où l'architecture gothique admit des
formules et tomba dans la monotonie; mais même alors il se trouva des
artistes qui surent conserver leur individualité, tout en profitant des
données admises et des types consacrés, ainsi que nous le verrons
bientôt. Pendant la période de formation, c'est toutefois par la liberté
dans la composition et l'exécution que se recommande l'art gothique,
bien qu'alors il restât soumis à des principes définis. C'est en cela que
l'étude de cette architecture peut être profitable.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Saint.Pierre.sous.Vezelay.png|center]]
<div class="text">
<span id="Arles5"></span>Nous avons vu comme l'école de Toulouse avait su concilier les traditions
de l'architecture gallo-romaine avec les données byzantines recueillies
en Orient. Une autre école voisine, celle de la Provence, s'était
initiée plus intimement encore aux derniers vestiges de l'art
gréco-romain,
réfugié en Syrie. En examinant les portes de Saint-Gilles et de
Saint-Trophime d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Arles|Arles]], qui datent de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, on croirait
voir les restes de ces monuments semés en si grand nombre sur la route
d'Antioche à Alep. En effet, cette contrée fut conquise par les croisés
en 1098, sous le commandement de Bohémond I<sup>er</sup>, fils de Robert Guiscard;
et jusqu'en 1268, la principauté d'Antioche resta aux mains des
Occidentaux. Les Provençaux étaient les intermédiaires naturels entre
la France et les croisés établis en Syrie; il n'est donc pas surprenant
qu'ils aient rapporté, de ces contrées si riches en monuments
romano-grecs,
les éléments des arts qu'ils pratiquèrent en Occident pendant le
XII<sup>e</sup> siècle.
</div>
[[Image:Porte.Saint.Trophime.Arles.png|center]]
<div class="text">
Mais les Provençaux possédaient chez eux de nombreux monuments
de l'époque romaine; et en s'inspirant du style rapporté d'Orient, ils y
mêlaient, à une forte dose, les éléments romains épars sur leur sol.
Ainsi, bien que les dispositions générales, les proportions, les profils,
l'ornementation, soient presque entièrement empruntés à la Syrie, la
statuaire est dérivée du style gallo-romain, avec quelques influences
byzantines. Il n'en pouvait être autrement, puisque les édifices des environs
d'Antioche sont totalement dépourvus de statuaire. Les belles
portes des églises de Saint-Trophime d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Arles|Arles]] et de Saint-Gilles sont
couvertes de figures fortement empreintes des traditions
gallo-romaines.
L'imagerie, abandonnée par les chrétiens d'Orient des V<sup>e</sup> et VI<sup>e</sup> siècles,
qui élevèrent les monuments dont nous venons de parler, resta toujours
en honneur chez les Occidentaux. Ceux-ci suppléèrent à ce qu'il manquait
aux modèles recueillies en Orient, par l'imitation des débris
gallo-romains
et des nombreuses sculptures que l'on rapportait sans cesse
de Constantinople, et qui ornaient des meubles, des coffrets, des diptyques,
des couvertures de manuscrits de bois, d'ivoire ou d'orfévrerie.
Byzance entretenait un commerce considérable avec tout
l'Occident pendant les XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles, et la sculpture, malgré les
iconoclastes, y avait toujours été pratiquée pour satisfaire au goût des
Français, des Italiens et des Allemands. Il faut donc distinguer, dans nos
monuments de Provence du XII<sup>e</sup> siècle, ces deux éléments: l'un dérivé
des formes architectoniques provenant de la principauté d'Antioche,
l'autre issu des traditions gallo-romaines et des exportations d'objets
fabriqués à Constantinople. Ces éléments connus et appréciés, cette
architecture provençale du XII<sup>e</sup> siècle s'explique naturellement. Si l'on
ne tient compte de ces origines diverses, cette architecture est inexplicable,
en ce qu'elle semble surgir tout à coup du milieu de la barbarie,
en présentant les caractères d'un art très-avancé et plus près de la décadence
que du berceau. On peut apprécier ces caractères en jetant les
yeux sur la figure 66, qui donne une partie de la porte de Saint-Trophime d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Arles|Arles]]. Comme structure, comme profils et ornementation, cette
porte est toute romano-grecque syriaque; comme statuaire, elle est
gallo-romaine avec une influence byzantine prononcée. Son iconographie
mérite d'être étudiée. Au centre du tympan, est le Christ couronné
dans sa gloire, tenant le livre des Évangiles et bénissant; autour de lui
sont les quatre signes des évangélistes; sous la première voussure, deux
rangs d'anges adorateurs à mi-corps. Dans le linteau, sont sculptés les
douze apôtres assis; puis à la droite du Christ, sur le pied-droit, Abraham
recevant les élus dans son giron. De ce même côté sont figurés, sur une
haute frise, les élus vêtus, les femmes étant placées à la suite des
hommes; à la tête de cette théorie, sont deux évêques. Dans la frise,
en pendant, à la gauche du Christ, sont les damnés, nus, reliés par une
chaîne et marchant en sens inverse, conduits par un démon au milieu
des flammes. Sur le chapiteau du trumeau est sculpté l'archange saint
Michel, appuyé sur une lance. Entre les colonnes des larges
pieds-droits
de la porte, sont quatre apôtres, et en retour, des saints de la primitive
Église. Un évêque, saint Trophime probablement, est sculpté dans un
de ces compartiments. En regard, les âmes sortent de terre et sont enlevées
par un ange et un diable. Si remarquable que soit l'architecture
provençale du XII<sup>e</sup> siècle, elle était frappée d'impuissance et ne savait
produire autre chose que ces curieux mélanges d'imitations diverses.
De ces mélanges il ne pouvait sortir un art nouveau, et en effet il ne
sortit rien; dès le commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, l'architecture provençale
était tombée dans une complète décadence, il en fut tout autrement
des écoles du Nord, de l'Île-de-France, de la Picardie, de la Bourgogne
et de la Champagne. Ces écoles, qui s'étaient moins attachées à l'imitation
des arts recueillis en Orient, qui n'en avaient reçu qu'un reflet assez vague,
cherchèrent dans leur propre fonds les éléments d'un art; et l'école
laïque de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, s'appuyant sur une structure raisonnée et
l'étude de la nature, dépassa rapidement ses aînées de la Provence
et du Languedoc. La porte de Saint-Trophime d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Arles|Arles]], malgré ses mérites
au point de vue de la composition, des proportions et de la belle entente
des détails, est évidemment un monument tout voisin de la décadence;
tandis que la porte de la Vierge du portail occidental de la
cathédrale de Paris, qui ne lui est postérieure que de quelques années,
est un monument empreint d'une verdeur juvénile, d'un style neuf,
puissant, et qui promet une longue suite d'ouvrages du premier ordre.
C'est que la porte de Saint-Trophime n'est qu'une œuvre provenant de
sources diverses, qu'une habile imitation, tandis que la porte de la
Vierge de Notre-Dame de Paris, tout en respectant des principes admis,
est une œuvre originale qui n'emprunte aux arts antérieurs qu'une forme
générale consacrée.
 
Parmi tant de jugements aventurés qui ont été pendant trop longtemps
prononcés sur l'art de l'école laïque française du XII<sup>e</sup> siècle, ou, si on
l'aime mieux, sur l'art gothique, le plus étrange est certainement celui
qui prétendait faire dériver cette architecture gothique des croisades.
Les croisades ont eu sur l'art du moyen âge, au commencement du
XII<sup>e</sup> siècle, une influence incontestable, rapide, parfaitement appréciable,
lorsque l'on compare les monuments gréco-romains de Syrie avec ceux
élevés en France dans les provinces du Midi, du Centre et de l'Ouest.
Mais l'architecture gothique, celle que l'école laïque du Nord élève vers
la fin du XII<sup>e</sup> siècle, est au contraire la réaction la plus manifeste contre
cette influence venue d'Orient. Soit qu'on envisage l'architecture
gothique
au point de vue de la structure, du système des proportions ou
des ordonnances, de l'emploi des matériaux, du tracé des profils, de la
disposition des plans, de l'ornementation et de la statuaire, elle se sépare
entièrement des principes rapportés d'Orient par les derniers architectes
romans. Mais il est si facile d'admettre des jugements tout faits et de les
accepter sans contrôle, que nous entendrons répéter longtemps encore
que l'architecture gothique a été rapportée en France par les croisés qui
ont suivi Louis le Jeune en Palestine, bien qu'il soit démontré aujourd'hui
que les restes d'architecture rappelant les formes gothiques, et
existant en Palestine, sont dus précisément aux croisés devenus maîtres
de Jérusalem. Le petit nombre de Français qui revinrent en Occident
après l'expédition de Louis le Jeune avaient certes bien autre chose à
penser qu'à rapporter des formules architectoniques. Pour qu'un art, à
de si grandes distances, passe d'un peuple chez un autre, il faut que des
établissements permanents aient pu se constituer, que des relations se
forment, que le commerce prenne un cours régulier. Ce ne sont pas des
soldats qui rapportent un art dans leur bagage, surtout s'ils ont tout
perdu en chemin. La principauté d'Antioche, fortement établie dès la fin
du XI<sup>e</sup> siècle en Syrie, au milieu d'une contrée couverte littéralement
d'édifices encore intacts aujourd'hui, a pu servir de centre d'études pour
les artistes occidentaux; mais il est en vérité assez puéril de croire que
les croisés des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, qui n'ont pu s'établir nulle part, et
n'ont tenté que des expéditions malheureuses, aient rapporté en France
un art aussi complet et aussi profondément logique que l'est l'architecture
dite gothique.
 
Il nous reste à étudier les portes d'églises dues incontestablement à
l'art français du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, en dehors de toute
influence étrangère. Déjà celles que nous avons données dans cet article,
provenant des églises de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nesle|Nesle]], de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Montreal.Yonne|Montréal]] , de Saint-Père, sont
franchement gothiques, bien qu'elles se rattachent par quelques points
aux traditions romanes, ou qu'elles présentent des singularités. Maintenant
nous entrons dans le domaine royal, nous ouvrons le XIII<sup>e</sup> siècle,
et la marche de l'architecture est suivie sans déviations, aussi bien dans
l'exécution de ces vastes portails de nos églises que dans les autres parties de ces édifices. Nous prendrons d'abord la porte de la façade occidentale
de Notre-Dame de Paris, percée sur le collatéral nord, et qui est
connue sous le nom de porte de la Vierge. La porte opposée à celle-ci,
s'ouvrant sur le collatéral sud, est composée en grande partie avec
des fragments provenant d'une porte du XII<sup>e</sup> siècle, ainsi que nous l'avons
expliqué plus haut. La porte centrale, élevée en même temps que celle
de la Vierge, fut remaniée peu après, nous ne savons pour quelle raison,
car nous avons découvert dans les fouilles des fragments d'un tympan
primitif provenant du Christ et des figures qui l'entouraient. En effet,
cette porte centrale paraît, par son style, être postérieure de quelques
années à la porte de gauche. Celle-ci, dite de la Vierge, appartient aux
premières constructions de la grande façade, et fut élevée par conséquent
de 1205 à 1210. C'est une des plus belles conceptions de l'art du moyen
âge, soit comme architecture, soit comme ornementation, soit comme
statuaire. Elle est construite entièrement en matériaux de choix, liais-cliquart de la butte Saint-Jacques.
 
Si l'on jette les yeux sur le plan de la cathédrale de Paris (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]],
fig. 1), on observera que cette porte de gauche s'ouvre sous la
tour, comme celle de droite, dans une salle voûtée au moyen d'arcs
ogives croisés d'arcs-doubleaux, de sorte que l'un de ces
arcs-doubleaux
repose sur le trumeau de la baie double, et que les deux vantaux étant
ouverts, ces deux baies donnent en face des deux bas côtés.
 
Le plan de la porte de la Vierge, (fig. 67) présente donc une
disposition
particulière, très-largement conçue. En A, ce plan donne la section
horizontale au niveau des soubassements décorés d'une arcature. En B,
au niveau des statues qui surmontent ce soubassement et qui reposent
sur une large saillie, l'ordonnance des colonnettes qui séparent les
statues est telle, que ces colonnettes <i>a</i> sont plantées sur l'axe <i>b</i> des arcs
du soubassement, et qu'alors les statues reposent sur les colonnettes
inférieures <i>c</i>. C'est sur la grosse colonne D que porte
l'arc-doubleau <i>d</i>
recoupant les arcs ogives. Dans l'origine, l'espace DE était vide; mais
des écrasements s'étant produits dans la colonne D, cet espace fut rempli
en pierres de taille, peu après la construction, ainsi que l'indiquent les
lignes ponctuées <i>g</i>, de façon à réunir cette colonne au trumeau.
 
La figure 68 présente l'élévation de cette porte, qui est tout un poëme
de pierre. Sur le socle du trumeau central est placée la statue de la
Vierge tenant l'enfant; sous ses pieds elle foule le dragon à tête de femme,
dont la queue s'enroule au tronc de l'arbre de la science. Adam et Ève,
des deux côtés de l'arbre, sont tentés par le serpent. Sur la face gauche
du socle, est sculptée la création d'Ève, et sur celle de droite, l'ange
chassant nos premiers parents du paradis. Un dais très-riche, soutenu
par deux anges thuriféraires, surmonte la tête de la Vierge et se termine
par un charmant édicule recouvrant l'arche d'alliance. On voudra bien
se rappeler que les litanies donnent à la Vierge le titre d'Arche d'alliance.
Ainsi, sur ce trumeau, la glorification de la mère du Christ est complète.
Elle tient dans ses bras le Rédempteur; suivant la parole de l'Écriture,
elle écrase la tête du serpent, et sa divine fonction est symbolisée par
l'arche d'alliance. Sur le linteau de la porte, divisé en deux parties par
l'édicule couronnant le dais, sont sculptés, à la droite de la Vierge, trois
prophètes assis, la tête couverte d'un voile, tenant un seul phylactère
dans une attitude méditative; à la gauche, trois rois couronnés dans la
même pose. Ces six figures sont des plus belles entre toutes celles de
cette époque. La présence des prophètes est expliquée par l'annonce de la
venue du Messie; quant aux rois, ils assistent à la scène comme ancêtres
de la Vierge. Les têtes de ces personnages sont particulièrement
remarquables
par l'expression d'intelligence méditative qui semble leur donner
la vie.
</div>
[[Image:Plan.porte.de.la.Vierge.cathedrale.Paris.png|center]]
<div class="text">
Le second linteau représente l'ensevelissement de la Vierge. Deux
anges tiennent le suaire et descendent le corps dans un riche sarcophage.
Derrière le cercueil est le Christ bénissant le corps de sa mère; autour
de lui les douze apôtres, dont les physionomies expriment la douleur.
Dans le tympan supérieur, la Vierge est assise à la droite de son fils, qui
lui pose sur la tête une couronne apportée par un ange. Deux autres
anges agenouillés des deux côtés du trône portent des flambeaux. Dans
les quatre rangées de claveaux qui entourent ces bas-reliefs, sont sculptés
des anges, les patriarches, les rois aïeux de la Vierge, et les prophètes.
Un cordon couvert de magnifiques ornements termine les voussures.
Mais comme pour donner plus d'ampleur à la courbe finale, une large
moulure l'encadre en forme de gâble renfoncé. Cet encadrement repose
sur deux colonnettes.
 
Huit statues garnissent les ébrasements, ainsi que l'indique notre
plan (fig. 61). Voici comment se disposent ces figures. En commençant
par le jambage à la droite de la Vierge, est placé saint Denis portant sa
tête et accompagné de deux anges, puis Constantin. Contre l'ébrasement
opposé, en face de Constantin, est le pape saint Sylvestre; à la suite,
sainte Geneviève, saint Étienne et saint Jean-Baptiste. Les statues étant
posées sur les colonnettes de l'arcature inférieure, les tympans réservés
entre les arcs qui surmontent ces colonnettes sont par conséquent sous
les pieds des figures. Chacun de ces tympans porte une sculpture qui se
rapporte au personnage supérieur. Sous Constantin, deux animaux, un
chien et un oiseau, pour signifier le triomphe du christianisme sur le
démon; sous saint Denis, le bourreau tenant la hache; sous les deux
anges, un lion et un oiseau monstrueux, symboles des puissances que
les anges foulent aux pieds; sous saint Sylvestre, la ville de Byzance;
sous sainte Geneviève, un démon; sous saint Étienne, un juif tenant
une pierre; sous saint Jean-Baptiste, le roi Hérode. Dans le fond de
l'arcature, sous les petites ogives, sont sculptées en relief
très-plat des
scènes se rapportant également aux statues supérieures. Ainsi, sous
Constantin, on voit un roi agenouillé, tenant une banderole, aux pieds
d'une femme assise voilée, couronnée, nimbée, et tenant un sceptre.
Cette femme, c'est l'Église; à laquelle l'empereur rend hommage. Sous
les anges, on voit les combats de ces esprits supérieurs contre les esprits
rebelles. Sous saint Denis, son martyre; sous saint Sylvestre, un pape
conversant avec un personnage couronné; sous sainte Geneviève, une
femme bénie par une main sortant d'une nuée, et recevant l'assistance
d'un ange; sous saint Étienne, la représentation de son martyre; sous
saint Jean-Baptiste, le bourreau donnant la tête du précurseur à la fille
d'Hérodiade. À la même hauteur, sur les jambages, sont sculptés, en <i>e</i>
(voy. le plan), la Terre, représentée par une femme tenant des plantes
entre ses mains; en <i>f</i>, la Mer, figurée de même par une femme assise sur
un poisson et tenant une barque. Les pieds-droits extérieurs de la porte,
en <i>h</i>, sont couverts de végétaux sculptés avec une rare délicatesse; les
arbres et arbustes sont évidemment symboliques: on reconnaît parfaitement
un chêne, un hêtre, un poirier, un châtaignier, un églantier.
 
Trente-sept bas-reliefs, sculptés sur les deux faces de chacun des
pieds-droits de la porte en <i>m</i>, composent un almanach de pierre au-dessus
des bas-reliefs de la Mer et de la Terre. Ce sont les figures du zodiaque
et les divers travaux et occupations de l'année<span id="note69"></span>[[#footnote69|<sup>69</sup>]].
 
L'ensemble de cette composition, dont notre gravure ne peut rendre
la grandeur et le caractère, forme ainsi un tout complet. D'abord la
Vierge, dans son rôle de femme, élue pour détruire le règne du démon.
Sa généalogie, les prophètes qui ont annoncé sa naissance; sa mort, son
couronnement dans le ciel. Puis les personnages qui ont inauguré l'ère
chrétienne, saint Jean-Baptiste, saint Étienne, premier martyr, le pape
saint Sylvestre et l'empereur Constantin; et comme pour rattacher ce
rêsumé au diocèse de Paris, saint Denis et sainte Geneviève. La Terre, la
Mer, la révolution annuelle, assistent à cette épopée divine, et paraissent
lui rendre un éternel hommage.
 
C'est ainsi que les artistes du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle savaient
composer une porte de cathédrale. Et cependant que croyait-on voir
dans tout cela il y a deux siècles? Un symbole du <i>grand œuvre</i>, des
figures cachant la découverte de la pierre philosophale? Des ouvrages
entiers ont été sérieusement écrits sur ces rêveries.
 
L'exécution répond en tout à la grandeur de la conception, et la
statuaire de cette porte peut être mise au rang des plus belles œuvres
dues aux artistes de l'Occident (voy. [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Statuaire |Statuaire ]]).
 
La porte de la Vierge de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris
est certainement une des premières compositions en ce genre.
Supérieure
aux œuvres analogues du XIII<sup>e</sup> siècle, elle atteint du premier coup
l'apogée de l'art. Si l'on étudie cette porte en dehors des influences qui
prétendent classer tous les ouvrages du moyen âge au-dessous de ceux
de l'antiquité, on reconnaît bientôt que jamais l'alliance de l'architecture
et de la statuaire n'a été plus intime. L'échelle des figures est observée
avec une délicatesse rare: qualité qui manque presque toujours aux
œuvres postérieures, et trop souvent à celles de l'antiquité. S'il y a des
différences entre les dimensions de ces figures, elles ne sont pas assez
sensibles pour que leur réunion ne forme pas un ensemble complet.
Les statues qui garnissent les voussures sont en effet à mi-corps, afin
de leur donner une échelle en rapport avec celles qui garnissent les
tympans.
 
Autrefois cet ensemble était couvert de peintures et de dorures, dont
les traces sont encore visibles.
 
La porte centrale de la même église, bien que très-belle, le cède à la
porte de la Vierge, soit comme composition, soit comme perfection
d'exécution.
</div>
[[Image:Porte.de.la.Vierge.cathedrale.Paris.png|center]]
<div class="text">
Ce grand parti est suivi dans toutes nos cathédrales du XIII<sup>e</sup> siècle.
Cependant, parfois, les tympans des portes furent percés de
claires-voies,
de véritables fenêtres vitrées. Telles sont disposées, par exemple, les
trois portes de la façade occidentale de la cathédrale de Reims. C'est là
une particularité qui semble appartenir à l'école champenoise, à dater
du milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, mais qui demeure à l'état d'exception. Les
tympans sculptés donnaient aux imagiers de trop belles pages à remplir
pour que ceux-ci n'en profitassent pas; et de fait, on n'a jamais su
trouver de meilleures places pour développer des scènes sculptées. Aux
deux portes de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris, celle centrale
et celle de la Vierge, les figures qui décorent la partie supérieure
des tympans sont des statues rapportées sur un fond, comme le sont les
statues qui garnissaient les deux tympans des frontons du Parthénon,
tandis que les linteaux sont des bas-reliefs en ronde bosse. Quant aux
figures des voussures, elles sont sculptées, chacune, dans un claveau et
avant la pose. On a lieu de s'étonner que cette époque ait pu fournir un
nombre d'imagiers assez considérable pour permettre d'élever des portes
aussi richement décorées en très-peu de temps, d'autant que les
différences
de <i>faire</i> sont peu sensibles, que toutes ces figures sont sculptées
dans de la pierre dure comme du marbre, et toutes d'un style et d'une
exécution remarquables. La porte de la Vierge contient neuf grandes
statues; vingt-huit figures, dont quelques-unes sont plus fortes que
nature dans les linteaux et le tympan; soixante-deux figures, dans les
voussures, en pied ou à mi-corps, presque de grandeur naturelle; de
plus, vingt-neuf bas-reliefs, sans compter l'ornementation. La porte centrale,
celle du Jugement dernier, contient treize statues de plus de deux
mètres; cinq figures colossales dans le tympan, cinquante figures petite
nature dans les linteaux, cent vingt-six figures ou sujets petite nature
dans les voussures, et quarante-deux bas-reliefs. Cela donne bien un peu
à réfléchir sur la puissance de cette école de statuaire du commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle; toutes ces figures ayant dû être sculptées avant la pose,
c'est-à-dire assez rapidement pour ne pas ralentir le travail du constructeur.
Si l'on ajoute à ce nombre les sculptures de la porte Sainte-Anne,
les vingt-huit statues colossales des rois de Juda, les quatre statues
également colossales qui décorent les contre-forts, et que l'on se rappelle
que ce portail, jusqu'à la hauteur de la galerie de la Vierge, dut être
élevé en cinq années au plus, on peut bien se demander s'il serait possible
aujourd'hui d'obtenir un pareil résultat. Et cette fécondité, cependant,
n'est pas obtenue au détriment de l'exécution ou de l'unité dans le style;
on peut, certes, constater le travail de mains différentes, sans qu'il en
résulte un défaut d'harmonie dans l'ensemble. Si les grandes portes du
XIII<sup>e</sup> siècle, appartenant aux cathédrales de Chartres, de Reims, d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]],
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], présentent des exemples admirables, on ne saurait
cependant
les considérer comme pouvant rivaliser avec les deux portes que
nous venons de citer, et notamment avec celle de la Vierge de
Notre-Dame
de Paris. Cependant, à la base du transsept méridional de cette
église, il existe une porte fort belle, datée de 1257, et qui peut être
classée parmi les meilleures compositions en ce genre. Le tympan
représente la légende de saint Étienne, et les voussures, des martyrs, des
docteurs et des anges. Sur le trumeau est dressée la statue du saint, et
dans les ébrasements sont placés des apôtres. Il est à croire que cette
porte passa, au moment où elle fut bâtie, pour un chef-d'œuvre, car on
la retrouve exactement copiée, sauf quelques détails, à la base du pignon
méridional de la cathédrale de Meaux, mais par des mains moins habiles.
 
Il nous faut citer encore, parmi les portes du milieu du XIII<sup>e</sup> siècle,
remarquables par leur exécution et leur composition, celles de la sainte
Chapelle de Paris, celle méridionale du transsept de l'église abbatiale de
Saint-Denis, découverte depuis peu, et qui fut malheureusement mutilée
pendant le dernier siècle pour construire un couloir entre l'église et la
maison des religieux. Cette porte est, comme sculpture, une œuvre
incomparable,
et jamais la pierre ne fut traitée avec plus d'habileté.
 
La fin du XIII<sup>e</sup> siècle et le XIV<sup>e</sup> siècle nous fournissent des exemples de
portes bien composées et d'une exécution excellente; mais, cependant,
ces ouvrages sont tous empreints d'une maigreur de style qui fait
regretter
les conceptions incomparables du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle.
Les détails d'ornements ne sont plus à l'échelle, les figures sont petites
et les sujets confus. Les formes géométriques l'emportent sur la
statuaire,
l'enveloppent et la réduisent à un rôle infime. Les profils se
multiplient, et à force de rechercher la variété, les artistes tombent dans
la monotonie. Cependant nous serions injustes si nous ne constations les
qualités qui distinguent quelques-unes de ces compositions. Bien des
fois, dans cet ouvrage, nous avons l'occasion de citer l'église de Saint-Urbain
de Troyes, monument des dernières années du XIII<sup>e</sup> siècle, et dont
la structure comme les détails ont une grande valeur. Cette église possède
une porte centrale à l'occident, dont la composition est originale et
gracieuse. La porte principale de l'église de Saint-Urbain s'ouvrait sous
un porche qui ne fut pas achevé. Elle est dépourvue de voussures, le
formeret de la voûte du porche lui en tenant lieu. Sur le trumeau central
(voyez figure 69), s'élevait, croyons-nous, la statue de saint Urbain,
pape<span id="note70"></span>[[#footnote70|<sup>70</sup>]]. Dans une riche colonnade surmontée de dais, à droite et à gauche,
sous le porche, ne formant pas ébrasements, devaient être posées diverses
statues, comme sous le porche de l'église Saint-Nicaise de Reims. Deux
de ces statues, près des pieds-droits, se détachaient plus particulièrement
des groupes posés sous la colonnade, et portaient sur deux piédestaux
saillants (voyez le plan A). Le linteau, très-chargé d'ornements feuillus
et de moulures, retrace, sur une frise étroite, la résurrection. Les morts
sortent de leurs cercueils. Dans les compartiments inférieurs du tympan,
à la droite du Christ, on voit Abraham recevant les élus dans les plis de
son manteau; à la suite, deux anges séparent les âmes. Celles qui sont
élues sont couronnées. Dans le compartiment suivant, sont les damnés
enchaînés et tirés par des démons; parmi ces âmes, on remarque un
évêque et un roi reconnaissables à la mitre et à la couronne, car ces
petites figures sont nues d'ailleurs. Le dernier compartiment représente
l'entrée de l'enfer sous la forme d'une gueule monstrueuse dans laquelle
les démons précipitent les damnés. Au-dessus, dans deux
<i>quatre-lobes</i>, la
Vierge et saint Jean, agenouillés, implorent le Christ pour les pécheurs;
entre-deux est sculpté un ange, les ailes éployées et tenant un phylactère.
Cet ange remplace le pèsement des âmes représenté d'une façon
si dramatique sur les monuments antérieurs. Dans le <i>quatre-lobes</i> supérieur
apparaît le Christ demi-nu, accompagné de deux anges tenant le
soleil et la lune, et ayant sous ses pieds les douze apôtres assis. Dans les
deux triangles latéraux, deux anges sonnent de la trompette. Il y a loin
de ce petit paradis géométrique, où la statuaire ne remplit qu'un rôle
très-secondaire, aux glorieux tympans de Notre-Dame de Paris, de
Chartres, d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]], et de la cathédrale de Bordeaux. Cette façon
sommaire
de représenter la scène du jugement indique assez que la grande
école de statuaire tendait, à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle déjà, à laisser de côté
les belles traditions religieuses qu'avaient si bien interprétées les artistes
de 1160 à 1250.
</div>
[[Image:Trumeau.eglise.Saint.Urbain.Troyes.png|center]]
<div class="text">
En B, nous avons tracé le plan du trumeau.
 
C'est cependant sur ces compositions gracieusement agencées, mais
qui manquent de style et de grandeur, que l'on juge habituellement l'art
dit gothique. C'est comme si l'on prétendait apprécier l'art grec sur les
compositions maigres et souvent maniérées du temps d'Adrien, au lieu
de le juger sur les monuments du temps de Périclès.
 
On ne saurait nier toutefois qu'il y ait dans cette œuvre de la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle, sinon beaucoup d'imagination, au moins une conception
très-gracieuse, une étude fine des proportions et une perfection prodigieuse
dans l'exécution des détails; mais l'architecture l'emporte sur la
statuaire, réduite à la fonction d'une simple ornementation. L'imagier
n'est plus un artiste, c'est un ouvrier habile.
 
Ce qu'on ne saurait trop étudier dans les compositions du commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle, c'est l'ampleur, les belles dispositions de la
statuaire.
Celle-ci, quoique soumise aux formes architectoniques, prend ses
aises, se développe largement. On peut constater la vérité de cette observation,
en examinant notre figure 68. Dans cette page, la statuaire
remplit évidemment le rôle important, mais sans qu'il en résulte un dérangement
dans les lignes de l'architecture. En comparant cette œuvre
(la porte de la Vierge de la façade de Notre-Dame de Paris) avec les
meilleures productions de l'antiquité, chacun peut constater qu'ici la
statuaire est conçue d'après des données singulièrement favorables à son
complet épanouissement. La pensée de former autour du tympan un
encadrement de figures, une assemblée de personnages assistant à la
scène principale, est certainement très-heureuse et neuve. Rien de pareil
ni dans les monuments de la Grèce, ni dans les monuments de la Rome
antique.
 
En appréciant les choses d'art avec les yeux d'un critique impartial,
et en ne tenant pas compte des admirations toutes faites ou imposées
par un esprit exclusif, il faudra bien reconnaître que dans la plupart des
conceptions de l'école laïque du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, la statuaire
est répartie d'après des données plus vraies qu'elle ne l'a été dans
les monuments de l'antiquité. Si nous prenons le chef-d'œuvre de l'art
grec, le Parthénon, par exemple, nous voyons que la statuaire est placée
dans le tympan du fronton, dans des métopes et sur des frises toujours
plongées dans l'ombre, sous un portique dont le peu de largeur ne
donnait
pas une reculée suffisante pour apprécier la valeur de la sculpture.
Les sujets posés entre les triglyphes, sous le larmier de la corniche,
étaient, pendant une partie du jour, coupés par l'ombre de ce larmier.
Ils sont trop petits d'échelle pour la place qu'ils occupent, surtout si on
les compare aux statues des tympans.
 
Éloignée de l'œil, cette admirable statuaire de Phidias, qui, dans un
musée, peut être étudiée et appréciée, perdait naturellement beaucoup.
Mérite d'exécution à part, il n'est pas nécessaire de raisonner longuement
pour prouver que la statuaire des portails de nos grandes cathédrales est plus favorablement disposée, et que, par conséquent, l'effet
d'ensemble qu'elle produit sur le spectateur est plus complet et plus
saisissant. Placer autour des portes, c'est-à-dire autour des parties d'un
monument dont on peut le plus souvent et le plus aisément apprécier
la richesse, ces myriades de figures qui participent à un sujet, c'est là
certainement une idée féconde pour les artistes appelés à décorer ces
vastes portails. Alors la statuaire peut être appréciée dans son ensemble
comme composition, dans ses détails comme exécution. Elle n'est pas
trop distante du spectateur pour que celui-ci ne puisse l'examiner à l'aise.
Les rapports d'échelle, entre les figures, sont établis de façon à ne point
présenter de ces contrastes qui choquent dans les monuments de
l'antiquité.
On ne trouve pas, ainsi que cela se voit trop souvent dans les
édifices de la Rome impériale, par exemple, des figures en ronde bosse
à côté de figures en bas-relief, sur une même échelle. À la porte de la
Vierge de Notre-Dame, les sujets traités en bas-relief sont
très-rapprochés
de l'œil et d'une échelle très-réduite. Ils ne forment plus, pour
ainsi dire, qu'une ornementation de <i>tapisserie</i> qui ne peut lutter avec la
statuaire ronde bosse.
 
Il y a donc, dans ces compositions du moyen âge, de l'art, beaucoup
d'art, et si, comme à Notre-Dame de Paris, ces compositions sont soutenues
par une exécution et un style remarquables, nous ne comprenons
guère comment et pourquoi ces œuvres ont été longtemps dédaignées,
sinon dénoncées comme barbares. Convenons-en, les barbares sont ceux
qui ne veulent pas voir ces ouvrages placés sous leurs yeux, et qui, sur
la foi d'un enseignement étroit, vont étudier au loin des monuments
d'un ordre très-inférieur à ceux-ci sous tous les rapports.
 
Les trois portes de la façade de la cathédrale de Paris, comme la
plupart de celles élevées à cette époque (de 1200 à 1220), ont cela de
particulier, qu'elles présentent une masse très-riche au milieu de surfaces
unies, simples. Cette disposition contribue encore à donner plus
d'éclat et d'importance à ces entrées. Elles ne sont reliées que par les
niches décorant la face des contre-forts qui les séparent, niches qui abritent
les quatre statues colossales de saint Étienne, de l'Église, de la
Synagogue et de saint Marcel. Mais bientôt ce parti architectonique, d'un
effet toujours sûr, parut trop pauvre. Les portes furent reliées à tout un
ensemble d'architecture de plus en plus orné; elles ne formèrent plus
une partie distincte dans les façades, mais furent reliées, soit par des
portails avancés, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]], soit par un système décoratif général,
comme à Reims, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], à Notre-Dame de Paris même, aux extrémités du transsept; comme aux portails des Libraires et de la Calende
à la cathédrale de Rouen. Cependant elles conservèrent leurs profondes
voussures, leurs tympans, leurs trumeaux; mais les archivoltes de ces
voussures furent surmontées de gâbles presque pleins d'abord, comme
aux portails nord et sud de Notre-Dame de Paris, comme à la porte
principale de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], puis ajourées entièrement, comme
à la cathédrale de Rouen et dans tant d'autres églises du XIV<sup>e</sup>
siècle<span id="note71"></span>[[#footnote71|<sup>71</sup>]].
Ainsi que nous le disions tout à l'heure, à propos de la porte principale
de Saint-Urbain de Troyes, la statuaire perdit l'ampleur que les artistes
du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle avaient su lui donner; les sujets des
tympans se divisèrent en zones de plus en plus nombreuses; les figures
des voussures, en buste parfois, pour leur conserver une échelle en
rapport avec celles des tympans, furent sculptées assises, ou même en
pied, réduites de dimension par conséquent; les dais séparant les
statuettes
des voussures prirent plus d'importance, ainsi que les moulures
des archivoltes; les statues des ébrasements entrèrent dans des niches
séparées et ne posèrent plus sur une saillie prononcée, comme celles de
la porte de la Vierge de Notre-Dame de Paris: des colonnettes
s'interposèrent
entre elles. Ces statues se perdent ainsi dans l'ensemble. À la
fin du XIV<sup>e</sup> siècle, les formes de l'architecture et l'ornementation paraissent
étouffer la statuaire. La grande école s'égare au milieu d'une
profusion
de détails trop petits d'échelle; les formes s'allongent et les lignes
horizontales tendent à disparaître presque entièrement. L'exécution
cependant est parfaite; l'appareil, le tracé des profils sont combinés avec
une étude et un soin merveilleux.
 
On a pu remarquer dans les exemples de portes de la fin du XII<sup>e</sup> siècle et
du commencement du XIII<sup>e</sup> précédemment donné, que les statues qui
garnissent les ébrasements sont le plus souvent accolées à des colonnes
portant un chapiteau surmonté d'un dais. Chaque statue faisait ainsi
partie de l'architecture; elle était comme une sorte de caryatide qu'il
fallait poser en construisant l'édifice; mais alors le mouvement, l'échelle
de ces figures étaient ainsi associés intimement à l'ensemble. Plus tard,
vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, on laissa, dans les ébrasements des portes,
des rentrants qui permettaient de poser les statues après coup et lorsque
la bâtisse était élevée. Cette méthode était certes plus commode pour les
statuaires, en ce qu'elle ne les obligeait pas à hâter leur travail et à suivre
celui des constructeurs, mais l'art s'en ressentit. Les figures, dorénavant
faites à l'atelier, peut-être à intervalles assez longs, n'eurent plus l'unité
monumentale si remarquable dans les édifices de la première période
gothique. La statuaire, sujette de l'architecture pour les
bas-reliefs et
pour toutes les parties qu'il fallait poser en bâtissant, s'amoindrissant
même pour mieux laisser dominer les formes architectoniques,
s'émancipait
lorsqu'il s'agissait de faire de grandes figures posées après coup.
L'artiste perdait de vue l'œuvre commune, et tout entier à son travail
isolé, comme cela n'a que trop souvent lieu aujourd'hui, il apportait de
son atelier des figures qui sentaient le travail individuel et ne formaient
plus, réunies, cet ensemble complet qui seul peut produire une vive
impression sur le spectateur.
 
La finesse d'exécution, l'observation très-délicate d'ailleurs de la nature,
la recherche dans les détails, une certaine coquetterie dans le faire,
remplacent le style grandiose et sévère des artistes tailleurs d'images du
XII<sup>e</sup> siècle et du commencement du XIII<sup>e</sup>. Il suffit d'examiner les portails
du XIV<sup>e</sup> siècle pour être convaincu de la vérité de cette observation.
 
Parmi les grandes portes d'églises élevées vers le commencement du
XIV<sup>e</sup> siècle, il faut noter entre les plus belles celles de la cathédrale de
Rouen, les deux portes de la Calende et des Libraires, ou plutôt de la
Librairie<span id="note72"></span>[[#footnote72|<sup>72</sup>]]. Malgré la profusion des détails, la ténuité des moulures et de
l'ornementation, ces portes conservent cependant encore de masses
bien accusées, et leurs proportions sont étudiées par un artiste
consommé.
 
Bien que le format de cet ouvrage ne se prête guère à rendre par la
gravure des œuvres aussi remplies de détails, cependant nous donnons
ici l'une de ces deux portes de la cathédrale de Rouen, celle de la
Calende. Cette porte (fig. 70) comprend de grandes lignes principales
fortement accentuées; elle se détache avec art entre les gros
contre-forts
qui l'épaulent.
</div>
[[Image:Porte.cathedrale.Rouen.png|center]]
<div class="text">
Sur le trumeau était placée la statue du Christ, détruite aujourd'hui.
Dans les ébrasements, dix apôtres, trois de chaque côté; quatre statues
se voient sur la même ligne, sur la face des gros contre-forts et sur les
deux retours d'équerre. Les deux linteaux et le tympan représentent la
Passion. Dans les voussures, sont sculptés des martyrs. Dans le lobe
inférieur du grand gâble, le pèsement des âmes<span id="note73"></span>[[#footnote73|<sup>73</sup>]].
 
Malgré la belle entente des lignes et le choix heureux des proportions,
on observera combien, dans cette porte, la statuaire est réduite, comme
elle est devenue sujette des lignes géométriques. Dans les piédestaux qui
supportent les statues sont sculptés des myriades de petits
bas-reliefs
représentant des scènes de l'Ancien Testament et des prophéties. Tout
cela est d'ailleurs exécuté avec une rare perfection, et les statues, qui ne
dépassent pas la dimension humaine, sont de véritables chefs-d'œuvre
pleins de grâce et d'élégance.
 
Le gâble qui surmonte cette porte, plein dans sa partie inférieure jusqu'au
niveau A de la corniche de la galerie, est complétement ajouré
au-dessus de celle-ci, et laisse voir la claire-voie vitrée supportant la
rose.
 
En B, est tracé le plan des ébrasements avec les contre-forts, et en C, le
plan de ces contre-forts au niveau D. Examinons un instant le tracé des
ébrasements et voussures, indiqué en E à une échelle plus grande. Les
colonnettes <i>a</i> montent de fond, reposent sur un glacis avec socle inférieur,
et forment les boudins principaux des voussures. Entre elles sont
tracés les piédestaux portant les statues, et l'angle saillant sort de la
ligne du socle en <i>b</i>. La projection horizontale des dais surmontant les
grandes figures est un demi-hexagone <i>c d e f</i>; le fond de la niche est
la portion d'arc <i>cd</i>.
 
Au-dessus des dais couvrant les grandes figures viennent les voussoirs
des archivoltes avec leurs dais <i>i</i>, <i>l</i>, <i>m</i>, <i>n</i>, donnant aussi l'épannelage des
figurines. L'extrados de ces voussoirs est en <i>p</i>. On remarquera avec
quelle méthode géométrique sont tracés, et les plans horizontaux, et les
élévations de cette porte. La section inférieure B procède par pénétrations
à 45º, formant toujours des angles droits, par conséquent un
appareil
facile, malgré la complication apparente des formes.
 
Mais, à l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Trait|Trait ]], nous entrons dans de plus amples détails sur
les procédés des maîtres du moyen âge, et notamment du commencement
du XIV<sup>e</sup> siècle, lorsqu'il s'agit d'établir des plans superposés procédant
tous d'un principe générateur admis dès la base de l'édifice.
 
On voit, par cet exemple, que les portes principales des églises ne sont
plus des œuvres pouvant être isolées, qu'elles forment un tout avec le
monument et entrent dans le système général de décoration. Plus on
pénètre dans le XIV<sup>e</sup> siècle, plus ce principe est suivi avec rigueur.
Il devient dès lors difficile de présenter ces portes sans les accompagner
des façades elles-mêmes au milieu desquelles on les a percées. Déjà la
porte de la Calende de Notre-Dame de Rouen se lie si étroitement avec
les contre-forts du transsept et avec la rose, que nous avons été obligé,
pour en faire comprendre la composition, d'indiquer ces parties du
monument.
 
Cette observation ne saurait d'ailleurs s'appliquer aux portes
seulement.
L'architecture religieuse des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles ne présente plus des
membres séparés, c'est un tout combiné géométriquement, une sorte
d'organisme savant; et ces prismes, ces enchevêtrements de courbes,
ces plans superposés qui paraissent à l'œil former un ensemble si
compliqué,
sont tracés suivant des lois très-rigoureuses et une méthode
parfaitement logique. Nous faisons aujourd'hui intervenir si rarement
le raisonnement géométrique et l'art du trait dans nos compositions architectoniques,
que nous sommes facilement rebutés lorsqu'il s'agit
d'étudier à fond les œuvres des maîtres des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles, et que
nous trouvons plus simple de les condamner comme des conceptions
surchargées de détails sans motifs. Mais si l'on pénètre dans les intentions
de ces artistes, et si l'on prend le temps d'analyser soigneusement leurs
ouvrages, on est bien vite émerveillé de la simplicité et de l'ordre qui
règnent dans les méthodes, de la rigoureuse logique des lois admises, et
de la science avec laquelle ces artistes ont su employer la matière en
présentant les apparences les plus légères, tout en élevant des constructions
éminemment solides. Car il ne faut pas conclure de ce que, dans
ces monuments, les parties purement décoratives se dégradent plus ou
moins rapidement, que l'œuvre n'est pas durable. La parure est
combinée
de telle façon qu'elle peut être facilement remplacée sans entamer
en rien la bâtisse. Celle-ci, au contraire, indépendante, sagement
conçue,
est à l'abri des dégradations. Il faut bien qu'il en soit ainsi pour
que ces monuments, d'un aspect si léger, aient pu résister aux
mutilations
et aux injures du temps, et qu'à l'aide de quelques réparations de
surfaces, on puisse leur rendre tout leur premier lustre<span id="note74"></span>[[#footnote74|<sup>74</sup>]].
 
Les grandes portes de nos églises du XIV<sup>e</sup> siècle présentent un système
de structure et d'ornementation analogue à celui que développe si bien
la porte de la Calende. Pendant les deux premiers tiers du XV<sup>e</sup> siècle,
on construisit en France peu d'édifices religieux. Les malheurs du temps,
l'épuisement des ressources, ne le permirent pas, et ce ne fut que sous
le règne de Louis XI que l'on commença quelques travaux, Toutefois les
données générales admises pour les grandes portes des églises ne furent
pas changées, et ce n'est que par les détails et le style que ces derniers
ouvrages diffèrent de ceux du XIV<sup>e</sup> siècle. Les gâbles prirent encore plus
d'importance, les moulures des pieds-droits et des voussures se multiplièrent;
la statuaire fut de plus en plus étouffée sous la profusion des lignes
de l'architecture et de l'ornementation; les tympans disparurent souvent
pour faire place à des claires-voies vitrées; les linteaux se courbèrent en
arcs surbaissés; les profils prismatiques prirent de l'ampleur et de fortes
saillies. <span id="Abbeville2">Au commencement du XVI<sup>e</sup> siècle, rien n'était encore changé aux
données principales de ces grandes baies, ainsi qu'on peut le reconnaître
en examinant les portes des églises de Saint-Wulfrand d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Abbeville|Abbeville]] et de
Saint Riquier (Somme); mais dans ces deux derniers monuments on
peut constater que les portes des façades sont tellement liées à celles-ci,
soit comme lignes d'architecture, soit comme ornementation et système
iconographique, qu'il est impossible de les en distraire.
 
La porte principale de l'église abbatiale de Saint-Riquier présente
dans son tympan un arbre de Jessé formant claire-voie vitrée. L'idée
est ingénieuse, mais rendue avec une recherche exagérée de détails et
un pauvre style.
 
Parmi les portes de la fin du XV<sup>e</sup> siècle et du commencement du XVI<sup>e</sup>,
nous mentionnerons celles des cathédrales de Tours, de Beauvais, de
Troyes, de Sens (transsept côté nord), de Senlis (idem), ces deux
dernières
fort remarquables.
 
Les portes nord et sud de l'église Saint-Eustache de Paris datent
également du commencement du XVI<sup>e</sup> siècle, et s'affranchissent quelque
peu de la donnée gothique<span id="note75"></span>[[#footnote75|<sup>75</sup>]]. Il faut citer aussi, comme appartenant à
la première période de la renaissance, les portes principales des églises
de Saint-Michel de Dijon, de Vétheuil près Mantes<span id="note76"></span>[[#footnote76|<sup>76</sup>]], de Saint-Nizier à
Lyon, de Belloy (Seine-et-Oise), de Villeneuve-sur-Yonne. Ces portes
conservent presque entièrement la donnée gothique dans leurs
dispositions
générales: ébrasements, voussures, trumeau, tympan; l'élément
nouveau n'apparaît guère que dans l'exécution des détails de la sculpture
et dans les profils.
 
==== PORTES DE SECOND ORDRE, <i>dépendant d'églises</i>. ====
Outre les grandes portes
percées au centre des façades principales et de transsept, les églises
en possèdent d'un ordre inférieur, s'ouvrant, soit sur les collatéraux,
soit sur des dépendances, telles que cloîtres, sacristies, salles capitulaires,
etc. Ces portes, de petite dimension, sont quelquefois assez
richement
décorées, ou étant très-simples, sont cependant empreintes
d'un caractère monumental remarquable. Elles sont fermées par un
vantail ou par deux vantaux, mais sont dépourvues de trumeau central.
 
Nous placerons en première ligne ici l'une des portes des bas côtés
de la nef de l'église abbatiale de Vézelay, comme appartenant à cette
belle architecture romane de l'ordre de Cluny, à la fin du XI<sup>e</sup> siècle et
au commencement du XII<sup>e</sup>.
</div>
[[Image:Porte.eglise.abbatiale.Vezelay.png|center]]
<div class="text">
Cette porte (fig. 71) se compose de deux pieds-droits, avec pilastres
cannelés, portant deux archivoltes surhaussées, décorées d'ornements
très-refouillés et grands d'échelle. Les bas-reliefs qui décorent le linteau
et le tympan représentent l'annonciation, la visitation; la naissance du
Sauveur; l'ange réveillant les bergers et leur montrant l'étoile;
au-dessous,
l'adoration des rois mages. Sur les deux chapiteaux des pieds-droits,
sont sculptés deux anges les bras étendus: l'un d'eux sonne de l'olifant;
et sur ceux des pilastres, un archer; et en regard, un serpent à tête de
femme dans des feuillages. Les anges annoncent la venue du Messie, et
l'archer visant la sirène, la chute du démon.
 
La hauteur des chapiteaux, la largeur inusitée des ornements, donnent à cette porte un aspect grandiose et d'une sévérité sauvage, qui
produit un grand effet. La sculpture est d'ailleurs d'un très-beau caractère.
En A, est donné le plan de la porte; en B, la coupe de l'archivolte;
en C, la section de l'un des pilastres cannelés. Cette porte ne possède
qu'un seul vantail.
 
Antérieurement à cette époque, c'est-à-dire pendant le XI<sup>e</sup> siècle, les
portes latérales ou secondaires des églises sont d'une extrême simplicité.
Le plus souvent elles se composent, particulièrement dans les provinces
du Centre, de deux jambages sans moulures, avec linteau renforcé au
milieu et arc de décharge au-dessus (fig. 72). En Auvergne, dans le
Nivernais, une partie du Berry, de la haute Champagne et du Lyonnais,
il existe quelques baies de ce genre à un seul vantail, qui remontent aux
dernières années du XI<sup>e</sup> siècle. La figure 72 <i>bis</i> donne la coupe de ces
portes, dont l'arc de décharge forme berceau à l'intérieur, au-dessus du
tympan. En Bourgogne, le linteau formant tympan circulaire sous l'arc
de décharge est toujours employé, et cet arc est décoré; car l'école
bourguignonne est prodigue de sculpture. <span id=Beaune1>Sur le flanc sud de la nef de
l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beaune|Beaune]], on voit encore une fort jolie porte de ce genre parfaitement
conservée. Les pieds-droits sont accompagnés de deux colonnettes,
et l'archivolte est ornée d'un gros boudin sculpté (fig. 73). Cette
porte date de 1140 environ. En A, nous en donnons le plan, et en B, la
coupe. Cette porte possédait deux vantaux.
</div>
[[Image:Porte.XIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Les exemples que nous venons de tracer indiquent déjà que les
architectes du moyen âge changeaient les dispositions des portes quand
ils en changeaient l'échelle. Ainsi ces portes romanes, indépendamment
de leur dimension, ont un tout autre caractère que les portes
principales.
Les portes secondaires ne sont pas un diminutif de celles-ci, et,
en admettant que leur dimension ne fût pas indiquée, on ne saurait les
confondre avec les larges issues pratiquées sur les façades des grandes
églises. Il y a là un enseignement qui n'est pas à dédaigner; car la qualité
principale que doit posséder tout membre d'architecture, est de
paraître remplir la fonction à laquelle il est destiné. Nous ne trouvons
pas cependant cette apparence en conformité parfaite avec la fonction
dans les monuments modernes. Beaucoup de portes secondaires de nos
édifices ne sont que des copies réduites des grandes portes, possédant
les mêmes membres, les mêmes proportions, les mêmes ornements
diminués d'échelle. À coup sûr, cela n'est point un progrès, puisque ce
n'est pas conforme à la raison. On peut constater également que dans
certains monuments de la Rome impériale, il y a inobservance de ces
règles du bon sens et du bon goût, lorsqu'il s'agit de portes, et que des
baies de second ordre sont composées comme les baies majeures, sans
qu'on ait tenu compte de la réduction de l'échelle.
</div>
[[Image:Coupe.porte.XIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Les trois premiers exemples de portes romanes que nous venons de
donner, appartiennent aux écoles bourguignonne et du centre. Celles de
Vézelay et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beaune|Beaune]] (Côte-d'Or) se distinguent par la force des profils et
la largeur de l'ornementation, parce que ces baies dépendent d'édifices
où ces membres de l'architecture ont une puissance que l'on ne trouve
point dans les monuments des autres provinces. Mais si nous pénétrons
dans l'Île-de-France, dans le Valois et le Beauvaisis, nous voyons au
contraire que les portes d'un ordre secondaire, à dater de la seconde
moitié du XII<sup>e</sup> siècle, se distinguent par la finesse des profils, un goût
très-délicat et une absence d'exagération dans les proportions.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Beaune.png|center]]
<div class="text">
Voici (fig. 74) une porte s'ouvrant latéralement sur la nef de l'église
de Saint-Remi l'Abbaye (Oise), qui ne se distingue que par la belle
ordonnance de l'appareil. Une seule moulure, très-délicate et décorée
d'intailles (voy. le détail A), entoure l'archivolte qui soulage le linteau
renforcé au milieu de sa portée. Il y a dans cet exemple la trace d'un
art fin et sobre à la fois, qui appartient à cette province au déclin du
roman. Cela rappelle les constructions antiques des meilleurs temps.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Saint.Remi.l.Abbaye.png|center]]
<div class="text">
<span id=Cinqueux><span id="Alet2">Si l'on veut saisir d'un coup d'œil les variétés des écoles françaises
à la fin de la première moitié du XII<sup>e</sup> siècle, lorsqu'il s'agit des portes
d'un ordre inférieur, il suffira d'examiner la figure 75, qui donne en A
une porte latérale de l'ancienne église d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Alet|Alet]] (Aude), détruite aujourd'hui
en grande partie, et en B une porte latérale de la nef de l'église
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cinqueux|Cinqueux]] (diocèse de Beauvais). La porte A semble copiée sur un
édifice romano-grec de la Syrie septentrionale; celle de Cinqueux
s'affranchit déjà des données antiques. Le principe de structure est
identique pour ces deux exemples, les caractères sont différents. Ce
parallèle fait assez connaître que notre architecture du XII<sup>e</sup> siècle doit
être étudiée par provinces, comme les dialectes qui ont concouru à
former notre langue; que cette étude demande une analyse délicate et
la réunion d'un grand nombre de matériaux, si l'on prétend apprécier
les diverses sources auxquelles notre art du moyen âge a été puiser
avant d'arriver au développement de l'école laïque française.
</div>
[[Image:Porte.eglise.Alet.png|center]]
<div class="text">
Nous pourrions accumuler les exemples propres à faire ressortir les
variétés des écoles romanes de l'ancienne Gaule dans l'expression d'un
même principe, mais nous craindrions de fatiguer nos lecteurs et d'étendre
démesurément cet article déjà bien long. Les provinces diverses de
ce territoire qu'on appelle aujourd'hui la France s'appuient, dans la
formation de leur architecture comme du langage, pendant les XI<sup>e</sup> et
XII<sup>e</sup> siècles, sur les mêmes éléments. La basse latinité est le point de
départ, mais ces provinces possèdent chacune un caractère particulier;
elles subissent des influences, soit locales, soit étrangères; puis il arrive
un moment où le domaine royal, en politique, en littérature, comme
dans l'art de l'architecture, acquiert une prépondérance marquée. Les
arts des provinces passent, pour ainsi dire, alors, à l'état de patois, et
l'art qui se développe au sein du domaine royal devient le seul
officiellement
reconnu, celui que chacun s'empresse d'imiter avec plus ou
moins d'adresse et d'aptitudes, et qui finit par étouffer tous les autres.
C'est ce fait considérable dans notre histoire, que des esprits distingués
cependant ont prétendu n'envisager que comme une bizarrerie, une
étrangeté, une lacune. Mais, pourquoi nous étonner de l'existence
de ce préjugé, quand nous pouvons constater qu'avant les travaux de
M. Littré sur la langue française, on ne voyait dans nos poésies du
moyen âge que les échos d'un langage grossier et barbare, et qu'il
a fallu toute la délicatesse d'analyse du savant académicien pour
démontrer
à ceux qui prennent la peine de le lire, que ce langage
du XII<sup>e</sup> siècle est complet, éminemment logique et souvent rempli de
beautés du premier ordre. Ce sont là aujourd'hui des faits acquis, et
il paraîtrait équitable de donner l'épithète de <i>barbares</i> à ceux qui les
ignorent chez nous, quand l'Europe entière s'associe à nos travaux, et
considère notre littérature, nos arts du moyen âge, comme le réveil de
l'intelligence au sein des bouleversements qui ont suivi la chute de l'empire
romain.
</div>
[[Image:Porte.chapelle.Sainte.Claire.Puy.en.Velay.png|center]]
<div class="text">
Revenons aux portes. Les deux exemples de la figure 75, qui appartiennent
à la même époque, affectent des caractères tranchés, dérivés
d'écoles différentes; en voici un troisième (fig. 76) qui se distingue des
deux premiers. Cette porte s'ouvre sur la chapelle funéraire de Sainte-Claire,
au Puy en Velay, joli monument bâti vers le milieu du XII<sup>e</sup> siècle,
sur plan octogonal, avec absidiole semi-circulaire. Son archivolte est
composée de claveaux noirs et blancs, et son tympan présente une mosaïque
bicolore. Le linteau est décoré d'une croix nimbée et de quatre
patères sur un champ légèrement creusé. On trouve ici l'expression la
plus délicate de l'art roman d'Auvergne arrivé à son apogée; il est
difficile de produire plus d'effet à moins de frais<span id="note77"></span>[[#footnote77|<sup>77</sup>]]. Cet art de l'Auvergne
était arrivé alors à un degré très-élevé, soit comme structure, soit
comme entente des proportions, soit comme, tracé des profils, et cependant
il dut s'effacer bientôt sous l'influence de l'architecture du domaine
royal.
</div>
[[Image:Porte.cathedrale.Reims.png|center]]
<div class="text">
En 1212, on posait la première pierre de la cathédrale de Reims.
L'œuvre fut commencée par le chœur et les deux bras de croix; et en
effet, à la base des pignons qui ferment ceux-ci, on signale la présence
de fenêtres plein cintre qui rappellent encore les dispositions des églises
romanes. Du côté nord, s'ouvre sur le transsept, à la droite de la porte
principale, une baie secondaire qui autrefois donnait sur le cloître, et
qui aujourd'hui est murée. Cette porte (fig. 77) appartient certainement,
par le caractère de sa sculpture, comme par sa composition, aux
reconstructions de la cathédrale de 1212, et on la croirait plutôt de la
fin du XII<sup>e</sup> siècle que des premières années du XIII<sup>e</sup>.
 
Un porche d'une époque un peu plus récente, couvert en berceau,
protége cette porte, qui a conservé toutes ses peintures. Sa décoration
consiste en une statue de la sainte Vierge assise dans le tympan, sous
un dais très-riche et garni de courtines. L'archivolte plein cintre est
ornée de statuettes d'anges. À la clef, la Vierge, sous la figure d'un petit
personnage nu, est enlevée dans un voile par deux anges. Deux autres
anges de plus grande dimension remplissent les écoinsons: l'un tient
une croix bourdonnée, l'autre semble bénir. L'extrémité du tympan
ogival est couvert par une peinture représentant le Christ dans sa gloire,
accompagné de deux anges adorateurs. Les petits pieds-droits représentent,
de face, des rinceaux très-délicats, et latéralement, des clercs occupés
à des fonctions religieuses. La sculpture est entièrement couverte
d'une coloration brillante, mais les sujets qui couvraient le tympan,
derrière la Vierge, ont disparu. Deux fortes consoles portent le linteau
(voy. la coupe A).
 
En examinant cette figure, on reconnaît que les architectes champenois du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle cherchaient des dispositions
neuves, ou du moins qu'ils savaient profiter des traditions romanes
pour les appliquer d'une façon originale<span id="note78"></span>[[#footnote78|<sup>78</sup>]]. La sculpture de figures et
d'ornements de cette porte est très-bonne et encore empreinte du
style du XII<sup>e</sup> siècle, comme si elle eût été confiée à quelque vieux
maître. Ce fait se présente parfois au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle. Il
y avait alors évidemment une jeune école, tendant vers le naturalisme,
et une école archaïque à son déclin; mais nous avons l'occasion de
constater l'influence et l'antagonisme de ces deux écoles à l'article
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Sculpture|Statuaire ]].
 
<span id="Amiens90">La cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]] était commencée en 1220, quelques années
après celle de Reims. Les constructions premières comprirent la nef et
les deux bras de croix, et il est probable que Robert de Luzarches,
l'architecte de ce beau monument, ne put voir élever que les soubassements
de son projet. On peut reconnaître facilement les parties de
l'édifice à la construction desquelles il présida. Ce sont: les contre-forts
et piliers de la nef jusqu'à la hauteur des chapiteaux des bas côtés,
les parties inférieures de la grande porte occidentale, et la base du
pignon sud du transsept. Dans le plan primitif, la nef ne comportait
pas de chapelles; de belles fenêtres éclairaient directement les collatéraux<span id="note79"></span>[[#footnote79|<sup>79</sup>]];
mais sous la première fenêtre de la nef, au sud, proche la façade
occidentale, s'ouvrait une porte secondaire qui donnait dans le cloître
établi de ce côté. Cette porte, aujourd'hui masquée par un porche du
XIV<sup>e</sup> siècle, ne rappelle en aucune façon, par son style, la porte latérale
de la cathédrale de Reims que nous avons donnée (fig. 77). C'est
qu'en effet, entre l'architecture de la Champagne et celle de Picardie, les
différences sont notables au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, et cependant
les architectes de ces monuments étaient tous deux sortis du
domaine royal; mais il est évident (et cela est à leur louange) que ces
maîtres savaient plier leur talent aux traditions locales, à la qualité
des matériaux mis à leur disposition et au génie des populations qui
les appelaient. La porte latérale de la nef de Notre-Dame d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]] est
encore, dans les détails de la sculpture, quelque peu empreinte du
style du XII<sup>e</sup> siècle, mais la composition est entièrement nouvelle.
D'abord elle est accompagnée de deux arcades aveugles comprises entre
les contre-forts; les trois arcs (celui central étant presque plein cintre)
sont surmontés de gâbles figurés par un simple bizeau; son ensemble
est large et trapu; la statuaire en est exclue. En effet, autant l'architecture
gothique champenoise, à son origine, est prodigue de statuaire,
autant celle de Picardie en est avare. Mais, en revanche, la sculpture
d'ornement est riche et largement développée; les chapiteaux de cette
porte (fig. 78) sont beaux; les tailloirs et même les astragales sont décorés;
le tympan est couvert d'une tapisserie de rosaces d'un grand
caractère. Déjà les arcs sont accompagnés de redents et les profils sont
fins et multipliés. On retrouve dans cette composition secondaire l'ampleur,
qui est une des plus belles qualités de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]].
Ce ne sont plus les proportions massives et allongées de Notre-Dame
de Reims; les supports sont grêles et les ouvertures larges. C'est ainsi
que ces artistes savaient mettre de l'unité dans leurs œuvres et adopter
un parti, suivi fidèlement dans les détails aussi bien que dans les ensembles
de leurs compositions. En A, est tracé le plan de la porte
latérale de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]]; en B, au vingtième de l'exécution,
la section d'un pied-droit avec sa colonnette monolithe, les tailloirs des
chapiteaux et la trace des archivoltes sur ces tailloirs, les profils <i>a</i> et <i>b</i>
formant les redents; le nu du tympan étant en <i>c</i>. En C, est donné, également
au vingtième, un fragment de la tapisserie qui décore le
linteau-tympan.
</div>
[[Image:Porte.Notre.Dame.Amiens.png|center]]
<div class="text">
Vers la même époque, on reconstruisait la cathédrale de Chartres sur
des fondations antérieures. Au pied des deux contre-forts occidentaux
des deux bras de croix, l'architecte du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle
ménageait deux portes destinées à donner entrée à la crypte. Ces portes
sont d'une extrême simplicité et ne se recommandent que par la beauté
de leur structure. Nous donnons (fig. 79) l'une d'elles. Un large bizeau
ébrase les jambages et l'archivolte extérieurement; le linteau-tympan,
soutenu par deux corbeaux, est percé d'un œil destiné à éclairer la
descente à la crypte. En A, est tracée la coupe de cette porte. Ici encore
on peut saisir l'harmonie répandue dans ces édifices du commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle. Par son caractère seul, ce membre d'architecture se
distingue des portes appartenant à des monuments religieux d'un
aspect moins robuste. Le principe de la structure est toujours le même;
mais la rudesse des formes de Notre-Dame de Chartres se fait sentir
dans ce détail. Percée aux flancs de Notre-Dame de Paris ou de
Notre-Dame
de Reims, cette porte ferait tache, tandis qu'elle est ici à sa place,
et ne contraste pas avec tout ce qui l'entoure. À voir isolément une de
ces portes, on peut donc dire, non-seulement à quelle époque, mais
aussi à quel monument elle appartient. Pourrait-on classer d'une manière
aussi certaine les divers membres de nos monuments? Cette unité,
si nécessaire dans toute œuvre d'art, est-elle une règle observée de
nos jours?
</div>
[[Image:Porte.cathedrale.Chartres.png|center]]
<div class="text">
Si nous abandonnons cet art gothique primitif, et si nous pénétrons
dans ses dérivés, vers la seconde moitié du XIII<sup>e</sup> siècle, nous pourrons
trouver encore bien des exemples de portes à recueillir.<span id=Beaulieu>
</div>
[[Image:Porte.eglise.Beaulieu.png|center]]
<div class="text">
Nous avons vu que certaines provinces, comme le Poitou, la Saintonge,
le Limousin, avaient, à l'époque romane, admis les portes sans linteaux
ni tympans; cette tradition est conservée pendant la période gothique
dans les mêmes provinces et dans les contrées qui subissent l'influence
de ces écoles. C'est ainsi que nous voyons, à l'abbaye de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beaulieu|Beaulieu]] (Tarn-et-Garonne),
une église de la seconde moitié du XIII<sup>e</sup> siècle, dont les
portes sont encore dépourvues de linteaux et de tympans, comme l'est
celle de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#La.Souterraine|la Souterraine]] que nous avons tracée (fig. 61). L'une des
portes secondaires de l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beaulieu|Beaulieu]] se fait remarquer en outre
par la belle et large ordonnance de son archivolte et la pureté de ses
proportions (fig. 80). La coupe A de cette porte fait voir que l'archivolte
à grands claveaux est bandée sur le tableau seulement, et que les
vantaux s'ouvrent sous une arrière-voussure <i>a</i>, formée d'un arc surbaissé.
La moulure <i>b</i> de l'archivolte est destinée à relier les claveaux de
face à la construction. Cette moulure n'est donc pas seulement un ornement,
c'est une nécessité de construction dont l'architecte a su tirer
parti. En effet, il faut considérer ces moulures saillantes qui circonscrivent
parfois les claveaux des archivoltes des portes pendant les XII<sup>e</sup>
et XIII<sup>e</sup> le siècles, comme un moyen d'éviter les déliaisonnements. Les arcs
n'ayant souvent, ainsi que les parements qui les surmontent, qu'une
assez faible épaisseur, il était utile de relier ces placages de pierre à la
bâtisse; la moulure saillante d'archivolte remplissait cet office, comme
les assises de tailloirs le faisaient pour les chapiteaux. Ce parti était d'autant
plus nécessaire ici, que les vantaux, devant s'ouvrir jusqu'au
sommet du tiers-point, se développaient sous une arrière-voussure
qui ne pouvait être concentrique à l'arc de face. Les constructeurs
n'auraient jamais évidé cette arrière-voussure dans les claveaux de tête,
car ils évitaient soigneusement les appareils défectueux. Ils faisaient
donc deux arcs juxtaposés: celui de tête fermant la baie au droit des
tableaux, et celui d'ébrasement intérieur formant arrière-voussure;
alors la moulure externe reliait ces deux arcs en les rendant solidaires.
Dans la structure des portes percées, comme celles des églises, sous des
murs épais et haut, les architectes ont grand soin d'éviter les ruptures en
extradossant les arcs et en ne les liant pas aux parements. Pour que ces
arcs ne tendent pas, sous une pression considérable, à s'écarter de leur
plan, ils les sertissent souvent par un rang de claveaux peu épais, mais
ayant une forte queue.
 
C'est en analysant ainsi les membres de cette architecture qui semblent purement décoratifs, qu'on reconnaît le sens droit et pratique des
architectes du moyen âge. Il n'est pas une forme dont on ne puisse rendre
compte, pas un détail qui ne soit justifié par une nécessité de la structure.
Ces architectes peuvent donc nous apprendre quelque chose,
ne fût-ce qu'à raisonner un peu lorsque nous bâtissons. Comment dès
lors serions-nous surpris si certaines écoles modernes, que l'habitude
de raisonner gênerait dans l'emploi de formes injustifiables qu'elles
préconisent, prétendent que cet art du moyen âge est barbare, et que
son étude n'est bonne qu'à corrompre le goût, qu'à étouffer ce qu'elles
veulent considérer comme les saines doctrines?
 
Pour ces écoles, l'art de l'architecture semble n'être qu'une affaire de
foi, et elles diraient volontiers comme saint Augustin: «Je crois parce
que je ne comprends pas.» Nous dirions plus volontiers, s'il s'agit
d'architecture: «Ne croyez que si vous comprenez.» Mais, pour comprendre,
il faut analyser, raisonner, recueillir et comparer: c'est un
travail long et pénible parfois; plutôt que de s'y livrer, on préfère, en
certains cas, condamner sans voir, juger sans connaître, et continuer à
empiler des matériaux avec excès, sans économie comme sans raison.
 
Si dans les plus grandes portes, comme dans celles d'une dimension
médiocre, que nous avons présentées à nos lecteurs dans le cours de cet
article, on suppute le cube des matériaux employés pour résister à des
charges énormes, on constatera que ce cube est très-réduit relativement
aux pressions qu'il subit: cela est à considérer.
 
Il se présentait des conditions telles parfois, que les architectes pouvaient
éviter les arcs de décharge plein cintre ou en tiers-point constituant le couronnement de la baie, mais n'osaient pas se fier à un simple
linteau, lorsque, par exemple, les portes s'ouvraient dans un mur peu
épais et d'une élévation médiocre; alors ils se contentaient d'un arc de
cercle pour fermer le tableau, où ils composaient une courbe surbaissée.
</div>
[[Image:Porte.cathedrale.Clermont.png|center]]
<div class="text">
Il existe une jolie porte établie dans ces conditions et s'ouvrant dans le
mur de l'ancienne sacristie de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrant|Clermont]]
(Puy-de-Dôme)<span id="note80"></span>[[#footnote80|<sup>80</sup>]].
Cette porte date des dernières années du XIII<sup>e</sup> siècle; son arc donne une
ogive surbaissée (fig. 81), dont les centres sont placés en <i>a</i> et <i>b</i>. Son
profil, tracé en A au dixième, est décoré de deux cordons sculptés. avec
beaucoup de délicatesse dans de la lave de Volvic. L'embase des
pieds-droits
détaillée en B est très-heureusement composée. Cette porte est
intérieure (il ne faut pas l'oublier); elle s'ouvre sur le bas côté du chœur,
et elle affecte, en effet, des formes d'ensemble et de détails qui conviennent
à cette place. On signale rarement en France ce genre d'arcs
en ogive surbaissée. Cet exemple, toutefois, tend à démontrer combien
les artistes de ce temps conservaient une indépendance complète dans
l'emploi des formes qu'ils croyaient devoir adopter, combien peu ils se
soumettaient à la routine.
 
En parlant des portes principales des églises, nous avons dit que, dans
la province de Champagne particulièrement, on signalait un assez grand
nombre de portes dont les tympans sont à claire-voie. Telles sont composées
les portes occidentales de la cathédrale de Reims. On voit également, dans cette province, des portes secondaires d'églises dont le
linteau est surmonté d'une véritable fenêtre formant un ensemble avec
la baie inférieure. L'église de Saint-Urbain de Troyes nous fournit encore
un exemple de ces sortes de baies ouvertes sur les deux
collatéraux<span id="note81"></span>[[#footnote81|<sup>81</sup>]].
Ces portes étaient précédées d'un porche qui ne fut pas achevé. La
figure 82 donne l'une d'elles; une grande fenêtre vitrée surmonte le
linteau; l'arc en tiers-point de cette fenêtre sert de formeret à la voûte
du porche, dont les arêtes reposent sur les deux colonnettes A (voy. la
coupe B). Les pieds-droits de la porte, les linteaux, les meneaux et arcs
de la fenêtre, sont élevés en liais de Tonnerre, tandis que les parements
sont construits en assises basses de pierre de Bassancourt, assez grossière
d'aspect, mais résistante. En C, nous donnons la section du
pied-droit,
faite sur <i>ab</i>.
 
Dans la composition de ces portes d'églises surmontées de
claires-voies,
les architectes champenois semblent avoir voulu non-seulement percer
des jours partout où cela était praticable, mais surtout décorer intérieurement
les tympans de portes dont la nudité, au revers des bas-reliefs,
contraste avec la richesse extérieure. C'était, s'il ne s'agissait que de
portes secondaires, un moyen d'éclairer les voûtes des collatéraux sous
les tours des façades, d'obtenir un effet analogue à celui que produisent
les grandes claires-voies avec roses, percées au-dessus des portes principales des hautes nefs.
 
À la cathédrale de Chartres, par exemple, les portes du transsept, au
nord et au midi, sont merveilleusement sculptées à l'extérieur; leurs
tympans, leurs voussures, leurs pieds-droits, sont couverts de statues,
de bas-reliefs et d'ornements; mais à l'intérieur elles ne présentent à
la base des pignons que des surfaces unies, à peine rehaussées de cordons
indiquant les arcs: ce ne sont que des revers qui semblent attendre
une décoration. Peut-être les architectes de ces grands édifices devaient-ils
orner ces revers par des tambours de menuiserie et par des peintures,
mais il ne reste pas trace aujourd'hui de ces dispositions. Ce qui nous
porterait à supposer que des tambours devaient être adossés à ces revers
de portes, c'est que souvent les pieds-droits ou les trumeaux présentent
des saillies, comme des pilastres en attente. En Champagne, des tambours
devaient certainement fermer les ébrasements intérieurs des
grandes et moyennes portes d'églises. L'épaisseur de ces ébrasements,
calculée pour permettre de développer les vantaux sans affleurer le
parement intérieur, suffirait pour le démontrer, si le plan de l'église
Saint-Nicaise de Reims ne prouvait pas de la manière la plus positive
que les portes de la façade et du transsept étaient garnies de tambours<span id="note82"></span>[[#footnote82|<sup>82</sup>]].
</div>
[[Image:Porte.eglise.Saint.Urbain.Troyes.png|center]]
<div class="text">
Alors les claires-voies vitrées au-dessus des portes (comme à la cathédrale
de Reims) éclairaient le vaisseau au-dessus de ces tambours et contribuaient
à la décoration générale. L'architecte de la façade occidentale
de cette cathédrale fit plus encore, il occupa tous les parements intérieurs
latéraux et supérieurs des portes par des statues disposées dans
des arcatures superposées.
 
Les tambours devant affleurer le parement, on conçoit dès lors que
le revers de la façade était, à l'intérieur, digne de l'extérieur. Dans
l'Île-de-France, en Picardie, et en général dans toutes les églises du
moyen âge de la période dite gothique, on doit signaler les tâtonnements,
ou tout au moins le défaut d'achèvement dans la composition de ces revers
des portes principales et moyennes. Nous disons défaut d'achèvement,
parce qu'en effet, outre les traces d'attentes qui subsistent fréquemment,
on voit quelques portes secondaires dont les revers sont
très-habilement composés. Sur le flanc septentrional du chœur de Notre-Dame
de Paris, il existe une petite porte qui autrefois s'ouvrait sur le cloître.
Cette issue, connue sous le nom de la <i>porte Rouge</i>, est un
chef-d'œuvre
de la seconde moitié du XIII<sup>e</sup> siècle<span id="note83"></span>[[#footnote83|<sup>83</sup>]]. Sa sculpture, ses profils, sont d'un
goût irréprochable. Or, à l'intérieur, cette porte présente une décoration
sobre, bien entendue, et combinée évidemment pour recevoir un tambour
de menuiserie. S'ouvrant au fond d'une chapelle, elle est surmontée
d'une fenêtre que son gâble voile en partie.
 
À la cathédrale de Meaux, les architectes des XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles ont
aussi décoré très-richement les revers des portes du transsept, au moyen
de tout un système de pilettes, d'arcatures et de gâbles en placages.
À la cathédrale de Paris même, le revers de la porte méridionale est
occupé par des arcatures avec gâbles, et par deux niches ornées de dais
et destinées à recevoir des statues. Mais ce pignon tout entier date
de 1257. Il semblerait qu'avant cette époque, les architectes évitaient
au contraire de composer des décorations de pierre au revers des grandes
portes. Déjà, cependant, au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, comme à la
cathédrale de Chartes par exemple, les pignons au-dessus des grandes
portes étaient percés de roses et de galeries à jour garnies de brillants
vitraux; il ne paraît guère probable qu'au-dessous d'une décoration aussi
importante et aussi riche, on eût voulu laisser apparaître des murs nus
et des revers de vantaux de bois. Remarquons que dans ces grandes
églises, par suite du système d'architecture adopté, il ne restait nulle
part un parement de mur, tout étant occupé par des verrières, des piles
et des arcs; par conséquent, aucune surface pour développer des sujets
peints. Or, il y a tout lieu de croire que ces larges espaces sous les roses
et les galeries, au-dessus et à côté des portes, à l'intérieur, étaient destinés
à recevoir des peintures; nulle place n'était plus favorable, et l'on
imagine alors quel effet auraient produit ces pages énormes, toutes resplendissantes
de vitraux dans leur partie supérieure, remplies de peintures
dans leur partie inférieure. Que l'on suppose encore au-dessous
de ces peintures, derrière les vantaux des portes, de beaux tambours
de menuiserie, et l'on complétera par la pensée le système décoratif de
ces immenses surfaces, dont la nudité aujourd'hui paraît inexplicable.
Mais vers la seconde moitié du XIII<sup>e</sup> siècle, il semble qu'on ait renoncé
à placer des sujets peints autre part que dans les verrières; alors les
architectes décorent les revers des portes sous les pignons, comme à
Reims, comme à Meaux, comme à Paris même, du côté méridional.
 
Le XIV<sup>e</sup> siècle ne fournit pas, dans la construction de ses monuments
religieux, des données nouvelles en fait de portes du second ordre; les
errements de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle sont suivis, et les exemples que nous
pourrions présenter ne différeraient que par quelques détails de ceux déjà
donnés. Quant au XV<sup>e</sup> siècle, il ne commence à construire des églises
que vers les dernières années; et si les portes d'édifices civils de cette
époque ont un caractère original bien tranché, celles qui appartiennent
à des monuments religieux ne se font remarquer que par l'habileté des
traçeurs et la délicatesse de la sculpture. Comme disposition générale,
elles rentrent dans les derniers exemples donnés ici (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Trumeau|Trumeau ]],
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Tympan|Tympan ]]).
 
==== PORTES D'ÉDIFICES CIVILS EXTÉRIEURS ET INTÉRIEURS. ====
Dans les villes
du moyen âge, les châteaux et les palais possédaient seuls des portes
charretières, et ces portes étaient habituellement fortifiées. Quant aux
portes des maisons proprement dites, ces habitations, fussent-elles
pourvues de cours, n'étaient toujours que ce que nous appelons des
portes d'allée, c'est-à-dire disposées seulement pour des piétons, d'une
largeur de 1 mètre à 1<sup>m</sup>,50, et d'une hauteur de 2<sup>m</sup>,50 à 3 mètres
au plus.
 
Nous ne connaissons pas de portes d'édifices civils appartenant au
XI<sup>e</sup> siècle en France, qui présentent un caractère particulier. Les baies
d'entrée, très-rares d'ailleurs, de cette époque, ne consistent qu'en deux
jambages avec un arc plein cintre en petit appareil, et ne diffèrent pas
des petites portes d'églises que l'on voit encore ouvertes sur les flancs
de quelques monuments religieux du Beauvaisis, du Berry, de la Touraine
et du Poitou.
</div>
[[Image:Porte.maison.Vezelay.png|center]]
<div class="text">
Ce n'est guère qu'au commencement du XII<sup>e</sup> siècle qu'on peut assigner
aux portes de maisons un caractère civil, et c'est encore dans la
ville de Vézelay, au sein de cette ancienne commune, que nous trouverons
des exemples de ces entrées d'habitations bourgeoises. Parmi ces
maisons, quelques-unes possédaient un premier étage au-dessus du
rez-de-chaussée,
et quelquefois une tour carrée. La façade extérieure était
percée de fenêtres rares et assez étroites, les jours des appartements
étant pris sur un petit jardin intérieur. De la rue au jardin ou à la cour,
on pénétrait par un vestibule assez spacieux et par une porte plein
cintre, relativement large. La figure 83 donne l'élévation extérieure
d'une de ces portes en A, et sa coupe en B. En C, nous avons tracé, au
cinquième, les profils des deux archivoltes. On observera que cette baie
(qui d'ailleurs se répète plusieurs fois sur la façade des maisons du
XII<sup>e</sup> siècle, à Vézelay, avec quelques modifications dans les détails) ne
rappelle en rien le style de l'architecture religieuse de l'abbaye. Cette
porte a un caractère civil, se rapprochant plutôt de ces édifices romano-grecs
de Syrie dont nous avons déjà parlé. À l'intérieur est une
arrière-voussure
D relevé, qui permet le développement des vantaux. Ces
portes d'habitations du XII<sup>e</sup> siècle sont parfois accompagnées latéralement
d'une petite fenêtre carrée, sorte de guichet percé à hauteur
d'homme à l'intérieur, et qui permettait de reconnaître les gens qui
frappaient; ou encore d'un jour au-dessus de l'archivolte, qui
éclairait
le vestibule<span id="note84"></span>[[#footnote84|<sup>84</sup>]]. On abandonne bientôt cependant les portes plein
cintre pour l'entrée des habitations, ou du moins des linteaux de pierre
avec tympan viennent se loger sous ces cintres, qui demeurent comme
arcs de décharge. C'est ainsi que sont conçues les portes des maisons des
villes de Cluny, de Provins, bâties vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle et le commencement
du XIII<sup>e</sup>. Souvent même l'arc de décharge disparaît complétement
à l'extérieur et ne forme qu'arrière-voussure à l'intérieur. Les vantaux
de bois s'accommodent assez mal de la forme plein cintre; il était plus
simple de donner à ces vantaux la forme rectangulaire, surtout lorsqu'ils
se composaient d'un seul battant. Le cintre fut donc abandonné pour
les portes, et remplacé par l'ouverture rectangulaire. L'archivolte, si elle
subsistait, ne faisait que soulager le linteau, afin d'éviter qu'il ne se
brisât sous la charge. Alors, mais rarement, dans l'architecture civile,
le tympan est décoré de sculptures. On voit encore, dans les bâtiments
dépendant autrefois de l'abbaye de Saint-Vane, aujourd'hui englobés
dans la citadelle de Verdun, une porte de ce genre, dont la composition
est originale, et qui date des premières années du XIII<sup>e</sup> siècle.
</div>
[[Image:Porte.abbaye.Saint.Vane.png|center]]
<div class="text">
Cette porte (fig. 84), se compose d'une archivolte à doubles claveaux,
reposant sur des jambages décorés, de chaque côté, de deux colonnettes
monostyles, ainsi que l'indique en A la section horizontale de l'un de
ces jambages. L'archivolte forme arc de décharge et voussure intérieure
en B (voy. la coupe). Des consoles soulagent le linteau-tympan, orné de
feuillages. Mais parfois ces portes extérieures d'habitations étaient munies
d'auvents à demeure, soit de pierre, soit de bois, afin de permettre
aux personnes qui frappaient à l'huis d'attendre à l'abri qu'on vînt leur
ouvrir. <span id=Lachatre>Il existait encore une porte du XIII<sup>e</sup> siècle ainsi composée, sur la
façade d'une petite maison de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Lachatre|la Châtre]] (Indre), il y a quelques
années.
</div>
[[Image:Porte.maison.la.Chatre.Indre.png|center]]
<div class="text">
Cette entrée (fig. 85), d'une largeur inusitée pour une porte d'allée,
était flanquée de deux pieds-droits saillants, comme des jouées, portant
deux corbeaux, sur lesquels reposait un gâble de pierre, formant une
forte avancée sur la voie. Une archivolte B, au nu du mur (voy. la coupe A),
servait d'arc de décharge au-dessus du tympan, percé d'une petite
fenêtre
destinée à éclairer le vestibule lorsque les vantaux étaient clos<span id="note85"></span>[[#footnote85|<sup>85</sup>]].
Le gâble-abri se composait de simples dalles incrustées dans le
parement
du mur. À cause de la largeur de la baie, le linteau était remplacé
par un arc surbaissé, avec feuillure intérieure pour recevoir les deux
vantaux. En C, nous donnons, au double, la section de l'un des
pieds-droits.
<span id=Blanc_Le>Il semblerait que ces sortes d'entrées étaient assez habituellement
employées dans cette province, car l'église du [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Blanc_Le|Blanc]] (Indre) possède encore
une porte construite suivant la même donnée, mais sans linteau.
 
Le corbeau, le sommier de l'arc surbaissé, et la pénétration de
l'archivolte,
étaient pris dans la même pierre. Le sommier de cette archivolte faisait corps également avec l'assise G en encorbellement. Mais les
matériaux dont on pouvait disposer ne permettaient pas toujours de
pratiquer des saillies de pierre de nature à résister aux intempéries.
Sans changer le programme, les architectes du moyen-âge établissaient
parfois des auvents de bois au-dessus des portes des habitations. La
figure 86 nous fournit un exemple de ces entrées de maisons. D'un
côté, nous avons supposé l'auvent enlevé, afin de faire comprendre comment
il se plaçait<span id="note86"></span>[[#footnote86|<sup>86</sup>]]. En B, nous avons tracé la coupe de cette porte avec
le chevronnage de l'auvent, et en C, la section d'un des jambages au
double. Cette porte date de la seconde moitié du XIII<sup>e</sup> siècle; elle était
fermée par un seul vantail.
 
S'il y a une grande variété dans la forme des portes d'églises à cette
époque, c'est-à-dire pendant le XIII<sup>e</sup> siècle, l'architecture civile ne présente
pas un moins grand nombre de dispositions originales, et cependant
nous ne possédons plus en France que peu de maisons bâties de 1180
à 1300.
 
Pendant cette période, d'ailleurs, il était d'un usage assez fréquent,
surtout dans les provinces situées au sud de la Loire, de bâtir les maisons
avec portiques. Sur la voie publique alors, les portes n'étaient qu'une
simple arcade, ou une baie rectangulaire formée de deux jambages et
d'un linteau. Fréquemment aussi les rez-de-chaussée des habitations
urbaines étaient occupés par des boutiques dont les devantures
s'ouvraient
sous des arcs<span id="note87"></span>[[#footnote87|<sup>87</sup>]]; l'une de ces arcades servait d'entrée à l'escalier
communiquant aux étages supérieurs. La fermeture consistait en une
huisserie avec vantaux. Les portes des maisons, pendant le XIV<sup>e</sup> siècle,
sont généralement simples, très rarement ornées de sculptures; elles
ne consistent qu'en une archivolte en tiers-point au nu du mur, avec
linteau au-dessous, ou en une ouverture quadrangulaire, avec chanfreins
abattus sur les arêtes. Déjà, cependant, vers la fin de ce siècle, apparaît
l'accolade creusée dans le linteau. En revanche, les portes de palais
bâtis pendant cette période sont d'une grande richesse. Celles du Palais,
à Paris, dont il reste quelques débris et des dessins, étaient fort belles
(voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Perron|Perron ]]). Celles de l'escalier du Louvre, bâti par Charles V, étaient
également très-ornées.
</div>
[[Image:Porte.XIIIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Le XV<sup>e</sup> siècle, pendant lequel on bâtit peu d'églises, vit élever une quantité
de châteaux, de palais et maisons, dont les portes extérieures étaient
décorées de sculptures, de figures et d'armoiries. <span id=Bourges1>Parmi ces portes de
palais du XV<sup>e</sup> siècle, nous devons placer en première ligne celle de l'hôtel
de Jacques Cœur à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]], presque intacte encore aujourd'hui. Ce fut
en 1443 que le célèbre trésorier de Charles VII commença la construction
de cette belle résidence. Arrêté en 1451 à Taillebourg, sur l'ordre du
roi, par Olivier Coetivi, Jacques Cœur put à peine jouir de l'hôtel qu'il
avait fait construire dans sa ville natale. Le portail de cet hôtel (fig. 87),
est percé sous un pavillon rectangulaire qui occupe à peu près le milieu
de la façade sur la rue. Il consiste en une porte charretière avec poterne
au côté gauche. Les vantaux de bois sculpté de la grande baie sont
percés en outre d'un guichet très-étroit, surmonté d'un heurtoir, et s'ouvraient
carrément en dedans de l'arc en tiers-point, sous un portail
voûté en berceau surbaissé. Au-dessus de la porte, une niche est pratiquée,
partie aux dépens de l'épaisseur du mur, partie en encorbellement;
cette niche est surmontée d'un dais très-ouvragé, soutenu par deux
pilettes délicates: elle contenait une statue équestre du roi Charles VII<span id="note88"></span>[[#footnote88|<sup>88</sup>]].
Une large fenêtre à meneaux s'ouvre au-dessus de cette niche, et éclaire
la chapelle située au premier étage. Des deux côtés de la niche sont
simulées deux fenêtres garnies, celle de droite, donnant du côté de
l'entrée des cuisines, d'une figure de femme, et celle de gauche, donnant
du côté de la ville, d'une figure d'homme. Ces deux statues, visibles
seulement en buste par-dessus la balustrade, semblent regarder au
dehors
et s'enquérir de ce qui se passe sur la voie publique. Ainsi, comme
le dit M. Vallet de Viriville, dans la curieuse notice qu'il vient de publier
sur Jacques Cœur<span id="note89"></span>[[#footnote89|<sup>89</sup>]]: «Ces deux personnages semblent représenter la Vigilance... Dès le frontispice éclatait l'hommage public et respectueux rendu
à l'autorité souveraine par l'officier du roi; mais en même temps et sous
cette égide, la personnalité, l'individualité de Jacques Cœur se déployait
avec une assurance et une liberté remarquables.» En effet, sur ce portail
comme sur toutes les autres parties de l'édifice, apparaissent les <i>cœurs</i>,
les coquilles de pèlerin, et la devise: <i>À vaillans cœurs rien
impossible</i>.
</div>
[[Image:Porte.Hotel.Jacques.Coeur.Bourges.2.png|center]]
<div class="text">
On remarquera que l'idée de symétrie n'est entrée pour rien dans la
composition de ce portail, et cependant que les vides et les pleins, les
parties lisses et les parties ornées, se pondèrent d'une façon tout à fait
heureuse, sans que l'œil soit préoccupe de ces démanchements d'axes. Il
fallait une porte charretière et une poterne, l'architecte les a percées entre
les deux murs de refend qui forment le pavillon. Il a pris l'axe de celui-ci
pour ouvrir la fenêtre éclairant la chapelle, et a réuni la niche à cette
fenêtre de manière à former une grande ordonnance supérieure,
indiquant
un étage élevé et voûté. Les fenêtres remplies par les deux figures
tombent sous les angles du pavillon; mais ces fenêtres sont pleines,
et l'architecte a eu le soin de supposer un entrebâillement du vantail dans
chacune d'elles qui renforce leurs pieds-droits sous l'angle du pavillon.
 
Nous citerons les portes d'entrée des hôtels de Sens et de Cluny à
Paris, qui existent encore, et qui sont postérieures de quelques années
à celles-ci<span id="note90"></span>[[#footnote90|<sup>90</sup>]]. À l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Maison|Maison]], nous avons présenté quelques portes des
XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles<span id="note91"></span>[[#footnote91|<sup>91</sup>]], qui nous dispenseront d'entrer dans plus de détails
sur cette partie importante des habitations du moyen âge. Cependant
nous dirons quelques mots des portes extérieures d'escaliers, qui
présentent une disposition particulière. Nous indiquons ailleurs<span id="note92"></span>[[#footnote92|<sup>92</sup>]] comment
les escaliers des habitations pendant le moyen âge étaient presque
toujours
construits en vis. Ce parti pris nécessitait l'ouverture de portes
assez basses, puisqu'il fallait que le linteau de ces portes masquât la première
révolution du degré. Mais alors ce linteau était considéré souvent
comme une imposte surmontée d'une fenêtre éclairant la deuxième
révolution.
Nous trouvons encore dans l'hôtel de Jacques Cœur, à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bourges|Bourges]],
un exemple, complet de ces sortes de portes (fig. 88). Le linteau, formant
imposte, présente une sculpture intéressante. Trois arbres se
détachent sur un fond. Celui du milieu représente un oranger, celui de
droite un dattier, et celui de gauche une sorte de mimosa. Entre ces
arbres croissent des plantes exotiques, parmi lesquelles est un œillet.
On sait que Jacques Cœur fit plusieurs voyages en Orient, et qu'il entretenait
avec ces contrées un commerce étendu. Ces plantes semblent
être des emblèmes de ces relations, et peut-être est-ce à l'illustre argentier
que nous devons l'introduction en France de quelques-unes de
nos plantes médicinales et de jardin. Autour de ce bas-relief, on lit la
devise, plusieurs fois répétée dans l'hôtel:
<i>Oïr,--dire,--faire,--taire</i>,
dont les lettres sont séparées par des branches de plantes.
 
La première révolution de l'escalier passe derrière ce linteau et est
éclairée par la fenêtre d'imposte<span id="note93"></span>[[#footnote93|<sup>93</sup>]].
 
Les portes intérieures des palais et maisons, c'est-à-dire celles qui
s'ouvrent d'une pièce sur une autre, sont habituellement très-simples,
basses et étroites avant la fin du XV<sup>e</sup> siècle. Ce ne sont que des ouvertures
permettant à une seule personne de passer à la fois. Ces portes
étaient en outre garnies de portières. Dans aucune habitation du moyen
âge, fût-elle princière, on ne trouverait de ces portes d'appartements ayant
3 ou 4 mètres de hauteur, comme dans nos hôtels modernes, par cette
raison bien naturelle, que si nobles qu'elles fussent, les personnes passant
par ces portes n'avaient pas une taille qui atteignit six pieds. Si ces
portes parfois sont larges, pour permettre une circulation facile, elles ne
dépassent pas 2<sup>M</sup>,50 sous linteau.
 
C'est sous le règne de Louis XIV qu'on a commencé seulement à percer
des portes d'appartements ayant une plus grande élévation: on
considérait
cela comme plus noble alors, sinon plus sensé.
</div>
[[Image:Porte.Hotel.Jacques.Coeur.Bourges.png|center]]
<div class="text">
Les portes intérieures des habitations du moyen âge sont très-simples,
parce qu'elles s'ouvraient derrière des tapisseries, et qu'on n'en apercevait
qu'à peine les jambages et les linteaux. Leurs vantaux seuls
étaient travaillés avec recherche. Les linteaux sont, ou rectilignes, ou en
portion d'arc de cercle, ou en cintre surbaissé. On voit déjà, dans des
bâtiments du commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, apparaître ces linteaux
tracés au moyen de trois centres; mais c'est surtout vers la fin du XV<sup>e</sup> siècle
que leur emploi est fréquent. Pendant les XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles, très-souvent
ces linteaux sont soulagés par des corbeaux ménagés dans l'épaisseur du tableau. Alors (fig. 89) un chanfrein ou un profil pourtournent
la baie du côté opposé à la feuillure du vantail, car il est
très-rare que
ces portes soient à deux vantaux.
</div>
[[Image:Porte.interieure.XIIIe.XIVe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Vers la fin du XIV<sup>e</sup> siècle, les corbeaux soulageant les linteaux ne sont
plus employés pour les portes d'appartements. Celles-ci sont quadrangulaires
et ornées parfois d'un boudin formant colonnette, avec chapiteau
et base (fig. 90). Telles sont construites les portes d'appartements du
château de Pierrefonds. Au-dessus du linteau est ménagée une clef en
décharge, et du côté de l'ébrasement est pratiqué un arc; ou si les
portes sont étroites, un plafond d'un seul morceau de pierre. Le boudin
qui orne le tableau, le chapiteau et la base, sont d'ailleurs pris dans
l'épannelage rectangulaire des pieds-droits, et ne forment pas saillie sur
le nu du mur.
</div>
[[Image:Porte.appartement.XIVe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Dans les habitations décorées avec luxe, les linteaux étaient surmontés
de dessus de porte en menuiserie; car nous avons souvent constaté la
présence de scellements sur ces linteaux et sur les parements qui les
recouvrent. Si nos hôtels modernes étaient un jour abandonnés, pillés
et ruinés, on serait bien embarrassé de dire en quoi consistait la décoration
de nos portes d'appartements, car elles ne sont, après tout, qu'une
ouverture quadrangulaire dans un mur, ouverture que l'on revêt de
boiseries, de stucs et de peintures. Sans donner un rôle aussi
important
à la décoration d'emprunt, les architectes du moyen âge ne se
préoccupaient cependant que de l'encadrement du tableau qui restait
apparent; les lambris, les dessus de portes et les tapisseries faisaient le
reste; la pierre n'apparaissait absolument que dans le tableau et sur
cette moulure d'encadrement. Cette simplicité des baies de portes
intérieures
était cachée sous la richesse des boiseries et tentures qui
concouraient
à la décoration des pièces, car il ne faudrait pas croire que
nos aïeux habitaient entre des murailles nues<span id="note94"></span>[[#footnote94|<sup>94</sup>]], comme celles que nous
laissent voir les ruines des châteaux. Beaucoup de ces portes
d'appartements
étaient d'ailleurs garnies de tambours ou de <i>clotets</i>, qui, ne
s'élevant qu'à une hauteur de 6 à 7 pieds, empêchaient l'air extérieur
de pénétrer dans la pièce lorsqu'on ouvrait un vantail. On ne possédait
pas alors de calorifères, et si l'on ouvrait une porte, on introduisait un
cube d'air froid, dans les pièces chauffées, fort désagréable. Ces tambours
et ces portières étaient destinés à éviter cet inconvénient. On sait comme
on gelait dans les appartements de Versailles, grâce à ces portes <i>nobles</i>
qui, chaque fois qu'on les ouvrait, faisaient entrer une vingtaine de
mètres d'air glacial dans les pièces à feu; et comme M<sup>me</sup> de Maintenon,
qui craignait les coups d'air, n'avait trouvé d'autre remède contre ce
soufflet perpétuel que d'établir son fauteuil dans ce que le duc de Saint-Simon
appelle un tonneau.
 
Les portes des appartements du moyen âge, et jusqu'au règne de
Louis XIV, sont donc basses et peu larges, et ne sont, si l'on peut ainsi
parler, que des soupapes bien munies de clapets, pour éviter les courants
d'air. Il faut en prendre son parti. Ces portes ne s'élargissent qu'autant
qu'elles servent de communication entre de grandes salles destinées à
offrir une série de pièces propres à donner des fêtes ou à recevoir un
grand concours de monde, mais elles conservent toujours une hauteur
variant entre 2 mètres et 2<sup>M</sup>,50 au plus.
 
Peut-être voudra-t-on prendre une idée de la manière dont ces portes
d'appartements étaient décorées, dans des châteaux ou palais. C'est pour
rendre intelligible ce que nous venons de dire à ce sujet, que nous avons
réuni dans la figure 91 les renseignements recueillis, soit dans des
édifices civils de la fin du XIV<sup>e</sup> siècle ou du commencement du XV<sup>e</sup>, soit
dans des vignettes de manuscrits, des peintures et des bas-reliefs. On
voit ici que la porte proprement dite, la baie de pierre, est à peine
visible; les jambages et le bord inférieur de son linteau sont seuls apparents.
Au-dessus est scellé un grand ouvrage de menuiserie peint, et qui
se raccorde avec les porte-tapisseries moulurés. Ces tapisseries s'arrêtent
sur un lambris inférieur qui garnissait généralement le bas des murs.
La partie du mur laissée nue entre le plafond et les tapisseries était
décorée de peintures, et une portière était suspendue à la boiserie formant
dessus de porte.
</div>
[[Image:Porte.interieure.XIVe.XVe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Il arrivait que certaines portes d'appartements étaient complétement
masquées sous la tapisserie, laquelle était fendue seulement pour laisser
passer les habitants. C'étaient là de véritables portes <i>sous tenture</i>.
 
Les exemples de portes d'appartements de la fin du XV<sup>e</sup> siècle ne
manquent pas, et l'on peut les trouver partout; elles sont généralement
terminées par un arc surbaissé, et quelquefois cet arc est couronné par
une accolade. On voit encore de jolies portes de ce genre au palais des
Ducs de Bourgogne à Dijon, à l'hôtel de Cluny à Paris, à l'évêché
d'Évreux, au palais de justice de Rouen, et dans beaucoup de châteaux
de cette époque, tels que ceux d'Amboise, de Blois, etc.
 
L'époque de la renaissance éleva de très-belles portes extérieures et
intérieures dans les habitations seigneuriales ou dans les maisons; mais
l'étendue de cet article ne nous permet pas de dépasser la limite de
l'ère gothique. Si nous voulions choisir parmi les beaux exemples des
portes du commencement de la renaissance, nous serions entraîné
beaucoup trop loin. D'ailleurs ces exemples sont reproduits dans un
grand nombre d'ouvrages mis entre les mains de tous les artistes.
 
<br><br>
----
 
<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Les traces de herses apparentes dans les pieds-droits de ces portes datent du moyen
âge.
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Ainsi que nous l'avons dit plus haut, cette porte paraît ne pas remonter au delà du
V<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : La tour de droite seule existe jusqu'au niveau du sommet de la porte, mais son
escalier, dont on ne voit plus que les traces, a été détruit.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Nous donnons plus loin la porte de cette barbacane.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Ce pont date du XIII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : Voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Hourd|Hourd]], fig. 1.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : La porte de Laon à Coucy est d'une date un peu antérieure à la construction du
château. Naturellement l'enceinte de la ville dut précéder l'édification du château et du
fameux donjon; cette porte, par son style et sa structure, appartient
aux premières années
du XIII<sup>e</sup> siècle. Enguerrand III prit possession de sa seigneurie vers 1183, et mourut
en 1242.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Cette voie est encore apparente.
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : Voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Meurtrière|Meurtrière]], fig. 11.
 
<span id="footnote10">[[#note10|10]] : Nous n'avons, sur la tour G, aujourd'hui enterrée dans le boulevard et sous la route
actuelle de Laon, que des données vagues, n'ayant pu faire des fouilles étendues. Quant
au viaduc, il est complet et se distingue même au milieu des adjonctions du XV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote11">[[#note11|11]] : Cette porte avait été terrassée au XVI<sup>e</sup> siècle, au moment des guerres de religion,
pour pouvoir placer de l'artillerie au sommet des tours. Ces remblais ont été enlevés, il
y a quelques années, par les soins de la Commission des monuments historiques, et ce
déblaiement a permis de découvrir les dispositions anciennes que nous présentons dans
cette suite de gravures.
 
<span id="footnote12">[[#note12|12]] : Voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Meurtrière|Meurtrière]], fig. 6.
 
<span id="footnote13">[[#note13|13]] : Voyez l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]], fig. 11, et les <i>Archives des monuments historiques</i>.
 
<span id="footnote14">[[#note14|14]] : Ce plan est à l'échelle de 2 millimètres pour mètre.
 
<span id="footnote15">[[#note15|15]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Échauguette|Échauguette]], fig. 6.
 
<span id="footnote16">[[#note16|16]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]], fig. 24.
 
<span id="footnote17">[[#note17|17]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 149, 150, 151, 152,
153 et 154.
 
<span id="footnote18">[[#note18|18]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Fenêtre|Fenêtre]], fig. 40.
 
<span id="footnote19">[[#note19|19]] : Ce plan est à 0<sup>m</sup>,002 pour mètre.
 
<span id="footnote20">[[#note20|20]] : Cette élévation est à 0<sup>m</sup>,0025 pour mètre.
 
<span id="footnote21">[[#note21|21]] : Pour de plus amples détails, voyez les <i>Archives des monuments historiques</i> publiées
sous les auspices du ministre de la Maison de l'Empereur et des
Beaux-Arts.
 
<span id="footnote22">[[#note22|22]] : Voyez l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Siège|Siége]].
 
<span id="footnote23">[[#note23|23]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Hourd|Hourd]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 Mâchicoulis|Mâchicoulis]].
 
<span id="footnote24">[[#note24|24]] : Voyez l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Pont|Pont ]], où il est parlé de ces ouvrages à propos du pont Saint-Bénézet
d' [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A#Avignon|Avignon]] .
 
<span id="footnote25">[[#note25|25]] : Voyez l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Siège|Siége]].
 
<span id="footnote26">[[#note26|26]] : C'est à l'obligeance de M. Achard, le savant archiviste de la préfecture de Vaucluse,
que nous devons la plus grande partie des renseignements qui nous ont aidé à restituer
cette porte dans son état primitif.
 
<span id="footnote27">[[#note27|27]] : Les dessins appartiennent à M. Achard, qui a bien voulu nous les laisser copier.
 
<span id="footnote28">[[#note28|28]] : Voyez la tapisserie de l'hôtel de ville, le grand plan à vol d'oiseau de Mérian, les
gravures d'Israël Sylvestre.
 
<span id="footnote29">[[#note29|29]] : Liv. III, p. 1062, édition de 1612.
 
<span id="footnote30">[[#note30|30]] : Coll. Michaud, t. II, p. 641.
 
<span id="footnote31">[[#note31|31]] : La gravure d'Israël Sylvestre fait voir la place de la fausse braie avec son fossé en arrière.
 
<span id="footnote32">[[#note32|32]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Barre, Barrière|Barrière]].
 
<span id="footnote33">[[#note33|33]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Bastide, bastille|Bastille]].
 
<span id="footnote34">[[#note34|34]] : Voyez aussi, à l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Pont|Pont ]], divers systèmes
de pont à bascule.
 
<span id="footnote35">[[#note35|35]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Engin|Engin]].
 
<span id="footnote36">[[#note36|36]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Pont|Pont ]], fig. 4.
 
<span id="footnote37">[[#note37|37]] : Voyez Androuet du Cerceau, <i>Des plus excellens
bastimens de France</i>.
 
<span id="footnote38">[[#note38|38]] : Olivier de Clisson était surnommé par les contemporains, le <i>Boucher</i>.
 
<span id="footnote39">[[#note39|39]] : Voyez, pour le plan de cette barbacane, la figure 11,
en E ([[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]]).
 
<span id="footnote40">[[#note40|40]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Barbacane|Barbacane]], fig. 2 et 3.
 
<span id="footnote41">[[#note41|41]] : Voyez <i>Topographie de la Gaule</i>, Mérian.
 
<span id="footnote42">[[#note42|42]] : Voyez <i>Topographie de la Gaule</i>, Mérian.
 
<span id="footnote43">[[#note43|43]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Château|Château]].
 
<span id="footnote44">[[#note44|44]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Donjon|Donjon]].
 
<span id="footnote45">[[#note45|45]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Château|Château]].
 
<span id="footnote46">[[#note46|46]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Barre, Barrière|Barre]].
 
<span id="footnote47">[[#note47|47]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Donjon|Donjon]], fig. 35.
 
<span id="footnote48">[[#note48|48]] : Voyez la description de cette porte dans le <i>Bulletin monumental</i>, t. IX, p. 300.
 
<span id="footnote49">[[#note49|49]] : Dans son excellent ouvrage sur l'<i>Architecture militaire de la Guyenne</i>, M. Léo
Drouyn a présenté un assez grand nombre de ces exemples de portes.
 
<span id="footnote50">[[#note50|50]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porche|Porche ]], fig. 4.
 
<span id="footnote51">[[#note51|51]] : Cet agneau a été gratté à la fin du dernier siècle.
 
<span id="footnote52">[[#note52|52]] : Les têtes de ces figures ont été cassées, mais elles paraissent avoir été tournées du
côté des personnages qui garnissent le linteau.
 
<span id="footnote53">[[#note53|53]] : On voudra bien se rappeler que dans beaucoup de sculptures et de peintures des
XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècle, l'orgueil est personnifié par un homme tombant de cheval.
 
<span id="footnote54">[[#note54|54]] : Les têtes de ces deux figures sont brisées.
 
<span id="footnote55">[[#note55|55]] : Voyez, dans les <i>Archives des monuments historiques</i> publiées sous les auspices de
Son Exc. le Ministre de la maison de l'Empereur, la description des sculptures de Vézelay
donnée par M. Mérimée.
 
<span id="footnote56">[[#note56|56]] : Voyez à l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 21, l'aspect intérieur de cette porte.
 
<span id="footnote57">[[#note57|57]] : Cette ornementation a été estampée et est bien connue des artistes. C'est un des
plus beaux exemples de la sculpture du moyen âge, et qui peut rivaliser avec les œuvres
de l'antiquité grecque.
 
<span id="footnote58">[[#note58|58]] : Cette porte, enclavée aujourd'hui dans une propriété particulière, a perdu son tympan,
dont il existait, en 1845, des fragments dans un jardin voisin.
 
<span id="footnote59">[[#note59|59]] : Sauf une seule, ces statuettes ont été mutilées.
 
<span id="footnote60">[[#note60|60]] : M. Massenot, architecte à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Index communes A|Amiens]], a relevé pour nous cette porte avec le plus grand
soin. Les fenêtres romanes de cette église sont empreintes du même caractère plein
cintre, et ornées de cette volute terminale à la base des archivoltes si fréquente dans les
monuments romano-grecs recueillis par M. le comte de Vogué et par M. Duthoit, en
Syrie.
 
<span id="footnote61">[[#note61|61]] : Cette église a été habilement restaurée depuis peu par M. Abadie.
 
<span id="footnote62">[[#note62|62]] : Voyez <i>Les églises de la Terre-Sainte</i>, par M. le comte de Vogué, 1860.
 
<span id="footnote63">[[#note63|63]] : Le couronnement tracé sur notre figure est une restauration.
 
<span id="footnote64">[[#note64|64]] : Voyez l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Statuaire |Statuaire ]].
 
<span id="footnote65">[[#note65|65]] : L'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#La.Souterraine|la Souterraine]], d'un très-beau style, de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, a été restaurée depuis peu par M. Abadie.
 
<span id="footnote66">[[#note66|66]] : Le linteau et le trumeau de la porte de l'église de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Nesle|Nesle]] ont été enlevés et ne sont
restitués ici que sur des fragments. Nous ne savons si le tympan contenait un bas-relief;
nous en doutons, considérant l'extrême sobriété de la sculpture de ce petit monument,
élevé à l'aide de ressources très-minimes.
 
<span id="footnote67">[[#note67|67]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Pignon|Pignon ]], fig. 8.
 
<span id="footnote68">[[#note68|68]] : Ces statues d'anges, le dais et le nimbe crucifère du Christ existent encore.
 
<span id="footnote69">[[#note69|69]] : Voyez, pour de plus amples renseignements, la <i>Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris</i>, par MM. de Guilhermy et
Viollet-le-Duc, 1856. Les huit statues des
ébrasements et celle de la Vierge, détruites à la fin du dernier
siècle, ont été rétablies
depuis peu.
 
<span id="footnote70">[[#note70|70]] : Cette statue n'a pas été posée, l'église n'ayant pu être achevée. Le pape Urbain IV,
qui était de Troyes et avait fait les fonds nécessaires à la
construction de l'église, étant
mort en 1264, les travaux durent être suspendus, faute de ressources suffisantes, vers
les dernières années du XIII<sup>e</sup> siècle. Il y a tout lieu de croire que la statue du trumeau
devait représenter saint Urbain. Sur beaucoup d'autres portes, à dater du milieu du
XIII<sup>e</sup> siècle, on voit un personnage saint et non le Christ, bien que le linteau et le tympan
représentent le jugement dernier. C'est ainsi qu'à la belle porte méridionale de
l'église abbatiale de Saint-Denis en France, que nous avons citée plus haut, on voyait
la statue du saint évêque de Paris sur le trumeau, tandis que le linteau représentait le
jugement dernier.
 
<span id="footnote71">[[#note71|71]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Gâble|Gâble]].
 
<span id="footnote72">[[#note72|72]] : Cette porte était ainsi désignée parce qu'elle donnait du côté du cloître où se trouvait
installée, pendant le moyen âge, la bibliothèque du chapitre.
 
<span id="footnote73">[[#note73|73]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Gâble|Gâble]], fig. 5.
 
<span id="footnote74">[[#note74|74]] : Les deux portes de la Calende et des Libraires ont pu ainsi, sans trop de peine et de
dépense, être restaurées par les deux architectes diocésains de Rouen, MM. Desmarets et
Barthélemy.
 
<span id="footnote75">[[#note75|75]] : Voyez l'ouvrage de M. Caillat, <i>Monographie de l'église Saint-Eustache</i>.
 
<span id="footnote76">[[#note76|76]] : Voyez les <i>Archives des monuments historiques</i> publiées sous les auspices de Son Exc.
le Ministre de la Maison de l'Empereur et des Beaux-Arts.
 
<span id="footnote77">[[#note77|77]] : Voyez l'ensemble de la chapelle de Sainte-Claire du Puy, dans l'<i>Architecture et les
arts qui en dépendent</i>, par M. J. Gailhabaud, tome I.
 
<span id="footnote78">[[#note78|78]] : Voyez les détails de cette porte dans l'<i>Architecture et les arts qui en dépendent</i>, par
M. Gailhabaud, tome II.
 
<span id="footnote79">[[#note79|79]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]], fig. 19 et 20.
 
<span id="footnote80">[[#note80|80]] : Cette sacristie est ménagée dans les chapelles carrées du chœur de cette église, côté
septentrional (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]], fig. 46).
 
<span id="footnote81">[[#note81|81]] : Voyez le plan de l'église de Saint-Urbain à l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 102.
 
<span id="footnote82">[[#note82|82]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porche|Porche ]], fig. 29.
 
<span id="footnote83">[[#note83|83]] : Cette porte, par son style, appartient évidemment aux reconstructions de 1257;
bien que la plupart des <i>Guides</i>, nous ne savons d'après quelles autorités, la signalent
comme appartenant au XV<sup>e</sup> siècle. Le XV<sup>e</sup> siècle n'a pas posé une seule pierre dans la
cathédrale de Paris.
 
<span id="footnote84">[[#note84|84]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Maison|Maison]], et l'ouvrage sur <i>l'Architecture civile</i>, de MM. Verdier et Cattois.
 
<span id="footnote85">[[#note85|85]] : Cette maison a été détruite depuis; nous n'avons pu en retrouver que la place lors
d'un dernier voyage dans le département de l'Indre.
 
<span id="footnote86">[[#note86|86]] : Cette porte provient d'une maison de Château-Vilain (Haute-Marne).
 
<span id="footnote87">[[#note87|87]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Maison|Maison]], et l'ouvrage déjà cité de MM. Verdier et Cattois.
 
<span id="footnote88">[[#note88|88]] : On retrouve cette même disposition à l'entrée du château de Blois et au-dessus de
la porte de l'hôtel de ville de Compiègne.
 
<span id="footnote89">[[#note89|89]] : Voyez <i>Jacques Cœur</i>, par M. Vallet de Viriville.
Paris, 1864.
 
<span id="footnote90">[[#note90|90]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Maison|Maison]], fig. 39.
 
<span id="footnote91">[[#note91|91]] : Voyez fig. 21, 24, 25, 27, 28, 29, 37. Voyez aussi
l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Salle|Salle ]].
 
<span id="footnote92">[[#note92|92]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Château|Château]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Escalier|Escalier]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Maison|Maison]].
 
<span id="footnote93">[[#note93|93]] : Voyez <i>Notices sur les monuments du Berry</i>, par
M. Hazé, 1834.
 
<span id="footnote94">[[#note94|94]] : Voyez le <i>Dictionnaire du mobilier</i>.