« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Perron » : différence entre les versions

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| width=33%<pages styleindex="background: #ffe4b5"Viollet-le-Duc |- <center>< [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, Tometome 7,.djvu" from=118 fromsection=s3 to=124 tosection=s1 Penture|Penture]]</center>
<references />
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| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index Tome 7|Index par tome]]</center>
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|}
 
=== PERRON ===
s. m. Pendant le moyen âge, le mot <i>perron</i> s'emploie communément
pour désigner l'emmarchement extérieur qui donne entrée
dans la salle principale du château ou du palais, dans le lieu réservé
aux plaids, aux grandes assemblées.
 
Dans la <i>Chanson des Saxons</i><span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]], les barons apportent à Charlemagne
chacun quatre deniers. L'empereur fait mettre la somme en monceau:
</div>
<center>
«Karles les a fait fondre à force de charbons.<br>
Devant la maistre sale an fu faiz. i. perrons,<br>
Li baron de Herupe (Angers) i escristrent lor nons;<br>
Puis i fu mis li Karle, si que bien le savons,<br>
Que jamais en Herupe n'iert chevages semons<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]].»<br>
</center>
<div class="text">
Le perron est une de ces traditions des peuples du Nord dont l'origine
remonte bien loin dans les annales historiques. C'est la plate-forme des
Scythes, l'amoncellement de pierres sur lequel s'assied le chef de la tribu;
l'emblème du lieu élevé où se tiennent et d'où descendent les races
conquérantes et supérieures. Il serait intéressant de rechercher et de
réunir les origines de la plate-forme assise sur un emmarchement, car
c'est là un des monuments que l'on trouve sur la surface du globe
partout
où une race supérieure s'est établie au milieu de peuplades conquises.
C'est du haut d'un perron que l'<i>imperator</i> romain parle aux troupes
sous ses ordres. Le tribunal de campagne sur lequel s'assied le général
pour recevoir la soumission des vaincus, n'est-ce qu'un amoncellement
de pierres avec emmarchement<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. C'est sur un perron que l'auteur de la
<i>Chanson de Roland</i> fait mourir son héros, comme sur un lieu sacré:
</div>
<center>
«Prist l'olifan, que reproce n'en ait,<br>
E Durandal s'espée en l'altre main;<br>
D'un arbaleste ne poest traire un quarrel;<br>
Devers Espaigne en vait en un guaret,<br>
Muntet sur un tertre desuz un arbre bele;<br>
Quatre perrons i ad de marbre faite;<br>
Sur l'erbe verte si est caeit envers,<br>
Là s'est pasmet; kar la mort li est près<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]].»<br>
</center>
<div class="text">
Dans les romans des XI<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, il est sans cesse question de perrons au haut desquels se tiennent les seigneurs pour recevoir leurs
vassaux:
</div>
<center>
«Li dux s'asist sus un peon de marbre<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]].»<br>
</center>
<div class="text">
C'est au bas du perron des palais que descendent les personnages qui
viennent visiter le suzerain; c'est là qu'on les reçoit, si l'on veut leur faire
honneur.
</div>
<center>
«De joiaus, de richesses trestous Paris resplent:<br>
Au perron de la sale la roijne descent,<br>
Maint haut baron l'adestrent moult debonairement,<br>
Car de li honorer a chascun bon talent<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]].»<br>
</center>
<div class="text">
Lorsque Guillaume d'Orange se rend auprès du roi de France après la
prise d'Orange, il arrive incognito:
</div>
<center>
«Li cuens Guillaumes descendi au perron<br>
Mès ne trova escuier né garçon<br>
Qui li tenist son auferrant gascon (son cheval).<br>
Li bers l'atache à l'olivier réon<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]].»<br>
</center>
<div class="text">
Les perrons des châteaux étaient accompagnés de montoirs (voy.
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Montoir|Montoir]]):
</div>
<center>
«Sor les chevax monterent c'ou lor tint au perron<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]]:<br>
Fors de la salle aneit-un mis,<br>
Un grant peron de marbre bis,<br>
U li poisant hume munteient.<br>
Qui de la Curt le Roi esteient<span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]].»<br>
</center>
<div class="text">
Le perron, comme nous l'avons vu déjà ci-dessus, est quelquefois un
monument destiné à perpétuer une victoire. Tel est celui que Charlemagne
fait élever à Trémoigne:
</div>
<center>
«An la cit de Tremoigne fist. i. perron lever<br>
Large et gros et qarré an haut plus d'un esté;<br>
Sa victoire i fist metre, escrire et seeler,<br>
A beles letres d'or dou meillor d'outre-mer;<br>
Ce fist-il que li Saisne s'i poïssent mirer;<br>
Sovantes foiz avoient telant de reveler<span id="note10"></span>[[#footnote10|<sup>10</sup>]].»<br>
</center>
<div class="text">
Le perron était donc une marque de noblesse, un signe de puissance
et de juridiction. Les communes élevaient des perrons devant leurs hôtels
de ville, comme signe de leurs franchises; aussi voyons-nous que lorsque
Charles, duc de Bourgogne, a soumis le territoire de la ville de Liége,
en 1467, pour punir les bourgeois de leur révolte, et comme marque de leur humiliation:
</div>
<center>
« Les turs, les murs, les portes,<br>
Fist le duc mettre jus<br>
Et toutes plaches fortes,<br>
Encoire fist-il plus:<br>
Car pour porter en Flandres<br>
Fist hoster le perron,<br>
Adfin que de leur esclandre<br>
Puist estre mention<span id="note11"></span>[[#footnote11|<sup>11</sup>]].»<br>
</center>
<div class="text">
Ce passage fait comprendre toute l'importance qu'on attachait au
perron
pendant le moyen âge, et comment ces degrés extérieurs étaient
considérés comme la marque visible d'un pouvoir seigneurial. Le sire de
Joinville rapporte qu'un jour allant au palais, il rencontra une charrette
chargée de trois morts qu'on menait au roi. Un clerc avait tué ces trois
hommes, lesquels étaient sergents du Châtelet et l'avaient dépouillé de
ses vêtements. Sortant de sa chapelle, le roi «ala au perron pour veoir
les mors, et demanda au prevost de Paris comment ce avoit esté.» Le fait éclairci, et le clerc ayant agi bravement, dans un cas de légitime
défense: «Sire clerc, fist le roy, le rapport entendu, vous avez perdu a
estre prestre par vostre proesce, et par vostre proesce je vous restieng
à mes gages, et en venrez avec moy outre-mer. Et ceste chose vous foiz-je
encore, pour ce que je veil bien que ma gent voient que je ne les
soustendrai en nulles de leurs mauvestiés<span id="note12"></span>[[#footnote12|<sup>12</sup>]].»
 
Voilà donc un jugement rendu par le suzerain, en plein air, du haut
du perron de son palais.
 
Ces perrons, par l'importance même qu'ils prenaient dans les palais et
châteaux, étaient richement bâtis, ornés de balustrades et de figures
sculptées. Quelques seigneurs, d'après un usage qui semble fort ancien,
attachaient même parfois des animaux sauvages au bas des perrons,
comme pour en défendre l'approche. Un fabliau du XIII<sup>e</sup> siècle<span id="note13"></span>[[#footnote13|<sup>13</sup>]]
rapporte
qu'un certain sénéchal de la ville de Rome, homme riche et puissant,
avait attaché un ours au perron de son palais. <span id=Coucy>En haut du perron du
château de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Coucy|Coucy]], à l'entrée de la grand'salle, était une table portant un
lion de pierre, soutenue par quatre autres lions<span id="note14"></span>[[#footnote14|<sup>14</sup>]].
 
On nous pardonnera la longueur de ces citations; elles étaient
nécessaires
pour expliquer l'importance des perrons pendant le moyen âge.
Nous allons examiner maintenant quelques-uns de ces monuments. L'un
des plus remarquables, bien qu'il ne fût pas d'une époque
très-ancienne,
était le perron construit devant l'aile qui réunissait la sainte Chapelle
du palais à Paris à la grand'salle. Ce perron datait du règne de Philippe
le Bel, et avait été élevé par les soins d'Enguerrand de Marigny. À l'avènement
de Louis le Hutin, Enguerrand ayant été condamné au gibet, son
effigie fut «jettée du haut en bas des grands degrez du palais<span id="note15"></span>[[#footnote15|<sup>15</sup>]]».
Ce ne
fut que vers la fin du dernier siècle que le grand degré du palais fut détruit,
pour être remplacé par le perron actuel (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Palais|Palais ]], fig. 1). C'est
devant cet emmarchement, un peu vers la gauche, qu'était planté le
may. Nous donnons (fig. 1) une vue perspective du perron élevé au
commencement
du XIV<sup>e</sup> siècle<span id="note16"></span>[[#footnote16|<sup>16</sup>]]. Lorsqu'il fut détruit, des échoppes
encombraient
ses deux murs d'échiffre et venaient s'accoler à la belle galerie
d'Enguerrand; mais la porte que l'on voit dans notre figure subsistait encore
presque entière, avec ses trois statues. Une voûte pratiquée sous
le grand palier supérieur permettait de communiquer d'un côté à l'autre
de la cour. Le perron du palais des comtes de Champagne, à Troyes,
présentait une disposition semblable, et datait du commencement du
XIII<sup>e</sup> siècle. Il donnait directement entrée sur l'un des flancs de la grand'-salle.
Au bas des degrés, à quelques mètres en avant, était placé un
socle sur lequel on coupait le poing aux criminels, après qu'on leur
avait lu la sentence qui les condamnait au dernier supplice<span id="note17"></span>[[#footnote17|<sup>17</sup>]].
Quelquefois
ces perrons étaient couverts en tout ou partie tel était celui du
château de Montargis (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Escalier|Escalier]], fig. 2), qui datait du XIII<sup>e</sup> siècle, et se
divisait en trois rampes surmontées de combles en charpente.
</div>
[[Image:Perron.Sainte.Chapelle.Palais.Paris.png|center]]
<div class="text">
Le château de Pierrefonds possédait un remarquable perron à la base
de l'escalier d'honneur, avec deux montoirs pour les cavaliers et une
voûte en arcs ogives, avec terrasse au-dessus. Nous donnons (fig. 2) le
plan de ce perron. L'escalier B permet d'arriver aux grandes salles du
donjon situées en A; il débouche vers la cour<span id="note18"></span>[[#footnote18|<sup>18</sup>]], sur un degré à trois pans.
Les deux montoirs sont en C; trois voûtes d'arête recouvrent l'emmarchement.
Une vue de ce perron, prise du point P (fig. 3), nous dispensera
d'entrer dans de plus amples détails. Il est peu de dispositions adoptées
dans la construction des châteaux du moyen âge qui se soient perpétuées
plus longtemps, puisque nous la voyons conservée encore de nos jours.
</div>
[[Image:Perron.chateau.Pierrefonds.png|center]]
<div class="text">
<span id=Fontainebleau><span id=Chantilly>Le grand escalier en fer à cheval du château de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes F#Fontainebleau|Fontainebleau]], dont
on attribue la construction à Philibert Delorme, est une tradition des
perrons du moyen âge. Celui du château de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chantilly|Chantilly]] formait une loge,
avec deux rampes latérales, et datait du XVI<sup>e</sup> siècle<span id="note19"></span>[[#footnote19|<sup>19</sup>]].
 
Le perron était un signe de juridiction, et les prévôts rendaient la
justice en plein air, du haut de leur perron<span id="note20"></span>[[#footnote20|<sup>20</sup>]]; aussi les hôtels de ville
possédaient-ils habituellement un perron, et l'enlèvement de ce degré
avait lieu lorsqu'on voulait punir une cité de sa rébellion envers le suzerain,
comme nous l'avons vu ci-dessus à propos de l'insurrection des
gens de Liége.
 
<br><br>
----
 
<span id="footnote1">[[#note1|1]] : <i>Chanson des Saxons</i>, de Jean Bodel, poëte artésien du XIII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Chap. XLV.
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : Voyez les bas-reliefs de la colonne Trajane.--«<i>Ipse
in munitione pro castris consedit:
eo duces producuntur</i>.» (<i>De bello gall.</i>, lib. VII,
reddition d'Alise.)
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : <i>La Chanson de Roland</i>, st. CLXV.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : <i>Ogier l'Ardenois</i>, vers 8517.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : <i>Li Romans de Berte aus grans piès</i>, chap. IX.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : <i>Guillaume d'Orange, La bataille d'Aleschans</i>, vers 2568 et suiv.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : <i>La Chanson des Saxons</i>, chap. XXII.
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : <i>Le lai</i>, de Laval; poésies de Marie de France.
 
<span id="footnote10">[[#note10|10]] : <i>La Chanson des Saxons</i>, chap. CCXCVI.
 
<span id="footnote11">[[#note11|11]] : <i>Chants populaires</i> du temps de Charles VII et de Louis XI, publiés par M. Le Roux
(de Lincy). Aubry, 1857.
 
<span id="footnote12">[[#note12|12]] : <i>Mémoires</i> du sire de Joinville, § 64.
 
<span id="footnote13">[[#note13|13]] : <i>Le Chien et le Serpent</i> (voy. Legrand d'Aussy).
 
<span id="footnote14">[[#note14|14]] : Quelques fragments de ce monument existent encore. Ils ont été déposés dans le
donjon.
 
<span id="footnote15">[[#note15|15]] : <i>Antiquités de Paris</i>. Corrozet.
 
<span id="footnote16">[[#note16|16]] : Restaurée à l'aide des anciens plans du palais et des deux dessins de la collection
Lassus, qui ont été lithographiés en fac-simile pour faire partie d'une monographie du
palais.
 
<span id="footnote17">[[#note17|17]] : Voyez le <i>Voyage archéologique dans le département de l'Aube</i>, par Arnaud. Troyes,
1837.
 
<span id="footnote18">[[#note18|18]] : Voyez le plan joint à la <i>Notice sur le château de Pierrefonds</i>, 3<sup>e</sup> édit., Viollet-le-Duc.
 
<span id="footnote19">[[#note19|19]] : Voy. Ducerceau, <i>Les plus excellents bâtiments de
France</i>.
 
<span id="footnote20">[[#note20|20]] : Voyez le conte du <i>Sacristain</i> (Legrand d'Aussy).