« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Peinture » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
m Contenu remplacé par « {{TextQuality|100%}}<div class="text"> {{NAD|P|Pavage|Pendentif|7}} <pages index="Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe... »
 
Ligne 1 :
{{TextQuality|100%}}<div class="text">
{{NAD|P|Pavage|Pendentif|7}}
{| width=100% border="0"
| width=33%<pages styleindex="background: #ffe4b5"Viollet-le-Duc |- <center>< [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, Tometome 7,.djvu" from=59 fromsection=s2 to=112 Pavage|Pavage]]</center>
<references />
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index alphabétique - P|Index alphabétique - P]]</center>
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Pendentif|Pendentif]] ></center>
|-
|
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index Tome 7|Index par tome]]</center>
|
|}
 
=== PEINTURE ===
s. f. Plus on remonte vers les temps antiques, plus on
reconnaît qu'il existait une alliance intime entre l'architecture et la peinture.
Tous les édifices de l'Inde, ceux de l'Asie Mineure, ceux d'Égypte,
ceux de la Grèce, étaient couverts de peintures en dedans et au dehors.
L'architecture des Doriens, celles de l'Attique, de la grande Grèce et de
l'Étrurie étaient peintes. Les Romains paraissent avoir été les premiers
qui aient élevé, sous l'empire, des monuments de marbre blanc ou de
pierre sans aucune coloration; quant à leurs enduits de stuc, ils étaient
colorés à l'extérieur comme à l'intérieur. Les populations barbares de
l'Europe septentrionale et occidentale peignaient leurs maisons et leurs
temples de bois, et les Scandinaves prodiguaient les couleurs brillantes
et les dorures dans leurs habitations.
 
Nous devons seulement ici constater ces faits bien connus aujourd'hui
des archéologues, et ne nous occuper que de la peinture appliquée à
l'architecture française du moyen âge. Alors, comme pendant la bonne
antiquité, la peinture ne paraît pas avoir été jamais séparée de l'architecture.
Ces deux arts se prêtaient mutuellement secours, et ce que nous
appelons le tableau n'existait pas, ou du moins n'avait qu'une importance
très-secondaire. Grégoire de Tours signale, à plusieurs reprises, les peintures
qui décoraient les édifices religieux et les palais de son temps.
«Es-tu
(disent, à Gondovald, les soldats qui assiègent la ville de
Comminges),
es-tu ce peintre qui, au temps du roi Clotaire, barbouillait en treillis
les murailles et les voûtes des oratoires<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]]?» Quand ce prélat répara
les basiliques de Saint-Perpétue, à Tours, il les fit «peindre et décorer
par les ouvriers du pays avec tout l'éclat qu'elles avaient
anciennement<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]].»
Cet usage de peindre les édifices fut continué pendant toute la
période carlovingienne, et Frodoard nous apprend que l'évêque Hincmar,
reconstruisant la cathédrale de Reims, «orna la voûte de peintures,
éclaira le temple par des fenêtres vitrées, et le fit paver de
marbre<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]].»)
Les recherches faites sur l'architecture dite romane, constatent que la
peinture était considérée comme l'achèvement nécessaire de tout édifice
civil et religieux, et alors s'appliquait-elle de préférence à la sculpture
d'ornement ou à la statuaire, aux moulures et profils, comme pour en
faire ressortir l'importance et la valeur. Toutefois, dès que cette architecture
prend un caractère original, qu'elle se dégage des traditions
gallo-romaines,
c'est-à-dire vers la fin du XI<sup>e</sup> siècle, la peinture s'y applique
suivant une méthode particulière, comme pour en faire mieux saisir les
proportions et les formes. Nous ne savons pas trop comment, suivant
quel principe, la peinture couvrait les monuments carlovingiens en
Occident,
et nous n'avons guère, pour nous guider dans ces recherches, que
certaines églises d'Italie, comme Saint-Vital de Ravenne, par exemple,
quelques mosaïques existant encore dans des basiliques de Rome ou de
Venise; et dans ces restes l'effet des colorations obtenues au moyen de ces
millions de petits cubes de verre ou de pierre dure juxtaposés, n'est pas
toujours d'accord avec les formes de l'architecture. D'ailleurs ce mode
de coloration donne aux parois, aux voûtes, un aspect métallique qui ne
s'harmonise ni avec le marbre, ni, à plus forte raison, avec la pierre ou le
stuc des colonnes, des piliers, des bandeaux, soubassements, etc. La mosaïque
dite byzantine a toujours quelque chose de barbare; on est surpris,
préoccupé; ces tons d'une intensité extraordinaire, ces reflets étranges
qui modifient les formes, qui détruisent les lignes, ne peuvent convenir
à des populations pour lesquelles l'architecture, avant tout, est un art de
proportions et de combinaisons de lignes. Il est certain que les Grecs de
l'antiquité, qui cependant regardaient la coloration comme nécessaire à
l'architecture, étaient trop amants de la forme pour avoir admis la mosaïque
dite byzantine dans leurs monuments. Ils ne connaissaient la
peinture que comme une couverte unie, mate, fine, laissant aux lignes
leur pureté, les accentuant même, exprimant les détails les plus délicats.
 
La peinture appliquée à l'architecture ne peut procéder que de deux
manières: ou elle est soumise aux lignes, aux formes, au dessin de la
structure; ou elle n'en tient compte, et s'étend indépendante sur les parois,
les voûtes, les piles et les profils.
 
Dans le premier cas, elle fait essentiellement partie de l'architecture;
dans le second, elle devient une décoration mobilière, si l'on peut ainsi
s'exprimer, qui a ses lois particulières et détruit souvent l'effet architectonique
pour lui substituer un effet appartenant seulement à l'art du
peintre.
Que les peintres considèrent ce dernier genre de décoration picturale
comme le seul bon, cela n'a rien qui doive surprendre; mais que l'art y
gagne, c'est une question qui mérite discussion. La peinture ne s'est séparée
de l'architecture qu'à une époque très-récente, c'est-à-dire au
moment
de la renaissance. Du jour que le tableau, la peinture isolée, faite
dans l'atelier du peintre, s'est substituée à la peinture appliquée sur le
mur qui doit la conserver, la décoration architectonique peinte a été
perdue. L'architecte et le peintre ont travaillé chacun de leur côté, creusant
chaque jour davantage l'abîme qui les séparait, et quand par hasard
ils ont essayé de se réunir sur un terrain commun, il s'est trouvé qu'ils
ne se comprenaient plus, et que voulant agir de concert, il n'existait
plus de lien qui les pût réunir. Le peintre accusait l'architecte de ne lui
avoir pas ménagé des places convenables, et l'architecte se croyait en
droit de déclarer que le peintre ne tenait aucun compte de ses dispositions
architectoniques. Cette séparation de deux arts autrefois frères est
sensible, quand on jette les yeux sur les essais qui ont été faits de nos
jours pour les accorder. Il est clair que dans ces essais l'architecte n'a
pas conçu, n'a pas vu l'effet que devait produire la peinture appliquée
sur les surfaces qu'il préparait, et que le peintre ne considérait ces surfaces
que comme une toile tendue dans un atelier moins commode que
le sien, ne s'inquiétant guère d'ailleurs de ce qu'il y aurait autour de
son tableau. Ce n'est pas ainsi que l'on comprenait la peinture décorative
pendant le moyen âge, ni même pendant la renaissance, et Michel-Ange,
en peignant la voûte de la chapelle Sixtine, ne s'isolait pas, il avait bien
la conscience du lieu, de la place où il travaillait, de l'effet d'ensemble
qu'il voulait produire. De ce que l'on peint sur un mur au lieu de peindre
sur une toile, il ne s'ensuit pas que l'œuvre soit une peinture
monumentale,
et presque toutes les peintures murales produites de notre temps
ne sont toujours, malgré la différence du procédé, que des tableaux; aussi
voyons-nous que ces peintures cherchent un encadrement, qu'elles se
groupent en scènes ayant chacune un point de vue, une perspective
particulière,
ou qu'elles se développent en processions entre deux lignes
horizontales.
Ce n'est pas ainsi non plus qu'ont procédé les anciens maîtres
mosaïstes, ni les peintres occidentaux du moyen âge. Quant à la
peinture
d'ornement, le hasard, l'instinct, l'imitation, servent seuls aujourd'hui
de guides, et neuf fois sur dix il serait bien difficile de dire pourquoi tel
ornement prend cette forme plutôt que telle autre, pourquoi il est rouge
et non pas bleu. On a ce qu'on appelle du <i>goût</i>, et cela suffit,
croit-on, pour
décorer d'enluminures l'intérieur d'un vaisseau; ou bien on recueille
partout des fragments de peintures, et on les applique indifféremment,
celui-ci qui était sur une colonne, à une surface plane, cet autre que l'on
voyait sur un tympan, à un soubassement. Le public, effarouché par ces
bariolages, ne trouve pas cela d'un bon effet, mais on lui démontre que
les décorateurs du moyen âge ont été scrupuleusement consultés, et ce même public en conclut que les décorateurs du moyen âge étaient des barbares, ce que d'ailleurs on lui accorde bien volontiers.
 
Dans la décoration de l'architecture, il faut convenir, il est vrai, que
la peinture est la partie la plus difficile peut-être et celle qui demande
le plus de calculs et d'expérience. Alors que l'on peignait tous les intérieurs
des édifices, les plus riches comme les plus pauvres, on avait nécessairement
des données, des règles que l'on suivait par tradition; les
artistes les plus ordinaires ne pouvaient ainsi s'égarer. Mais aujourd'hui
ces traditions sont absolument perdues, chacun cherche une loi inconnue;
il ne faut donc pas s'étonner si la plupart des essais tentés n'ont produit que des résultats peu satisfaisants.
 
Le XII<sup>e</sup> siècle atteint l'apogée de l'art de la peinture architectonique
pendant le moyen âge en France; les vitraux, les vignettes des manuscrits
et les fragments de peintures murales de cette époque accusent
un art savant, très-avancé, une singulière entente de l'harmonie des tons,
la coïncidence de cette harmonie avec les formes de l'architecture. Il
n'est pas douteux que cet art s'était développé dans les cloîtres et procédait
de l'art grec byzantin. Alors les étoffes les plus belles, les meubles, les ustensiles colorés, un grand nombre de manuscrits même, rapportés
d'Orient, étaient renfermés dans les trésors et les bibliothèques des couvents,
et servaient de modèles aux moines adonnés aux travaux d'art.
Plus tard, vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle, lorsque l'architecture sortit des
monastères et fut pratiquée par l'école laïque, il se fit une révolution
dans l'art de la peinture, qui, sans être aussi radicale que celle opérée
dans l'architecture, modifia profondément cependant les principes posés
par l'école monacale.
 
Sans parler longuement de quelques fragments de peinture à peine
visibles, de linéaments informes qui apparaissent sur certains monuments
avant le XI<sup>e</sup> siècle, nous constaterons seulement que dès l'époque gallo-romaine, c'est-à-dire vers le IV<sup>e</sup> siècle, tous les monuments paraissent
avoir été peints en dedans et en dehors. Cette peinture était appliquée soit sur la pierre même, soit sur un enduit couvrant des murs
de maçonnerie, et elle ne consistait, pour les parties élevées
au-dessus
du sol, qu'en une sorte de badigeon blanc, ou blanc jaunâtre, sur lequel
étaient tracés des dessins très-déliés en noir ou en ocre rouge. Près du
sol apparaissaient des tons soutenus, brun rouge, ou même noirs, relevés
de quelques filets jaunes, verdâtres ou blancs. Les sculptures
elles-mêmes
étaient couvertes de ce badigeon d'une faible épaisseur, les ornements
se détachant sur des fonds rouges et souvent rehaussés de traits noirs et de touches jaunes<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]]. Ce genre de décoration peinte paraît avoir
été longtemps pratiqué dans les Gaules et jusqu'au moment où
Charlemagne
fit venir des artistes d'Italie et d'Orient. Cette dernière influence étrangère ne fut pas la seule cependant qui dut conduire à l'art de la peinture
monumentale, tel que nous le voyons se développer au XII<sup>e</sup> siècle. Les
Saxons, les Normands, couvraient d'ornements peints leurs maisons, leurs
ustensiles, leurs armes et leurs barques; et il existe dans la bibliothèque
du Musée Britannique des vignettes de manuscrits saxons du XI<sup>e</sup> siècle qui
sont, comme dessin, comme finesse d'exécution et comme entente de l'harmonie des tons, d'une beauté surprenante<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]]. Cet art venait évidemment
de l'Inde septentrionale, de ce berceau commun à tous les peuples
qui ont su harmoniser les couleurs. La facilité avec laquelle les Normands,
à peine établis sur le sol de la Gaule, exercèrent et développèrent
même l'art de l'architecture, la façon de vivre déjà raffinée à laquelle les
Saxons étaient arrivés en Angleterre au moment de l'invasion de Guillaume
le Bâtard, indiquent assez que ces peuples avaient en eux autre
chose que des instincts de pillards, et qu'ils provenaient de familles possédant
depuis longtemps certaines notions d'art. Mais d'abord il est nécessaire
de bien s'entendre sur ce qu'est l'art de la peinture appliqué
à l'architecture. De notre temps on a mis une si grande confusion en toutes ces questions d'art, qu'il est bon de poser d'abord les principes.
Ce qu'on entend par un peuple de coloristes (pour me servir d'une expression
consacrée, si mauvaise qu'elle soit), c'est-à-dire les Vénitiens, les Flamands par exemple, ne sont pas du tout <i>coloristes</i> à la façon des populations
du Tibet, des Hindous, des Chinois, des Japonais, des Persans
et même des Égyptiens de l'antiquité. Obtenir un effet saisissant dans un
tableau, par le moyen de sacrifices habilement faits, d'une exagération de
certains tons donnés par la nature, d'une entente très-délicate des demi-teintes,
comme peuvent le faire, ou Titien, ou Rembrandt, ou Metzu, et
faire un châle du Tibet, ce sont deux opérations très-distinctes de l'esprit.
Il n'y a qu'un Titien, il n'y a qu'un Rembrandt et qu'un Metzu, et tous les tisserands de l'Inde arrivent à faire des écharpes de laine qui, sans exception aucune, donnent des assemblages harmoniques de couleur. Pour qu'un Titien ou qu'un Rembrandt se développe, il faut un milieu social extrêmement civilisé de tous points; mais le Tibétain
le plus ignorant, vivant dans une cabane de bois, au milieu d'une famille misérable comme lui, tissera un châle dont le riche assemblage de couleurs
charmera nos yeux et ne pourra être qu'imparfaitement imité par nos fabriques les mieux dirigées. L'état plus ou moins barbare d'un peuple, à notre point de vue, n'est donc pas un obstacle au développement d'une certaine partie de l'art de la peinture applicable à la décoration
monumentale; mais il ne faut pas conclure cependant de ce qu'un
peuple est très-civilisé, qu'il ne puisse arriver ou revenir à cet art
monumental: témoin les Maures d'Espagne, gens très-civilisés, qui ont produit en fait de peinture appliquée à l'architecture d'excellents modèles;
et de ce que l'art du peintre, comme on l'entend depuis le XVI<sup>e</sup> siècle,
arrive à un degré très-élevé de perfection, on ne puisse en même temps
posséder une peinture architectonique: témoin les Vénitiens des XV<sup>e</sup> et
XVI<sup>e</sup> siècles. Une seule conclusion est à tirer des observations précédentes:
c'est que l'art du peintre de tableaux et l'art du peintre appliqué à l'architecture
procèdent très-différemment; que vouloir mêler ces deux
arts, c'est tenter l'impossible. Quelques lignes suffiront pour faire ressortir
cette impossibilité. Qu'est-ce qu'un tableau? C'est une scène que l'on
fait voir au spectateur à travers un cadre, une fenêtre ouverte. Unité de
point de vue, unité de direction de la lumière, unité d'effet. Pour bien
voir un tableau, il n'est qu'un point, un seul, placé sur la perpendiculaire
élevée du point de l'horizon qu'on nomme point visuel. Pour tout
œil délicat, regarder un tableau en dehors de cette condition unique est
une souffrance, comme c'est une torture de se trouver devant une
décoration
de théâtre au-dessus ou au-dessous de la ligne de l'horizon.
Beaucoup
de gens subissent cette torture sans s'en douter, nous l'admettons;
mais ce n'est pas sur la grossièreté des sens du plus grand nombre que
nous pouvons établir les règles de l'art.
 
Partant donc de cette condition rigoureuse imposée au tableau, nous
ne comprenons pas un tableau, c'est-à-dire une scène représentée
suivant
les règles de la perspective, de la lumière et de l'effet, placé de
telle façon que le spectateur se trouve à 4 ou 5 mètres au-dessous de son
horizon, et bien loin du point de vue à droite ou à gauche. Les époques
brillantes de l'art n'ont pas admis ces énormités: ou bien les peintres
(comme pendant le moyen âge) n'ont tenu compte, dans les sujets peints
à toutes hauteurs sur les murs, ni d'un horizon, ni d'un lieu réel, ni de
l'effet perspectif, ni d'une lumière unique; ou bien ces peintres (comme
ceux du XVI<sup>e</sup> et du XVII<sup>e</sup> siècle) ont résolument abordé la difficulté en traçant
les scènes qu'ils voulaient représenter sur les parois ou sous le
plafond
d'une salle, d'après une perspective unique, supposant que tous les
personnages ou objets que l'on montrait au spectateur se trouvaient
disposés réellement où on les figurait, et se présentaient par
conséquent
sous un aspect déterminé par cette place même. Ainsi voit-on,
dans des plafonds de cette époque, des personnages par la plante des
pieds, certaines figures dont les genoux cachent la poitrine. Naturellement
cette façon de tromper l'œil eut un grand succès. Il est clair
cependant
que si, dans cette manière de décoration monumentale, l'horizon
est supposé placé à 2 mètres du sol, à la hauteur réelle de l'œil du spectateur,
il ne peut y avoir sur toute cette surface horizontale supposée
à 2 mètres du pavé, qu'un seul point de vue. Or, du moment qu'on sort
de ce point unique, le tracé perspectif de toute la décoration devient
faux, toutes les lignes paraissent danser et donnent le mal de mer aux
gens qui ont pris l'habitude de vouloir se rendre compte de ce que leurs
yeux leur font percevoir. Quand l'art en vient à tomber dans ces erreurs,
à vouloir sortir du domaine qui lui est assigné, il cesse bientôt d'exister:
c'est le saut périlleux qui remplace l'éloquence, le jongleur qui prend la
place de l'orateur. Mais encore les artistes qui ont adopté ce genre de
peinture décorative ont pu admettre un point, un seul, disons-nous, d'où
le spectateur pouvait, pensaient-ils, éprouver une satisfaction
complète;
c'était peu, sur toute la surface d'une salle, de donner un seul
point d'où l'on pût en saisir parfaitement la décoration, mais enfin
c'était quelque chose. Les scènes représentées se trouvaient d'ailleurs
encadrées au milieu d'une ornementation qui elle-même affectait la réalité
de reliefs, d'ombres et de lumières se jouant sur des corps saillants.
C'était un système décoratif possédant son unité et sa raison, tandis
qu'on ne saurait trouver la raison de ce parti de peinture, par
exemple,
qui, à côté de scènes affectant la réalité des effets, des ombres et
des lumières, de la perspective, place des ornements plats composés de
tons juxtaposés. Alors les scènes qui admettent l'effet réel produit par le
relief et les différences de plans sont en dissonance complète avec cette
ornementation plate. Ce n'était donc pas sans raison que les peintres du
moyen âge voyaient dans la peinture, soit qu'elle figurât des scènes, soit
qu'elle ne se composât que d'ornements, une surface qui devait
toujours
paraître plane, solide, qui était destinée non à produire une illusion,
mais une harmonie. Nous admettons qu'on préfère la peinture en
trompe-l'œil de la voûte des Grands Jésuites à Rome à celle de la voûte
de Saint-Savin, près de Poitiers; mais ce que nous ne saurions admettre,
c'est qu'on prétende concilier ces deux principes opposés. Il faut opter
pour l'un des deux.
 
Si la peinture et l'architecture sont unies dans une entente intime de
l'<i>art</i> pendant le moyen âge, à plus forte raison la peinture de figures et
celle d'ornements ne font-elles qu'une seule et même couverte décorative.
Le même esprit concevait la composition de la scène et celle de l'ornementation,
la même main dessinait et coloriait l'une et l'autre, et les
peintures monumentales ne pouvaient avoir l'apparence de tableaux
encadrés de papier peint, comme cela n'arrive que trop souvent
aujourd'hui,
lorsqu'on fait ce qu'on veut appeler des peintures murales,
lesquelles
ne sont, à vrai dire, que des tableaux collés sur un mur, entourés
d'un cadre qui, au lieu de les isoler comme le fait le cadre banal de bois
doré, leur nuit, les éteint, les réduit à l'état de tache obscure ou claire,
dérange l'effet, occupe trop le regard et gêne le spectateur. Quand la peinture
des scènes, sur les murs d'un édifice, n'est pas traitée comme
l'ornementation
elle-même, elle est forcément tuée par celle-ci; il faut, ou
que l'ornementation soit traitée en trompe-l'œil, si le sujet entre dans
le domaine de la réalité, ou que le sujet soit traité comme un dessin
enluminé, si l'ornementation est plate.
 
Ces principes posés, nous nous occuperons d'abord de la peinture
monumentale
des sujets. Nous avons dit que l'art grec avait été la première
école de nos peintres occidentaux au point de vue de l'iconographie et au point de vue de l'exécution. Cependant, dès le XI<sup>e</sup> siècle en
France (et il ne nous reste pas de peintures monumentales de sujets antérieurs
à cette époque), on reconnaît dans la manière dont est traité le
dessin une indépendance, une vérité d'expression dans le geste que l'on
n'aperçoit point dans les peintures dites byzantines de la même époque.
Pour retrouver cette indépendance dans la peinture grecque, il faut
feuilleter les manuscrits byzantins des VIII<sup>e</sup> et IX<sup>e</sup> siècles<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]]; plus tard cet
art grec s'immobilise, et tombe dans une routine étroite dont il ne sort
plus. Non-seulement nos artistes du XI<sup>e</sup> siècle prennent leurs modèles
dans les peintures de style grec, mais ils s'emparent même des procédés
matériels adoptés par les Byzantins; nous en trouvons la preuve évidente
dans le traité du moine Théophile qui vivait au XII<sup>e</sup> siècle. L'ébauche des
peintures de l'église de Saint-Savin<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]] a été faite au pinceau; elle consiste
en des traits brun-rouge. «Les couleurs ont été appliquées par larges
teintes plates, sans marquer les ombres, au point qu'il est impossible
de déterminer de quel côté vient la lumière. Cependant, en général,
les saillies sont indiquées en clair et les contours accusés par des teintes
foncées; mais il semble que l'artiste n'ait eu en vue que d'obtenir
ainsi
une espèce de modelé de convention, à peu près tel que celui qu'on
voit dans notre peinture d'arabesques. Dans les draperies, tous les plis
sont marqués par des traits sombres (brun-rouge), quelle que soit la
couleur de l'étoffe. Les saillies sont accusées par d'autres traits blancs
assez mal fondus avec la teinte générale.» (Ces traits ne sont pas
fondus, mais indiqués en hachures plus ou moins larges peintes sur le
ton de l'étoffe.) «Il n'y a nulle part d'ombres projetées, et, quant à la
perspective aérienne, ou même à la perspective linéaire, il est
évident que les artistes de Saint-Savin ne s'en sont nullement
préoccupés<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]].»
 
Par le fait, dans ces peintures de sujets, chaque figure présente une
silhouette se détachant en vigueur sur un fond clair, ou en clair sur un
fond sombre, et rehaussée seulement de traits qui indiquent les formes,
les plis des draperies, les linéaments intérieurs. Le modelé n'est obtenu
que par ces traits plus ou moins accentués, tous du même ton brun, et
la couleur n'est autre chose qu'une enluminure. Les peintures des vases
dits étrusques, celles que l'on a découvertes dans les tombeaux de Corneto,
procèdent absolument de la même manière. Alors les accessoires sont
traités comme des hiéroglyphes, la figure humaine seule se développe
d'après sa forme réelle. Un palais est rendu par deux colonnes et un
fronton, un arbre par une tige surmontée de quelques feuilles, un fleuve
par un trait serpentant, etc. Peut-on, lorsqu'il s'agit de peinture monumentale,
produire sur le spectateur autant d'effet par ces moyens primitifs que par l'emploi des trompe-l'œil? ou, pour parler plus vrai, des
hommes nés au milieu d'une civilisation chez laquelle on s'est habitué à
estimer la peinture en raison du plus ou moins de réalité matérielle
obtenue, peuvent-ils s'émouvoir devant des sujets traités comme le sont
ceux des tombeaux de Corneto, ceux des catacombes, ou ceux de l'église
de Saint-Savin? C'est là toute la question, qui n'est autre qu'une question
d'éducation.
 
Un enfant est tout autant charmé, sinon plus, devant un trait
enluminé
que devant un tableau de Rubens. Il n'est pas dit que ce trait soit
barbare, sans valeur comme art. Faites au contraire que ce trait ne
reproduise que de belles formes, qu'il soit pur de style et que l'enluminure
soit harmonieuse: si le spectateur est ému devant cette
interprétation
de la nature, n'est-ce pas un hommage qu'il rend à l'art? et l'art ne
prouve-t-il pas ainsi qu'il est une puissance? Que pour la peinture de
chevalet on en soit arrivé peu à peu à une imitation fine et complète de
la nature choisie, à produire des effets de lumière d'une extrême délicatesse,
à concentrer pour ainsi dire l'attention du spectateur sur une
scène rendue à l'aide d'une observation scrupuleuse, avec une parfaite
distinction, certes nous ne nous en plaindrons pas, puisque c'est à ce
progrès que nous devons les chefs-d'œuvre qui garnissent nos galeries,
et qui sont une des gloires de la civilisation occidentale depuis le
XVI<sup>e</sup> siècle. Mais l'art qui convient à la toile encadrée, au tableau, quelle
que soit sa dimension, n'a point de rapports avec celui qui est destiné à
couvrir les murs et les voûtes d'une salle. Dans le tableau nous ne voyons
qu'une expression isolée d'un seul art, nous nous isolons pour le regarder;
c'est encore une fois une fenêtre qu'on nous ouvre sur une scène
propre à nous charmer ou nous émouvoir. En est-il de même dans une
salle que l'on couvre de peintures? N'y a-t-il pas là le mélange de plusieurs
arts? Doivent-ils alors procéder isolément, ou produire un effet
d'ensemble? La réponse ne saurait être douteuse.
 
Si nous examinons les essais qui ont été tentés pour concilier les deux
principes opposés de la peinture prise isolément et de la peinture purement
monumentale, n'apercevons-nous pas tout de suite l'écueil contre
lequel les plus grands talents ont échoué? Et la voûte de la chapelle Sixtine
elle-même, malgré le génie prodigieux de l'artiste qui l'a conçue et
exécutée, n'est-elle pas un hors-d'œuvre qui épouvante plutôt qu'il ne
charme? Cependant Michel-Ange, architecte et peintre, a su, autant que
le programme qu'il s'était imposé le lui promettait, si bien souder ses
sujets et ses figures à l'ornementation, à la place occupée, que l'unité de
la voûte est complète. Mais que devient la salle? Que devient même, au
point de vue décoratif, sous cette écrasante conception, la peinture du
<i>Jugement dernier</i>?
 
Dans la chapelle Sixtine, il faut s'isoler pour regarder la voûte, s'isoler
pour regarder le <i>Jugement dernier</i>, oublier la salle. On se souvient de la
voûte, on se souviendrait très-imparfaitement de la page du jugement,
si on ne la connaissait par des gravures; quant à la salle, on ne sait
pas si elle existe. Or les arts ne sont pas faits pour
s'entre-détruire, mais
pour s'aider, se faire valoir; c'est du moins ainsi qu'ils ont été compris
pendant les belles époques. On pardonne bien à un génie comme
Michel-Ange
d'étouffer ce qui l'entoure et de se nuire au besoin à lui-même,
d'effacer quelques-unes de ses propres pages pour en faire resplendir
une seule: cette fantaisie d'un géant n'est que ridicule chez des hommes
de taille ordinaire; elle a cependant tourné la tête de tous les peintres
depuis le XVI<sup>e</sup> siècle, tant il est vrai que l'exemple des hommes de génie
même est funeste quand ils abandonnent les principes vrais, et qu'il ne
faut jamais se laisser guider que par les principes. De Michel-Ange aux
Carraches il n'y a qu'un pas; et que sont les successeurs des Carraches?
 
Les peuples artistes n'ont vu dans la peinture monumentale qu'un
dessin enluminé et très-légèrement modelé. Que le dessin soit beau,
l'enluminure harmonieuse, la peinture monumentale dit tout ce qu'elle
peut dire; la difficulté est certes assez grande, le résultat obtenu considérable,
car c'est seulement à l'aide de ces moyens si simples en apparence que l'on peut produire de ces grands effets de décoration coloriée
dont l'impression reste profondément gravée dans l'esprit.
 
Nous avons dit que les peintres grecs avaient été les premiers maîtres
de nos artistes occidentaux; mais en Grèce (nous parlons de la Grèce
byzantine) la peinture a conservé une forme hiératique dont chez nous
on s'est affranchi rapidement. Au XIII<sup>e</sup> siècle déjà, Guillaume Durand,
évêque de Mende, écrivait dans son <i>Rationale divinorum
officiorum</i><span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]], en
citant un passage d'Horace: «Diversæ historiæ tam Novi quam Veteris
Testamenti pro voluntate pictorum depinguntur; nam</i>
</div>
<center>
«... pictoribus atque poetis,<br>
Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas.»<br>
</center>
<div class="text">
Cet hommage rendu à la liberté qui doit être laissée à l'artiste fait un
étrange contraste avec la rigueur des traditions de l'école byzantine, conservées
presque intactes jusqu'à nos jours<span id="note10"></span>[[#footnote10|<sup>10</sup>]]. Dans le style aussi bien que
dans le faire et les procédés des peintures produites en France pendant
les XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles, on reconnaît exactement les enseignements de
Denis, l'auteur grec du <i>Guide de la peinture</i>. Nous retrouvons les recettes
de ce maître grec du XI<sup>e</sup> siècle dans le traité du moine Théophile<span id="note11"></span>[[#footnote11|<sup>11</sup>]]
(XII<sup>e</sup> siècle), et même encore dans l'ouvrage du peintre italien Cennino
Cennini, qui vivait au XIV<sup>e</sup> siècle<span id="note12"></span>[[#footnote12|<sup>12</sup>]]; mais si les artistes du moyen âge conservèrent
longtemps les procédés fournis par l'école byzantine, ils
s'affranchirent
très-promptement des traditions hiératiques, disons-nous, et
cherchèrent leurs inspirations dans l'observation de la nature. Toutefois
(et cela est à remarquer), en donnant au style de leurs œuvres un caractère
de moins en moins traditionnel, nos artistes occidentaux, surtout en
France, surent laisser à leurs peintures une harmonie décorative jusque
vers le milieu du XV<sup>e</sup> siècle, en maintenant le principe du dessin enluminé et légèrement modelé. Nos artistes en France, en ce qui touche au
dessin, à l'observation juste du geste, de la composition, de l'expression
même, s'émancipèrent avant les maîtres de l'Italie; les peintures et les
vignettes des manuscrits qui nous restent du XIII<sup>e</sup> siècle en sont la preuve,
et cinquante ans avant Giotto nous possédions en France des peintures
qui avaient déjà fait faire à l'art les progrès qu'on attribue à l'élève Cimabue<span id="note13"></span>[[#footnote13|<sup>13</sup>]].
De la fin du XII<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle le dessin se modifie. D'abord rivé aux
traditions byzantines, bientôt il rejette ces données conventionnelles
d'école, il cherche des principes dérivant d'une observation de la nature,
sans toutefois abandonner le style; l'étude du geste atteint bientôt une
délicatesse rare, puis vient la recherche de ce qu'on appelle l'expression.
Le modelé, sans atteindre à l'<i>effet</i>, s'applique à marquer les plans. On
reconnaît des efforts de composition remarquables dès la seconde
moitié du XIII<sup>e</sup> siècle. L'idée dramatique est admise, les scènes prennent
parfois un mouvement d'une énergie puissante. Vers le milieu du
XIV<sup>e</sup> siècle, de fin, de délicat, le dessin penche déjà vers la manière;
les types admis se perdent pour être remplacés par l'imitation de la
nature individuelle: l'exagération de ce parti est sensible au commencement
du XV<sup>e</sup> siècle, à ce point que le laid s'introduit dans l'art de la peinture,
et arrive trop souvent à s'emparer de toute forme. En même temps
on reconnaît que l'habileté de la main est extrême, que les artistes possèdent
des procédés excellents, et qu'ils poussent à l'excès la recherche
du détail, la minutie dans l'exécution, dans l'étude des accessoires.
 
La coloration subit des transformations moins rapides: l'harmonie de
la peinture monumentale est toujours soumise à un principe essentiellement
décoratif; cette harmonie change de tonalité, il est vrai, mais c'est
toujours une harmonie applicable aux sujets comme aux ornements.
Ainsi, par exemple, au XII<sup>e</sup> siècle, cette harmonie est absolument celle
des peintures grecques, toutes très-claires pour les fonds. Pour les figures
comme pour les ornements, ton local, qui est la couleur et remplace ce
que nous appelons la demi-teinte; rehauts clairs, presque blancs, sur toutes
les saillies; modelé brun égal pour toutes les nuances; finesses soit en clair
sur les grandes parties sombres, soit en brun sur les grandes parties claires,
afin d'éviter, dans l'ensemble, les taches. Couleurs rompues, jamais absolues<span id="note14"></span>[[#footnote14|<sup>14</sup>]],
au moins dans les grandes parties; quelquefois emploi du noir
comme rehauts. L'or admis comme broderie, comme points brillants,
nimbes; jamais, ou très-rarement, comme fond. Couleurs dominantes,
l'ocre jaune, le brun-rouge clair, le vert de nuances diverses; couleurs
secondaires, le rose pourpre, le violet pourpre clair, le bleu clair. Toujours
un trait brun entre chaque couleur juxtaposée. Il est rare, d'ailleurs, dans l'harmonie des peintures de XII<sup>e</sup> siècle, que l'on trouve deux
couleurs d'une valeur égale posées l'une à côté de l'autre, sans qu'il y ait
entre elles une couleur d'une valeur inférieure. Ainsi, par exemple, entre un brun rouge et un vert de valeur égale, il y aura un jaune ou un bleu très clair; entre un bleu et un vert de valeur égale, il y aura un rose pourpre clair. Aspect général, doux, sans heurt, clair, avec des fermetés
très-vives obtenues par le trait brun ou le rehaut blanc. Vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, cette tonalité change. Les couleurs franches dominent,
particulièrement le bleu et le rouge. Le vert ne sert plus que de moyen de transition; les fonds deviennent sombres, brun rouge, bleu intense, noirs même quelquefois, or, mais dans ce cas toujours gaufrés.
Le blanc n'apparaît plus guère que comme filets, rehauts délicats; l'ocre
jaune n'est employée que pour des accessoires; le modelé se fond et participe
de la couleur locale. Les tons sont toujours séparés par un trait brun très-foncé ou même noir. L'or apparaît déjà en masse sur les vêtements,
mais il est, ou gaufré, ou accompagné de rehauts bruns. Les
chairs sont claires. Aspect général chaud, brillant, également soutenu,
sombre même, s'il n'était réveillé par l'or. Vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, la tonalité devient plus heurtée; les fonds noirs apparaissent souvent,
ou bleu très-intense, ou brun rouge, rehaussés de noir; les vêtements, en
revanche, prennent des tons clairs, rose, vert clair, jaune rosé, bleu très-clair;
l'emploi de l'or est moins fréquent; le blanc, et surtout le blanc gris, le blanc verdâtre, couvrent les draperies. Celles-ci parfois sont polychromes,
blanches, par exemple, avec des bandes transversales rouges
brodées de blanc, ou de noir, ou d'or. Les chairs sont presque blanches.
Au XIV<sup>e</sup> siècle, les tons gris, gris vert, vert clair, rose clair, dominent; le
bleu est toujours modifié: s'il apparaît pur, c'est seulement dans des
fonds, et il est tenu clair. L'or est rare; les fonds noirs ou brun rouge, ou
ocre jaune, persistent; le dessin brun est fortement accusé et le modelé
très-passé. Les rehauts blancs n'existent plus, mais les rehauts noirs ou
bruns sont fréquents; les chairs sont très-claires. L'aspect général est
froid. Le dessin l'emporte sur la coloration, et il semble que le peintre ait
craint d'en diminuer la valeur par l'opposition de tons brillants. Vers la
seconde moitié du XIV<sup>e</sup> siècle, les fonds se chargent de couleurs variées
comme une mosaïque, ou présentent des damasquinages ton sur ton. Les draperies et les chairs restent claires; le noir disparaît des fonds, il ne
sert plus que pour redessiner les formes; l'or se mêle aux mosaïques des
fonds; les accessoires sont clairs, en grisailles rehaussées de tons légers
ou d'ornements d'or. L'aspect général est doux, brillant; les couleurs
sont très-divisées, tandis qu'au commencement du XV<sup>e</sup> siècle elles apparaissent
par plaques, chaudes, intenses. Alors le modelé est très-poussé,
bien que la direction une de la lumière ne soit pas encore déterminée
nettement. Les parties saillantes sont les plus claires, et cela tient au
procédé employé dans la peinture décorative. Mais dans les fonds, les accessoires,
arbres, palais, bâtiments, etc., sont déjà traités d'une manière plus
réelle; la perspective linéaire est quelquefois cherchée, quant à la perspective
aérienne, on n'y songe point encore. Les étoffes sont rendues avec adresse, les chairs très-délicatement modelées; l'or se mêle un peu partout,
aux vêtements, aux cheveux, aux détails des accessoires, et l'on
ne voit pas de ces sacrifices considérés comme nécessaires, avec raison,
dans la peinture de tableau. L'accessoire le plus insignifiant est peint
avec autant de soin, est tout autant dans la lumière que le personnage
principal. C'est là une des conditions de la peinture monumentale. Sur les parois d'une salle vues toujours obliquement, ce que l'œil demande,
c'est une harmonie générale soutenue, une surface également solide, également
riche, non point des percées et des plans dérobés par des tons sacrifiés qui dérangent les proportions et les partis de l'architecture. Ces
données générales établies, nous passons à l'étude des styles de la peinture
de sujets et à celle des procédés employés.
 
Nous l'avons dit plus haut, les peintures les plus anciennes que nous
possédions en France, présentant un ensemble passablement complet,
sont celles de l'église de Saint-Savin, près de Poitiers. Dans ces peintures,
ainsi que nous l'avons encore avancé, bien que l'on retrouve les traditions
de l'école byzantine, on observe cependant une certaine liberté de composition, une étude vraie du geste, une tendance dramatique, qui n'existent plus dans la peinture grecque du XI<sup>e</sup> siècle, rivée alors à des
types invariables. Dans les fresques de Saint-Savin, à côté d'un personnage
représenté évidemment suivant une tradition hiératique, l'artiste a donné à des groupes de figures des attitudes étudiées sur la nature. Quelques scènes ont même un mouvement dramatique très-énergiquement rendu, malgré l'imperfection et la grossièreté du dessin. Nous citerons,
entre autres, les scènes de l'Apocalypse peintes sous le porche; dans l'église, sous la voûte, l'offrande de Caïn et d'Abel, la fuite en Égypte,
la construction de la tour de Babel, l'ivresse de Noé, les funérailles
d'Abraham (fig.1); Joseph vendu par ses frères; Joseph accusé par
la femme de Putiphar. Dans ces compositions on remarque de la grandeur,
un sentiment vrai, puissant, des hardiesses même, qui font assez
voir que cette école du Poitou ne se bornait pas à la reproduction sèche
des peintures byzantines. <span id=Liget>Plus tard cependant, au XII<sup>e</sup> siècle, nous retrouvons
des peintures françaises se soumettant scrupuleusement aux traditions grecques: telles sont celles de la chapelle du [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Liget|Liget]]<span id="note15"></span>[[#footnote15|<sup>15</sup>]], dont le dessin,
les types, les compositions, le modelé, se rapprochent exactement de l'école de Byzance<span id="note16"></span>[[#footnote16|<sup>16</sup>]], au point qu'on les pourrait attribuer à un artiste
de cette école.
</div>
[[Image:Peinture.eglise.Saint.Savin.png|center]]
<div class="text">
Dans les peintures de la chapelle du [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Liget|Liget]], si l'art est soumis à une
sorte d'archaïsme, on sent la recherche du beau, on aperçoit les
dernières lueurs de l'antiquité, si brillantes encore dans les catacombes de
la Rome chrétienne. La figure 2, qui donne l'un des personnages peints
sur les parois de la chapelle du [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Liget|Liget]], suffit pour faire ressortir les rapports
existant entre cet art du XII<sup>e</sup> siècle et celui des époques primitives
de la peinture byzantine. Les tons de ces peintures sont doux, le
dessin large et ferme. Les couleurs sont: le jaune clair pour la chasuble,
avec ornements bruns; le vert pour le capuchon rabattu, le blanc pour
la robe; le brun rouge clair pour le manipule et le nimbe, ainsi que pour
le fond. Le dessin est soutenu par un trait brun.
 
Pendant la période du moyen âge comprise entre le X<sup>e</sup> siècle et la fin
du XII<sup>e</sup>, il y avait donc, dans l'art de la peinture plus encore que dans
l'architecture en France, diversité d'écoles, tâtonnements; ici une soumission
entière aux maîtres byzantins, là tentatives d'émancipation,
observation
de la nature, étude du geste, recherche de l'effet dramatique. En
Auvergne, par exemple, au XII<sup>e</sup> siècle, il existait une puissante école de
peinture, serrée dans son exécution, belle par son style, autant que des
fragments, rares aujourd'hui, nous permettent de l'apprécier. Mais alors
(à la fin du XII<sup>e</sup> siècle), l'attention des populations au nord de la Loire
semblait se concentrer sur les développements d'une architecture
nouvelle.
On abandonnait les sujets peints sur les murailles pour se livrer à
l'exécution de la peinture translucide des vitraux. D'ailleurs l'architecture
nouvellement inaugurée n'offrait plus aux artistes de ces grandes
surfaces nues propres à la peinture. La peinture se bornait à la coloration
de la sculpture et aux décorations obtenues par des combinaisons
d'ornements. Mais dans les cartons de leurs vitraux, les peintres avaient
l'occasion de développer largement leur talent, et l'art ne restait pas stationnaire.
</div>
[[Image:Peinture.chapelle.Liget.png|center]]
<div class="text">
Lorsque la fièvre d'architecture qui s'empara des populations du
domaine royal de 1160 à 1230 fut un peu calmée, on vit la peinture de
sujets reparaître sur les surfaces intérieures des édifices, et l'on put reconnaître
les pas immenses qu'elle avait faits dans l'observation attentive de la nature, dans la recherche du beau et dans l'exécution. Il faut bien le
reconnaître toutefois, elle avait perdu beaucoup au point de vue du grand
style, tel que l'antiquité l'avait compris; elle penchait déjà vers la manière,
l'exagération de l'expression; le geste était toujours vrai, le dessin
s'était épuré, mais la grandeur faisait place à la recherche d'une certaine
grâce déjà coquette.
 
Villard de Honnecourt, qui vivait alors (de 1230 à 1270), nous a laissé,
sur les méthodes des peintres de son temps, des renseignements précieux<span id="note17"></span>[[#footnote17|<sup>17</sup>]].
Les vignettes de ce manuscrit reproduites
en fac-simile dans les planches
XXXIV, XXXV, XXXVI et XXXVII,
nous donnent certains procédés
pratiques pour obtenir les attitudes
et les gestes des figures, au
moyen de combinaisons de lignes
droites ou d'arcs de cercle et de
figures géométriques; nous nous
bornerons à présenter ici un seul des
exemples fournis, afin de faire saisir
les méthodes sur lesquelles Villard
s'appuie.
</div>
[[Image:Lutteurs.Villard.de.Honnecourt.2.png|center]]
<div class="text">
Voici (fig. 3) deux lutteurs que
le dessinateur paraît vouloir montrer
comme étant de forces égales<span id="note18"></span>[[#footnote18|<sup>18</sup>]]. Le procédé de tracé est celui-ci (fig. 4).
Soit un triangle équilatéral ABC, dont la base AB, divisée en deux parties
égales, donne deux autres triangles équilatéraux secondaires. La ligne
d'axe DC étant prolongée, sur ce prolongement en E nous prenons un point, centre des arcs de cercle, FG, HI. Sur l'arc FG, ayant marqué deux points O, O, ces points sont les centres des arcs KL. Ainsi, les côtés
du grand triangle équilatéral et les côtés des deux petits triangles nous
donnent la direction des jambes des lutteurs; les deux arcs FG, HI, le
mouvement des genoux et des torses; les arcs KL, la ligne des dos des deux figures. D'où s'ensuit la stabilité des personnages et la relation de
leur attitude. Villard, qui n'est pas un peintre, mais un architecte, ne
donne qu'un certain nombre de ces figures obtenues au moyen de tracés géométriques, et principalement de triangles; mais il nous fait suffisamment
connaître ainsi quelles étaient les méthodes pratiques employées
par les imagiers; méthodes qui obligeaient les artistes les plus médiocres
à se renfermer dans l'observation de certaines lois très-simples, d'une
application facile, à l'aide desquelles ils restaient dans des données justes
du moins, s'ils n'avaient un mérite assez élevé pour produire des chefs-d'œuvre.
</div>
[[Image:Lutteurs.Villard.de.Honnecourt.png|center]]
<div class="text">
Dans les peintures françaises du XIII<sup>e</sup> siècle qui nous restent, l'art archaïque,
encore conservé pendant la période du XII<sup>e</sup> siècle, est abandonné;
les artistes cherchent non-seulement la vérité dans le geste, mais une
souplesse dans les poses; déjà éloignée de la rigidité du dessin byzantin.
Le faire devient plus libre, l'observation de la nature plus délicate. L'exemple
que nous donnons ici (fig. 5), copié sur un fragment d'une peinture
de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle<span id="note19"></span>[[#footnote19|<sup>19</sup>]], explique en quoi consiste ce changement
ou plutôt ce progrès dans l'art. Ici le trois-quarts de la tête de la Vierge
est finement tracé. La pose ne manque pas de souplesse, les draperies
sont dessinées avec une liberté et une largeur remarquables au moyen
d'un trait brun rouge<span id="note20"></span>[[#footnote20|<sup>20</sup>]]. On voit que le peintre a dû opérer sur un décalque
ne donnant qu'une masse générale, une silhouette et quelques
linéaments
principaux, et que les détails ont été rendus au bout de pinceau.
Certains <i>repentirs</i> même ont été laissés apparents, dans le bas du manteau du côté gauche. Souvent ces peintures murales sont de véritables
improvisations; ces artistes ne faisaient des cartons que pour des sujets
étudiés avec un soin exceptionnel. Or, pour tracer comme un croquis une
figure de grandeur naturelle, il faut posséder des méthodes sûres, très-arrêtées.
</div>
[[Image:Peinture.XIIIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Les peintres byzantins ne faisaient pas, et encore aujourd'hui, ne font
pas de cartons; ils peignent immédiatement sur le mur. Pendant le
moyen âge, en Occident, on procédait de la même manière: c'est ce qui
explique l'utilité absolue de ces recettes données dans <i>le Guide de la
peinture</i> cité plus haut, dans l'essai du moine Théophile et dans le traité
de Cennino Cennini. D'ailleurs, comment ces artistes qui couvraient en
peu de temps des surfaces très-étendues auraient-ils eu le temps de faire
des cartons; tout au plus pouvaient-ils préparer des maquettes à une
échelle réduite. Pendant les XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, les traits gravés dans l'enduit
frais ne se voient qu'exceptionnellement, et ces traits indiquent
toujours le décalque d'un carton; on aperçoit souvent au contraire des
traits légers faits au pinceau, couverts de la couche colorante sur laquelle
le trait définitif qui est une façon de modelé, vient s'apposer. Ce trait
définitif, corrige, rectifie l'esquisse primitive, la modifie même parfois
complètement, et nous ne connaissons guère de peintures des XII<sup>e</sup>, XIII<sup>e</sup>
et XIV<sup>e</sup> siècles sans <i>repentirs</i>.
 
Les peintres du XII<sup>e</sup> siècle employaient plusieurs sortes de peintures:
la peinture à fresque, la peinture à la colle, à l'œuf, et la peinture à l'huile.
Cette dernière, faute d'un siccatif, n'était toutefois employée que pour de
petits ouvrages, des tableaux sur panneaux que l'on pouvait facilement
exposer au soleil. Pour l'emploi de la peinture à fresque,
c'est-à-dire sur
enduit de mortier frais, l'artiste commençait, ainsi que nous venons de
le dire, par tracer avec de l'ocre rouge délayée dans de l'eau pure les
masses de ses personnages, puis il posait le ton local qui faisait la demi-teinte,
par couches successives, mêlant de la chaux au ton; il modelait
les parties saillantes, ajoutant une plus grande partie de chaux à mesure
qu'il arrivait aux dernières couches; puis avec du brun rouge mêlé de
noir, il redessinait les contours, les plis, les creux, les linéaments intérieurs
des nus ou des draperies.
 
Cette opération devait être faite rapidement, afin de ne pas laisser sécher
complètement l'enduit et les premières couches. Cette façon de
peindre <i>dans la pâte</i> donne une douceur et un éclat particuliers à ce genre
de travail, et un modelé qui, d'un bleu intense, arrivant par exemple sur
les parties saillantes ou claires, au blanc presque pur, n'est ni sec ni
criard, chaque ton superposé s'embuvant dans le ton inférieur et y participant. L'habileté du praticien consiste à connaître exactement le degré
de siccité qu'il faut laisser prendre à chaque couche avant d'en apposer
une nouvelle. Si cette couche est trop humide, le ton apposé la détrempe
de nouveau et fait avec elle une boue tachée, lourde, sale; si elle est trop
sèche, le ton apposé ne tient pas, ne s'emboit pas, et forme un <i>cerné</i> sombre
sur son contour. Le trait noir brun, si nécessaire et qui accuse les
silhouettes et les formes intérieures, les ombres, les plis, etc., était souvent
placé lorsque le modelé par couches successives était sec, afin d'obtenir
plus de vivacité et de netteté. Alors on le collait avec de l'œuf ou
de la colle de peau. Aussi voit-on souvent, dans ces anciennes fresques,
ce trait brun se détacher par écailles et ne pas faire corps avec l'enduit.
 
L'emploi de la chaux comme assiette et même comme appoint lumineux dans chaque ton, ne permettait au peintre que l'usage de certaines
couleurs, telles que les terres, le cobalt bleu ou vert. Cette obligation de
n'employer que les terres et un très-petit nombre de couleurs minérales,
contribuait à donner à ces peintures une harmonie très-douce et pour
ainsi dire veloutée. Au XIII<sup>e</sup> siècle, cette harmonie paraissant trop pâle
en regard des vitraux colorés qui donnent des tons d'une intensité prodigieuse,
on dut renoncer à la peinture à fresque, afin de pouvoir employer
les oxydes de plomb, les verts de cuivre et même des laques.
D'ailleurs, l'architecture adoptée ne permettant pas les enduits, il fallait
bien trouver un procédé de peinture qui facilitât l'apposition directement
sur la pierre. En effet, divers procédés furent employés. Les plus communs
sont: la peinture à l'œuf, sorte de détrempe légère et solide; la
peinture à la colle de peau ou à la colle d'os, également
très-durable
lorsqu'elle n'est pas soumise à l'humidité. La plus solide est la peinture
à la résine dissoute dans un alcool, mais ce procédé assez dispendieux,
n'était employé que pour des travaux délicats. Quelquefois aussi on se
contentait d'un lait de chaux appliqué comme assiette, et sur lequel on
peignait à l'eau avant que cette couche de chaux, mise à la brosse,
fût sèche. La peinture à l'huile très-clairement décrite par le moine
Théophile, et adoptée avant lui, puisqu'il ne s'en donne pas comme l'inventeur,
ne s'employait, ainsi que nous le disions plus haut, que sur des
panneaux, à cause du temps qu'il fallait laisser à chaque couche pour
qu'elle pût sécher au soleil, les siccatifs n'étant pas encore en usage<span id="note21"></span>[[#footnote21|<sup>21</sup>]].
 
La peinture à la gomme, employée au XII<sup>e</sup> siècle, paraît avoir été fréquemment pratiquée par les peintres du XIII<sup>e</sup> pour de menus objets, tels
que retables, boiseries, etc. «Si vous voulez accélérer votre travail, dit
Théophile<span id="note22"></span>[[#footnote22|<sup>22</sup>]], prenez de la gomme qui découle du cerisier ou du prunier,
et la coupant en petites parcelles, placez-la dans un vase de terre;
versez de l'eau abondamment, puis exposez au soleil, ou bien, en hiver,
sur un feu doux, jusqu'à ce que la gomme se liquéfie. Mêlez soigneusement
au moyen d'une baguette, passez à travers un linge; broyez
les couleurs (avec) et appliquez-les. Toutes les couleurs et leurs mélanges
peuvent être broyés et posés à l'aide de cette gomme, excepté
le minium, la céruse et le carmin, qui doivent se broyer et s'appliquer
avec du blanc d'œuf...» Ces peintures à la gomme, ou même à
l'huile, étaient habituellement recouvertes d'un vernis composé de
gomme arabique dissoute à chaud dans l'huile de lin<span id="note23"></span>[[#footnote23|<sup>23</sup>]]; elles avaient
ainsi un éclat extraordinaire.
 
Les artistes du XIII<sup>e</sup> siècle, en peignant des sujets dans des salles garnies de vitraux colorés, tenaient à leur donner un brillant et une solidité
de ton supérieurs à la peinture d'ornement et qui pussent lutter avec l'or
très-fréquemment employé alors. Pour obtenir cet éclat, ils devaient faire
usage des glacis, et en effet la coloration des figures, lorsqu'elles sont
peintes avec quelque soin, est obtenue principalement par des appositions
de couleurs transparentes sur une préparation en camaïeux très modelés.
Ces artistes, soit par tradition, soit d'instinct, avaient le sentiment de
l'harmonie (leurs vitraux en sont une preuve évidente pour tout le monde).
Du jour que l'or entrait dans la décoration pour une forte part, il fallait
nécessairement modifier l'harmonie douce et claire admise par les
peintres
du XII<sup>e</sup> siècle. L'or est un métal et non une couleur, et sa présence
en larges surfaces dans la peinture force le peintre à changer toute la
gamme de ses tons. L'or a des reflets clairs très-vifs,
très-éclatants,
des
demi-teintes et des ombres d'une intensité et d'une chaleur auprès
desquelles
toute couleur devient grise, si elle est claire, obscure et lourde, si
elle est sombre<span id="note24"></span>[[#footnote24|<sup>24</sup>]]. Pour pouvoir lutter avec ces clairs si brillants et ces
demi-teintes si chaudes de l'or, il fallait des tons très-colorés, mais qui,
pour ne pas paraître noirs, devaient conserver la transparence d'une
aquarelle. C'est ainsi que les petits sujets décorant l'arcature de la
sainte Chapelle haute du Palais à Paris étaient traités. Ces sujets, qui se
détachent alternativement sur un fond de verre damasquiné de dorures
ou d'or gaufré, avaient été peints très-clairs, puis rehaussés par une coloration
transparente très-vive et des traits bruns. Cependant, avec l'or, tous
les tons n'étaient pas traités de la même manière; les bleus, les verts
clairs (verts turquoise) sont empâtés, et ainsi posés, prennent une valeur
très-colorante; tandis que les rouges, les verts sombres, les pourpres, les
jaunes, ont besoin, pour conserver un éclat pouvant lutter avec les
demi-teintes de l'or, d'être apposés en glacis. Ces glacis semblent avoir
été collés au moyen d'un gluten résineux, peut-être seulement à l'aide
de ce vernis composé d'huile de lin et de gomme arabique. Quant à la
peinture des dessous ou empâtée, elle est fine, et est posée sur une assiette
de chaux très-mince; ce n'est cependant pas de la fresque, car
cette peinture s'écaille et forme couverte.
 
Il arrivait même souvent aux artistes peignant des sujets ou des
ornements
sur fond d'or, de dorer les dessous des ornements ou draperies
destinés à être colorés en rouge, en pourpre ou en jaune mordoré. Alors
la coloration n'était qu'un glacis très-transparent posé sur le métal, et, avec
des tons très-intenses, on évitait les lourdeurs. Ces tons participaient du
fond et conservaient quelque chose de son éclat métallique.
 
La cherté des peintures dans lesquelles l'or jouait un rôle important,
les difficultés, conséquences de l'emploi de ce métal, qui entravaient le
peintre à chaque pas pour conserver partout une harmonie brillante, très-soutenue,
sans tomber dans la lourdeur, firent que vers la fin du XIII<sup>e</sup>
siècle,
ainsi que nous l'avons dit, on adopta souvent le parti des grisailles.
On avait poussé si loin, vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, la coloration des
vitraux; cette coloration écrasante avait entraîné les peintres à donner
aux tons de leurs peintures un tel éclat et une telle intensité, qu'il fallait
revenir en arrière. On fit alors beaucoup de vitraux en grisailles, ou l'on
éclaircit la coloration translucide; l'or ne joua plus dans la peinture
qu'un rôle très-secondaire et les sujets furent colorés par des tons doux,
très-clairs, et, pour éviter l'effet plat et fade de ces camaïeux à peine
enluminés, on les soutint par des fonds très-violents, noirs,
brun-rouge,
bleu intense, chargés souvent de dessins tons sur tons ou de damasquinages
de couleurs variées, mais présentant une masse très vigoureuse. On ne
songeait guère alors aux fonds de perspective, mais on commençait à
donner aux accessoires, comme les sièges, les meubles, une apparence
réelle. Peu à peu le champ de l'imitation s'étendit; après avoir peint
seulement les objets touchant immédiatement aux figures suivant leur
forme et leur dimension vraie, on plaça un édifice, une porte, un arbre,
sur un plan secondaire; puis enfin les fonds de convention et purement
décoratifs disparurent, pour faire place à une interprétation
réelle
du lieu où la scène se passait. Toutefois il faut constater que si les peintres,
avant le XVI<sup>e</sup> siècle, cherchaient à donner une représentation réelle
du lieu, ils ne songeaient, comme nous l'avons dit déjà, ni à la perspective
aérienne, ni à l'effet, c'est-à-dire à la répartition de la lumière sur un
point principal, ni à produire l'illusion, et que leurs peintures conservaient
toujours l'aspect d'une surface plane décorée, ce qui est,
croyons-nous,
une des conditions essentielles de la peinture monumentale.
 
Nous ne pourrions nous étendre davantage, sans sortir du cadre de cet
article, sur la peinture des sujets dans les édifices. D'ailleurs nous avons
l'occasion de revenir sur quelques points touchant la peinture, dans les
articles [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Style|Style]] et [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Vitrail|Vitrail ]]. Nous passerons maintenant à la peinture d'ornement,
à la décoration peinte proprement dite. Il y a lieu de croire que
sur cette partie importante de l'art, les artistes du moyen âge n'avaient
que des traditions, une expérience journalière, mais peu ou point de
théories. Les traités de peinture ne s'occupent que des moyens matériels
et n'entrent pas dans des considérations sur l'art, sur les méthodes à
employer dans tel ou tel cas. Pour nous, qui avons absolument perdu ces
traditions, et qui ne possédons qu'une expérience très-bornée de l'effet
décoratif de la peinture, nous devons nécessairement nous appuyer sur
l'observation des exemples passés pour reconstituer certaines théories
résultant de cette expérience et de ces traditions. Il serait assez inutile
à nos lecteurs de savoir que tel ornement est jaune ou bleu, si nous
n'expliquons pas pourquoi il est jaune ici et bleu là, et comment il produit
un certain effet dans l'un ou l'autre cas. La peinture décorative est
avant tout une question d'harmonie, et il n'y a pas de système
harmonique
qui ne puisse être expliqué.
 
La peinture décorative est d'ailleurs une des parties de l'art de l'architecture
difficiles à appliquer, précisément parce que les lois sont
essentiellement
variables en raison du lieu et de l'objet. La peinture décorative
grandit ou rapetisse un édifice, le rend clair ou sombre, en altère les
proportions ou les fait valoir; éloigne ou rapproche, occupe d'une manière
agréable ou fatigue, divise ou rassemble, dissimule les défauts ou les
exagère. C'est une fée qui prodigue le bien ou le mal, mais qui ne
demeure
jamais indifférente. À son gré, elle grossit ou amincit des colonnes,
elle allonge ou raccourcit des piliers, élève des voûtes ou les rapproche
de l'œil, étend des surfaces ou les amoindrit; charme ou offense, concentre
la pensée en une impression ou distrait et préoccupe sans cause. D'un
coup de pinceau elle détruit une œuvre savamment conçue, mais aussi
d'un humble édifice elle fait une œuvre pleine d'attraits, d'une salle froide
et nue un lieu plaisant où l'on aime à rêver et dont on garde un
souvenir
ineffaçable.
 
Lui fallait-il, au moyen âge, pour opérer ces prodiges, des maîtres excellents,
de ces artistes comme chaque siècle en fournit un ou deux? Non
certes; elle ne demandait que quelques ouvriers peintres agissant d'après
des principes dérivés d'une longue observation des effets que peuvent produire
l'assemblage des couleurs et l'échelle des ornements. Alors la plus
pauvre église de village badigeonnée à la chaux avec quelques touches
de peinture était une œuvre d'art, tout comme la sainte Chapelle, et l'on
ne voyait pas, au milieu de la même civilisation, des ouvrages d'art d'une
grande valeur ou au moins d'une richesse surprenante, et à quelque pas
de là de ces désolantes peintures décoratives qui déshonorent les murailles
qu'elles couvrent et font rougir les gens de goût qui les regardent.
 
Il n'y a, comme chacun sait, que trois couleurs, le jaune, le rouge et le
bleu, le blanc et le noir étant deux négations: le blanc la lumière non
colorée, et le noir l'absence de lumière. De ces trois couleurs dérivent
tous les tons, c'est-à-dire des mélanges infinis. Le jaune et le bleu
produisent les verts, le rouge et le bleu les pourpres, et le rouge et le
jaune les orangés. Au milieu de ces couleurs et de leurs divers mélanges
la présence du blanc et du noir ajoute à la lumière ou l'atténue. Précisément
parce que le blanc et le noir sont deux négations et sont étrangers
aux couleurs, ils sont destinés, dans la décoration, à en faire ressortir
la valeur. Le blanc rayonne, le noir fait ressortir le rayonnement et le
limite. Les peintres décorateurs du moyen âge, soit par instinct, soit bien
plutôt par tradition, n'ont jamais coloré sans un appoint blanc ou noir,
souvent avec tous les deux. Partant du simple au composé, nous allons
expliquer leurs méthodes. Nous ne parlons que de la peinture des
intérieurs, de celle éclairée par une lumière diffuse; nous nous occuperons en
dernier lieu de la peinture extérieure, c'est-à-dire éclairée par la lumière
directe. Pendant la période du moyen âge, où la peinture monumentale
joue un rôle important, nous observons que l'artiste adopte d'abord une
tonalité dont il ne s'écarte pas dans un même lieu. Or, ces tonalités sont
peu nombreuses, elles se réduisent à trois: la tonalité obtenue par le
jaune et le rouge avec l'appoint lumineux et obscur, c'est-à-dire le blanc
et le noir; la tonalité obtenue avec le jaune, le rouge et le bleu, qui entraîne
forcément les tons intermédiaires, c'est-à-dire le vert, le pourpre
et l'orangé, toujours avec appoint blanc et noir, ou noir seul; la tonalité
obtenue à l'aide de tous les tons donnés par les trois couleurs, mais avec
appoint d'or et l'élément obscur, le noir, les reflets lumineux de l'or
remplaçant dans ce cas le blanc.
 
En supposant que le jaune vaille 1, le rouge 2, le bleu 3: mêlant le
jaune et le rouge, nous obtenons l'orangé, valeur 3; le jaune et le bleu,
le vert, valeur 4; le rouge et le bleu, le pourpre, valeur 5. Si nous mettons
des couleurs sur une surface, pour que l'effet harmonieux ne soit
pas dépassé, posant seulement du jaune et du rouge, il faudra que la
surface occupée par le jaune soit le double au moins de la surface occupée
par le rouge. Mais si nous ajoutons du bleu à l'instant, l'harmonie
devient plus compliquée; la présence seule du bleu nécessite, ou une augmentation
relative considérable des surfaces jaune et rouge, ou l'appoint
des tons verts et pourpres, lesquels, comme le vert, ne devront pas être
au-dessous du quart et le pourpre du cinquième de la surface totale. Ce
sont là des règles élémentaires de l'harmonie de la peinture décorative des
artistes du moyen âge. Aussi ont-ils rarement admis toutes les couleurs
et les tons qui dérivent de leur mélange, à cause des difficultés innombrables
qui résultent de leur juxtaposition et de l'importance relative que
doit prendre chacun de ces tons, comme surface. Dans le cas de
l'adoption
des trois couleurs et de leurs dérivés, l'or devient un appoint
indispensable,
c'est lui qui est chargé de compléter ou même de rétablir l'harmonie.
Revenant aux principes les plus simples, on peut obtenir une
harmonie parfaite avec le jaune et le rouge (ocre rouge), surtout à l'aide
de l'appoint blanc; il est impossible d'obtenir une harmonie avec le jaune,
et le bleu, ni même avec le rouge et le bleu, sans l'appoint de tons intermédiaires.
Voudriez-vous décorer une salle toute blanche comme fond,
avec des ornements rouges et bleus ou jaunes et bleus, même
clairsemés,
que l'harmonie serait impossible. Le rouge (ocre rouge) et le jaune
(ocre jaune) étant les deux seules couleurs qui puissent, sans l'appoint
d'autres tons, se trouver ensemble.
</div>
[[Image:Peinture.medievale.formes.et.couleurs.png|center]]
<div class="text">
L'observation d'autres principes aussi élémentaires n'était pas moins
familière à ces artistes. Ils avaient reconnu, par exemple, qu'une même
forme d'ornement blanc ou d'un ton clair sur un fond noir, ou noir sur un
fond clair, changeait de dimension. Pour nous faire bien comprendre,
soient (fig. 6), en A, des billettes brun rouge sur fond blanc, ou B, blanches
sur fond brun rouge: les billettes brunes paraîtront, plus on s'éloignera
de la surface peinte, plus petites que les billettes blanches, et la surface
occupée par le fond blanc paraîtra plus étendue que celle occupée par le
fond brun. Soient deux pilastres de même largeur et de même hauteur:
si l'un des deux, celui C, est décoré de lignes verticales, il paraîtra, à distance,
plus long et plus étroit que celui D orné de bandes horizontales.
Et pour en revenir aux observations précédentes sur la valeur harmonique
des couleurs, le rouge étant supposé 2 et le bleu 3, le rouge devant alors occuper une surface plus grande que le bleu pour obtenir une harmonie
entre ces deux couleurs, si (fig. 6) les billettes A sont bleues
sur un fond rouge, il sera possible d'avoir une surface harmonique; mais
si au contraire c'est le fond qui est bleu et les billettes qui sont rouges,
l'œil sera tellement offensé, qu'il ne pourra s'attacher un instant sur cette
surface: l'assemblage des deux couleurs, dans cette dernière condition,
fera vaciller les contours au point de causer le vertige. Chacun peut faire
cette expérience en employant du vermillon pur pour le rouge et un
bleu d'outremer pour le bleu. Non-seulement les couleurs ont une
valeur absolue, mais aussi une valeur relative quant à la place qu'elles
occupent et à l'étendue qu'elles couvrent; de plus elles modifient, en raison
de la forme de l'ornement qu'elles colorent, l'étendue réelle des surfaces. Dans la tonalité la plus simple, celle où le jaune (ocre) et le rouge (ocre) sont employés, il est clair que l'une des deux couleurs,
l'ocre rouge, a plus d'intensité que le jaune; mais si à ces deux couleurs
nous ajoutons le bleu, il faut que la valeur du rouge et du bleu soit différente,
que le rouge le cède au bleu, ou ce qui est plus naturel, que le
bleu le cède au rouge. Alors c'est le brun rouge qu'il faut admettre et le
bleu clair; si nous ajoutons (presque forcément d'ailleurs) des tons dérivés à ces trois couleurs, comme le vert et le pourpre, il faudra également
établir ces tons et ces couleurs suivant une valeur différente,
c'est-à-dire
n'avoir jamais deux tons de valeur égale. Il ne s'agit plus ici de surface occupée, mais d'intensité; or cette intensité est facultative. Si,
quand nous n'employons que les trois couleurs, le rouge doit être brun rouge et prendre la plus grande intensité, employant avec ces trois couleurs
les dérivés, le rouge doit redevenir franc, c'est-à-dire vermillon, parce que le brun rouge ne pourrait s'harmoniser ni avec le vert ni avec le pourpre; l'adjonction des tons dérivés exige que les couleurs soient
pures si on les emploie. Toutefois il est bon que la première valeur soit
laissée à une couleur plutôt qu'à un ton; cette première valeur ne pouvant
être donnée au jaune, ce sera le ton rouge (vermillon) ou le bleu qui la
prendra (habituellement le bleu). Supposons que ce soit le bleu intense qui
soit la première valeur: les peintres du moyen âge se sont gardés de donner la seconde valeur à une autre couleur, c'est-à-dire au rouge; ils
l'ont accordée à un ton, le plus souvent au vert, parfois au pourpre. Vient
alors la troisième valeur, qui sera le rouge (vermillon); puis entre cette
couleur et le jaune, un autre ton, habituellement le pourpre, parfois le
vert. Après le jaune viennent les valeurs inférieures, les pourpres très-clairs
(roses), les bleus clairs, les verts turquoise, les jaune-paille, blanc laiteux
et gris. Car au-dessous de la dernière valeur couleur, qui est forcément le jaune ocre, il faut des tons, jamais la gamme des valeurs ne finissant
par une couleur, comme rarement elle ne commence par un ton<span id="note25"></span>[[#footnote25|<sup>25</sup>]]. Ces
principes connus, il reste encore une quantité de règles d'un ordre secondaire
que ces artistes du moyen âge ont scrupuleusement observées. Nous
en citerons quelques-unes. Le bleu intense étant dur et froid, les peintres
l'ont souvent un peu verdi, et l'ont relevé par des semis d'or; puis ils y ont presque toujours accolé un rouge vif (vermillon), puis après le
rouge un vert clair ou même un blanc bleui ou verdi, des traits noirs séparant d'ailleurs chaque ton et chaque couleur. Le bleu en contact direct avec le jaune produit un effet louche, le rouge ou le pourpre a
été interposé. Le bleu gris ardoise peut seul se coucher sur une surface
jaune. Le vert est souvent mis en contact direct avec le bleu, et c'est une
dissonance dont on a tiré parti avec une adresse rare, mais alors le vert
incline au jaune ou au bleu, il n'est pas franchement vert; si le vert
est en contact avec le jaune, cette dernière couleur est orangée et le vert est
clair, ou le jaune est limpide et le vert est sombre. Les pourpres qui,
comme surface, ont la valeur 5, et qui par conséquent doivent occuper le moindre champ dans la décoration peinte, ne s'approchent jamais du violet; ce ton faux étant absolument exclu, il incline vers l'orangé ou la
garance. Nous avons souvent observé combien la nature est ingénieuse dans la combinaison harmonique des tons des plantes: ainsi sur dix géraniums
ou dix roses trémières qui auront des fleurs de rouges et de pourpres différents, nous verrons dix tons verts différents pour les feuilles,
tons verts combinés chacun pour le rouge ou le pourpre qu'ils entourent.
Les peintres du moyen âge avaient-ils étudié les secrets de l'harmonie
des tons sur la nature? Nous ne savons; mais comment se fait-il que ces
secrets soient perdus, ou que les femmes seules les possèdent encore lorsqu'il
s'agit de leurs toilettes? Que s'il faut peindre une salle, nos artistes
semblent appliquer au hasard des couleurs, des tons, produisant dans l'ensemble une harmonie presque toujours fausse? est-ce défaut de principes,
de traditions, de pratique? Il est certain que dans l'art difficile de
la décoration peinte, l'instinct ne suffit pas, comme plusieurs le pensent,
et que dans cette partie importante de l'architecture, le raisonnement et
le calcul interviennent comme dans toutes les autres, à défaut d'une
longue suite de traditions.
 
La peinture décorative la plus simple, celle qui demande le moins de
combinaisons, est celle que l'on obtient avec l'ocre jaune, l'ocre rouge ou
brun rouge, le noir, le blanc et le composé des deux, le gris. Cette peinture
n'est, pour ainsi dire, qu'un dessin, une grisaille chaude de ton, cependant elle peut produire des effets très-variés déjà. L'ocre jaune et
l'ocre rouge sont deux couleurs de la même famille, pour ainsi dire, qui
s'harmonisent toujours sans difficultés. Que vous peigniez un ornement
jaune sur brun rouge, ou brun rouge sur fond jaune, quelle que soit la
forme ou la dimension de l'ornement, celui-ci ne fera jamais tache; mais si
vous rehaussez l'ornement jaune ou brun rouge de filets noirs ou blancs,
vous obtenez alors des effets d'une extrême finesse et riches de ton. <span id=Coucy>Cette
observation peut être faite dans les salles du donjon du château de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Coucy|Coucy]]. La décoration peinte de la salle du rez-de-chaussée ne consiste
guère qu'en un appareil tracé en blanc avec filets brun rouge sur un
fond d'ocre jaune. Les formerets de la voûte se composent (voyez leur
section en A, fig. 7) d'un retour d'équerre avec ornement courant de
<i>a</i> en <i>b</i> et de <i>b</i> en <i>c</i>, puis d'un profil dont les membres sont alternativement
peints en brun rouge et en ocre jaune. Nous donnons en B, B', B'',
trois échantillons de ces ornements courants sur les deux faces en retour
d'équerre. Celui B est brun rouge sur fond ocre, avec larges filets noirs
sur les rives des feuilles, et trait blanc à une égale distance du bord, à
cheval sur le filet noir. Celui B' est jaune foncé (ocre jaune mêlé d'ocre
rouge) sur fond ocre jaune redessiné de filets brun rouge très-sombre et
de traits blancs à l'intérieur; des pois blancs sont de plus marqués sur
le fond jaune; celui B" est brun rouge redessiné d'un filet blanc sur fond
jaune avec tiges G gris ardoise. L'effet de cette ornementation est des
plus brillants. Il va sans dire que le même ornement se retrouve à
chaque formeret sur les deux faces <i>ab</i>, <i>bc</i>, et se
double. Quelques tons
verts se voient sur les chapiteaux de cette salle et des tons vermillon sur
les nervures des voûtes, mais il y a absence de bleu, le gris remplaçant
parfois cette couleur. Le vert et le gris ardoise entrent sans difficultés
dans cette harmonie simple, et il semble que les artistes du XII<sup>e</sup> siècle
et du commencement du XIII<sup>e</sup> aient reculé devant l'emploi du bleu, qui,
comme nous le disions tout à l'heure, exige immédiatement l'application
de tons variés entre le bleu et le rouge, ou le bleu et le jaune. Il existe,
dans l'édifice connu à Poitiers sous le nom de temple de Saint-Jean,
des peintures du XII<sup>e</sup> siècle qui présentent les combinaisons les plus
riches de l'harmonie simple. L'une des faces de la salle principale présente
avec des figures colorées en jaune, en brun rouge clair, en vert,
en gris vert et gris ardoise, des litres dont nous donnons (fig. 8) deux
échantillons. Celle A forme la frise supérieure sous la charpente, celle
B tient lieu d'appui relevé sous les fenêtres. La litre A est composée
d'un méandre obliqué, coloré en brun rouge, en ocre jaune et en vert
sur fond blanc laiteux. Un filet blanc forme la rive antérieure du méandre.
Chaque ton du méandre est modelé au moyen de hachures parallèles
d'un ton plus sombre, et d'autant plus larges qu'elles s'approchent
du bord postérieur de chaque face oblique. Les tons sont marqués ainsi:
le brun rouge par la lettre R, le jaune J, le vert V, le gris ardoise BG.
Les oiseaux sont brun rouge et jaune. Les points blancs sont piqués
régulièrement sur les bandes horizontales supérieure et inférieure. À
</div>
[[Image:Peinture.salle.donjon.Coucy.png|center]]
<div class="text">
<br>
cette époque, au XII<sup>e</sup> siècle, les points blancs (perlés) sont
très-fréquemment
employés sur les tons brun rouge et jaune, souvent à cheval entre
les deux: c'était un moyen de donner une apparence précieuse à la
peinture et d'enlever aux tons absolus leur crudité. Il est bon d'observer
que les bruns rouges de ces peintures sont d'un éclat remarquable,
</div>
[[Image:Peinture.temple.Saint.Jean.Poitiers.png|center]]
<div class="text">
<br>
transparents et vifs, sans avoir la dureté du rouge (vermillon). La seconde
litre que nous donnons en B est sur fond gris ardoise clair; les palmes
sont jaunes, les fleurons brun rouge clair avec milieu brun rouge foncé;
ces ornements jaune et rouge sont bordés d'un filet blanc. L'harmonie
des tons de cette litre est d'une extrême finesse et en même temps
très-solide. On peignait à cette époque, c'est-à-dire pendant le
XII<sup>e</sup> siècle
et le commencement du XIII<sup>e</sup>, la plupart des édifices non-seulement à
l'intérieur, mais à l'extérieur, et le système harmonique de ces
peintures
repose toujours, sauf de bien rares exceptions, sur cette donnée simple.
Cependant on fabriquait alors une quantité de vitraux qui acquéraient
d'autant plus de richesse comme couleur que les fenêtres devenaient
plus grandes (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Vitrail|Vitrail ]]). Si avec des fenêtres d'une petite dimension,
garnies de vitraux blancs ou très-clairs, sous une lumière diffuse et
peu étendue, il était naturel et nécessaire même de donner à la peinture
décorative un aspect brillant et doux à la fois, lorsque l'on prit l'habitude
de placer des verrières très-colorées devant les baies destinées à
éclairer les intérieurs, cette peinture claire, d'un ton transparent, était
complètement éteinte par l'intensité des tons des nouveaux vitraux. Le
bleu, le rouge, entrant pour une forte part dans la coloration translucide
</div>
[[Image:Peinture.eglise.Jacobins.Agen.5.png|center]]
<div class="text">
<br>
des vitraux, donnaient aux tons ocreux un aspect louche, les verts devenaient
gris et ternes, les blancs disparaissaient ou s'irisaient. Avec
les vitraux colorés il fallait nécessairement des tons brillants sur les
murs et encore, ces tons, pour prendre leur valeur, devaient être accompagnés
et cernés de noirs comme les verres colorés eux-mêmes. Aussi
voyons-nous que pendant le XIII<sup>e</sup> siècle, l'harmonie de la peinture décorative
des intérieurs se modifie. Si par des raisons d'économie on conserve
encore de grandes surfaces claires, occupées seulement par des
filets; les litres, les nervures des voûtes, leurs tympans, se colorent
vivement, et cette coloration est d'autant plus brillante qu'elle s'éloigne
de l'œil. <span id="Agen4">Nous avons un exemple remarquable de cette transition du
système harmonique de la peinture décorative dans l'ancienne église des
Jacobins d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Agen|Agen]], bâtie vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle. Cette église, conformément
à l'usage établi par l'ordre de Saint-Dominique, se compose
de deux nefs séparées par une épine de piliers. Peinte avec simplicité,
on voit cependant que l'artiste a voulu soutenir l'effet éclatant des verrières
qui autrefois garnissaient les fenêtres. Chacune des travées de
cette salle (fig. 9) se compose d'une tapisserie bornée par les piliers
engagés et par le formeret de la voûte. Une fenêtre, relativement étroite,
s'ouvre au milieu de la tapisserie. En A est couché un ton uni sombre,
avec filets; au-dessus est tracé un appareil brun rouge sur fond blanc, de
B en C. Une litre est peinte en D; le tympan au-dessus de cette litre
est occupé par un fond blanc avec deux écussons armoyés. Cette peinture
est donc d'une extrême simplicité; les voûtes sont plus riches:
</div>
[[Image:Peinture.eglise.Jacobins.Agen.4.png|center]]
<div class="text">
<br>
non-seulement les nervures sont colorées ainsi que les clefs, mais sous
les intrados des triangles de remplissages, de la clef centrale à celle des
formerets, de larges bandes A (fig. 10) sont
couvertes d'ornements peints d'un beau dessin.
</div>
[[Image:Peinture.eglise.Jacobins.Agen.3.png|center]]
<div class="text">
Quant aux triangles B, ils ne sont occupés que
par un appareil tracé en brun rouge sur fond
blanc. Or il est nécessaire d'observer que la couleur
bleue n'apparaît que dans les ornements des
voûtes et sur les écus armoyés. Toutes les tapisseries
ne reçoivent d'autres tons que le jaune
ocre, le brun rouge, le noir et le blanc laiteux.
Ainsi, figure 11, les litres indiquées en D dans la travée, figure 9, sont
colorées au moyen de deux tons, ocre jaune et brun rouge avec parties
blanches et fonds noirs. Les tiges de l'enroulement sont alternativement
jaunes et rouges, ainsi que les feuilles et les grappes. Les feuilles jaunes
sont cernées de rouge et de noir sur fond blanc, les feuilles rouges sont
couchées à plat. Deux larges filets, jaunes en dedans, rouges en dehors,
arrêtent le fond noir. Ces litres varient comme dessin à chaque travée,
tout en conservant la même harmonie. Les nervures des voûtes, dont la
section est donnée en S (fig. 12), sont couvertes chacune d'ornements
variés dont nous donnons en G et en H deux échantillons. Ces ornements
ne tiennent compte qu'à demi du profil, c'est-à-dire que, pour le dessin G,
le milieu <i>a</i> de la nervure étant en <i>a'</i>, l'arête <i>b</i> tombe en <i>b'</i>, et l'arête <i>c</i> en <i>c'</i>.
</div>
[[Image:Peinture.eglise.Jacobins.Agen.2.png|center]]
<div class="text">
Pour la nervure C les rosettes sont pourpres, bordées d'un filet blanc
intérieur et d'un filet noir extérieur; l'œil est jaune, bordé de noir; le
fond est bleu intense (indigo). Pour la nervure H, les amandes sont
jaunes bordées d'un filet blanc à l'intérieur, noir à l'extérieur; les rosettes
sont blanches, avec œil jaune bordé d'un filet noir; les fonds sont alternativement
bleu intense et rouge; le vert apparaît dans d'autres nervures.
Quant aux bandes des clefs de triangles, nous en donnons un échantillon
dans la figure 13. Toutes ces bandes sont variées, mais toutes détachent
le dessin sur fond noir; les méandres sont brun rouge, bleu clair et blanc
avec filet blanc sur la rive antérieure. Les palmettes sont blanches avec
quelques parties bleu très-clair, modelées au moyen de hachures brun
rouge. Le système harmonique de coloration de cette salle,--car cette
église n'est à proprement parler qu'une salle à deux nefs,--est
celui-ci:
</div>
[[Image:Peinture.eglise.Jacobins.Agen.png|center]]
<div class="text">
<br>
pour les parties verticales, les murs, les tapisseries, harmonie la plus
simple, celle qui est donnée par les tons jaune et rouge sur fond blanc
avec rehauts noirs; mais pour les voûtes, plus éloignées de l'œil et que
l'on ne voit qu'à travers l'atmosphère colorée par la lumière passant à
travers des verrières brillantes de ton, harmonie dans laquelle le bleu
clair et le bleu intense interviennent, et par suite le pourpre et le vert,
le tout rehaussé par des fonds et filets noirs: fonds noirs pour les bandes
des triangles des voûtes, filets noirs seulement pour redessiner les ornements
des nervures. En effet, le redessiné noir devient nécessaire dès
que l'on passe à une harmonie composée des trois couleurs, jaune, rouge
et bleu avec leurs dérivés; car s'il y a une si grande différence de valeur
entre le jaune et le rouge brun, qu'il n'est pas nécessaire de séparer le
brun rouge du jaune ocre par un trait noir, il n'en est pas ainsi quand on
juxtapose deux couleurs dont les valeurs sont peu différentes, comme le
pourpre et le bleu, le bleu et le rouge, le bleu clair et le jaune, le vert
et le pourpre, etc.; le filet noir devient alors absolument nécessaire pour
éviter la <i>bavure</i> d'un ton sur l'autre, et par suite la décomposition de
l'un des deux. Ainsi, si vous couchez un ton bleu immédiatement à côté
d'un ton pourpre, vous rendrez le pourpre gris et louche si le bleu est
intense, où le bleu clair azuré, lilas même, si le pourpre est vif. Plus on
s'éloignera de l'objet peint, plus cette décomposition de l'un des deux
tons, et quelquefois des deux, sera complète. Mais si, entre ce bleu et ce
pourpre vous interposez, comme dans l'exemple G (fig. 12), un filet
noir et un filet blanc même doublant le noir, vous isolez chacun des tons,
vous leur rendez leur valeur; ils influent l'un sur l'autre sans se confondre
et se nuire par conséquent; ils contribuent à une harmonie,
précisément
parce qu'ils gardent chacun leur qualité propre et qu'ils agissent
(qu'on nous passe le mot) dans la plénitude de cette qualité. En
musique, pour qu'il y ait accord, il faut que chacune des notes données,
devant concourir à l'accord, soit juste; mais si une seule de ces notes est
fausse, l'accord ne saurait exister. Eh bien! il en est de même dans la
peinture décorative: pour qu'il y ait accord, il faut que chaque ton
conserve, à part lui, toute sa pureté; pour qu'il la conserve, il ne faut
pas que sa coloration ou sa valeur soit faussée par le mélange d'un ton
voisin, mélange qui se fait surtout à distance, si l'on n'a pas pris le soin
de circonscrire chaque ton par du noir, qui n'est pas un ton. Le blanc
seul serait insuffisant à produire cet effet, parce que le blanc se colore et
subit le rayonnement des tons voisins. Le noir est absolu, il peut seul
circonscrire chaque ton. Il faut donc établir entre les tons d'une peinture
décorative cette échelle harmonique de valeurs dont nous avons parlé
plus haut, mais, il faut aussi tenir compte du rayonnement plus ou moins
prononcé de ces tons; rayonnement qui augmente en raison de la
distance
à laquelle l'œil est placé. Ainsi, par exemple, le bleu rayonne plus
qu'aucune autre couleur. Une touche bleue sur un fond jaune, près de
l'œil n'altère presque pas le jaune; à, distance, cette même touche bleue
rendra le jaune vert sale et le bleu paraîtra gris. Si la touche bleue est
cernée d'un trait noir, le jaune sera moins altéré; si entre la touche bleue
et le jaune vous interposez un trait noir et un trait brun rouge, le fond
jaune conservera sa valeur réelle, le brun rouge circonscrira entièrement
le bleu, qui demeurera pur.
 
Les peintres décorateurs du moyen âge ont poussé aussi loin que
possible cette connaissance de la valeur des tons, de leur influence et
de leur harmonie; et si les essais qu'on a tentés de nos jours n'ont guère
réussi, ce n'est point à ces peintres qu'il faut s'en prendre, mais à notre
ignorance à peu près complète en ces matières. <span id="Agen5">Le système harmonique
simple pour les parties verticales plus près de l'œil, composé déjà pour
les voûtes, employé dans la décoration de l'église des Jacobins d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Agen|Agen]],
établit une transition des plus intéressantes à observer. Les
décorateurs
de cette salle ont été avares de bleu, et cependant, ne l'employant qu'en
très-petites surfaces, ils ont immédiatement admis le pourpre, le vert et
les filets noirs. Ils n'ont admis que deux tons bleus, le bleu intense (valeur
indigo, mais moins azuré), et le bleu limpide (cobalt mélangé de
blanc); quant au pourpre, il est brillant, comme celui qu'on pourrait
obtenir avec un glacis de laque garance avec une pointe de bleu minéral
sur une assiette de mine-orange posée claire. Les touches vertes, très-rares
d'ailleurs, sont vives et tendent au jaune. Les bruns rouges sont
éclatants, ils ont la valeur du vermillon avec plus de transparence. Les
jaunes sont du plus bel ocre mélangé parfois d'une pointe de cinabre.
D'or il n'en est pas une parcelle; c'est que l'or est commandé par la
présence du bleu en grande surface. Nous l'avons dit tout à l'heure, le
bleu est une couleur qui rayonne plus qu'aucune autre, c'est-à-dire que
sa présence altère jusqu'à un certain point tous les autres tons; avec
le bleu le rouge chatoie, le jaune verdit, les tons intermédiaires grisonnent
ou sont criards. L'or seul, par ses reflets métalliques, peut
rétablir l'harmonie entre les tons, quand le bleu apparaît en grande
surface. L'or a cette qualité singulière, bien qu'il donne une gamme de
tons jaunes, de ne pas être verdi par le bleu et de ne pas altérer son
éclat. Il prend, dans ses ombres, des tons chauds qui tiennent lieu du
brun rouge que nous interposions ci-dessus entre le jaune ocre et le
bleu; dans les demi-teintes, il acquiert des reflets verdâtres qui ont une
valeur puissante et qui azurent le bleu. Dans les clairs, il scintille et prend
un éclat qui ne peut être altéré par aucun ton, si brillant qu'il
soit. L'or
devient ainsi comme un thème dominant des accords, thème assez
puissant
pour maintenir l'harmonie entre des tons si heurtés qu'ils soient. Il
empêche le rayonnement du bleu, et l'azure tellement, qu'il faut le verdir
pour qu'il ne paraisse pas violet; il éclaircit le rouge (vermillon) par la
chaleur extraordinaire de ses ombres; il donne aux verts un éclat qu'ils
ne pourraient avoir à côté de surfaces bleues; il réchauffe le pourpre
par ses demi-teintes verdâtres. Ce n'est donc pas un désir assez vulgaire
de donner de la richesse à une décoration peinte qui a fait employer l'or
en si grande quantité pendant le XIII<sup>e</sup> siècle, c'est un besoin d'harmonie
imposé par l'adoption du bleu en grande surface, et l'adoption du bleu
en grande surface est commandée par les vitraux colorés. Cette question
mérite d'être examinée. Au XII<sup>e</sup> siècle, ainsi que nous l'avons vu, on avait
adopté une harmonie décorative simple et claire, composée de blanc, de
tons jaunes, brun rouge, verdâtres, gris, gris ardoise, gris noir. Lorsque
l'on en vint à poser des verrières très-vivement colorées, et que la lumière,
éclairant les intérieurs, fut décomposée par l'interposition de ces vitraux,
on s'aperçut bientôt que ces tons clairs s'alourdissaient et prenaient un
aspect louche: on multiplia les traits noirs pour rendre de l'éclat à ces
peintures; mais le noir lui-même, sous le rayonnement des verrières
colorées, grisonnait. On mit des touches bleues, mais il était difficile de
les harmoniser avec les jaunes ocres, et en petite surface ces bleus faisaient
taches. Alors on prit un parti franc, on osa coucher des voûtes
entièrement en bleu, non pas en bleu pâle comme dans certaines
décorations
de l'époque romane, mais en bleu pur, vif, éclatant. Il ne fallut
qu'un essai de ce genre pour faire voir que cette hardiesse devait faire
modifier tout le système harmonique de la peinture décorative.
D'abord,
les voûtes bleues éclairées par la lumière décomposée des vitraux
prirent
un aspect tellement azuré, qu'elles paraissaient presque violettes,
d'un ton lourd que rien ne pouvait soutenir. Sur ces voûtes bleues on
essaya, comme correctif et pour rendre au bleu sa valeur réelle, de poser
des touches rouges, mais le chatoiement du rouge sur le bleu ne
faisait
qu'azurer davantage cette couleur. On essaya des étoiles blanches,
mais les étoiles blanches paraissaient grises; puis enfin on appliqua des
étoiles d'or. Immédiatement le bleu prit sa valeur, et au lieu de paraître
écraser le vaisseau, il s'éleva et acquit de la transparence. Soit que ces
touches d'or prissent la lumière, soit qu'elles restassent dans l'ombre,
dans le premier cas, leur éclat jaune, brillant, métallique, adoucissait le
ton bleu, dans le second, leur valeur d'un jaune brun très-chaud le
bleuissait. Alors on put modifier ce ton bleu sans inconvénient, on le verdit
un peu pour lui enlever tout aspect violet. Mais ce point de départ si
intense, si brillant, si puissant, devait faire changer toute la gamme des
tons admis jusqu'alors. Pour soutenir des voûtes bleues rehaussées de
points d'or, aucune couleur n'était trop brillante ni trop intense, il fallut
admettre le vermillon, et même le vermillon glacé de laque, les verts
brillants, les pourpres transparents, et au milieu de tout cela jeter l'or
comme élément harmonique, saillant, dominant le tout. On alla même
jusqu'à plaquer des fonds d'émail ou de verre coloré et doré simulant un
émail, des gaufrures dorées, des applications de verroteries. C'est ainsi
que fut comprise la coloration de la sainte Chapelle du palais. Aucun
genre de décoration n'est plus entraînant que la peinture. Si vous montez
un ton, il faut monter tous les autres pour conserver l'accord; la première
couche de couleur que vous posez sur une partie est une sorte
d'engagement que vous vous imposez, qu'il faut rigoureusement tenir
jusqu'au bout, sous peine de ne produire qu'un barbouillage repoussant.
Depuis longtemps on se tire d'affaire avec de l'or; quand l'harmonie ne
peut se soutenir, qu'elle n'a pas été calculée, on prodigue l'or. Mais l'or
(qu'on nous permette l'expression) est un épice, ce n'est pas un mets; en
jeter partout, toujours et à tout propos, peut-être n'est-ce qu'un aveu
d'impuissance. Il est des peintures d'un aspect très-riche sans que l'or y
entre pour la plus faible parcelle. L'or est l'appoint presque obligé du
bleu; mais on peut produire un effet très-brillant sans bleu, et par conséquent
sans or. Les peintures du donjon de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Coucy|Coucy]], où il n'entre pas
une parcelle de bleu ni d'or, sont vives, gaies, harmonieuses, chaudes et
riches. Celles du réfectoire de la commanderie du Temple, à Metz<span id="note26"></span>[[#footnote26|<sup>26</sup>]],
sont d'un éclat merveilleux, et l'or ni le bleu ne s'y trouvent. Cette peinture
date de la première moitié du XIII<sup>e</sup> siècle; elle décore une salle composée
de deux nefs, avec une épine de colonnes portant un plafond en
charpente (fig. 14, voy. le plan A). Sur les colonnes est posée une poutre
maîtresse qui reçoit un solivage. La poutre, les solives et les parois de
la muraille sont entièrement revêtues de peintures. En B, nous
indiquons
la peinture des murailles dont le fond se modifie, comme dessin,
à chaque travée. Toute l'ornementation ne comporte que le blanc pour
les fonds, le jaune (ocre) et le rouge (ocre). Entre chaque solive <i>a</i> est un
dessin représentant des animaux se détachant en brun rouge vif sur fond
blanc. Au-dessous est une frise <i>b</i> dont l'ornement est blanc sur fond
brun rouge clair, avec redessinés brun rouge foncé. Puis, au droit de
chaque colonne, un dais <i>c</i> tracé de même en brun rouge, avec figure <i>d</i>.
Entre chaque dais les fonds <i>e</i> se composent d'un semis brun rouge sur
blanc. Le soubassement <i>f</i> consiste en de larges denticules brun rouge,
avec intervalles jaune ocre <i>g<i/> et feuillages brun rouge clair rehaussés de
traits noirs. La poutre maîtresse, par-dessous, donne le dessin <i>h</i> composé
d'un onde brun rouge sur le blanc, avec larges bordures jaunes. Les
solives <i>i</i> sont toutes variées: les unes figurent un vairé
blanc sur fond
gris, avec filets brun rouge; d'autres, des chevrons alternativement
blancs, rouges et jaunes séparés par des traits noirs. Sur ces faces, la
poutre maîtresse <i>l</i> présente des chevaliers chargeant peints et redessinés
en rouge brun sur fond blanc, avec rosettes également rouges. Toute la
décoration de cette salle ne consiste donc qu'en deux tons, le jaune ocre
et le rouge ocre sur fond blanc, avec quelques rares touches grises. À
l'aide de ces moyens si simples, l'artiste a cependant obtenu un effet très-brillant,
très-vif et d'une harmonie parfaite. Mais ici le bleu ni l'or
n'interviennent
dans la peinture.
</div>
[[Image:Peinture.commanderie.du.Temple.Metz.png|center]]
<div class="text">
On observera que les parties qui figurent des membres d'architecture,
comme le dais <i>c</i>, par exemple, ne prétendent pas simuler une ornementation
en relief. Cette architecture peinte est toute de convention; c'est
un hiéroglyphe. On ne songeait pas alors, pas plus que pendant la bonne
antiquité, à faire des trompe-l'œil. Cette façon d'interpréter en peinture
certaines formes architectoniques mérite quelque attention, c'est une
partie importante de cet art. Il ne s'agit point de reproduire exactement
les dimensions relatives, le modelé, l'apparence réelle des reliefs, des
moulures, des colonnes et des chapiteaux, mais d'interpréter ces formes
et de les faire entrer dans le domaine de la peinture. De fait, si l'on prétend
modeler, par exemple, une arcature en pierre par des tons, admettant que l'on puisse produire quelque illusion sur un point, il est
certain qu'en regardant ce trompe-l'œil obliquement, non-seulement
l'illusion est impossible, mais ces surfaces qui n'ont pas de saillies, ces
moulures et profils qui ne se soumettent pas aux lois de la perspective,
produisent l'effet le plus désagréable. Le trompe-l'œil, dans ce cas, est
une satisfaction puérile que se donne le peintre à lui-même, considérant
l'objet qu'il veut rendre sur un point; il ne fait pas une peinture décorative,
mais seulement un tour d'adresse. La belle antiquité et le moyen
âge n'ont pas compris de cette manière la peinture décorative. Les
peintres du XIII<sup>e</sup> siècle voulaient-ils décorer un soubassement par une
arcature que l'architecte n'avait pu obtenir en réalité, ils interprétaient
les formes architectoniques de cette manière (fig. 15<span id="note27"></span>[[#footnote27|<sup>27</sup>]]). À l'aide de
couchés à plat en ocre jaune et de dessins brun rouge sur fond blanc,
ils obtenaient une décoration très-riche, très-facile à exécuter, peu dispendieuse,
et qui, en réalité, produit un effet beaucoup plus décoratif
que ne pourrait le faire une peinture en trompe-l'œil. Ici les tympans
entre les arcs, et les voiles tendus, ainsi que le filet J, sont couchés en
ocre jaune; tout le reste de l'arcature, ainsi que les redessinés et bordures
des voiles, les ornements des tympans, est en brun rouge; le fond est
blanc laiteux. Ces procédés si simples, que l'on peut faire employer par
les ouvriers les plus ordinaires, expliquent comment la peinture s'appliquait
alors aussi bien à des édifices modestes qu'à des chapelles et à des
salles somptueuses. Supposons le fond de cette arcature en bleu intense,
les formes en or redessinées de noir, les voiles et tympans pourpre clair
ou vert clair avec damasquinage d'or, et nous aurons un soubassement
d'une extrême richesse, qui cependant ne présentera aucune difficulté
d'exécution. Dans la peinture modeste comme dans la peinture
somptueuse,
nous aurons une dose égale d'art; cela, en vérité, vaut mieux que
les marbres peints, et l'apparence grossière et barbare de la richesse que
l'on cherche généralement dans la peinture décorative, en essayant, sans
jamais y parvenir, bien entendu, à tromper le spectateur sur la valeur
réelle de l'objet décoré. Nous avons conservé quelques restes de ces
bonnes traditions dans nos papiers peints. Aussi se vendent-ils dans le
monde entier comme des œuvres d'art.
</div>
[[Image:Peinture.murale.XIIIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
On a vu précédemment que les verrières très-colorées avaient imposé
une grande variété et une grande intensité de tons dans la peinture murale,
ainsi que l'appoint de l'or. Mais des raisons d'économie ne
permettaient
pas toujours d'adopter résolûment cette harmonie compliquée
que l'on ne pouvait obtenir qu'avec des ressources étendues. Il
est intéressant de voir comment les artistes se sont tirés d'affaire en pareil
cas, en ne pouvant employer l'or, ni le bleu par conséquent, et en se bornant
à l'harmonie simple, celle qui ne comporte que le rouge, le jaune,
le blanc, le noir et quelques intermédiaires, comme le gris et le vert.
 
<span id=Carcassonne>Le chœur de l'église Saint-Nazaire de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Carcassonne|Carcassonne]], ancienne
cathédrale,
est une véritable lanterne garnie de vitraux d'un éclat et d'une
richesse de ton incomparables. Pour soutenir la coloration translucide
de ces verrières, on a cru devoir peindre ce chœur, mais probablement
les ressources étaient minimes, et l'on a visé à l'économie. Ne pouvant
employer l'or, les peintres n'ont pas adopté le bleu; ils se sont contentés
de l'harmonie simple, et voici comment ils ont procédé. Les verrières
formant la surface totale des parois, il ne restait à peindre que l'arcature
du soubassement, les piles et la voûte. La figure 16, donnant la projection
</div>
[[Image:Peinture.choeur.eglise.Saint.Nazaire.Carcassonne.3.png|center]]
<div class="text">
horizontale de cette voûte, on a réservé le triangle A pour y tracer
un sujet: <i>le Christ dans sa gloire</i>; tous les autres triangles ont été divisés
aux clefs par des bandes <i>b</i>.Dans les quatre demi-triangles <i>c</i> ont été
tracées des figures d'anges sur fonds
blancs étoilés de rouge. Quant aux
autres fonds des voûtes, ils ont été
alternativement couchés en blanc et
en ocre rouge, ainsi que l'indique
le tracé, la lettre B marquant les
fonds blancs et la lettre R les fonds
rouges. Cela était hardi, on en conviendra.
Pour soutenir la valeur de
ces tons placés sous les voûtes, non-seulement
celles-ci ont été coupées
par les bandes des clefs, mais elles ont
été bordées d'ornements très-vifs de
tons et très-détaillés. Les nervures ont
été de même couvertes d'ornements
menus d'une extrême vivacité. Voici
(fig. 17) un détail de la partie de la
voûte occupée par le Christ. Le personnage
divin est vêtu d'une robe pourpre
se rapprochant du violet, avec doublure
vert clair; son nimbe seul est or; aussi
la seconde auréole <i>a</i>, peinte derrière
ses épaules, est-elle bleue. C'est la seule
touche bleue de toute la voûte. Le fond du Christ est rouge vif, les animaux
sont en grisaille, ainsi que l'auréole externe. Le fond des
séraphins
est brun rouge. Les deux anges et les deux séraphins sont en grisaille,
avec ailes jaunes. Quant au fond F des autres grands anges, il est
blanc étoilé de rouge, comme nous l'avons dit. Ceux-ci sont vêtus de
jaune, avec ailes en grisaille. La figure 18 donne les détails de la peinture
de ces voûtes. En A est l'arc-doubleau, tracé en A' sur la fig. 17. Le
listel <i>b</i> est peint de carrés alternativement vermillon et brun rouge bordés
de larges traits noirs, avec demi-carrés ocre jaune. La gorge <i>c</i> est
brun rouge. Le boudin <i>d</i> est orné d'une torsade alternativement noire,
ocre jaune et brun rouge, chaque ton étant séparé par un filet blanc. La
gorge <i>d'</i> est brun rouge. Le second listel <i>e</i> est rempli par de petits quatre-feuilles
ocre jaune et brun rouge bordés d'un filet blanc, avec fond noir.
La gorge <i>f</i> est brun rouge. Le second boudin possède sur sa partie supérieure
des carrés vermillon bordés de filets blancs; le fond est ocre
jaune; la gorge au-dessous est ocre jaune. Le listel <i>h</i> se décore par des
quatre-feuilles alternativement brun rouge et ocre jaune sur fond noir et
bordés de filets blanc.
</div>
[[Image:Peinture.choeur.eglise.Saint.Nazaire.Carcassonne.2.png|center]]
<div class="text">
Les arêtes B ont leur listel <i>i</i> semblable au listel <i>e</i>. La gorge <i>k</i> est brun
rouge, le boudin <i>l</i> torsadé comme le boudin <i>d</i>. La gorge <i>m</i> possède des
petits carrés gris ardoise sur fond ocre jaune, avec filet blanc inférieur.
Le boudin extrême <i>n</i> est couvert de quatre-feuilles vermillon sur fond
noir, avec filets blancs. Le filet extrême <i>o</i> est également blanc. En C,
nous donnons l'une des bordures couchées sur les voûtes à côté des
arêtes; ces bordures sont toutes à peu près semblables. Le fond du
dessin est brun rouge vif; les quatre-feuilles vermillon, avec carrés
noir-bleu; ils sont cernés d'un trait noir et d'un bord blanc; les carrés
intermédiaires sont ocre jaune et le petit enroulement blanc. Un large
filet blanc borde ces bandes; il est doublé d'un autre filet brun rouge
clair, avec carrés gris ardoise et traits noirs. L'une des étoiles est figurée
en <i>p</i>. Ces étoiles, qui sont rouges sur les fonds blancs des voûtes,
sont blanches sur les fonds brun rouge. En D, nous donnons une des
bandes de clefs des voûtes; leur coloration consiste en un ornement
blanc quelque peu modelé de traits rouges, sur fond vermillon; un
large filet brun rouge les divise par le milieu dans leur longueur; des
filets blancs arrêtent les fonds vermillon et sont bordés extérieurement
de filets noirs. Ces voûtes étant supportées par des faisceaux de fines
colonnettes, celles-ci sont simplement colorées de tons alternativement
jaunes et rouges, avec gorges noires ou rouges garnies de carrés noirs
et filets blancs; les chapiteaux ont leurs feuillages peints en ocre jaune
sur fond brun sombre. À l'entrée du chœur, des demi-colonnes G d'un
assez fort diamètre, 0<sup>m</sup>,40, sont décorées de peintures dont nous
donnons
le détail développé en G'. Ce sont des carrés à quatre lobes
alternativement
vert bleu et ocre jaune, sur les fonds desquels se détachent
des ornements jaune foncé sur le bleu verdâtre, blancs sur le jaune.
Les intervalles <i>t</i> sont ocre jaune, avec ornements blancs dont nous traçons
un fragment à une plus grande échelle en S. Les carrés lobés sont
cernés d'un trait brun rouge et d'un champ blanc. Les filets externes de
la demi-colonne sont blancs, brun rouge et ocre jaune. Sous les fenêtres
il règne une arcature très-riche<span id="note28"></span>[[#footnote28|<sup>28</sup>]] peinte d'écus armoyés sur des fonds
verts. Des mitres surmontent les écus. Les boudins sont ornés de torsades
blanches, noires et rouges; les gorges, de tons verts, avec carrés semés
noirs. Des filets blancs et rouges bordent les fonds. Malgré l'éclat des
vitraux, cette coloration se soutient et s'harmonise parfaitement avec
les tons translucides. Ces voûtes à triangles blancs et rouges alternés,
avec leurs bandes de clefs d'un ton brillant, et leurs bordures riches,
sont d'un effet très-chaud et très-solide. Les membres de l'architecture,
vivement détachés par des détails très-fins où le noir joue un rôle
important,
se distinguent bien des remplissages, tout en paraissant légers.
Ces peintures datent du commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, comme la
construction
elle-même.
</div>
[[Image:Peinture.choeur.eglise.Saint.Nazaire.Carcassonne.png|center]]
<div class="text">
Il était nécessaire de prendre un parti franc lorsqu'on prétendait
décorer
de peintures l'architecture dite gothique. Il fallait que cette
peinture
laissât dominer entièrement l'éclat des vitraux colorés, ou qu'elle
pût soutenir cet éclat et y participer; il était important surtout que les
formes de la construction, qui ont une si grande importance à dater du
XIII<sup>e</sup> siècle dans les édifices, fussent accusées nettement par le système
de peinture. Si l'on admettait les voûtes bleues étoilées d'or, par exemple,
il fallait que les nervures des voûtes fussent assez brillamment colorées
pour soutenir ces fonds puissants de ton et les renvoyer pour ainsi dire
à un autre plan. L'or était d'un grand secours en ces occasions, ainsi
que le noir cernant des tons vifs, comme le vermillon et le vert. La peinture
des nerfs de voûtes ainsi montée, il fallait, pour la soutenir, des tons
non moins vifs sur les faisceaux composant les piles, d'autant que le
rayonnement des couleurs des vitraux tendait à atténuer la coloration
de ces piles, souvent très-minces. Ce n'était alors que par des gorges d'un
ton très-chaud et très-sombre, comme le brun rouge glacé de laque, ou
le pourpre très-puissant, ou le noir brun, que l'on pouvait combattre le
grisonnement que répandait le rayonnement des verrières sur ces
surfaces voisines. Il fallait même, pour donner à certaines couleurs, comme
le vermillon, tout leur éclat, les semer de touches opposées. Ainsi sur
la colonnette couchée en vermillon, on semait des touches bleu clair
cernées toujours de noir; ou sur la colonnette couchée en bleu clair,
des touches d'un pourpre vif; sur celle couchée en bleu intense, des
touches pourpre rose. L'or venait aussi, bien entendu, prêter son éclat
à ces faisceaux de colonnettes dévorées par la juxtaposition des couleurs
translucides, lorsque le bleu entrait pour une grande part dans l'harmonie
générale. Les arcatures ou tapisseries disposées au-dessous des fenêtres,
moins dévorées par les vitraux et plus près de l'œil, pouvaient
reprendre des tons plus doux et plus clairs, et alors les faisceaux de colonnettes
passant devant elles se détachaient en vigueur et en éclat. Ce
parti était parfaitement compris dans la peinture de la sainte Chapelle
haute du palais<span id="note29"></span>[[#footnote29|<sup>29</sup>]]. En effet, dans le système de peinture adopté pour cet
intérieur, toutes les parties qui portent, qui forment l'ossature et les nerfs
de l'édifice, se détachent en vigueur et en éclat. Les fonds sont au contraire
doux et tenus au second plan.
 
Les peintres décorateurs du moyen âge, pour circonscrire le
rayonnement
des vitraux colorés, employaient certains moyens d'un effet sûr.
Si les fenêtres possédaient des ébrasements, comme au commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle, par exemple, ceux-ci étaient décorés d'ornements très-vivement
accusés par la différence des tons. Ces dessins étaient noirs et
blancs, comme celui présenté en A dans la figure 19, ou brun rouge noir
et blanc, comme celui tracé en B. Ces couleurs tranchées, atténuées par
l'effet de la lumière décomposée passant à travers des vitraux colorés,
conservaient assez de vigueur et de netteté pour border les peintures
translucides, et prenaient des tons harmonieux par le rayonnement de
ces peintures. Si les fenêtres, comme la plupart de celles qui se voient
dans les édifices du milieu des XIII<sup>e</sup> siècle, se composaient de meneaux
formant de légers faisceaux de colonnettes, celles-ci se couvraient de
tons très-voisins du noir, ainsi que le brun rouge foncé, le vert bleu très-intense,
l'ardoise sombre, le pourpre brun. Ces lignes obscures faisaient
un encadrement à la verrière; mais cependant les vitraux colorés étant
toujours bordés d'un mince filet de verre blanc, comme pour les mettre
en marge et empêcher la bavure des tons translucides sur l'architecture,
le long de ce filet blanc transparent on peignait le solin en vermillon,
afin de mieux faire ressortir l'éclat de la ligne lumineuse (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Vitrail|Vitrail ]]).
</div>
[[Image:Peinture.ebrasement.fenetre.XIIIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Indépendamment de la coloration et du système harmonique des tons
de la peinture décorative, les artistes des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles notamment
donnaient aux dessins des ornements peints des formes qui convenaient
à la place qu'ils occupaient dans l'architecture. En effet, le dessin d'un
ornement appliqué sur une surface modifie sensiblement celle-ci, comme
nous l'avons indiqué sommairement dans la figure 6. Les litres, les bandeaux,
se couvrent d'ornements courant horizontalement. Les piliers, les
colonnes, les surfaces verticales, qui portent et doivent paraître rigides,
ont leur surface occupée par des ornements ascendants.
</div>
[[Image:Peinture.murale.XIIe.et.XIIIe.siecle.2.png|center]]
<div class="text">
Voici quelques exemples (fig. 20) d'ornements empruntés à des peintures
couvrant des colonnes des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles. L'exemple A provient
de colonnes des chapelles absidales de Saint-Denis. Il présente une
torsade vert clair sur fond blanc jaune, bordée d'un filet brun rouge, avec
perlé blanc à cheval sur le rouge et le vert<span id="note30"></span>[[#footnote30|<sup>30</sup>]]. Les exemples B proviennent
de colonnes de l'église de Romans (Drôme). Celui B donne un treillis de
feuillages rouges sur fond vert bleu; celui B<i>a</i>, un losangé vert bleu, avec
dessins brun rouge sur fond blanc; celui B<i>b</i>, un vairé brun sombre et
vert sur blanc; celui B<i>c</i>, un chevronné vert et rouge sur fond blanc, avec
filet brun interposé. <span id=Boscherville>Le dessin C, qui est tracé sur un fût d'une colonne
de l'église Saint-Georges de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Boscherville|Boscherville]], est un chevronné rouge laqueux
et vert vif sur fond blanc, avec filet brun rouge vif interposé<span id="note31"></span>[[#footnote31|<sup>31</sup>]]. L'exemple D,
très-fréquent au XIII<sup>e</sup> siècle, donne aux colonnes de la finesse et de la
rigidité. Les ressauts des lignes verticales ont l'avantage de faire sentir
la surface cylindrique de la colonne, toujours détruite par les cannelures,
surtout si ces colonnes sont grêles. C'est ce besoin de conformer l'ornement peint à la structure, et d'appuyer même celle-ci par le genre de
peinture, qui a fait adopter ces <i>appareils</i> si fréquents dans la décoration
colorée des XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles particulièrement. Ces appareils sont très-simples
ou riches, ainsi que le fait voir la figure 21, blancs sur fond
jaune ocre, ou, plus fréquemment, brun rouge sur fond blanc ou sur
fond jaune pâle; les lignes ainsi <i>filées</i> au pinceau sur de grandes surfaces,
simples, doublées, triplées ou accompagnées de certains ornements,
présentent une décoration très-économique, faisant parfaitement valoir
les litres, les bandeaux, les faisceaux de colonnes, les bordures couvertes
d'une ornementation plus compliquée et de couleurs brillantes.
</div>
[[Image:Peinture.murale.XIIe.et.XIIIe.siecle.png|center]]
<div class="text">
Dans les intérieurs, lorsque les parois et les piles sont peintes, la
sculpture, naturellement, se couvre de couleurs; car il est à observer
que les artistes du moyen âge, comme ceux de l'antiquité, n'ont pas
admis la coloration partielle; ou bien ils n'ont pas peint les intérieurs,
ou ils les ont peints entièrement. S'ils ne disposaient que de ressources
minimes, quelquefois cette peinture n'était, sur une grande partie des
surfaces, qu'un badigeon; mais ils pensaient que la peinture appelait la
peinture, et qu'une litre colorée ne pouvait se poser toute seule sur un
mur conservant son ton de pierre. C'est là un sentiment d'harmonie
très-juste. S'il est parfois des exceptions à cette règle, c'est quand la
peinture n'est considérée que comme un <i>redessiné</i> de la forme. On voit
certaines sculptures de chapiteaux, par exemple, et des bas-reliefs, dont
les ornements ou les figures sont redessinés en noir ou en brun rouge; certaines
gorges de nervures ou de faisceaux de colonnettes remplies d'un
ton brun, pour tracer la forme: mais cela n'est plus de la peinture, c'est
du dessin, un moyen d'insister sur des formes que l'on veut faire mieux
saisir. Parfois aussi, comme dans les voûtes du chœur de la cathédrale
de Meaux, par exemple, on a eu l'idée de distinguer les claveaux des
arcs ogives ou des arcs-doubleaux au moyen de deux tons différents.
Ce sont là des exceptions. À l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8, Sculpture|Statuaire ]], nous parlerons du mode
de coloration des imageries et des statues, car les artistes du moyen âge
ont le plus souvent admis, comme les Grecs de l'antiquité, que la statuaire devait être colorée. Quant à la sculpture d'ornement des intérieurs,
tenue dans des tons clairs sur fonds sombres pendant l'époque romane
et le XII<sup>e</sup> siècle, vert clair ou jaune ocre sur fonds brun, pourpre et
même noir, elle se colore plus vivement pendant le XIII<sup>e</sup> siècle, et surtout
pendant le XIV<sup>e</sup>, afin de se détacher en vigueur sur les parties
simples, conformément au parti que nous avons signalé plus haut. Si l'or
apparaît dans la décoration, les feuillages des chapiteaux sont dorés
en tout ou partie sur fonds pourpre, bleu, ou vermillon. Si l'or est exclu,
les ornements se couvrent de tons jaune, vert vif, sur fonds
très-vigoureux,
et le jaune est redessiné de traits noirs comme l'or; car jamais la
dorure n'est posée sans être accompagnée d'épaisseurs et de dessous
rouges, avec redessinés noirs, afin de nettoyer et d'éclaircir les formes
de la sculpture. Ces traits noirs sont brillants, posés au moyen d'une
substance assez semblable à notre vernis, et ont toujours un <i>œil</i> brun.
De cette manière la dorure prend un éclat et un relief merveilleux, elle
n'est jamais molle et indécise. Si la dorure est posée en grandes surfaces,
comme sur des fonds ou sur des draperies de statues, des gaufrures ou
un glacis donnent un aspect précieux et léger à son éclat; on évite ainsi
ces reflets écrasants pour la coloration voisine, les lumières trop larges
et trop uniformément brillantes.
 
Terminons cet aperçu de la décoration peinte des intérieurs par une
remarque générale sur le système adopté par les artistes du moyen âge.
Tout le monde a vu des tapis dits de Perse, des châles de l'Inde, chacun est
frappé de l'éclat doux et solide de ces étoffes et de leur harmonie incomparable.
Eh bien! que l'on examine le procédé de coloration adopté par
ces tisserands orientaux. Ce procédé est au fond bien simple. Mettant de
côté le choix des tons, qui est toujours sobre et délicat, nous verrons
que sur dix tons huit sont rompus, et que la valeur de chacun d'eux résulte de la juxtaposition d'un autre ton. Défilez un châle de l'Inde, séparez les tons, et vous serez surpris du peu d'éclat de chacun d'eux pris
isolément. Il n'y aura pas un de ces pelotons de laine qui ne paraisse
terne en regard de nos teintures, et cependant, lorsqu'ils ont passé sur
le métier du Tibétain et qu'ils sont devenus tissus, ils dépassent en
valeur harmonique toutes nos étoffes. Or cette qualité réside uniquement
dans la connaissance du rapport des tons, dans leur juste division, en
raison de leur influence les uns sur les autres, et surtout dans l'importance
relative donnée aux tons rompus. Il ne s'agit pas en effet, pour
obtenir une peinture d'un aspect éclatant, de multiplier les couleurs
franches et de les faire crier les unes à côté des autres, mais de donner
une valeur singulière à un point par un entourage neutre. Un centimètre
carré de bleu turquoise sur une large surface brun mordoré acquerra une
valeur et une finesse, telles qu'à dix pas cette touche paraîtra bleue et
transparente. Quintuplez cette surface, non-seulement elle semblera
terne et louche, mais elle fera paraître le ton brun chaud qui l'entoure
lourd et froid. Il y a donc là une science, science expérimentale, il est
vrai, mais que nos décorateurs possédaient à merveille pendant le moyen
âge, ainsi qu'ils l'ont prouvé dans la peinture de leurs monuments, de
leurs vignettes de manuscrits et de leurs vitraux; car ces lois, impérieuses
déjà dans la coloration monumentale, sont bien autrement tyranniques
encore dans la coloration translucide des vitraux, où chaque touche de
couleur prend une si grande importance.
 
Les procédés employés par les peintres pour décorer les intérieurs
étaient déjà très-perfectionnés au XIII<sup>e</sup> siècle, ainsi qu'on en peut juger
en examinant les peintures anciennes de la sainte Chapelle et celles de
certains retables de la même époque<span id="note32"></span>[[#footnote32|<sup>32</sup>]]. Alors les vernis et même la
peinture à l'huile étaient en usage. Au XIV<sup>e</sup> siècle, il paraît même qu'on
faisait un emploi fréquent de ce dernier procédé, en France, en Italie et
en Allemagne<span id="note33"></span>[[#footnote33|<sup>33</sup>]]. M. Émeric David, dans ses <i>Discours historiques sur la
peinture moderne</i><span id="note34"></span>[[#footnote34|<sup>34</sup>]], démontre d'une manière évidente que dès le XI<sup>e</sup> siècle
les peintres employaient les couleurs broyées avec de l'huile de lin pure,
et le devis des peintures exécutées par ordre du duc de Normandie (depuis
Charles V) dans le château de Vaudreuil, en 1355, par Jehan Coste,
prouve que le procédé de la peinture à l'huile était alors connu en France
et pratiqué non-seulement pour les meubles et menus ouvrages, mais
aussi pour la décoration sur les murs. Ce devis commence ainsi:
 
«Premièrement pour la salle assouvir en la manière que elle est commenciée ou mieux; c'est assavoir: parfaire l'ystoire de la vie de
César, et au-dessouz en la derreniere liste (litre) une liste de bestes et
d'images, einsi comme est commencée.
 
Item la galerie à l'entrée de la salle en laquelle est la chace parfaire,
einsi comme est commencée.
 
Item la grant chapelle fere des ystoires de Notre Dame, de sainte
Anne et de la Passion entour l'autel, ce qui en y pourra estre fet, etc.
 
Et toutes ces choses dessus devisées seront fetes de fines couleurs à
l'huile, et les champs de fin or enlevé (en relief)... etc.»
 
Les glacis, fréquemment employés dans la peinture décorative, à dater
du XIII<sup>e</sup> siècle, la finesse de ces peintures, leur solidité et leur aspect
brillant, indiquent un procédé permettant toutes les délicatesses de modelé
et de coloration. Avec la peinture à l'huile, les artistes des XIV<sup>e</sup> et
XV<sup>e</sup> siècles, en France, employaient aussi une peinture dans laquelle il
entre, comme gluten, un principe résineux très-dur et
très-transparent,
ainsi que la gomme copal par exemple. Peut-être les deux éléments, l'huile et la résine, étaient-ils simultanément employés, la gomme copal
tenant lieu alors de siccatif. L'analyse de quelques-unes de ces peintures
présente souvent en effet une certaine quantité de résine.
 
La peinture décorative ne s'appliquait pas seulement aux parois des
intérieurs, elle jouait un rôle important à l'extérieur des édifices. La
façade de Notre-Dame de Paris présente de nombreuses traces de peintures
et de dorures, non pas posées sur les nus des murs, mais sur les moulures, les colonnes, les sculptures d'ornement et la statuaire. On peut faire la même observation sous les porches de la cathédrale d'Amiens;
et les ornements placés au sommet des grands pignons du transsept de la cathédrale de Paris, qui datent de 1257, étaient dorés avec fonds rouge
sombre et noir.
 
La coloration appliquée à l'extérieur est beaucoup plus heurtée que
ne l'est celle des intérieurs; ce sont des tons rouge vif (vermillon glacé
d'un ton pourpre très-brillant), des tons vert cru, des jaune ocre orangé,
des noirs et des blancs purs, rarement des bleus. C'est qu'en effet, à
l'extérieur, la vivacité de la lumière directe et des ombres permet des duretés de coloration qui ne seraient pas supportables sous la lumière
tamisée et diffuse des intérieurs.
 
La statuaire, suivant la méthode antique, est redessinée par des linéaments
noir brun, qui accusent les traits des têtes, les bords des draperies,
les broderies, les plis des vêtements. Les ornements sont de
même très-fortement redessinés par ces traits noirs, soit sur les fonds,
soit sur les rives. Quelquefois, sous les saillies des larmiers, des bandeaux
ou corniches, les boudins couchés d'un ton rouge ou vert étaient rehaussés de perlés blancs ou jaunes qui donnaient une singulière finesse
aux moulures. Nous sommes devenus si timides, en fait de peinture monumentale, que nous ne comprenons guère aujourd'hui cette expression
de l'art. Il en est de la peinture appliquée à l'architecture comme d'une composition musicale qui, pour être comprise, doit être entendue
plusieurs fois. Et s'il y a vingt ans, personne à Paris ne comprenait une
symphonie de Beethoven, on ne saurait s'en prendre à Beethoven. L'harmonie
est un langage pour les oreilles comme pour les yeux; il faut se familiariser avec lui pour en saisir le sens. Quelques personnes éclairées
admettent volontiers que les intérieurs des édifices peuvent bien être
décorés de peintures; mais l'idée de décorer les extérieurs semble très-étrange,
surtout s'il s'agit de les décorer, non point par quelques tympans sous des porches, mais par un ensemble de coloration qui s'étendrait sur presque toute une façade.
 
Cependant les artistes du moyen âge n'eurent jamais l'idée de couvrir
entièrement de couleur une façade de 70 mètres de hauteur sur 50 de large, comme celle de Notre-Dame de Paris. Mais sur ces immenses
surfaces
ils adoptaient un <i>parti</i> de coloration. Ainsi à Notre-Dame de Paris
les trois portes avec leurs voussures et leurs tympans étaient entièrement
peintes et dorées; les quatre niches reliant ces portes, et contenant quatre statues colossales, étaient également peintes. Au-dessus, la galerie des rois formait une large litre toute colorée et dorée. La peinture,
au-dessus de cette litre, ne s'attachait plus qu'aux deux grandes arcades avec fenêtres, sous les tours, et à la rose centrale qui étincelait
de dorures. La partie supérieure, perdue dans l'atmosphère, était laissée
en ton de pierre. En examinant cette façade, il est aisé de se rendre compte de l'effet splendide que devait produire ce parti si bien d'accord
avec la composition architectonique. Dans cette coloration le noir jouait
un rôle important; il bordait les moulures, remplissait des fonds,
cernait
les ornements, redessinait les figures en traits larges et posés avec un sentiment vrai de la forme. Le noir intervenait là comme une retouche
du maître, pour lui enlever sa froideur et sa sécheresse; il ne faisait que
doubler souvent un large trait brun rouge. Les combles étaient brillants
de couleurs, soit par la combinaison de tuiles vernissées, soit par des
peintures et dorures appliquées sur les plombs (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Plomberie|Plomberie ]]). Quelquefois
même des plaques de verre posées dans des fonds sur un mastic,
avec interposition d'une feuille d'étain ou d'or, ajoutaient des touches
d'un éclat très-vif au milieu des tons mats. Pourquoi nous
privons-nous
de toutes ces ressources fournies par l'art? Pourquoi l'école dite classique
prétend-elle que la froideur et la monotonie sont les compagnes inséparables
de la beauté, quand les Grecs, que l'on nous présente comme les artistes par excellence, ont toujours coloré leurs édifices à l'intérieur
comme à l'extérieur, non pas timidement, mais à l'aide de couleurs
d'une extrême vivacité?
 
À dater du XVI<sup>e</sup> siècle on a renoncé à la peinture extérieure de l'architecture,
et n'est-ce que peu à peu que la coloration disparaît; encore au commencement du XVII<sup>e</sup> siècle cherchait-on les effets colorés à l'aide
d'un mélange de brique et de pierre, parfois même de faïences appliquées.
 
<br><br>
----
 
<span id="footnote1">[[#note1|1]] : «Tunc es pictor ille, qui, tempore Chlothacharii regis,
per oratotia parictes atque
cameras caraxabas.» (Greg. Turon., <i>Hist. Franc.</i>, lib. VII,
cap. XXXVI.)
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : «Basilicas sancti Perpetui adustas incendio reperi, quas in illo nitore vel pingi, vel
exornari, ut prius fuerant, artificum nostrorum opere, imperavi.»
(Lib. X, cap. XXXI,
§ 19.)
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : Frodoard, <i>Hist. de l'église de Reims</i>, chap. v.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Nous avons vu beaucoup de traces de ces sortes de peintures sur des fragments
de monuments gallo-romains des bas temps; malheureusement ces traces disparaissent promptement
au contact de l'air.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Voyez, entre autres, le Ms. de la bibl. Coll. Nero. D. IV, Évang. lat. Sax.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : La Bibliothèque impériale en possède quelques-uns d'une rare beauté.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : Ces peintures datent de la seconde moitié du XI<sup>e</sup> siècle en grande partie.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Voyez la <i>Notice sur les peintures de l'église de Saint-Savin</i>.--M. Mérimée, auquel
nous empruntons ce passage, ajoute un peu plus loin ces observations, que nous devons
signaler. «... Presque toujours les figures se détachent sur une couleur claire et tranchante,
mais il est difficile de deviner ce que le peintre a voulu représenter. Souvent
une suite de lignes parallèles de teintes différentes offre l'apparence d'un tapis; mais
cela n'est, je pense, qu'un espèce d'ornementation capricieuse, sans aucune prétention
à la vérité, et le seul but de l'artiste semble avoir été de faire ressortir les personnages
et les accessoires essentiels à son sujet. À vrai dire, ces accessoires ne sont
que des espèces d'hiéroglyphes ou des images purement conventionnelles. Ainsi les
nuages, les arbres, les rochers, les bâtiments, ne dénotent pas la moindre idée d'imitation;
ce sont plutôt, en quelque sorte, des explications graphiques ajoutées aux
groupes de figures pour l'intelligence des compositions.
 
«Blasés aujourd'hui par la recherche de la vérité dans les petits détails que l'art moderne
a poussée si loin, nous avons peine à comprendre que les artistes d'autrefois
aient trouvé un public qui admit de si grossières conventions. Rien cependant de plus
facile à produire que l'illusion, même avec cette naïveté de moyens qui semblent l'éloigner.
Assurément un mur de scène de marbre, avec sa décoration immobile, n'empêchait
pas les Grecs de s'intéresser à une action qui devait se passer dans une forêt
ou parmi les rochers du Caucase; et le parterre de Shakspeare, en voyant deux lances
croisées au fond de la grange qui servait de théâtre, comprenait qu'une bataille avait
lieu: la péripétie l'agitait, et chacun frémissait aux cris de Richard offrant tout son
royaume pour un cheval.
À côté de cette indifférence pour les détails accessoires, ou si l'on veut, de cette
ignorance primitive, on remarque parfois une imitation très-juste et un sentiment
d'observation très-fin dans les attitudes et les gestes des personnages. Les têtes, bien
que dépourvues d'expression, se distinguent souvent par une noblesse singulière et une
régularité de traits qui rappelle, de bien loin, il est vrai, les types que nous admirons
dans l'art antique...»
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : Liv. l, chap. III.
 
<span id="footnote10">[[#note10|10]] : Voyez à ce sujet le <i>Manuel d'iconographie chrétienne</i>, traduit du manuscrit byzantin:
<i>Le Guide de la peinture</i>, par le docteur Paul Durand, avec une introduction et des notes
de M. Didron. L'auteur de ce guide, Denis, vivait au XI<sup>e</sup> siècle.
 
«Le canon suivant,» dit M. Didron dans une de ses notes (Introduction, p. VIII),
du second concile de Nicée, comparé au passage de l'évêque de Mende, exprime à
merveille la condition de dépendance où vivaient les artistes grecs... «Non est imaginum
structura pictorum inventio, <i>sed Ecclesiæ catholicæ probata legislatio et traditio</i>.
Nam quod vetustate excellit venerandum est, ut inquit divus Basilius.
Testatur hoc
ipsa rerum antiquitas et patrum nostrorum, qui Spiritu sancto
feruntur, doctrina.
Etenim, cum has in sacris templis conspicerent, ipsi quoque animo propenso veneranda
templa exstruentes, in eis quidem gratas orationes suas et incruenta sacrificia Deo omnium
rerum domino offerunt. Atqui consilium et traditio ista non est pictoris (ejus enim
sola ars est), verum ordinatio et dispositio patrum nostrorum, quæ
ædificaverunt.»
(SS. Concil. Phil. Labbe, t. VII, <i>Synod. Nicæna II</i>, actio VI, col. 831 et 832.) De fait
le concile de Nicée n'avait pas tout à fait tort, et les plus belles peintures byzantines connues
sont incomparablement les plus anciennes.
 
<span id="footnote11">[[#note11|11]] : <i>Diversarum artium schedula</i>, publ. par M. le comte de l'Escalopier, 1843.
 
<span id="footnote12">[[#note12|12]] : Voyez l'édition de cet ouvrage donnée à Rome, en 1821,
par le chevalier Giuseppe
Tambroni.
 
<span id="footnote13">[[#note13|13]] : Il a manqué à nos artistes un Vasari, un apologiste exclusif. C'est un malheur, mais cela diminue-t-il leur mérite? et est-ce à nous de leur reprocher l'oubli où nous les avons
laissés.
 
<span id="footnote14">[[#note14|14]] : Cela provient des procédés employés, ainsi que nous l'indiquerons tout à l'heure.
 
<span id="footnote15">[[#note15|15]] : Département d'Indre-et-Loire.
 
<span id="footnote16">[[#note16|16]] : Voyez les copies de ces peintures, faites avec un soin scrupuleux par M. Savinien
Petit (<i>Archives des monuments historiques</i>).
 
<span id="footnote17">[[#note17|17]] : Voyez l'<i>Album de Villard de Honnecourt</i>, ms. publ. en fac-simile, avec notes par
Lassus, et commentaires par A. Darcel. Paris, 1858, chez Delion.
 
<span id="footnote18">[[#note18|18]] : Cette figure est copiée en fac-simile.
 
<span id="footnote19">[[#note19|19]] : Du tombeau d'un abbé de Saint-Philibert de Tournus.
Voyez les copies faites par
M. Denuelle sur l'ensemble de cette peinture remarquable, représentant un couronnement
de la Vierge (<i>Archives des monuments historiques</i>).
 
<span id="footnote20">[[#note20|20]] : La coloration de cette peinture a presque entièrement disparu.
 
<span id="footnote21">[[#note21|21]] : «On peut, dit Théophile, broyer les couleurs de toute espèce avec la même sorte
d'huile (l'huile de lin), et les poser sur un ouvrage de bois, mais seulement pour les
objets qui peuvent être séchés au soleil; car, chaque fois qu'une couleur est appliquée,
vous ne pouvez en apposer une autre, si la première n'est séchée: ce qui, dans les images
et autres peintures, est long et très-ennuyeux.» (Liv. I, chap. XXVII.)
 
<span id="footnote22">[[#note22|22]] : Liv. I, chap. XXVII.
 
<span id="footnote23">[[#note23|23]] : Théoph., chap. XXI, <i>De glutine vernition</i>.
 
<span id="footnote24">[[#note24|24]] : Nous avons des exemples de l'effet que produit l'or à côté de tons à la fresque, à la
cire ou même à l'huile empâtée. Des vêtements blancs sur un fond d'or paraissent sales,
gris et ternes, les chairs sont lourdes. Les seuls tons qui se soutiennent sur des fonds d'or,
sont les tons transparents que l'on peut obtenir par des glacis. Et encore faut-il faire sur
l'or, soit un travail de gaufrure, soit un treillis puissant, une mosaïque. Les voûtes des
<i>Stanze</i> peintes par Raphaël, au Vatican, nous fournissent des observations d'un grand intérêt
à cet égard; particulièrement celle de la salle de la Dispute du saint sacrement.
Les fonds d'or sont craquelés comme des mosaïques, et les sujets à fresque sont d'une vigueur
de coloration qui n'a pu être obtenue que par des retouches, soit à l'œuf, soit de
toute autre manière, apposées en glacis. La même observation peut être faite dans la <i>Librairie</i>
de la cathédrale de Sienne, en examinant la voûte absidale de l'église Santa-Maria
del Popolo, à Rome, attribuée à Pinturicchio.
 
<span id="footnote25">[[#note25|25]] : La sainte Chapelle du palais présente le plus curieux exemple de cette échelle chromatique.
Malgré de nombreuses et larges traces des tons anciens, lors de la restauration
des peintures, les difficultés ont été nombreuses; il est des tons qu'il a fallu refaire
bien des fois, et faute d'une expérience consommée. En couchant un ton dont la trace
était certaine, il a fallu souvent changer la valeur des tons supérieurs ou inférieurs.
 
<span id="footnote26">[[#note26|26]] : Ce réfectoire est aujourd'hui compris dans les ouvrages de la citadelle de Metz; il
sert de magasin à fourrages.
 
<span id="footnote27">[[#note27|27]] : Traces d'une arcature peinte, abbaye de Fontfroide.
 
<span id="footnote28">[[#note28|28]] : Voyez à l'article [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]] la figure 111,
qui donne une coupe de l'entrée de ce
chœur.
 
<span id="footnote29">[[#note29|29]] : Lorsque l'on commença la restauration des peintures de la sainte Chapelle, on n'avait
pas découvert le parti de coloration du fond des arcatures sous les fenêtres. On fit de
nombreux essais, tous sur une gamme sombre, mais l'harmonie générale était dérangée
par celle de ces fonds obscurs. En lavant un mur, du côté de l'entrée, on trouva, un
jour, un fragment de la tapisserie claire qui forme le fond de cette arcature; reproduit immédiatement,
l'harmonie générale fut rétablie.
 
<span id="footnote30">[[#note30|30]] : Ces ornements de colonnes sont présentés développés.
 
<span id="footnote31">[[#note31|31]] : Ces exemples de colonnes peintes appartiennent au XII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote32">[[#note32|32]] : Entre autres, le retable déposé dans le bas côté sud du chœur de l'église abbatiale de
Westminster (ouvrage de l'École française).
 
<span id="footnote33">[[#note33|33]] : Voyez Cennino Cennini, déjà cité, et le devis de la peinture faite dans l'ancien château
royal de Vaudreuil, en Normandie, en 1356, publié dans les tomes I et III de la 2<sup>e</sup> série
de la <i>Bibl. de l'Écoles de chartres</i>, p. 544 et 334.
 
<span id="footnote34">[[#note34|34]] : Paris, 1812, in-8.