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IV

LE CHOIX DE JIM


Et alors se passèrent ces six semaines qui furent une sorte de rêve et le sont encore maintenant quand le souvenir m’en revient.

Je vous ennuierais si je me mettais à vous conter ce qui se passa entre nous.

Et pourtant comme c’était grave, quelle importance décisive cela devait avoir sur notre destinée dès ce temps-là !

Ses caprices, son humour sans cesse changeante, tantôt vive, tantôt sombre comme une prairie au-dessous de laquelle défilent des nuages ; ses colères sans causes, ses brusques repentirs, qui tour à tour faisaient déborder en moi la joie ou le chagrin.

Voilà ce qu’était ma vie : tout le reste n’était que néant.

Mais il restait toujours dans les dernières profondeurs de mes sentiments une inquiétude vague, la peur d’être pareil à cet homme qui étendait la main pour saisir l’arc-en-ciel, et celle que la véritable Edie Calder, si près de moi qu’elle parût, était en réalité bien loin de moi.

Elle était, en effet, bien malaisée à comprendre.

Elle l’était du moins pour un jeune campagnard à l’esprit peu pénétrant, comme moi.

Car, si j’essayais de l’entretenir de mes véritables projets, de lui dire qu’en prenant la totalité de Corriemuir, nous pourrions ajouter à la somme nécessaire pour ce surplus de fermage, un bénéfice de cent bonnes livres, que cela nous permettrait d’ajouter un salon à West Inch, et d’en faire une belle demeure pour le jour de notre mariage, alors elle se mettait à bouder, à baisser les yeux, comme si elle avait juste assez de patience pour m’écouter.

Mais si je la laissais s’abandonner à ses rêves sur ce que je pouvais devenir, sur la trouvaille fortuite d’un document prouvant que j’étais le véritable héritier du laird, ou bien si, sans cependant m’engager dans l’armée, chose dont elle ne voulait pas entendre parler, elle me voyait devenir un grand guerrier, dont le nom serait dans la bouche de tous, alors elle était aussi charmante qu’une journée de mai.

Je me prêtais de mon mieux à ce jeu, mais il finissait toujours par m’échapper un mot malheureux pour prouver que j’étais toujours Jock Calder de West Inch, tout court, et alors la bouderie de ses lèvres exprimait de nouveau le peu de cas qu’elle faisait de moi.

Nous vivions ainsi, elle dans les nuages, moi terre à terre, et si la rupture n’était pas arrivée d’une manière, elle le serait d’une autre.

La Noël était passée, mais l’hiver avait été doux.

Il avait fait juste assez froid pour qu’on pût marcher sans danger dans les tourbières.

Edie était sortie par une belle matinée, et elle était rentrée pour déjeuner avec les joues rouges d’animation.

— Est-ce que votre ami le fils du docteur est revenu, Jock ? dit-elle.

— J’ai entendu dire qu’on l’attend.

— Alors c’est sans doute lui que j’ai rencontré sur la lande.

— Quoi ! vous avez rencontré Jim Horscroft ?

— Je suis sûre que ce doit être lui. Un gaillard de tournure superbe, — un héros, — avec une chevelure noire et frisée, le nez court et droit, et des yeux gris. Il a des épaules comme une statue, et pour la taille, Jack, je crois bien que votre tête atteindrait tout juste à son épingle de cravate.

— Je vais jusqu’à son oreille, Edie, m’écriai-je avec indignation. Du moins, si c’était bien Jim ! Est-ce qu’il avait au coin de la bouche une pipe en bois brun ?

— Oui, il fumait ; il était habillé de gris et il avait une belle voix forte et grave.

— Ho ! Ho ! vous lui avez parlé, dis-je.

Elle rougit légèrement, comme si elle en avait dit plus long qu’elle ne voulait.

— Je me dirigeais vers un endroit où le sol était un peu mou, et il m’a avertie.

— Ah ! oui ce doit être le bon vieux Jim, dis-je. Voilà des années qu’il devrait avoir son doctorat, s’il avait eu autant de cervelle que de biceps. Oui, pardieu, le voilà mon homme en chair et en os.

Je l’avais vu par la fenêtre de la cuisine, et je m’élançai à sa rencontre, tenant à la main mon beignet entamé.

Il courut, lui aussi, au devant de moi, me tendant sa grosse main et les yeux brillants.

— Ah ! Jock, s’écria-t-il, c’est un vrai plaisir de vous revoir. Il n’est pas d’amis comme les vieux amis.

Mais soudain il coupa court à ses propos et regarda par-dessus mon épaule, avec de grands yeux.

Je me retournai.

C’était Edie, avec un sourire joyeux et moqueur, qui était debout sur le seuil.

Comme je fus fier d’elle et de moi aussi, en la regardant !

— Voici ma cousine, Jim, Miss Edie Calder, dis-je.

— Vous arrive-t-il souvent de vous promener avant le déjeuner, M. Horscroft, demanda-t-elle, toujours avec ce sourire futé.

— Oui, dit-il en la regardant de tous ses yeux.

— Moi aussi, et presque toujours je vais par là-bas, dit-elle. Mais, dites-moi, Jack, vous n’êtes guère empressé à recevoir votre ami. Si vous ne lui faites pas les honneurs de la maison, il faudra que je m’en charge à votre place pour en sauver la réputation.

Au bout de quelques minutes, nous étions avec les vieux, et Jim s’attablait devant son assiette de potage.

Il disait à peine un mot et restait toujours la cuillère en l’air à contempler Edie.

Elle ne fit que lui lancer de petites œillades.

Il me sembla qu’elle se divertissait de le voir aussi timide et qu’elle faisait de son mieux pour l’encourager par ses propos.

— Jack me disait que vous faisiez vos études pour devenir docteur, dit-elle, mais comme cela doit être difficile, et qu’il doit falloir de temps pour acquérir les connaissances nécessaires !

— Cela me prend en effet beaucoup de temps, dit piteusement Jim, mais j’en viendrai à bout tout de même.

— Ah ! vous êtes brave ! Vous êtes résolu, vous fixez votre regard sur un but et vous vous dirigez vers lui. Rien ne peut vous arrêter.

— Vraiment, je n’ai pas de quoi me vanter, dit-il. Plus d’un qui a commencé avec moi a déjà sa plaque à sa porte, alors que je ne suis encore qu’un étudiant.

— C’est que vous êtes modeste, monsieur Horscroft. On dit que les gens les plus braves sont aussi les plus modestes. Mais aussi, quand vous avez atteint votre but, quelle gracieuse carrière ! Vous portez la guérison partout où vous allez. Vous rendez la force à ceux qui souffrent. Vous avez pour unique but le bien de l’humanité.

L’honnête Jim se démenait sur sa chaise, en entendant ces mots.

— Je n’ai pas des mobiles aussi élevés, je le crains bien, Miss Calder, dit-il. Je songe à gagner ma vie, à continuer la clientèle de mon père. Voilà ce que je vise, et si j’apporte la guérison d’une main, je tendrai l’autre pour recevoir une pièce d’une couronne.

— Comme vous êtes franc et sincère ! s’écria-t-elle.

Et cela continua ainsi : elle le couvrait de toutes les vertus, arrangeait adroitement son langage de façon à l’encourager à entrer dans son rôle, et s’y prenait de la manière que je connaissais si bien.

Avant qu’il fût subjugué, je pus voir qu’il avait la tête toute bourdonnante de l’éclat de sa beauté et de ses propos engageants.

Je frissonnais d’orgueil à penser quelle haute idée il aurait de ma parenté.

— N’est-ce pas qu’elle est belle, Jim ? lui dis-je, sans pouvoir m’en empêcher, au moment où nous fûmes sur le seuil, et pendant qu’il allumait sa pipe pour retourner chez lui.

— Belle ! s’écria-t-il. Mais je n’ai jamais vu son égale.

— Nous devons nous marier, dis-je.

Sa pipe tomba de sa bouche et il me regarda fixement.

Puis il ramassa sa pipe et s’éloigna sans mot dire.

Je croyais qu’il reviendrait, mais je me trompais.

Je le suivis des yeux bien loin sur la lande. Il marchait la tête penchée sur la poitrine.

Mais je n’étais pas près de l’oublier ! La cousine Edie eut cent questions à me faire au sujet de ses années d’adolescence, de sa vigueur, des femmes qu’il devait connaître probablement : elle n’en savait jamais assez.

Puis j’eus de ses nouvelles une seconde fois, dans la journée, mais d’une façon moins agréable.

Ce fut par mon père, qui rentra le soir, ne faisant que parler du pauvre Jim.

Le pauvre Jim avait passé tout ce temps à boire.

Dès midi, étant gris, il était descendu aux coteaux de Westhouse, pour se battre avec le champion gipsy et on n’était pas certain que l’homme passât la nuit.

Mon père avait rencontré Jim sur la grande route, terrible comme un nuage chargé de foudre, et prêt à insulter le premier qui passait.

— Bon Dieu ! dit le vieillard, il se fera une belle clientèle, s’il commence à rompre les os aux gens.

La cousine Edie ne fit que rire de tout cela, et j’en ris pour faire comme elle, mais je ne trouvais rien de bien plaisant dans la nouvelle.

Le surlendemain, je me rendais à Corriemuir par le sentier des moutons quand je rencontrai Jim en personne, qui marchait à grands pas.

Mais ce n’était plus le gros gaillard plein de bonhomie qui avait partagé notre soupe l’autre matin.

Il n’avait ni col, ni cravate. Son gilet était défait, ses cheveux emmêlés, sa figue toute brouillée, comme celle d’un homme qui a passé la nuit à boire.

Il tenait un bâton de frêne, dont il se servait pour cingler les genêts de chaque côté du sentier.

— Eh bien, Jim, dis-je.

Mais il me jeta un de ces regards que je lui avais vus plus d’une fois à l’école, quand il avait le diable au corps, qu’il se savait dans son tort et mettait toute sa volonté à s’en tirer à force d’effronterie.

Il ne me répondit pas un mot. Il me dépassa sur le sentier étroit et s’éloigna d’un pas incertain, toujours en brandissant son bout de frêne et abattant les broussailles.

Ah ! certes, je ne lui en voulais pas.

J’étais fâché, très fâché, voilà tout.

Certes, je n’étais point aveugle au point de ne point voir ce qui se passait.

Il était amoureux d’Edie, et il ne pouvait se faire à l’idée qu’elle serait à moi.

Pauvre garçon, que pouvait-il y faire ?

Peut-être qu’à sa place je me serais conduit comme lui.

Il y avait eu un temps où je m’étonnais qu’une jeune fille pût ainsi mettre à l’envers la tête d’un homme plein de force, mais j’en savais maintenant davantage.

Il se passa quinze jours sans que je visse Jim Horscroft, puis arriva cette journée de jeudi qui devait changer le cours de toute mon existence.

Ce jour-là, je me réveillai de bonne heure, avec ce petit frisson de joie, si exquis au moment où l’on ouvre les yeux.

La veille, Edie avait été plus charmante que d’ordinaire.

Je m’étais endormi en me disant qu’après tout, je pouvais bien avoir mis la main sur l’arc-en-ciel, et que sans se faire des imaginations, sans se monter la tête, elle commençait à éprouver de l’affection pour le simple, le grossier Jock Calder, de West Inch.

C’était cette même pensée, qui, restée en mon cœur, était cause de ce petit gazouillement matinal de joie.

Puis je me rappelai qu’en me dépêchant, je serais prêt pour sortir avec elle, car elle avait l’habitude d’aller se promener dès le lever du soleil.

Mais j’étais arrivé trop tard.

Quand je fus devant sa porte, je trouvai celle-ci entr’ouverte, et la chambre vide.

« Bon, me dis-je, du moins je la rencontrerai, peut-être, et nous reviendrons ensemble.

Du haut de la côte de Corriemuir, on voit tout le pays d’alentour ; donc, prenant mon bâton, je partis dans cette direction.

La journée était claire, mais froide, et le ressac faisait entendre son grondement sonore, bien que depuis plusieurs jours il n’y eût point eu de vent dans notre région.

Je montai le raide sentier en zigzag, respirant l’air léger et vif du matin, et je sifflotais en marchant, et je finis par arriver, un peu essoufflé, parmi les genêts du sommet.

En jetant les yeux vers la longue pente de l’autre versant, je vis la cousine Edie, ainsi que je m’y attendais, et je vis Jim Horscroft qui marchait côte à côte avec elle.

Ils n’étaient pas bien loin, mais ils étaient trop occupés l’un de l’autre pour me voir.

Elle allait lentement, la tête penchée, de ce petit air espiègle que je connaissais si bien.

Elle détournait ses yeux de lui, et jetait un mot de temps à autre.

Il marchait près d’elle, la contemplant, et baissant la tête, dans l’ardeur de son langage.

Puis, à quelque propos qu’il lui tint, elle lui posa une main caressante sur le bras. Lui, ne se contenant plus, la saisit, la souleva et l’embrassa à plusieurs reprises.

À cette vue, je me sentis incapable de crier, de faire un mouvement. Je restai immobile, le cœur lourd comme du plomb, l’air d’un cadavre, les yeux fixés sur eux.

Je la vis lui mettre la main sur l’épaule, et accueillir les baisers de Jim avec autant de faveur que les miens.

Puis il la remit à terre.

Je reconnus que cette scène avait été celle de leur séparation, car s’ils avaient fait seulement cent pas de plus, ils se seraient trouvés à portée d’être vus des fenêtres du haut de la maison.

Elle s’éloigna à pas lents, et il resta là pour la suivre des yeux.

J’attendis qu’elle fût à quelque distance. Alors je descendis, mais mon saisissement était tel, que j’étais à peine à une longueur de main de lui quand il passa près de moi.

Il essaya de sourire, et ses yeux rencontrèrent les miens.

— Ah ! Jock ! dit-il, déjà sur pied.

— Je vous ai vu, dis-je d’une voix entrecoupée.

Ma gorge était devenue si sèche que je parlais du ton d’un homme qui a une angine.

— Ah ! vraiment ! dit-il.

Puis il sifflota un instant.

— Eh bien, sur ma vie, je n’en suis pas fâché. Je comptais aller à West-Inch aujourd’hui même, pour m’expliquer avec vous. Mieux vaut qu’il en soit ainsi peut-être.

— Le bel ami que vous faites ! dis-je.

— Allons, voyons, soyez raisonnable, Jock, dit-il en mettant ses mains dans ses poches et se dandinant. Laissez-moi vous dire où nous en sommes. Regardez-moi dans les yeux et vous verrez que je ne vous mens pas. Voici ce qu’il y a. J’ai déjà rencontré Edie… c’est à dire Miss Calder, le matin de mon arrivée, et il y avait certains détails qui m’ont fait supposer qu’elle était libre, et dans cette conviction, j’ai laissé mon esprit se lancer à sa poursuite. Puis vous avez dit qu’elle n’était pas libre, qu’elle était votre fiancée, et ce fût le coup le plus dur que j’aie reçu depuis longtemps. Cela m’a mis complètement hors de moi. J’ai passé des jours à faire des sottises, et c’est par un hasard heureux que je ne suis pas dans la prison de Berwick. Puis, le hasard me l’a fait rencontrer une seconde fois, — sur mon âme, Jock — ce fut pour moi le hasard — et quand je lui parlai de vous, cette idée la fit rire. C’étaient affaires entre cousin et cousine, disait-elle, mais quant à n’être pas libre, et à ce que vous fussiez pour elle plus qu’un ami, c’étaient des bêtises. Ainsi vous le voyez, Jock, je n’étais pas tant à blâmer que cela, après tout, d’autant plus qu’elle m’a promis de vous faire voir par sa conduite envers vous, que vous vous étiez mépris en croyant avoir un droit quelconque sur elle. Vous avez dû remarquer qu’elle vous a à peine dit un mot pendant ces deux dernières semaines.

J’éclatai d’un rire amer.

— Hier soir, pas plus tard, fis-je, elle m’a dit que j’étais le seul homme au monde qu’elle pouvait jamais prendre le parti d’aimer.

Jim Horscroft me tendit une main cordiale, me la mit sur l’épaule et avança sa tête pour regarder dans mes yeux.

— Jock Calder, dit-il, je ne vous ai jamais entendu proférer un mensonge. Vous n’êtes pas en train de jouer double jeu, n’est-ce pas ? Vous êtes de bonne foi, maintenant. Entre vous et moi, nous agissons franchement, d’homme à homme ?

— C’est la vérité de Dieu, dis-je.

Il resta à me considérer, la figure contractée, comme celle d’un homme en qui se livre un rude combat intérieur.

Deux longues minutes se passèrent avant qu’il parlât.

— Voyons, Jock, dit il, cette femme là se moque de nous deux. Vous entendez, l’ami, elle se moque de nous deux. Elle vous aime à West Inch, elle m’aime sur la lande, et dans son cœur de diablesse, elle se soucie autant de nous deux que d’une fleur d’ajonc. Serrons-nous la main, mon ami, et envoyons au diable l’infernale coquine.

Mais c’était trop me demander.

Au fond du cœur, il m’était impossible de la maudire, plus impossible encore de rester impassible à écouter un autre mal parler d’elle. Non, quand même cet autre eût été mon plus vieil ami.

— Pas de gros mots, m’écriai-je.

— Ah ! vous me donnez mal au cœur avec vos propos bénins. Je l’appelle du nom qu’elle devrait porter.

— Ah ! vraiment ? dis-je en ôtant mon habit. Attention, Jim Horscroft, si vous dites encore un mot contre elle, je vous le ferai rentrer dans la gorge, fussiez-vous aussi gros que le château de Berwick.

Il retroussa les manches de son habit jusqu’au coude. Ce fut pour les rabattre lentement.

— Ne faites pas le sot, Jock, dit-il. Soixante quatre livres de poids et cinq pouces de taille, c’est une différence qui ne peut se compenser pour personne au monde. Deux vieux amis qui se prennent corps à corps pour une… Non, je ne le dirai pas. Ah ! par le Seigneur, n’a-t-elle pas de l’aplomb pour dix ?

Je me retournai.

Elle était là, à moins de vingt yards de nous, l’air aussi calme, aussi indifférent que nous paraissions emportés, fiévreux.

— J’étais tout près de la maison, dit-elle, quand je vous ai vus parler avec animation. Aussi je suis revenue sur mes pas pour savoir de quoi il s’agissait.

Horscroft fit quelques pas en courant, et la saisit par le poignet.

Elle jeta un cri en voyant sa physionomie, mais il la tira jusqu’à l’endroit où j’étais resté.

— Eh bien, Jock, voilà assez de sottises comme cela, dit-il. La voici, lui demanderons-nous de déclarer lequel de nous elle préfère ? Elle ne pourra pas nous tricher, maintenant que nous sommes tous deux ici ?

— J’y consens, répondis-je.

— Et moi aussi, si elle se prononce en votre faveur, je vous jure que je ne tournerai pas seulement un œil de son côté. En ferez-vous autant pour moi ?

— Oui, je le ferai.

— Eh bien alors, faites attention, vous ! Nous voici deux honnêtes gens et amis, nous ne nous mentons jamais, et maintenant nous connaissons votre double jeu. Je sais ce que vous avez dit hier soir. Jock sait ce que vous avez dit aujourd’hui. Vous le voyez ; maintenant parlez carrément, sans détour. Nous voici devant vous : prononcez-vous une bonne fois pour toutes. Lequel est-ce de Jock ou de moi.

Vous croyez peut-être la demoiselle accablée de confusion.

Loin delà, ses yeux brillaient de joie.

Je parierais volontiers que jamais de sa vie elle ne fut plus fière.

Pendant qu’elle promenait ses yeux de l’un à l’autre de nous, sa figure éclairée par le froid soleil du matin, elle avait l’air plus charmante que jamais.

Jim était aussi de cet avis, j’en suis sûr, car il lâcha son poignet, et l’expression de dureté de sa physionomie l’adoucit.

— Allons, Edie, lequel sera-ce ?

— Sots gamins ! s’écria-t-elle, se chamailler ainsi ! Cousin Jock, vous savez combien j’ai d’affection pour vous.

— Eh bien, alors, allez avec lui, dit Horscroft.

— Mais je n’aime que Jim. Il n’y a personne que j’aime autant que Jim.

Elle se laissa aller amoureusement vers lui et posa sa joue contre le cœur de Jim.

— Vous voyez, Jock, dit-il en regardant par-dessus l’épaule d’Edie.

Je voyais.

Je rentrai à West Inch, transformé en un tout autre homme.





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