« Souvenirs d’une actrice » : différence entre les versions

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C’est au souvenir de mon grand-père, Liard Fleury, que je dus la bienveillance de la Comédie-Française dans ma jeunesse ; il vivait encore lors de mes premiers essais au Théâtre Richelieu, en 1791.
 
Si l’on a conservé quelques souvenirs de
Si l’on a conservé quelques souvenirs de moi dans les arts, ce ne peut être de cette époque, ou j’ai dû passer inaperçue au milieu des grands acteurs qui occupaient la scène ; mais je suis assez fière d’avoir pris mon vol à l’abri du leur pour vouloir le rappeler. L’intérêt qu’ils m’ont témoigné, leurs conseils surtout m’auraient sans doute permis de remplir une longue et honorable carrière parmi eux, si le sort n’en eût décidé autrement.
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Si l’on a conservé quelques souvenirs de moi dans les arts, ce ne peut être de cette époque, ou j’ai dû passer inaperçue au milieu des grands acteurs qui occupaient la scène ; mais je suis assez fière d’avoir pris mon vol à l’abri du leur pour vouloir le rappeler. L’intérêt qu’ils m’ont témoigné, leurs conseils surtout m’auraient sans doute permis de remplir une longue et honorable carrière parmi eux, si le sort n’en eût décidé autrement.
 
Ce fut avec un vif regret que je quittai la comédie pour reprendre le chant ; mais toujours accueillie avec amitié par les artistes, j’ai vu se succéder trois générations de talents.
 
Lorsque j’arrivai à Dresde après les désastres de la guerre de Russie, j’y retrouvai la Comédie-Française, qui m’accueillit avec cette hospitalité qui distingue les artistes ; c’est avec eux que je revins en France.
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Ce fut au Théâtre-Français que je fis débuter, comme mon élève, cette jeune orpheline, Nadèje, que j’avais eu le bonheur de sauver au milieu des glaces de Vilna !
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== INTRODUCTION ==
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Ce ne sont point des Mémoires que je veux publier, mais seulement des Souvenirs écrits à différentes époques, sous l’impression du moment, et dans un âge où ils ont dû se graver dans mon esprit en traits ineffaçables ; ils se rapportent aux arts, à la littérature du temps ; ils se rattachent à des noms célèbres, aux grands événements des époques, et les époques ont eu entre elles des couleurs bien différentes.
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Le temps dont je parle est déjà loin de nous. J’avais pris l’habitude, depuis que je commençais à prendre garde à ce qui se passait autour de moi, et lorsque je me trouvais dans des circonstances en dehors de la vie ordinaire, de retracer, dans une espèce de journal, les choses qui m’avaient le plus frappée, habitude que j’ai toujours conservée dans mes voyages, dans les pays étrangers, mais surtout en Russie, où j’écrivais à la lueur de l’incendie de Moscou sans savoir si ces détails parviendraient jamais à ma famille. On est bien aise de revoir plus lard ce qui aurait pu échapper à notre mémoire. Il arrive presque toujours aussi que notre manière d’envisager les choses lorsque nous les écrivons diffère beaucoup lorsque nous venons à les relire. L’âge, les circonstances changées, font voir sous un jour bien différent ce que la vivacité de notre imagination nous avait peint sous des couleurs trop brillantes ou trop sombres.
 
C’est en lisant l’Histoire de la Révolution par
C’est en lisant l’Histoire de la Révolution par M. Thiers que ces années 1791, 12, 13 et 14 retracèrent à mon esprit une foule d’anecdotes, la plupart oubliées ou peu connues des historiens, qui d’ailleurs dédaignent de s’en occuper. Cet ouvrage me reportait aux jours de ma jeunesse et faisait passer devant moi cette galerie de mouvants tableaux où je revoyais des hommes que j’avais connus, ceux que j’avais pleurés, ceux qui m’avaient fait mourir de frayeur. À mesure que j’avançais dans cette lecture, je rattachais à chaque personnage un fait que je retrouvais dans mon journal. Tout ce qui a rapport à ce temps, où chaque circonstance était un événement dont les détails ajoutés aux faits sérieux seront un jour les chroniques de notre époque, est intéressant à connaître et mérite d’être recueilli.
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C’est en lisant l’Histoire de la Révolution par M. Thiers que ces années 1791, 12, 13 et 14 retracèrent à mon esprit une foule d’anecdotes, la plupart oubliées ou peu connues des historiens, qui d’ailleurs dédaignent de s’en occuper. Cet ouvrage me reportait aux jours de ma jeunesse et faisait passer devant moi cette galerie de mouvants tableaux où je revoyais des hommes que j’avais connus, ceux que j’avais pleurés, ceux qui m’avaient fait mourir de frayeur. À mesure que j’avançais dans cette lecture, je rattachais à chaque personnage un fait que je retrouvais dans mon journal. Tout ce qui a rapport à ce temps, où chaque circonstance était un événement dont les détails ajoutés aux faits sérieux seront un jour les chroniques de notre époque, est intéressant à connaître et mérite d’être recueilli.
 
J’ai passé les plus belles années de ma vie au milieu des orages de la Révolution. En ma qualité de femme, je n’ai jamais manifesté d’opinion ; mais j’ai toujours été du parti des opprimés, et je me suis souvent exposée
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pour les servir. J’ai eu de bonne heure un esprit assez observateur. Ma jeunesse, la gaîté de mon caractère me présentèrent le côté comique des choses. Je me moquais également de l’exagération des royalistes et de celle des républicains, qui se croyaient des Spartiates et des Romains. Il faut convenir que j’étais bien placée pour cela entre mon père et mon mari. Celui qui a dit que « ''les femmes adoptent toujours l’opinion de ceux qu’elles aiment'' » s’est étrangement trompé. J’étais opposée à l’un comme à l’autre. Ils se sont compromis tous deux. Je les voyais courir à l’échafaud par un chemin opposé qui devait les réunir, et ils auraient infailliblement péri sans le 9 thermidor. Je tiens surtout à convaincre ceux qui me liront que tous ces événements qui prennent la couleur de la circonstance où je me trouvais ne signifient rien pour mon opinion particulière. Mes relations me permettaient de voir le comte de Tilly, Cazalès, J.-M. Chénier,
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Rivarol, Fabre d’Églantine, les Girondins et les Royalistes.
 
Quelques personnes m’ont dit depuis : « Mais votre mari était républicain et vous voyiez habituellement des royalistes ! Votre père était royaliste, et vous étiez liée avec des républicains ! Pourquoi cela ? » Parce que, moi, je suis une femme, que je suivais le cours des habitudes de ma famille, que j’aime d’ailleurs le talent et l’esprit partout où je les rencontre, que j’avais des amis dans les deux camps, qu’il y avait des malheureux sous chaque bannière, et comme une bonne sœur de charité, j’aurais voulu guérir toutes les blessures et consoler toutes les afflictions.
 
Je m’inquiétais peu de la politique ; mais je lisais ''les Actes des apôtres'', journal très en vogue alors, et les quolibets qu’il lançait sur le parti opposé m’amusaient infiniment. Nous n’en étions pas encore au temps où, lorsqu’on coupait la tête aux femmes, il fallait au moins qu’elles s’informassent pourquoi, comme l’a dit madame de Staël à Napoléon.
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comme l’a dit madame de Staël à Napoléon.
 
Quelle destinée plus bizarre que la mienne ? Élevée dans une ville de province, je devais y passer une vie tranquille et calme. La révolution change tout à coup mon existence, me jette au milieu d’un monde nouveau, et dans un âge où l’on ne comprend pas encore le monde. Je tenais à des artistes célèbres en tout genre ; à Fleury, par mon grand’père, dont le père était cousin-germain, et à madame Saint-Huberty, nièce de ma grand’mère. De semblables affinités sont des titres de noblesse parmi les artistes ; protégée par eux, je devins une chanteuse assez distinguée. Mais la Révolution me fit peur, je crus la fuir en Belgique où je retrouvai des troubles d’une autre nature. Une dame anglaise m’emmène en Ecosse ; la crainte de compromettre ma famille dans ces temps malheureux, me fait quitter la patrie d’Ossian et les grottes de Fingal pour rentrer en France. J’y trouve le 10
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août et le 2 septembre. Je vais à Lille ; on fait le siège de cette ville ; à Boulogne-sur-Mer, je suis arrêtée par Joseph Lebon. Je reviens à Paris où d’autres événements m’attendaient.
 
Enfin, en 1806, je pars pour la Russie. J’y passe huit années dans un calme qui m’était inconnu depuis bien longtemps. Mais quel affreux réveil ! à ce calme devait succéder la plus affreuse tempête. J’y échappe par un de ces miracles incompréhensibles ; mais condamnée sans doute à marcher sans cesse contre le vent (comme ce marchand hollandais dont on nous raconte l’histoire), je suis forcée, pour quitter ce pays, de traverser les lacs glacés de la Suède. J’y rencontre de nouveaux dangers ; je trouve les armées ennemies en Prusse. Je reviens enfin à Paris ; et après avoir vu les Français en Russie, je vois les Russes en France.
 
À cette époque, je goûtai quelque repos, mais mon existence était perdue par le pillage,
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l’incendie et les malheurs de toute espèce que j’avais éprouvés.
 
Je quitte encore cette France, que j’aimais, parce qu’on n’y trouve ''guères'' de ressources, lorsqu’on s’en est éloigné longtemps ; c’est presque une génération nouvelle qui ne vous connaît plus. Je vais en Angleterre ; mais toujours destinée à assister à des événements remarquables, j’y arrive au moment de la mort de cette belle princesse Charlotte, du procès de la reine d’Angleterre (dont beaucoup de détails particuliers ne sont pas connus dans l’étranger) et du sacre du roi Georges IV.
 
Ce sont tous ces événements, que je retraçais à mesure que j’en étais témoin, qui font l’objet de ces Souvenirs. J’étais au moment de les publier, lorsque l’événement le plus affreux de ma vie vint encore m’accabler. Je perdis, en 1832, cette jeune Nadèje, cette orpheline que j’aimais d’un amour de mère !… Je la perdis d’une manière aussi prompte que
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cruelle !… Incapable de m’occuper d’autre chose que de ma douleur, je renonçai alors à cette publication.
 
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''Mon grand’père Fleury • Ses débuts au Théâtre-Français • Les comédiens et les grandes dames • Aventures tragiques • Mon père à Rouen • La famille de Miromesnil • Enlèvement • Fuite en Allemagne • Retour • Arrivée à Metz • Mon oncle • Le prince Max depuis roi de Bavière • Mademoiselle Fanny Darros.''
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Mon grand père, Liard Fleury parut sur la scène du Théâtre-Français en 1749. Baron avait pris sa
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retraite depuis peu d’années. Grandval, mesdemoiselles Lecouvreur, Clairon, Duclos et d’autres acteurs célèbres faisaient alors partie de la Comédie-Française. Ce n’était pas peu de chose dans ce temps que d’aborder cette scène avec succès. Mon grand-père débuta dans Rodrigue du ''Cid'' et dans ''Le Menteur''. Il réussit complètement, puisqu’il fut reçu la même année, et il aurait probablement fourni une longue carrière au Théâtre-Français, si une aventure galante avec une dame de la cour n’y fût venue mettre obstacle.
 
Il était d’une figure et d’une taille qui l’avaient fait surnommer "''le beau Fleury''". Les dames du haut rang avaient alors un goût décidé pour les beaux acteurs. Un de ses camarades était en grande intimité avec une de ces dames dont l’amie avait remarqué M. Fleury. Un rendez-vous fut donné dans une petite maison à la campagne. Ces mystérieuses entrevues ne tardèrent pas à devenir plus fréquentes. Mais tandis que ces messieurs se livraient avec sécurité à ce doux commerce, et se laissaient adorer, ils furent trahis par les femmes de chambre qui
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vendirent le secret aux maris. Nos deux galants furent surpris. Mon grand-père ne dut qu’à la promptitude de ses jambes d’échapper au sort de son ami, dont les amours eurent la même fin que celles de l’amant d’Héloïse. On le trouva baigné dans son sang, au pied d’un arbre, sur le chemin.
 
M. Fleury était fort aimé de ses camarades. Il alla leur conter son aventure, et tous lui conseillèrent de s’expatrier jusqu’à ce que cette affaire fût oubliée, car cela touchait à des gens puissants qui se seraient débarrassés de lui tôt ou tard. On lui procura les moyens de partir pour l’Allemagne et on lui accorda une pension de mille francs qu’il a conservée jusqu’à sa mort, arrivée en 1793.
 
Ce fut chez la margrave de Bareuth, sœur du grand Frédéric, qu’il se réfugia. (Il y avait alors des théâtres français dans toutes les cours d’Allemagne). Cette princesse le maria quelques années après avec mademoiselle Clavel, tante de la célèbre madame Saint-Huberty.
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À la mort de la margrave de Bareuth, mon aïeul et sa femme revinrent en France. Ils avaient acquis une fortune honorable et une pension de cette cour. Ils se fixèrent à Metz, après avoir passé quelques années à Paris.
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Mon père était le seul de leurs enfants qui eût suivi la même carrière que leurs parents. L’amour devait être aussi funeste aux hommes de ma famille qu’aux Atrides. Le fils aurait dû se tenir en garde contre les dames d’un grand nom. Ce fut à Rouen que mon père eut l’occasion de faire quelques vers pour une fête qui se donnait dans la maison d’un président au parlement, proche parent du grand chancelier de France, M. de Miromesnil. Son talent de poète et son excellente éducation lui valurent le meilleur accueil. Il plut à l’une des demoiselles de la maison. Trop jeunes l’un et l’autre pour calculer les suites d’une liaison qui devait les rendre bien malheureux, ils s’enfuirent lorsqu’il ne leur fut plus possible de la cacher.
 
Ce fut aussi en Allemagne, à Stutgard, qu’ils se réfugièrent. Une lettre de cachet avait été lancée
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contre ma mère et une prise de corps décrétée contre mon père. Ils ne pouvaient donc plus songer à rentrer en France. Une séduction, un enlèvement, n’étaient pas alors une affaire que l’on traitât légèrement. Aussi mon père et ma mère étaient-ils dans des craintes continuelles que leur enfant ne devint un jour la victime de leur imprudence[3].
 
Ils me confièrent à une dame de leurs amies qui me fit passer pour sa fille et qui me remit ensuite saine et sauve entre les mains de mes grands parents à Metz. Ils m’accueillirent avec bonté, quoiqu’ils fussent brouillés avec mon père pour tous les chagrins que leur avait causés cette malheureuse affaire. Je reçus chez eux une éducation qui pouvait passer pour brillante, à cette époque surtout où l’on négligeait beaucoup celle des femmes. Ma grand’mère, Saxonne d’origine, était une personne de beaucoup d’esprit, dont les mœurs étaient pures et la piété aussi douce que sincère. La margrave faisait le plus grand cas d’elle.
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J’avais une belle voix, un goût décidé pour la musique, et une organisation qui me faisait deviner ce que je ne pouvais guère apprendre à Metz. Tous les princes d’Allemagne avaient alors une musique à leur service. On voulut m’attacher à celle du prince régnant des Deux-Ponts. J’avais un oncle à cette cour, gouverneur du prince héréditaire et du prince Max[4], mais quoique née en Allemagne, je n’ai jamais pu apprendre un mot d’allemand ; ce n’était pas très commode pour vivre et causer avec eux.
 
Mon oncle était conseiller intime. C’est un titre
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qui se donne en Allemagne aux personnes qui sont attachées aux princes et jouissent d’une certaine considération. Ce titre lui procura un mariage plus brillant qu’avantageux. Il épousa mademoiselle Marbot de Terlonge, demoiselle noble, mais sans fortune.
 
J’avais à Metz une jeune compagne d’enfance. Le comte Darros, son père, ayant perdu une femme qu’il adorait, abandonna son hôtel qui lui rappelait de trop douloureux souvenirs et vint se loger dans celui que venait d’acquérir mon grand-père. Il s’était consacré à l’éducation de sa fille, et l’élevait à la manière de Jean-Jacques. Il fut charmé de rencontrer dans la même maison un enfant à peu près de l’âge du sien, qui pût partager ses jeux et ses leçons. C’était un moyen d’exciter son émulation ; il m’aimait comme une seconde fille.
 
Lorsque dix ans plus tard nous nous séparâmes, j’allai en Languedoc rejoindre mon père. Toulouse nous paraissait un point si éloigné dans le globe, que la jeune Fanny me fit promettre de lui rendre un compte exact des grands événements qui ne pouvaient
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manquer de m’arriver, car la vie paisible que j’avais menée jusque-là ne pouvait certainement se rencontrer qu’à Metz. Nous le pensions ainsi, il semblait que c’était un pressentiment de la vie agitée à laquelle j’étais destinée.
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''Madame Lemoine-Dubarry •
''Madame Lemoine-Dubarry • Le comte Guillaume Dubarry • Julie Talma • Son amitié pour moi • La société de Julie Talma • Les biographies de Talma • Henri VIII et Charles IX • La fortune de Julie Talma et l’usage qu’elle en faisait • Commencements de Talma • Révolution dans le costume tragique • La garde-robe de ce grand acteur.''
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''Madame Lemoine-Dubarry • Le comte Guillaume Dubarry • Julie Talma • Son amitié pour moi • La société de Julie Talma • Les biographies de Talma • Henri VIII et Charles IX • La fortune de Julie Talma et l’usage qu’elle en faisait • Commencements de Talma • Révolution dans le costume tragique • La garde-robe de ce grand acteur.''
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J’aurai plus d’une fois occasion de parler de mademoiselle d’Arros, et j’anticipe sur les dates pour faire connaître tout d’abord deux autres personnes dont le nom se reproduira souvent dans ces Souvenirs.
 
Lorsque je vins pour la deuxième fois à Paris, en 1790, les circonstances voulurent que je me
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trouvasse jetée parmi toutes les notabilités de l’époque, par mes liaisons avec deux femmes aimables qui réunissaient chez elles ce que la capitale renfermait de personnes devenues célèbres dans les genres les plus opposés. La première était madame Lemoine-Dubarry ; la seconde était Julie Talma, première femme de ce grand acteur, qui divorça avec elle pour épouser madame Petit-Vanhove.
 
Tout le monde connaît les Dubarry par les écrits sans nombre qui ont été publiés sur cette famille ; tout le monde sait que le comte Jean Dubarry avait fait épouser la favorite à son frère, le comte Guillaume ; mais tout le monde ne sait pas que ce mari avait été consolé dans sa mésaventure par une femme intéressante qui est restée son amie dans les moments affreux, dont il ne faudrait rappeler le souvenir que pour les actes de dévoûment qu’ils ont souvent fait naître.
 
Au commencement de la terreur, le comte Guillaume fut enfermé à Sainte-Pélagie ; il était plus infirme que vieux, Madame Lemoine voulut le suivre dans sa prison. Elle l’aida à supporter ses
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maux avec ce courage admirable que tant de femmes ont déployé dans ces affreux moments. Le comte eut le bonheur d’échapper à l’échafaud. Devenu libre par la mort de madame Dubarry, il épousa celle à laquelle il devait plus que sa vie ; elle était d’ailleurs sa parente, comme je le dirai plus tard.
 
Julie et madame Lemoine forment dans mes souvenirs deux des épisodes les plus intéressants, non seulement parce que ces dames furent célèbres sous plus d’un titre, mais parce qu’elles ont échappé aux auteurs contemporains, dont la plupart ne cherchent les noms qu’afin d’ajouter du scandale au scandale.
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Une femme célèbre par son esprit, par ses liaisons avec ce qu’il y a eu de plus remarquable dans la société d’alors, par le nom qu’elle a porté, par ses malheurs même, Julie Talma enfin mérite qu’on la rappelle avec plus de vérité et de justice qu’on ne l’a fait jusqu’à présent.
 
Si je dois en juger par quelques fragments que j’ai lus sur elle, peu de personnes en ont une juste
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idée. Mon intimité avec elle m’a mise à même de conserver des documents précieux sur cette femme intéressante : c’est d’elle-même que je tiens les détails qui ont rapport à ses premiers pas dans ce monde où elle a brillé à plus d’un titre. Depuis sa séparation et après son divorce avec Talma, je l’ai peu quittée, et j’ai été témoin de tous les faits dont je parle.
 
Je n’ai connu Julie qu’en 1791 ; elle était mariée depuis un an. Ma parenté avec madame Saint-Huberty, qu’elle avait beaucoup connue, lui inspira un vif intérêt pour moi. Ce fut presque sous ses auspices que j’entrai dans un monde dont je n’avais encore nulle idée. Nos relations devinrent plus intimes, lorsqu’elle éprouva de grands chagrins. Julie avait pour moi le sentiment d’une soeur. Malgré la disproportion de nos âges, le besoin d’épancher son cœur la rendait plus communicative, et sa conversation était tellement attachante, que ce qu’elle me racontait se gravait dans mon esprit. Elle pouvait penser tout haut avec une jeune femme qui lui était dévouée, et près de laquelle elle rencontrait plus de
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sympathie que dans celles de sa société, occupées de leurs plaisirs ou des événements d’alors. Je ne tenais qu’une bien petite place dans ce monde brillant qu’on ne reverra plus ; il prit bientôt pour moi un aspect plus réel, et sans y jouer un rôle important je me trouvai bien près de ceux qui ne vivent maintenant que dans l’histoire. « Les grands hommes disparaissent et le monde va toujours, » a dit lord Byron. Je fus froissée comme les autres par les bouleversements qui se succédèrent avec une effrayante rapidité, et cependant ce temps forme, dans les souvenirs de ma vie ; un des épisodes que j’aime le plus à me rappeler ; il reste un fond de jeunesse dans le cœur qui nous fait parfois illusion. En relisant des pages écrites après un si long temps, l’on se trouve porté au moment où on les traçait ; on oublie la distance qui nous en sépare, et l’on se surprend à éprouver les mêmes sentiments qui nous agitaient alors. Ce qu’on aime toujours, c’est à revoir les lieux où chaque objet vous rappelle un événement de votre vie, où l’objet le plus indifférent pour les autres est un soutenir du cœur qui se rattache à
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ceux que vous avez aimés, et qui ne sont plus. Combien de fois j’ai désiré pouvoir parcourir cette maison de la rue Chantereine ! Je croirais y voir errer les ombres de ceux que j’y rencontrais, et assister encore à ces charmantes causeries de Roucher, Lavoisier, Condorcet, Marie-Joseph Chénier, Roger-Ducos, Vergniaud et tant d’autres. Cette maison mériterait de devenir historique par les hôtes qui l’ont habitée.
 
C’est surtout dans l’âge mûr que ces souvenirs acquièrent plus de prix. Il semble que le temps qui s’éloigne si rapidement nous fasse sentir le besoin de fixer dans notre mémoire ces dates vivantes qui nous remettent sur la trace des époques. Ce qui nous semblait peu important alors, prend un nouvel intérêt des événements qui se sont succédés. On vieillit avec le temps, mais on marche avec le siècle.
 
On a toujours désigné la première femme de Talma par le nom de Julie, pour la distinguer de la seconde, qui a brillé sur la scène du Théâtre-Français. La première a été célèbre par son esprit, ses qualités et la société qui se réunissait chez elle. Il
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est à remarquer que lorsque l’on a voulu associer son nom aux nombreuses biographies de son mari, ce n’a jamais été que d’une manière inexacte ou malveillante qu’on l’a citée. Il y a bien des faits qu’on pourrait ajouter, bien d’autres qu’on pourrait rectifier sur Talma, ce Napoléon de la scène[5], qui eut plus d’un point de ressemblance avec le héros du siècle, ne fût-ce que par le divorce ; à cela près que l’empereur voulait un héritier de son nom, et Talma en avait deux, Charles-Neuf et Henri-Huit, venus jumeaux au monde ; ce qui prouve victorieusement contre ceux qui ont voulu donner à Julie vingt ans de plus que son mari. L’on nomma ces deux enfants du nom des rôles que leur père avait créés avec un grand succès, Henri VIII et Charles IX. On a souvent cité la fortune de madame Talma ; c’est la seule chose dont on se soit souvenu d’une manière positive. Elle avait quarante mille livres de
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rente. C’est la vérité ; mais elle en faisait un si noble usage… Ah ! s’il doit être beaucoup pardonné à celle qui a beaucoup aimé, c’est surtout à la femme dont la bienfaisance et le dévoûment dans nos temps de malheurs ont bien dû effacer la trace d’un péché originel commis par plus d’une Eve, qui n’avait pas autant de motifs pour se faire absoudre.
 
Julie eût été l’Aspasie de son siècle, si ce siècle eût ressemblé à celui de Périclès. Elle n’avait point la beauté de cette femme célèbre, mais elle en possédait l’esprit et la grâce. Le charme qu’elle répandait autour d’elle attirait tout ce qu’il y avait de marquant à la cour et à la ville, et l’on briguait l’avantage d’être admis dans son cercle.
 
Les premiers essais de ce jeune homme qui devait être un jour un grand acteur et le Roscius de l’époque, avaient enchanté Julie, dont l’esprit, rempli de poésie, comprenait si bien les arts. De l’admiration à la passion, l’espace fut bientôt franchi. Elle employa son influence à lui faire des amis de tous les jeunes auteurs qui composaient son cercle, et qui devaient eux-mêmes aspirer à une brillante
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carrière, si la Révolution n’eût pas arrêté ces talents poétiques chez les uns pour tourner leur esprit vers la politique, et si la crainte de la faux révolutionnaire n’eût réduit les autres au silence.
 
Depuis 1789, la société de Julie se composait en grande partie de ceux que l’on a depuis nommés les Girondins, dénomination que l’on donnait non-seulement aux députés de la Gironde, mais à tous les hommes d’esprit qui étaient d’une opinion modérée. Vergniaud, Louvet, Roger-Ducos, Roland, Condorcet, etc., se rencontraient chez Julie, ainsi que beaucoup de gens de lettres et de savants, Millin, Lenoir que l’on nommait alors le beau Lenoir, le poète Lebrun, Ducis, Legouvé, Bitaubé, Marie-Joseph Chénier, Lemercier, Giry-Dupré, Saint-Albin, Souques, Riouffe, Champfort et beaucoup d’artistes, David, Garat et autres dont il sera question dans le cours de ces Souvenirs.
 
Cette société avait beaucoup contribué à mettre le talent de Talma dans un jour favorable. Sans cela, il eût peut être été long-temps à percer, Chénier, Ducis, Lemercier et Legouvé sont ceux qui ont le
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plus particulièrement travaillé à ouvrir devant Talma la brillante carrière qu’il a parcourue ; mais avant eux, David, car c’est d’après les conseils de ce célèbre peintre, que Talma a été le premier à s’affranchir de l’usage ridicule de la poudre, des hanches, des chapeaux à plumes, et de mille autres absurdités adoptées par ses prédécesseurs. Il fut secondé par les antiquaires et les savants. Ses propres recherches sur les Grecs, les Romains et les monuments du moyen-âge, le mirent à même de se créer une garde-robe remarquable par son exactitude. Ses cuirasses, ses casques, ses armes étaient du plus grand prix. Julie ne croyait pouvoir faire un meilleur usage de sa fortune, qu’en secondant son mari dans tout ce qui pouvait contribuer à le faire paraître avec avantage. La grande galerie de sa maison n’était meublée que de yatagans turcs, de flèches indiennes, de casques gaulois, de poignards grecs ; ces trophées d’armes étaient tous suspendus aux murailles.
 
Peu de femmes possédaient à un aussi haut degré que madame Talma, un style aimable et exempt de prétention. Elle donnait du charme au plus petit
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billet. L’on aurait pu la comparer à madame de Sévigné, écrivant dans notre siècle. Mais une de ses qualités les plus précieuses, c’était son âme ardente pour ses amis. Elle s’exposait, pour eux, dans un temps où les vertus étaient des crimes. Combien de fois ne l’a-t-on pas vue, elle si indolente pour son propre compte, courir tout Paris pour servir des proscrits ? Elle était souvent fort mal accueillie dans les bureaux, car les amis d’hier n’étaient quelquefois plus ceux d’aujourd’hui ; mais elle ne se rebutait pas, et sa persévérance finissait par obtenir ce qu’elle avait sollicité. Enfin, c’était un de ces êtres trop rares sur la terre, et dont il faut honorer la mémoire, lorsqu’on a eu le bonheur de les y rencontrer[6].
 
 
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Ce fut à elle que sa mère mourante légua sa jeune sœur ; madame Diot l’aimait comme son enfant. Elles établirent un petit commerce de lingerie ; elles n’avaient pas même de magasin, et travaillaient chez elles.
 
Quoique ces dames vécussent fort retirées, elles apprirent cependant le changement de fortune arrivé dans la famille, et surent que
=== no match ===
ce grand hôtel qui faisait face à leur humble habitation, appartenait à un comte Dubarry[8].
 
Madame Diot résolut de le voir, bien qu’elle craignît que cette fortune subite ne l’empêchât de les avouer pour ses parentes, car elle connaissait assez le monde pour savoir que la pauvreté est rarement bien accueillie par la richesse. _Argent sèche souvent le coeur_. Elle cacha sa démarche à sa jeune sœur, dont le caractère noble et fier se serait révolté à cette pensée. Elle se présenta chez le comte Guillaume et lui demanda un entretien particulier. Madame Diot avait un air ouvert et franc qui prévenait en sa faveur. Après s’être fait connaître, et voyant après un moment de conversation qu’elle avait affaire à un très bon parent, elle réclama son appui et le mit au fait de sa position.