« La Philosophie des mathématiques de Kant » : différence entre les versions

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[238] Nous allons examiner successivement les différentes thèses que nous venons d’énumérer.
 
== DÉFINITION DES JUGEMENTS ANALYTIQUES. ==
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Les jugements mathématiques sont-ils synthétiques ? Pour le savoir, il faut d’abord définir les termes de ''synthétique'' et d’''analytique''. Rappelons la définition textuelle de Kant : « Ou bien le prédicat B appartient au sujet A comme quelque chose qui est contenu (d’une manière cachée) dans ce concept A, ou bien B est tout à fait en dehors du concept A, bien qu’il soit en connexion avec lui. Dans le premier cas j’appelle le jugement ''analytique'', dans l’autre, ''synthétique'' » (B. 10). Cette définition suppose que tous les jugements sont des jugements de prédication. Or il est reconnu aujourd’hui qu’il y a bien d’autres formes de jugements, qui sont irréductibles aux jugements de prédication ; autrement dit, qu’il y a une multitude de relations qu’on peut penser et affirmer entre deux ou plusieurs objets, et que ces relations ne peuvent pas se ramener à l’unique relation d’inclusion de deux concepts (exprimée par la copule ''est''). Même au point de vue de la logique kantienne, cette définition est trop étroite, car elle ne s’applique qu’aux jugements catégoriques, et non aux jugements hypothétiques et disjonctifs, qui, de l’aveu même de Kant, établissent un rapport, non plus entre deux concepts, mais entre deux ou plusieurs jugements (B. 98). Ce défaut est d’autant plus étonnant que Kant déclare ailleurs n’avoir jamais été satisfait de la définition que les logiciens donnent en général du jugement, en disant que c’est la représentation d’un rapport entre deux concepts (B. 140, § 19 de la ''Critique''). La définition de Kant est donc absolument insuffisante en principe. M. Vaihinger a essayé de la justifier, en [239] disant qu’elle doit comprendre les jugements de relation, puisque Kant l’appliquera plus tard à de tels jugements (par ex. : 7+5=12) ; mais c’est là une inférence interprétative que rien dans le texte ne parait justifier. Tout au contraire, Kant, préoccupé d’établir la généralité de sa définition, n’a pensé qu’à une chose : c’est qu’elle ne s’appliquait qu’aux jugements affirmatifs, et alors il a ajouté entre parenthèses qu’on peut aisément l’étendre « ensuite » aux jugements négatifs. Il n’en est pas moins vrai qu’il a commencé par admettre que « tous les jugements » consistent à « penser le rapport d’un sujet à un prédicat », et que ce rapport est toujours le rapport de prédication, exprimé par la copule ''est''.
Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par toutes les explications ultérieures de Kant. Les jugements analytiques « n’ajoutent rien au concept du sujet », ils ne font que « le décomposer par démembrement en ses concepts partiels » ; tandis que les jugements synthétiques « ajoutent au concept du sujet un prédicat… qui n’aurait pu en être tiré par aucun démembrement » (B. 11). C’est ce que Kant montre (ou croit montrer) par les exemples suivants : Le jugement « Tous les corps sont étendus » est analytique, parce qu’il n’est pas besoin de « sortir » du concept de corps, il suffit de le décomposer pour y trouver l’attribut « étendu ». Le jugement « Tous les corps sont lourds » est synthétique, parce que « le prédicat [240] est tout autre chose que ce que je pense dans le simple concept de corps en général » (B. 11). La pensée de Kant est encore précisée par un passage de la Logique (§ 36) : « A tout x auquel convient le concept de corps (''a'' + ''b''), convient aussi l’étendue (''b''), c’est un exemple de jugement analytique. A tout ''x'' auquel convient le concept de corps (''a'' + ''b''), convient aussi l’attraction (''c''), c’est un exemple de jugement synthétique. » Les lettres par lesquelles Kant a cru devoir représenter les concepts élémentaires prouvent clairement qu’il considère un concept comme un assemblage de « concepts partiels » qui en sont les « caractères essentiels ». Or c’est là une conception unilatérale et simpliste de la Logique, qui remonte à Aristote, que Kant a vraisemblablement héritée de Leibniz, mais qui n’en est pas moins radicalement fausse. Par conséquent, la distinction des jugements analytiques et synthétiques, qui repose sur elle, n’a pas une valeur générale, et nous verrons tout à l’heure qu’elle ne s’applique même pas à tous les exemples que Kant a cités à l’appui. Nous serons donc obligés de lui substituer une autre définition qui ait une valeur universelle.
 
Mais auparavant, il convient de se demander quel est le sens que Kant attribuait exactement à cette distinction. Elle peut recevoir, et elle a en effet reçu des interprètes deux sens bien différents : un sens psychologique et un sens logique. Au sens psychologique, elle porte sur ce que nous pensons, en fait, en formulant le jugement ; au sens logique, elle porte sur le contenu intellectuel du jugement, contenu objectif et indépendant [241] du sujet qui le pense actuellement. Beaucoup de commentateurs et de critiques ont soutenu cette thèse, que la distinction des jugements analytiques et synthétiques n’a qu’une portée psychologique : un jugement est synthétique la première fois qu’on le formule, parce qu’on découvre un prédicat nouveau d’un sujet déjà connu ; il deviendra analytique, dès que le nouveau prédicat sera incorporé au sujet. C’est en ce sens qu’on a pu dire : Le jugement « Les corps sont lourds » peut être synthétique pour le vulgaire, et encore pour le géomètre ; mais il est analytique pour le physicien, qui ne peut plus concevoir les corps sans attraction.
 
Il semble parfois que Kant entende la distinction dans ce sens, car il admet que le prédicat soit contenu dans le sujet « d’une manière latente » (B. 10), qu’il soit pensé « confusément » avec le sujet (B. 44 ; cf. p. 9) ; ces expressions semblent se rapporter au caractère psychologique et essentiellement subjectif de la pensée. Kant dit même un peu plus loin : « La question n’est pas de savoir ce que nous ''devons'' ajouter par la pensée au concept donné, mais ce que nous pensons ''réellement'' en lui, ne fût-ce qu’obscurément » (B. 47). Mais il ne faudrait pas interpréter ces expressions, à la vérité assez ambiguës, dans un sens psychologique ; et le dernier passage cité le prouve. En effet, quand on le rapporte au contexte, on constate qu’il signifie exactement ceci : Toute liaison nécessaire n’est pas analytique ; et de ce que nous sommes ''obligés'' d’unir tel prédicat à tel sujet, il ne s’ensuit pas qu’il y soit ''logiquement'' contenu. Ainsi Kant entend la distinction au sens logique. Il dit lui-même ailleurs : « La différence d’une représentation confuse et d’une représentation distincte est simplement [242] logique, et ne porte pas sur le contenu » (B. 61). Il est évident qu’il entend ici par ''logique'' ce que nous entendons par ''psychologique''. Il oppose nettement ce que ''nous'' pensons plus ou moins implicitement dans un concept, et la manière dont nous le pensons, à ce qui y est ''contenu'' logiquement, que nous le pensions ou non actuellement. Or c’est la définition du concept qui seule détermine son contenu logique. C’est ce qui ressort avec évidence de ces passages : « Je ne dois pas regarder ce que je pense réellement dans mon concept du triangle (''celui-ci n’est rien de plus que la simple définition'')… » (B. 746) ; et plus loin : « C’est donc en vain que je philosopherais sur le triangle, c’est-à-dire que je le penserais d’une manière discursive, je ne pourrais dépasser si peu que ce soit la ''simple définition''… » (B. 747). C’est donc la définition qui sert de critérium aux attributs analytiques, et par suite aux jugements analytiques. Pourquoi le jugement « Tous les corps sont étendus » est-il analytique ? C’est que la notion de l’étendue est contenue dans celle de corps, et fait partie de sa définition. Pourquoi le jugement : « Tous les corps sont pesants » est-il synthétique ? C’est qu’on n’a pas besoin du caractère pesant pour définir le corps ; il est complètement défini par d’autres caractères, et par suite celui-là ne peut lui être attribué qu’après coup, ''synthétiquement'' (B. 42). On le voit : ce qui distingue les attributs analytiques et synthétiques d’un concept, c’est le fait, purement logique, qu’ils font ou ne font pas partie de sa définition.
 
== PRINCIPE DES JUGEMENTS ANALYTIQUES. ==