« Quelques mots sur la non-intervention » : différence entre les versions

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Il est donc rarement - je ne vais pas aller jusqu'à dire « jamais » - judicieux ou juste, dans un pays doté d'un gouvernement libre, d'assister un autre peuple dans ses tentatives pour arracher la même bénédiction de ses gouvernants indigènes, autrement que par le soutien moral de son opinion. Il faut excepter tout cas, bien sûr, où une telle assistance constitue une mesure de légitime défense. Si (une éventualité qui est loin d'être improbable) l'Angleterre, parce qu'on lui tient rigueur de sa liberté, qui est partout un reproche tenant tête au despotisme, et un encouragement à le rejeter, devait se trouver menacée d'une attaque par une coalition de despotes continentaux, elle devrait considérer le parti populaire de chaque nation du continent comme son allié naturel, les libéraux devant être à cet égard ce que les protestants d'Europe étaient pour le gouvernement de la reine Élisabeth. Ainsi, encore, lorsqu'une nation, pour sa propre défense, est entrée en guerre contre un despote, et a la rare et bonne fortune non seulement de réussir dans sa résistance, mais de tenir entre ses mains les conditions de la paix, elle a le droit de dire qu'elle ne conclura aucun traité, à moins que ce ne soit avec un autre dirigeant que celui dont l'existence en tant que tel pourrait constituer une menace perpétuelle à l'encontre de sa sécurité et de sa liberté. Ces exceptions ne font qu'éclairer sous un jour plus vif les raisons de cette règle ; parce qu'elles ne dépendent pas d'un défaut de ces raisons, mais de conditions qui leurs sont supérieures, et qui découlent d'un principe différent.
 
Mais le cas d'un peuple combattant un joug étranger, ou contre une tyrannie indigène soutenue par des armes étrangères, illustre inversement les raisons de la non-intervention ; car dans ce cas les raisons elles-mêmes n'existent pas. Un peuple le plus attaché à la liberté, le plus capable de défendre et d'utiliser les institutions libres, pourrait être incapable de combattre pour elles avec succès contrelacontre la force militaire d'une autre nation bien plus puissante. Assister un peuple ainsi réduit à l'impuissance, ne constitue pas une perturbation de l'équilibre des forces dont dépend le maintien permanent de la liberté dans un pays, mais un redressement de l'équilibre alors qu'il est déjà injustement et violemment perturbé. Pour être érigée en principe moral légitime, la doctrine de la non-intervention, doit être acceptée par toutes les nations. Les despotes doivent consentir à y être liés tout comme les États libres. Tant qu'ils ne le font pas, sa proclamation par les pays libres n'aboutit qu'à l'issue misérable où le mauvais camp peut aider les mauvais, mais le bon ne peut aider les bons. L'intervention en exécution du principe de non-intervention est toujours juste, toujours morale, sinon toujours prudente. Bien que ce soit une erreur de ''donner'' la liberté à un peuple qui n'en perçoit pas la valeur, il ne peut être que juste d'insister que s'il la perçoit, il ne sera pas entravé dans sa quête de liberté par la coercition étrangère. Il aurait pu ne pas être juste pour l'Angleterre (indépendamment de la question de la prudence) d'avoir pris fait et cause pour la Hongrie dans son noble combat contre l'Autriche ; quoique le gouvernement autrichien en Hongrie ait constitué en un sens un joug étranger. Mais lorsque, les Hongrois s'étant montrés susceptibles de gagner ce combat, le despote russe s'interposa, joignant ses forces à celles de l'Autriche, et livra à nouveau les Hongrois, pieds et mains liés, à leur oppresseurs exaspérés, c'eût été un acte honorable et vertueux de la part de l'Angleterre de déclarer que cela ne devrait pas être, et que si la Russie assistait le mauvais camp, l'Angleterre assisterait le bon. Cela pourrait ne pas avoir été compatible avec le souci que chaque nation doit avoir de sa propre sécurité si l'Angleterre avait pris cette position seule. Mais l'Angleterre et la France ensemble auraient pu le faire ; et si elles l'avaient fait, l'intervention armée russe n'aurait jamais eu lieu, ou aurait été désastreuse pour la seule Russie : alors que tout ce que ces puissances ont gagné à ne rien faire, est que cinq ans plus tard elles durent se battre contre la Russie, dans des circonstances plus difficiles, et sans la Hongrie comme allié. La première nation qui, étant assez puissante pour que ses déclarations soient suivies d'effets, aura le courage de dire qu'aucun coup de canon ne sera tiré en Europe par les soldats d'une puissance contre les sujets révoltés d'une autre, sera l'idole des amis de la liberté d'une extrémité à l'autre de l'Europe. Cette déclaration à elle seule assurera l'émancipation quasi-immédiate de chaque peuple désirant suffisamment la liberté pour être capable de la maintenir : et la nation qui fera entendre sa voix se trouvera bientôt à la tête d'une alliance des peuples libres, assez forte pour défier n'importe quel nombre de despotes coalisés pour la battre. Le prix est trop glorieux pour ne pas être saisi par quelque pays libre ; et le moment pourrait ne pas être si éloigné, où l'Angleterre, si elle ne prend pas par héroïsme cette responsabilité héroïque, sera obligée de la prendre par souci de sa propre sécurité.
 
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