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en Angleterre, que la vie scandaleuse de l’épouse d’Édouard II, suivie du meurtre abominable de ce dernier roi, plus digne d’intérêt par sa mort que par sa vie, Edouard III, le rival du roi Jean, était le fils de ce couple déplorable et, quoique encore adolescent, il eût pu se montrer plus jaloux de l’honneur de son père, et surtout défenseur plus zélé de ses jours et de sa mémoire. La complicité de ces crimes avait atteint tous les personnages élevés de la cour d’Angleterre. Edouard III laissa mourir son oncle, le comte de Kent, victime d’un guet-apens judiciaire et de la perversité de sa mère, dont il fit justice plus tard par des moyens non moins tragiques. La scène de l’arrestation de Mortimer n’a rien de pareil dans l’histoire du temps. Edouard III avait pourtant de grandes qualités ; il était aussi brave que Jean. Il avait l’esprit politique, qui ne manquait pas à Jean, quoiqu’on ait dit ; il a trouvé des préférences au détriment du second Valois, et même des regrets dynastiques chez quelques écrivains de notre temps. Froissart, qui n’avait aucun motif de flatter notre roi Jean, lui a été plus favorable.
en Angleterre, que la vie scandaleuse de l’épouse d’Édouard II, suivie du meurtre abominable de ce dernier roi, plus digne d’intérêt par sa mort que par sa vie, Edouard III, le rival du roi Jean, était le fils de ce couple déplorable et, quoique encore adolescent, il eût pu se montrer plus jaloux de l’honneur de son père, et surtout défenseur plus zélé de ses jours et de sa mémoire. La complicité de ces crimes avait atteint tous les personnages élevés de la cour d’Angleterre. Edouard III laissa mourir son oncle, le comte de Kent, victime d’un guet-apens judiciaire et de la perversité de sa mère, dont il fit justice plus tard par des moyens non moins tragiques. La scène de l’arrestation de Mortimer n’a rien de pareil dans l’histoire du temps. Edouard III avait pourtant de grandes qualités ; il était aussi brave que Jean. Il avait l’esprit politique, qui ne manquait pas à Jean, quoiqu’on ait dit ; il a trouvé des préférences au détriment du second Valois, et même des regrets dynastiques chez quelques écrivains de notre temps. Froissart, qui n’avait aucun motif de flatter notre roi Jean, lui a été plus favorable.


Vers la fin d’octobre 1355, les trêves étant expirées, le prince de Galles guerroyait en Gascogne, ''ardant et brûlant le pays'', et le roi Edouard, débarquant à Calais, franchissait la frontière française. Jean avait fait un nouvel appel au patriotisme français en convoquant cette fameuse assemblée des états-généraux de 1355, où se montra pour la première fois Etienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, qui devint le chef redoutable de l’agitation aux états de 1356, mais qui concourut en 1355 à voter des subsides et des levées d’hommes pour la défense du territoire, tout en montrant dès lors ce qu’on pouvait craindre d’un tel homme. L’histoire de ces états de 1355 nous est à peu près connue, et je ne la referai point, quoiqu’il y eût beaucoup à dire. J’insisterai seulement sur les résultats constatés. Les lois originaires de la féodalité sont battues en brèche de toutes parts ; elles ont fait leur temps. Ce régime, exposé avec une merveilleuse lucidité dans les ''Assises de Jérusalem'', dans les légistes normands d’Angleterre, dans les Établissemens de Saint-Louis, dans les ''Coutumes de Beauvoisis'', — ce régime, parfaitement adapté jadis à la société pour laquelle il avait été créé, dont il avait développé les forces et défendu les droits, ce régime tombait en ruines. A l’abri de sa protection et de son organisation, deux classes d’hommes s’étaient produites, qui au milieu du XIVe siècle ne trouvaient plus leur compte dans les pratiques, des siècles précédens, dont la raison d’être avait changé. Ces deux classes d’hommes étaient les agriculteurs, successeurs des anciens laboureurs gaulois, des colons romains, des serfs ou lites germaniques, et les bourgeois des villes, hommes industrieux et libres, dont le travail, l’esprit et la fortune n’étaient point entrés dans les
Vers la fin d’octobre 1355, les trêves étant expirées, le prince de Galles guerroyait en Gascogne, ''ardant et brûlant le pays'', et le roi Edouard, débarquant à Calais, franchissait la frontière française. Jean avait fait un nouvel appel au patriotisme français en convoquant cette fameuse assemblée des états-généraux de 1355, où se montra pour la première fois Etienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, qui devint le chef redoutable de l’agitation aux états de 1356, mais qui concourut en 1355 à voter des subsides et des levées d’hommes pour la défense du territoire, tout en montrant dès lors ce qu’on pouvait craindre d’un tel homme. L’histoire de ces états de 1355 nous est à peu près connue, et je ne la referai point, quoiqu’il y eût beaucoup à dire. J’insisterai seulement sur les résultats constatés. Les lois originaires de la féodalité sont battues en brèche de toutes parts ; elles ont fait leur temps. Ce régime, exposé avec une merveilleuse lucidité dans les ''Assises de Jérusalem'', dans les légistes normands d’Angleterre, dans les Établissemens de Saint-Louis, dans les ''Coutumes de Beauvoisis'', — ce régime, parfaitement adapté jadis à la société pour laquelle il avait été créé, dont il avait développé les forces et défendu les droits, ce régime tombait en ruines. À l’abri de sa protection et de son organisation, deux classes d’hommes s’étaient produites, qui au milieu du {{sc|xiv}}{{e}} siècle ne trouvaient plus leur compte dans les pratiques, des siècles précédens, dont la raison d’être avait changé. Ces deux classes d’hommes étaient les agriculteurs, successeurs des anciens laboureurs gaulois, des colons romains, des serfs ou lites germaniques, et les bourgeois des villes, hommes industrieux et libres, dont le travail, l’esprit et la fortune n’étaient point entrés dans les