« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Escalier » : différence entre les versions

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principes posés, nous nous occuperons d'abord des escaliers à rampes
droites, extérieurs, découverts ou couverts.
 
==== Escaliers extérieurs ====
Bien qu'on ne fasse plus guère aujourd'hui de
ces sortes d'escaliers, il faut reconnaître qu'ils étaient fort commodes, en
ce qu'ils ne gênaient en rien les dispositions intérieures et ne coupaient
pas les bâtiments du haut en bas, en interceptant ainsi les communications
principales. L'un des plus anciens et des plus beaux escaliers ainsi disposés
se voit encore dans l'enceinte des bâtiments de la cathédrale de
Canterbury. Cet escalier, bâti au XII<sup>e</sup> siècle, est situé près de l'entrée
principale et conduisait à la salle de réception (salle de l'étranger); il se
compose d'une large rampe perpendiculaire à l'entrée de la salle, avec
palier supérieur; il est couvert, et le comble, dont les sablières sont horizontales, est supporté par une double arcature à jour fort riche, dont les
colonnes diminuent suivant l'élévation des degrés<span id="note1"></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]].
 
La plupart des grand'salles des châteaux étaient situées au premier
étage, et on y montait soit par de larges perrons, soit par des rampes
droites couvertes, accolées ou perpendiculaires à ces salles.
 
La grand'salle du château de Montargis, qui datait de la seconde moitié
du XIII<sup>e</sup> siècle, possédait un escalier à trois rampes avec galerie de communication
portée sur des arcs (voy. CHÂTEAU, fig. 15). Cet escalier était
disposé de telle façon que, de la grand'salle A (voy. le plan fig. 2), on
pouvait descendre sur l'aire de la cour par les trois degrés BCD. Il était
couvert par des combles en bois posant sur des colonnes et piliers en
pierre<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]]. On appelait, dans les palais, ces sortes d'escaliers le
<i>degré</i>, par
excellence. La rampe avait nom <i>épuiement</i><span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]:
 
<center>
«El palès vint, l'épuiement<br>
De sanc le truva tut sanglant.»<br>
</center>
 
Les couvertures de ces rampes droites étaient ou en bois, comme à
Canterbury et à Montargis, ou voûtées, comme, beaucoup plus tard, à la
Chambre des comptes et à la Sainte-Chapelle de Paris. Ces deux derniers
degrés montaient le long du bâtiment. Celui de la Chambre des comptes,
élevée sous Louis XII, était un chef-d'œuvre d'élégance; il aboutissait à
une loge A s'ouvrant sur les appartements (fig. 3, voy. le plan).
Cette
loge et le porche B étaient voûtés; la rampe était couverte par un lambris.
Sur la face du porche, on voyait, en bas-relief, un écu couronné aux
armes de France, ayant pour supports deux cerfs ailés, la couronne
passée au cou et le tabar du héraut d'armes de France déployé au dos.
Sous l'écu, un porc-épic surmonté d'une couronne, avec cette légende au
bas:
 
<center>
«Regia Francorum probitas Ludovicus, honesti<br>
Cultor, et æthereæ religionis apex.»<br>
</center>
 
Le tout sur un semis de fleurs de lis et de dauphins couronnés. Le semis
de fleurs de lis était sculpté aussi sur les tympans des arcs et sur les
pilastres. La balustrade pleine présentait, en bas-relief, des L passant à
travers des couronnes, puis des dauphins<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]].
 
Pour monter sur les chemins de ronde des fortifications, on établissait,
dès le XII<sup>e</sup> siècle, de longues rampes droites le long des courtilles, avec
parapet au sommet. Les marches reposaient alors sur des arcs et se
profilaient toujours à l'extérieur, ce qui permettait de donner plus de
 
[Illustration: Fig. 2.]
 
largeur à l'emmarchement et produisait un fort bon effet, en indiquant
bien clairement la destination de ces rampes, fort longues, si les chemins
de ronde dominaient de beaucoup le sol intérieur de la ville.
 
[Illustration: Fig. 3.]
 
À Aigues-Mortes, à Avignon, à Villeneuve-lès-Avignon, à Jérusalem, à
Beaucaire, à Carcassonne, on voit encore quantité de ces escaliers extérieurs
découverts qui ont un aspect très-monumental (4)<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]]. Mais il arrivait
 
[Illustration: Fig. 4.]
 
souvent que, faute de place, ou pour éviter la construction de ces arcs,
ou lorsqu'il fallait monter, le long d'un rempart très-élevé, au sommet
d'une tour carrée, on posait les marches des escaliers découverts en
encorbellement. Afin de donner à ces marches une saillie suffisante pour
permettre à deux personnes de se croiser et une parfaite solidité, les
architectes obtenaient la saillie voulue par un procédé de construction
fort ingénieux. Chaque marche était taillée ainsi que l'indique le tracé A
(5), la partie B étant destinée à être engagée dans la muraille. Posant ces
marches, ainsi combinées, les unes sur les autres, de manière à ce que
le point C vînt tomber sur le point D, elles étaient toujours portées par
 
[Illustration: Fig. 5.]
 
une suite de retraites présentant un encorbellement des plus solides, ainsi
que le font voir le tracé perspectif G, l'élévation H et le profil K. On voit
encore un de ces escaliers, parfaitement exécuté, à l'intérieur de la tour
dite d'Orange, à Carpentras (commencement du XIV<sup>e</sup> siècle).
Ordinairement,
il faut, pour qu'un escalier soit facilement praticable, que chaque
marche ait en largeur la longueur d'un pied d'homme, soit 0,28 c. à
0,30 c.,
[Illustration: Fig. 6.]
 
et en hauteur de 0,15 c. à 0,20 c. au plus, ce qui donne une inclinaison
de 22 degrés ou environ. Mais, parfois, la place manque pour obtenir une
pente aussi douce, et on est obligé, surtout dans les ouvrages de fortifications,
de monter suivant un angle de 45 degrés, ce qui donne des marches
aussi larges que hautes et ce qui rend l'ascension dangereuse ou fort
pénible. En pareil cas, les constructeurs, observant avec raison que l'on
ne met jamais qu'un pied à la fois sur chaque marche, soit pour
monter,
soit pour descendre, et que par conséquent il est inutile qu'une marche
ait la largeur nécessaire à la pose du pied dans toute sa longueur, ces
constructeurs, disons-nous, ont disposé leurs marches en coins, ainsi que
l'indique la fig. 6, de manière à ce que deux marches eussent ensemble
0,30 c. de hauteur et chacune 0,30 c. d'emmarchement par un bout, ce
qui permettait d'inscrire la rampe dans un angle de 45 degrés. Seulement
il fallait toujours poser le pied gauche sur la marche A, le pied droit sur
la marche B en descendant, ou le contraire en montant. Le tracé
perspectif
C fait comprendre le système de ces degrés<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]]. On le reconnaîtra, ce
n'est jamais la subtilité qui fait défaut à nos architectes du moyen âge.
Mais ces derniers exemples ne fournissent que des escaliers de service.
 
==== Escaliers intérieurs ====
C'est-à-dire, desservant plusieurs étages d'un
bâtiment, posés dans des cages comprises dans les constructions ou accolées
à ces constructions. Les escaliers à vis, comme nous l'avons dit
précédemment, furent employés par les Romains; les architectes du
moyen âge adoptèrent ce système de préférence à tout autre, variant
les
dimensions des escaliers à noyau en raison des services auxquels ils
devaient
satisfaire. Ces sortes d'escaliers présentaient plusieurs avantages
qu'il est important de signaler: 1º ils pouvaient être englobés dans les
constructions ou n'y tenir que par un faible segment; 2° ils
prenaient peu
de place; 3º ils permettaient d'ouvrir des portes sur tous les points de
leur circonférence et à toutes hauteurs; 4º ils s'éclairaient aisément;
5º ils étaient d'une construction simple et facile à exécuter; 6º
ils devenaient
doux ou rapides à volonté; 7º pour les châteaux, les tours, ils
étaient barricadés en un moment; 8º ils montaient de fond jusqu'à des
hauteurs considérables sans nuire à la solidité des constructions voisines;
9º ils étaient facilement réparables.
 
Les plus anciens escaliers à vis du moyen âge se composent d'un
noyau en pierre de taille, d'une construction en tour ronde, d'un
berceau
en spirale bâti en moellon, reposant sur le noyau et sur le parement
circulaire intérieur. Cette voûte porte des marches en pierre dont les
arêtes sont posées suivant les rayons d'un cercle. La fig. 7 représente en
plan et en coupe, suivant la ligne AB du plan, un de ces escaliers si fréquents
dans les édifices des XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles. La porte extérieure de l'escalier
étant en D, la première marche est en C. Ces marches sont posées
sur un massif jusqu'au parement G; à partir de ce point commence la
voûte spirale que l'on voit figurée en coupe. Les tambours du noyau portent
un petit épaulement H pour recevoir les sommiers du berceau qui, de
l'autre part, sont entaillés dans le mur circulaire I. Les marches sont
posées sur l'extrados du berceau rampant et se composent de pierres d'un
ou de plusieurs morceaux chacune. Généralement ces voûtes rampantes
sont assez grossièrement faites en petits moellons maçonnés sur couchis.
Les voûtes des escaliers du chœur de l'église abbatiale d'Eu, qui datent
du XII<sup>e</sup> siècle, sont cependant exécutées avec une grande précision; mais
les Normands étaient dès lors de très-soigneux appareilleurs. Voici, fig. 8,
comme sont taillés les tambours du noyau qui reçoivent les sommiers du
 
[Illustration: Fig. 7.]
 
berceau rampant; il arrive aussi que les portées de la voûte sont fréquemment entaillées dans le noyau cylindrique, ce qui affaiblit beaucoup
celui-ci. Ces sortes d'escaliers ne dépassent guère 1<sup>m</sup>,00 c. d'emmarchement,
et souvent sont-ils moins larges, les cages cylindriques n'ayant que
six pieds, ou 1<sup>m</sup>,90 c. environ, dont déduisant le noyau, qui dans ces
sortes d'escaliers a au moins un pied de diamètre, reste pour les marches
0,80 c. au plus. On reconnut bientôt que les voûtes rampantes pouvaient
être supprimées; lorsqu'au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle on exploita les
pierres en plus grands morceaux qu'on ne l'avait fait jusqu'alors, on
trouva plus simple de faire porter à chaque marche un morceau du
noyau, de les faire mordre quelque peu l'une sur l'autre, et de leur ménager
une portée entaillée de quelques centimètres le long du parement
cylindrique de la cage. Ce procédé évitait les cintres, les couchis, une
main-d'œuvre assez longue sur le tas; il avait encore l'avantage de relier
le noyau avec la cage par toutes ces marches qui formaient autant d'étrésillons.
Ces marches pouvant être taillées à l'avance, sur un même tracé,
un escalier était posé très-rapidement. Or, il ne faut pas perdre de vue
que parmi tant d'innovations introduites dans l'art de bâtir par les architectes
laïques de la fin du XII<sup>e</sup> siècle, la nécessité d'arriver promptement
à un resultat, de bâtir vite en un mot, était un des besoins les plus
manifestes.
 
[Illustration: Fig. 8.]
 
La fig. 9 donne le plan et la coupe<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]] d'un de ces escaliers. La porte
extérieure est en A, la première marche en B. Les recouvrements sont
indiqués par lignes ponctuées, et le détail C présente une des marches
en perspective, avec le recouvrement ponctué de la marche suivante
*[?.]
Quelquefois, pour faciliter l'échappement, les marches sont chanfreinées
par-dessous ainsi qu'on le voit en D. Les dimensions de ces escaliers
varient; il en est dont les emmarchements n'ont que 0,50 c.; les plus
grands n'ont pas plus de 2<sup>m</sup>,00, ce qui exigeait des pierres
très-longues;
aussi, pour faire les marches du grand escalier du Louvre,
Charles V avait-il été obligé d'acheter d'anciennes tombes à l'église des
 
[Illustration: Fig. 9.]
 
Saints-Innocents<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]], probablement parce que les carrières de liais de Paris
n'avaient pu fournir à la fois un nombre de morceaux de la dimension
voulue; en effet cet escalier était très-large; nous y reviendrons. Dans
l'intérieur des châteaux les escaliers à vis étaient singulièrement multipliés;
en dehors de ceux qui montaient de fond, et qui desservaient tous
les étages, il y en avait qui établissaient, dans l'épaisseur des murs, une
communication entre deux étages seulement, et qui n'étaient fréquentés
 
 
 
 
 
<br><br>
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<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Voy. <i>Some account of Domest. Archit. in England, from
the conquest to the end of
the thirteenth century</i>, by T. Hudson Turner. J. Parker, Oxford,
1851.
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Voy. Du Cerceau, <i>Des plus excellens bastimens de
Frane</i>.
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : <i>Lai d'Ywenec</i>; poésies de Marie de France, XIII<sup>e</sup>
siècle.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Voy. Topog. de la France; Bib. imp.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Des remparts de Carcassonne, fin du XIII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : On voit encore un escalier de ce genre sur les parties supérieures de l'église de
Saint-Nazaire de Carcassonne, et à Notre-Dame de Paris dans les galeries du transsept.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : La coupe est faite suivant <i>a b</i>, en pourtournant le noyau pour faire voir le recouvrement des marches.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Sauval.