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séparé des saint-simoniens, des socialistes, des libéraux, et en un mot de tous les partis et de tout le monde, vivant péniblement de leçons de mathématiques, des fonctions de répétiteur à l’Ecole polytechnique pendant quelques années, plus tard des subsides de ses disciples, ou plutôt de ses fidèles, soutirant d’un mariage peu heureux, puis d’un divorce pénible, trouvant dans un grand amour ou plutôt dans une de ces adorations mystiques dont il arrive assez souvent aux quinquagénaires d’être comme enivrés, un ravissement d’une année, puis, après la mort de l’idole, une occupation exquise du cœur, un « entretien » doux et cher qui a consolé et illuminé ses derniers ans ; triste du reste, aigri, très irrité et assez raisonnablement, s’il était jamais raisonnable d’être irrité, contre ceux qui ne l’avaient nommé ni professeur de mathématiques à l’Ecole polytechnique, ni professeur de philosophie scientifique au Collège de France ; extrêmement orgueilleux, Dieu merci, et trouvant dans cet orgueil le réconfort de tous ses déboires ; laborieux jusqu’à la fin, ce qui est encore meilleur comme consolation et comme soutien ; mourant enfin, trop tard, disent quelques-uns, ce qui n’est pas notre avis, assez jeune encore, ayant à peine touché au seuil de la soixantaine, l’esprit plein de la grande œuvre qu’il avait faite, et le cœur tout ravi encore du souvenir de celle qu’il avait aimée.
séparé des saint-simoniens, des socialistes, des libéraux, et en un mot de tous les partis et de tout le monde, vivant péniblement de leçons de mathématiques, des fonctions de répétiteur à l’École polytechnique pendant quelques années, plus tard des subsides de ses disciples, ou plutôt de ses fidèles, soutirant d’un mariage peu heureux, puis d’un divorce pénible, trouvant dans un grand amour ou plutôt dans une de ces adorations mystiques dont il arrive assez souvent aux quinquagénaires d’être comme enivrés, un ravissement d’une année, puis, après la mort de l’idole, une occupation exquise du cœur, un « entretien » doux et cher qui a consolé et illuminé ses derniers ans ; triste du reste, aigri, très irrité et assez raisonnablement, s’il était jamais raisonnable d’être irrité, contre ceux qui ne l’avaient nommé ni professeur de mathématiques à l’École polytechnique, ni professeur de philosophie scientifique au Collège de France ; extrêmement orgueilleux, Dieu merci, et trouvant dans cet orgueil le réconfort de tous ses déboires ; laborieux jusqu’à la fin, ce qui est encore meilleur comme consolation et comme soutien ; mourant enfin, trop tard, disent quelques-uns, ce qui n’est pas notre avis, assez jeune encore, ayant à peine touché au seuil de la soixantaine, l’esprit plein de la grande œuvre qu’il avait faite, et le cœur tout ravi encore du souvenir de celle qu’il avait aimée.


C’était, ce me semble, un homme extrêmement naïf et prodigieusement orgueilleux. Il y avait en lui de l’enfant précoce, du polytechnicien et du professeur, c’est-à-dire un esprit très nourri, absolu dans ses idées, et très séparé du reste du monde. Il connaissait peu les hommes, comme tous ceux chez qui l’éveil des idées a été si hâtif et si enivrant qu’ils n’ont vécu qu’avec elles dans leur enfance et dans leur jeunesse. Il est très rare que le sens psychologique naisse dans l’âge mûr. Comte ne l’eut jamais. Il est comme effrayé de l’injustice des hommes à son endroit, comme s’il était possible aux hommes de démêler en quelques années le mérite d’un homme supérieur à eux. Il s’étonne de l’inconstance, de l’ingratitude, de l’étourderie, du peu de perspicacité, de l’absence de dévouement, comme si ce n’était pas là le fond commun, naturel et éternel de l’humanité, et comme si l’on ne devait pas, dès qu’elle n’est pas persécutrice, être très content d’elle. Une lettre de lui à Littré est un monument d’ingénuité. Il s’y plaint de sa femme « presque dépourvue de cette tendresse ''qui constitue le principal attribut de son sexe'' », dénuée de « l’instinct de bonté » et de « l’instinct de vénération », en un mot, — ce qui pour Comte est un arrêt des plus durs, — « nature purement révolutionnaire. » Il s’y étonne et s’irrite de ce que « Mme Comte espéra
C’était, ce me semble, un homme extrêmement naïf et prodigieusement orgueilleux. Il y avait en lui de l’enfant précoce, du polytechnicien et du professeur, c’est-à-dire un esprit très nourri, absolu dans ses idées, et très séparé du reste du monde. Il connaissait peu les hommes, comme tous ceux chez qui l’éveil des idées a été si hâtif et si enivrant qu’ils n’ont vécu qu’avec elles dans leur enfance et dans leur jeunesse. Il est très rare que le sens psychologique naisse dans l’âge mûr. Comte ne l’eut jamais. Il est comme effrayé de l’injustice des hommes à son endroit, comme s’il était possible aux hommes de démêler en quelques années le mérite d’un homme supérieur à eux. Il s’étonne de l’inconstance, de l’ingratitude, de l’étourderie, du peu de perspicacité, de l’absence de dévouement, comme si ce n’était pas là le fond commun, naturel et éternel de l’humanité, et comme si l’on ne devait pas, dès qu’elle n’est pas persécutrice, être très content d’elle. Une lettre de lui à Littré est un monument d’ingénuité. Il s’y plaint de sa femme « presque dépourvue de cette tendresse ''qui constitue le principal attribut de son sexe'' », dénuée de « l’instinct de bonté » et de « l’instinct de vénération », en un mot, — ce qui pour Comte est un arrêt des plus durs, — « nature purement révolutionnaire. » Il s’y étonne et s’irrite de ce que « {{Mme}} Comte espéra