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mieux cet esprit indomptable, le terrible esprit d’enquête et de répression qui fit brûler (1692) les sorcières de Salem, est celui de Deborah Thayer, la mère de Barney. Il suffit de la regarder faire sa cuisine pour la connaître. Elle tourne une sauce avec une vigueur de muscles superflue, comme elle tournerait du plomb fondu ; elle rappelle ainsi une de ses aïeules du temps des guerres françaises et indiennes, coulant des balles avec le hurlement des sauvages dans les oreilles. Son mari tremble devant elle, sa fille la redoute au point que la crainte de l’opposition qu’elle ferait à son mariage avec un honnête garçon la conduit à une intrigue secrète, scandale presque sans exemple dans le vertueux village de Pembroke. Un jour la jolie Rébecca s’évanouit en pleine église comme Gretchen, et pour les mêmes raisons. Que fait alors une mère puritaine telle que Deborah ?

Silencieusement elle chasse l’infortunée, elle la met dehors par une de ces tempêtes de neige qu’on ne connaît que dans le nord de l’Amérique. Puis elle va trouver son fils aîné, envers lequel déjà elle s’est posée en justicière inflexible, et lui dit de faire en sorte que sa sœur se marie sur-le-champ sans qu’elle ait à s’en mêler davantage. Voilà les deux hommes, le frère furieux, l’amant éperdu, courant après la fugitive. Ils la retrouvent, après de longues recherches, à moitié gelée, à moitié folle dans une maison écartée au bord du grand chemin, une maison où vit certaine femme de mauvais renom, la veuve d’un ivrogne, Mrs Sloane. Cette brebis galeuse, mise au ban de la société, l’a recueillie et l’a soignée. Croyez-vous que l’auteur ou aucun de ses personnages fasse là-dessus la moindre dépense de sentiment ? Nous ne serions plus à Pembroke ! Vite, le frère va chercher pour une bénédiction hâtive le ministre du village, en le priant d’amener sa femme, car Barney ne peut supporter l’idée que la Sloane, qu’il s’est gardé de remercier, serve de témoin, comme les femmes peuvent le faire en Amérique. Détail curieux, William Berry, le séducteur de Rebecca, n’est pas moins intolérant que Barney. Assis dans la cuisine horriblement sale de Mrs Sloane, il se livre à des réflexions inattendues : pour lui, « élevé au milieu de la méticuleuse netteté d’un intérieur typique de la Nouvelle-Angleterre, ce désordre, tandis qu’il l’observe à travers un état mental tendu à l’excès, semble prendre une signification plus profonde et révéler par des images matérielles l’ignominie de l’âme elle-même, son genre d’existence, ses pensées secrètes. William n’était jamais entré tout à fait jusque-là dans l’atmosphère de son propre péché, mais maintenant il la respirait en plein, et, de quelque façon inexplicable, les pots et les casseroles malpropres